Cher Théodore, bonjour,
La seule chose dont nous assure la foi catholique, c'est que le pape est protégé de l'erreur quand il engage son autorité apostolique pour enseigner à l'Eglise sur une question de foi ou de moeurs. Ce qui n'est guère qu'une instanciation de l'infaillibilité de l'Eglise, dont l'Eglise de Rome constitue le centre de communion ; c'est pourquoi elle ne peut enseigner l'erreur.
Non, pas vraiment. Vous semblez oublier le magistère ordinaire d'une part, et le magistère authentique d'autre part.
Gallicanisme, quand tu nous tiens...
Toutes les autres actions du pape sont relatives. Il est même possible qu'un pape soit un hérétique matériel, qui enseigne l'erreur sans s'opposer en pleine conscience à la foi de l'Eglise (je pense notamment à Jean XXII). Qu'un pape soit hérétique formel est un sujet plus délicat, mais il me semble qu'une certaine tradition canonique, et des thélogiens comme Bellarmin, n'avaient aucun problème à soulever celui-ci.
C'était l'opinion de Bellarmin, et ce dernier n'a pas connu Vatican I. Aussi pouvons-nous peut-être considérer son opinion comme caduque (n'est-ce pas Mgr Guérard des Lauriers?).
Non, les autres actions du Pape ne sont pas relatives. Certes, elle n'engagent pas les fidèles autant qu'un dogme proclamé, mais il y a des degrés d'autorité que les fidèles sont tout de même tenus de suivre. Une décision du Saint-Père ou du magistère peut parfois être contestée, mais respectueusement. #magistereordinaire #magistereauthentique ...
Pour bien me faire comprendre, voici un extrait d'une lettre que j'adore citer, tant son contenu est riche (et son auteur aussi d'ailleurs):
Mais vous ne pouvez pas affirmer l’incompatibilité des textes conciliaires – qui sont des textes magistériels – avec le Magistère et la Tradition. Il vous est possible de dire que personnellement, vous ne voyez pas cette compatibilité, et donc de demander au Siège Apostolique des explications. Mais si, au contraire, vous affirmez l’impossibilité de telles explications, vous vous opposez profondément à cette structure fondamentale de la foi catholique, à cette obéissance et humilité de la foi ecclésiastique dont vous vous réclamez à la fin de votre lettre, lorsque vous évoquez la foi qui vous a été enseignée au cours de votre enfance et dans la Ville éternelle.
Lettre du Cardinal Ratzinger à Mgr Lefebvre, 20 Juillet 1983
La seule chose que nous assure l'Evangile est que jamais le pape ne contraindra l'Eglise, en vertu de la plénitude de son autorité apostolique, à confesser une hérésie.
Cela ne signifie pas qu'en-dehors des déclaration ex catheda, un fidèle puisse s'opposer au pape comme il lui plaît, car il y a divers degrés d'enseignements et d'assentiments.
Comme il lui plaît ? Pauvre Pie IX, il ne se retourne pas dans sa tombe: il y fait un triple saut périlleux avant de retomber face contre bois. D'ailleurs ça fait du bruit au Vatican, il y en a qui n'en dorment plus...
Par ailleurs, Socrate, il convient de remarquer que l'adage canonique "le premier Siège n'est jugé par personne" est, dans ses plus anciennes occurences, suivi d'une petite clause : "sauf en cas d'hérésie".
Admettons. Et alors ? L'Eglise peut évoluer. Cela fait montre seulement un état archaïque de la doctrine.
Par ailleurs, je remarque que dans l'histoire, personne n'a jamais (à ma connaissance) jugé le Pape pour hérésie sinon... un autre Pape (ou un concile œcuménique présidé et approuvé par ses soins, ce qui revient au même). Ce qu'un Pape fait, tous peuvent en être perplexes, mais seul un autre Pape peut le défaire. Ce qu'un Pape dit, tous peuvent le contester (dans les formes), mais seul un autre Pape peut le corriger, étant sauf le magistère extraordinaire.
Par ailleurs, il me semble que dans le contexte on parle ici du pouvoir de juridiction.
C'est votre interprétation. Elle ne me semble pas fidèle au texte. Il est bien question du jugement du Souverain Pontife sur une question précise:
Le jugement du Siège apostolique, auquel aucune autorité n'est supérieure, ne doit être remis en question par personne, et personne n'a le droit de juger ses décisions. C'est pourquoi ceux qui affirment qu'il est permis d'en appeler des jugements du Pontife romain au concile œcuménique comme à une autorité supérieure à ce Pontife, s'écartent du chemin de la vérité.
Il est bel et bien question de cela: non seulement le Pape est le chef suprême de l'Eglise (après Dieu), mais il est encore le juge suprême des fidèles (après Dieu, mais en Son nom). Sa juridiction s'étend à toutes les Eglises du monde (in fine seulement, car le texte laisse ouverte la possibilité d'un réel pouvoir des évêques dans leurs diocèses respectifs), et sur tous les fidèles du monde. Ses décisions ne peuvent être jugées ou condamnées.
C'est d'ailleurs un peu l'attitude de notre pape actuel: il laisse s'exprimer tout le monde (même des gens dépourvus d'orthodoxie comme le Cardinal Kasper), mais
in fine, c'est lui qui tranche.
Le pape n'est pas l'alpha et l'oméga de l'herméneutique catholique ; et il est indéniable que depuis plus de deux siècles, le subconscient catholique donne au pape, par ultramontanisme, une place exaltée qui est bien au-delà de ce qui est raisonnable et bon pour la constitution de l'Eglise. Vatican II a rectifié la balance dans le bon sens, mais n'a concrètement guère été reçu.
Marrant: vous êtes tradi et vous citez Vatican II; je ne le suis pas (Dieu m'en préserve), et je m'appuis sur Vatican I...
Blague à part, qui ici prétend qu'il est l'alpha et l'oméga du catholicisme ? Personne
(Bon si, moi pendant un temps; plus maintenant). Comme l'avait d'ailleurs dit Newman au duc de Norfolk, après Vatican I, un autre concile devait venir pour rééquilibrer le gouvernement de l'Eglise en faveur de l'épiscopat. Ce que fit Vatican II. Décidément, il est fort ce Newman (non pas lui, l'autre)....
Pour autant, on ne m’enlèvera pas de la tête l'idée selon laquelle nous vivons une crise très forte de l'autorité (aussi bien à droite qu'à gauche soit dit en passant). De nombreux prélats refusent d'obéir au Saint-Siège sur des points doctrinaux ou pastoraux très importants, et on se permet de contester ouvertement son autorité. A tel point que même sur KTO, on entend des intervenants dire le plus tranquillement du monde que le Pape n'était rien d'autre qu'un
Primus inter pares, et que la perfide Eglise de Rome aurait bien entendu dévié de cette noble traduction. Ah, l'orientalisme....
A titre personnel, j'avoue rêver d'une Eglise où l'on ne se préoccupe pas de ce qui se passe à Rome, et où le pape ne s'occupe que d'arbitrer et trancher les conflits entre les évêques, comme dernière cour d'appel ; où Rome laisse les Eglises locales dans une paix relative, et où les fidèles ne se préoccupent pas constamment de ce que le pape fait et dit. C'était le cas à l'époque patristique et pour la majeure partie de l'époque médiévale, et la communion ne s'en portait que mieux ; des Eglises menées par des clergés hérétiques n'étaient pas forcées d'adhérer à la communion d'une foi qu'elles ne attaquent, et les vénérables Eglises d'Orient pouvaient tranquillement vivre dans l'indépendance qui sied à leur dignité apostolique et à leur non-romanité.
Bref, vive la subsidiarité ecclésiale.
Cette vision des choses me semble caduque (puisque vous aimez ce mot
). Il est exact que l'Eglise romaine n'avait qu'une influence faible sur les Eglises d'Orient. Cela a toujours été ainsi, elles ne sont pas latines (et cela devrait d'ailleurs continuer). En revanche, pour ce qui est de l'Occident... franchement, dès que les évêques prenaient un peu d'autonomie, ils en profitaient pour s'émanciper. Regardez les mouvements "conciliaristes", gallicans ou encore gibelins dans l'Histoire de l'Eglise (avec en plus l'appui des pouvoirs séculiers, qui préféraient de beaucoup une Eglise nationale dont ils contrôleraient le clergé à une Eglise gouvernée par un souverain sur lequel les évêques pourraient s'appuyer pour le contester. Considérez ainsi l'exemple de S. Thomas More).
Moi je veux bien, hein ! Mais alors qui gouvernera ? Les pouvoirs publics. On aura une Eglise soumise au pouvoir séculier. Dom Guéranger l'avait bien vu: l'infaillibilité du Pape est un rempart contre les abus du pouvoir séculier.
Si ça amuse certains d'avoir une multitudes d'Eglises "anglicanes" transposées au catholicisme...
Il en fut d'ailleurs de même en Orient. A votre avis, pourquoi la première décision de Staline une fois la deuxième guerre mondiale finie fut-elle d'annexer l'Eglise grecque-catholique d'Ukraine à l'Eglise russe-orthodoxe ? Afin de pouvoir contrôler la première comme il gouvernait la seconde.
Une collégialité est nécessaire, et Lumen Gentium présente d'excellents conseils pour la construire. Il faut d'ailleurs qu'elle soit étendue (surtout en Orient) et qu'on la dote de vraies instances de gouvernements (et non pas des "conférences épiscopales", qui ne décident rien sur rien). Mais cette collégialité ne saurait remettre en aucune manière en cause le pouvoir du Pape dont les décisions solennelles ne sauraient recevoir de contestation de quelque part que ce soit (ou alors avec respect, ou même "avec crainte et tremblement" comme le dis S. Thomas à propos de la dialectique).
Je dis bien les décisions solennelles. Pas de la marque de shampoing à choisir.
Bref, vive le Souverain Pontife et
Pastor Aeternus:
Si donc quelqu'un dit que le Pontife romain n'a qu'une charge d'inspection ou de direction et non un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute l'Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le monde entier, ou qu'il n'a qu'une part plus importante et non la plénitude totale de ce pouvoir suprême ; ou que son pouvoir n'est pas ordinaire ni immédiat sur toutes et chacune des églises comme sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles, qu'il soit anathème.
Et, pour finir, je citerai Adrian Fortescue, prêtre anglais du début du XXè, spécialiste des Eglises d'Orient et grand liturgiste, un individu un peu excentrique, qui parlait ainsi de Pie X, réagissant à l'imposition universelle du Serment anti-moderniste :
Étrange comme citation. Enfin...
Ἐν ἀρχῇ ἦν ὁ λόγος, καὶ ὁ λόγος ἦν πρὸς τὸν θεόν, καὶ θεὸς ἦν ὁ λόγος. Οὗτος ἦν ἐν ἀρχῇ πρὸς τὸν θεόν. Πάντα δι’ αὐτοῦ ἐγένετο, καὶ χωρὶς αὐτοῦ ἐγένετο οὐδὲ ἓν ὃ γέγονεν. Ἐν αὐτῷ ζωὴ ἦν, καὶ ἡ ζωὴ ἦν τὸ φῶς τῶν ἀνθρώπων, καὶ τὸ φῶς ἐν τῇ σκοτίᾳ φαίνει, καὶ ἡ σκοτία αὐτὸ οὐ κατέλαβεν.