Le populisme ou les demeurés de l'histoire

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » mar. 31 oct. 2017, 23:56

Merci, JCNDA. Merci pour le commentaire.

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » mer. 01 nov. 2017, 0:23

Le XIXe siècle a engendré de nombreux courants de pensée voués à la critique des conceptualisations émancipatrices et à la défense de L'enracinement, courants habités par des monarchistes nostalgiques, des chrétiens, des libéraux, anarchistes, fédéralistes. On constate qu'aujourd'hui ces arguments se sont pratiquement tus, comme si l'évidence de l'émancipation avait fini par épuiser tous ses adversaires. Comme on le verra plus loin, le nazisme a indirectement contribué, par sa démesure, à l'élimination des derniers accusateurs des Lumières.

Aujourd'hui, le populisme exprime dans la plupart des cas, un conservatisme qui n'arrive pas à se dire de façon cohérente dans les lieux officiels. Et il est détesté parce que violent, mais tout autant parce que conservateur. Le seul auteur sérieux et accepté (par ailleurs talentueux), à défendre ouvertement le populisme, est Jean-Claude Michea, qui a tendance à réduire le conservatisme des milieux populaires au refus de la mondialisation capitaliste. Le refus de la mondialisation, naturellement, contribue à entretenir le populisme, mais il est loin d'en représenter la source principale, et cependant il est le seul que l'opinion commune puisse considérer comme avouable, puisqu'il s'attaque au capitalisme honni.

Pour le reste, lorsqu'il s'agit de récuser la mondialisation des coutumes et des identités, on fait en sorte qu'apparaissent au grand jour, en défense de l'enracinement, seulement les cris, inécoutables parce que violents et dénués d'arguments, qui proviennent de cohortes populistes.

On retrouve dans les discours populistes, néanmoins, les motifs conservateurs bien connus depuis Burke : l'appel à l'homme réel face à cet homme abstrait et sans sol établi par les Lumières; la critique des droits de l'homme trop généraux et systématiques, substitués aux devoirs disparus; la liberté décrochée de ses situations, de ses limites et de ses responsabilités; l'égalité sans prise en compte de la diversité; la fraternité sans hiérarchie de liens et sans connivence, qui veut voir tous les humains comme des frères de lait. Tout cela voué au désastre, parce qu'aucun être humain normalement constitué ne peut vivre de cette manière; jouir de la liberté sans limites, prétendre égaler tous les autres, aimer le lointain autant que le prochain.

Le caractère même de la pensée dominante à laquelle s'opposent les populistes, explique le mépris qu'elle leur voue. Les adeptes du concept ignorent l'incertitude et le doute qu'ils avaient pourtant proclamé au départ, et d'une certaine façon réenchante le monde qu'ils remplissent de croyances inaltérables. La rupture de la modernité, c'est le passage de l'universel comme transcendance à l'universel comme concept. Dès lors que le ciel est fermé, les insoumis ne sont plus des mécréants, mais des idiots. La transcendance réclamait la foi, mais le concept est à portée de raison, donc sans contradicteurs : en face de lui, il ne trouve pas des rebelles, mais des imbéciles.

p. 112

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » mer. 01 nov. 2017, 1:04

L'élite émancipée est individualiste, cosmopolite, donc dotée d'un large espace, mais surtout, elle est moins fragilisée devant les difficultés de la vie, par sa connaissance du monde et par le tissu multiple de ses relations. Il faut être fort pour supporter le grand large, si bien que l'émancipation et les capacités personnelles s'entretiennent réciproquement. L'ouverture représente un défi et parfois un grand risque pour des gens enracinés dans leurs coutumes, souvent impropres à intégrer d'autres savoirs et d'autres habitudes, et ne tirant leur confort que d'organisations depuis longtemps consacrées. Seul le membre de l'élite cosmopolite peut attendre une meilleure vie du changement, en raison de son habitude de l'adaptation, et encore arrive-t-il que le changement détruise son existence au lieu de l'enrichir. On peut dire, avec prudence, que l'enracinement rend la vie plus facile en raison du holisme qu'il promeut, en tout cas plus facile aux faibles de nature ou d'occasion.

L'émancipation est enviable, mais ardue, elle engendre des solitudes que seule la force peut assumer et des libertés que seule la force peut mériter. Il n'est pas extraordinaire que la défense de l'enracinement apparaisse dans les milieux dotés d'un sentiment de fragilité devant les puissants; et que l'émancipation soit défendue par ceux qui participent aux cercles du pouvoir. L'homme de l'enracinement est protégé par ses racines. L'homme de l'émancipation, séparé (ou libéré) de ses racines, doit bien prendre appui ailleurs.

La montée des populismes raconte la révolte des particuliers devant des idéologies de plus en plus mondiales, donc de plus en plus abstraites. Le refus de l'émancipation apparaît comme une défense du particulier contre l'universel.

Est désigné comme "populiste" le chef politique ou le gouvernant qui prend en compte l'enracinement [...] Au début des années 1990, les nouveaux dirigeants de la Pologne et de la Tchécoslovaquie d'alors, Lech Walesa et Havel, ont été décrits comme populistes, simplement parce qu'ils étaient des néo-conservateurs, et surtout des spiritualistes, dotés d'une grande assise populaire. Il est curieux de voir accoler ce vocable infamant à des hommes qui, sortant à peine des geôles d'un totalitarisme, jouissent des faveurs d'un peuple qu'ils contribuent à libérer. Mais voilà : on ne peut imaginer [en haut lieu] qu'un conservateur libère la société d'une perversion émancipatrice, par cette conviction répandue qui fait voir l'enracinement toujours vicieux et l'émancipation innocente par nature.

[...]


Les élites se révèlent davantage prêtes à tenter n'Importe quelle expérience pourvu qu'elle vise une émancipation supplémentaire. Plus détachées des réalités historiques et coutumières, persuadées que l'éventail des possibles est toujours inachevé, aventurières et portées vers le grand large, elles ne voient pas pourquoi on ne pourrait essayer encore autre chose. Les milieux populaire auraient tendance à ne vouloir rien expérimenter. Les élites auraient tendances à vouloir tout expérimenter. Les deux tendances sont excessives et mènent à l'absurde. Mais à une époque d'émancipation sans limite où c'est l'excès de l'élite qui s'applique, les milieux populaires peuvent mettre à son encontre des jugements sensés, dont il vaudrait mieux débattre plutôt que de les couvrir d'injures. Le terme "populisme" vise à empêcher ce débat en le frappant par avance d'illégitimité.

Il est cocasse de voir par exemple les gouvernants européens attendre patiemment que les peuples, arriérés, développent un peu plus leur intelligence pour accepter l'entrée de la Turquie dans l'Union. Comme s'il n'était question que d'une idiotie à résorber! Le refus de faire entrer la Turquie tient à des opinions sur l'Identité européenne, sur l'existence de la différenciation et des limites, et croire que l'on va assécher cette opinion en ajoutant des neurones tient d'une prétention cléricale.

p. 124

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par JCNDA » mer. 01 nov. 2017, 12:33

Cinci a écrit :
mer. 01 nov. 2017, 1:04

L'émancipation est enviable, mais ardue, elle engendre des solitudes que seule la force peut assumer et des libertés que seule la force peut mériter.
Bonjour,
Vous parlez d'une force inhérente à un individu ou d'un défit (un combat).
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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » mer. 01 nov. 2017, 19:36

Bonjour,

Il s'agit de la force d'un individu. Seuls les plus forts peuvent se permettre le luxe de s'émanciper de toutes les défenses. Le grand patron millionnaire qui prévoit prendre sa retraite sur une île isolée du Pacifique ne sent pas le besoin spécial de mettre un mur à la frontière pour se protéger de l'invasion migratoire. Si l'expérience tourne mal, sa fusée est prête pour le décollage, son avion privée pour le déposer dans un petit paradis à Bali, sur un piton rocheux à Monaco. Le plus fort à mériter le droit de jouir de certaines libertés, le plus fort et qui ne tire pas sa sécurité personnelle de ses proches ou de la société dans laquelle il vit a mérité le droit de se passer des normes morales de ceux-là ou de celle-ci. Le fort peut s'émanciper des normes morales, sociales, bibliques ou autres. Le fort veut transmettre sa philosophie de fort aux autres.

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » mer. 01 nov. 2017, 19:44

La perversion du particularisme

Dans le cours publié d'Éric Voeglin sur Hitler et les Allemands, le préfacier, ancien auditeur de ces cours, raconte qu'un jour un étudiant posa la question de la séduction exercée par Hitler sur les Allemands, et s'entendit répondre par Voeglin :"Parmi les droits de l'homme, cher Monsieur, ne figure pas le droit d'être un imbécile. Vous n'avez pas le droit d'être un idiot." Autrement dit, cette séduction ne peut recevoir aucune explication, sinon par la bêtise de ceux qui tombent dans le panneau.

On ne peut pas accepter cette explication de Voeglin.

Qu'un courant de pensée ou parti politique soit odieux, cela signifie-t-il qu'il est relayé par des crétins? Que ses supporters se soient trompés, cela les définit-il comme des crétins? Tant d'autres se sont trompés, dont on ne remet pas en cause l'intelligence.

Voeglin pose au départ une question essentielle : le plus intéressant est moins de savoir comment Hitler a pu exister, que de savoir pourquoi les Allemands ont suivi Hitler.

Il parle du "déclin intellectuel et spirituel", d'un "illetrisme spirituel". Je crois qu'il faut distinguer soigneusement l'insuffisance intellectuelle - la bêtise - et l'insuffisance spirituelle - privation de sens, privation de moralité. Il suffit d'observer les sociétés avec un oeil un peu exercé pour remarquer que les individus plein de chaleur spirituelle et de qualités de coeur ne sont pas forcément, loin de là, les plus intelligents ni les plus cultivés. D'ailleurs, les critiques de l'Église ont souvent argué, notamment au XIXe siècle, que la spiritualité prenait racine dans l'imbécilité populaire [...] Ce qui s'est révélé faux également : on peut être un intellectuel croyant, et il n'est pas exigé d'être sot pour croire.

L'idiot et le criminel

Autant Voeglin avait certainement raison de mettre en avant le phénomène d'effondrement spirituel comme une des conditions de possibilité du nazisme, autant je ne pense pas qu'un effondrement intellectuel puisse être ici un facteur significatif. Il est très probable que la déchristianisation à l'oeuvre pendant tout le XIXe siècle en Europe, a été l'une des conditions de possibilité du développement des doctrines eugénistes et raciales. Un christianisme plus enraciné aurait pu offrir une résistance aux entreprises criminelles, et Emmanuel Todd a démontré que les régions allemandes les plus hostiles au nazisme furent en même temps celles dans lesquelles les religions avaient le mieux survécu.

Lorsque Voeglin dit qu'une société libre aurait pu se développer en Allemagne après 1918 "si les gens s'étaient montrés un peu plus intelligents qu'ils ne l'ont été", je pense qu'il se livre à une confusion. Il insiste en donnant la définition de la bêtise au sens où quelqu'un , à cause de la perte de réalité, se montre incapable d'orienter correctement son action dans le monde dans lequel il vit. Dans ce cas, pourquoi ne faudrait-il pas prêter aux communistes une stupidité définitive, en raison de leur manque patent de réalité?

Je ne pense pas non plus que le manque de culture, et cette prétention de tout savoir qui caractérise les ignorants, soit l'antichambre de la barbarie davantage qu'un intellectualisme poussé. Que le discours de Hitler fût celui de ce que nous appelons aujourd'hui "un con solennel", verbeux et ignare et donnant d'autant plus de leçons qu'il ignore tout, comme le raconte Voeglin à propos d'un écrit de Mann, et comme le confirme Rauschnig, cela n'infère pas sa criminalité. Un très grand nombre de ces "cons solennels" ont accédé au pouvoir et s'y pavannent encore, à tous les niveaux, qui ne sont aucunement criminels. Un homme est moral s'il a été éduqué correctement, et cela n'entre pas du tout en compte dans son intelligence. Si Hitler a été Hitler, ce n'est pas parce qu'il était bête, mais parce qu'il était méchant, l'un étant indépendant de l'autre.

Dire que nous n'avons aucun droit à la bêtise ne saurait avoir de sens que si la bêtise était d'une façon ou d'une autre volontaire. Ce n'est pas le cas. Du pauvre hère qui est crétin de naissance, on ne peut dire s'Il a droit ou non à la bêtise. La question est ailleurs : il est rivé sans le vouloir, et sans doute sans même le savoir, à sa stupidité. C'est pourquoi Voeglin prend soin de différencier deux sortes de bêtises : celle de l'homme simple, qui se trouve incapable de coordonner les éléments de sa pensée entre eux, ce qui ne l'empêche pas éventuellement d'être moral, sociable, sympathique; et puis ce qu'il nomme la "bêtise supérieure", qu'il entend par une perte de réalité, une déshumanisation. Ici il ne s'agit pas d'une faiblesse de l'entendement, mais d'un déraillement de l'esprit, d'une perversion de l'esprit souvent engendrée par l'arrogance, par l'ubris.

Mais ceci est purement théorique, et sans application dans l'histoire des idées, puisqu'on ne voit aucun exemple de dénonciation de la "bêtise supérieure".

[...]

Il apparaît évident aujourd'hui que le communisme représentait un déraillement de l'esprit (et non pas une faiblesse de l'entendement), une prétention à la démiurgie capable de voiler la réalité et par exemple capable de nommer la terreur un bonheur : état qui signe la "bêtise supérieure" dans sa définition même.

Et pourtant personne n'aurait l'idée de conclure à la bêtise de Lénine. Chacun attestera que Lénine était un homme fort intelligent, et l'accusation de bêtise portée à son encontre rendrait ridicule son contradicteur. Lénine était certainement un esprit dévoyé, dont l'intelligence sophistiquée menait à la justification du crime. Nous dirons certainement qu'il était immoral - devenu immoral par amoralisme foncier, c'est à dire par une volonté de supprimer la morale bourgeoise, ce qui finissait par légitimer une inhumanité satisfaite. Il n'avait rien d'un idiot.

Liaisons dangereuses

On sait la relation réelle entre le conservatisme allemand du début du XXe siècle et le nazisme commençant. Bien sûr, le nazisme puise à des sources essentiellement païennes, il s'appuie sur l'eugénisme et le darwinisme du XIXe siècle, toutes idées qui n'ont rien à voir avec le conservatisme. Mais il recèle à sa naissance suffisamment d'idées conservatrices pour que les tenants de ce courant aient envie de le suivre, même si nombre d'entre eux l'abandonneront après quelques expériences. C'est le cas d'Hermann Rauschnig, qui s'Inscrit au parti en 1931, et le quitte quelques années plus tard, après y avoir occupé de hautes fonctions. Son témoignage est mélancolique et signifiant :"Je ne renie nullement les convictions qui m'ont fait adhérer autrefois au national-socialisme. Mais le parti me demanda d'arrêter les prêtres catholiques qui n'avaient pas son agrément, de mettre la population juive hors la loi et de dissoudre les partis (Hermann Rauschnig, La révolution du nihilisme, 1940, p. 19)

Le cas de Hans Grimm est analogue, même si Grimm, inscrit dans le courant du néoconservatisme agraire, ne fut jamais membre du parti. Julius Jung, adepte d'un idéal communautaire et hostile à l'individualisme libéral ainsi qu'au régime des partis, se trouva en proximité de pensée avec le national-socialisme naissant, puis exprima rapidement son désaccord : en tant que conservateur, il défendait la primauté de la personne humaine, l'État de droit, le fédéralisme et le rôle de la religion. Le 30 juin 1934, il fut assassiné par le pouvoir, avec plusieurs adeptes du même courant.

Comme partout en Europe à cette époque, le courant conservateur allemand regrette l'inéluctable fin des paysans, l'émancipation des femmes et la dégradation des moeurs. Il déplore le remplacement du guerrier par le marchand, de l'homme héroïque par le bourgeois si peu romanesque. Il méprise la démocratie décadente de Weimar. Substantiellement, il est nostalgique de l'âge holiste du Saint Empire, de la société-communauté ou plutôt de l'image idéalisée qu'il s'en fait. Les descriptions par Hitler de l'Europe efféminée, de la décadence politique et morale, son éloge du courage combatif contre l'intelligence crépusculaire : tout cela ne pouvait que plaire aux esprits conservateurs, et les persuader au début qu'ils avaient trouver là le champion capable de porter leurs convictions.

Le nazisme récupéra ainsi un certain nombre de déçus de Weimar et surtout de désespérés de la modernité, qui s'approchèrent de lui pour des raisons négatives, et s'éloignèrent quand ils perçurent la réalité du programme hitlérien. Rauschnig montre bien comment le conservatisme allemand se détruit lui-même dans cette alliance vénéneuse, fût-elle éphémère. D'autant que certains, et il évoque son cas personnel, en acceptant des compromissions dans le genre "faire un bout de chemin ensemble", comme disaient les socialistes à propos des communistes, ébréchaient leur propre conscience :"Nous eûmes tort de tolérer, même provisoirement, l'atteinte portée au droit et à la justice, à l'humanité et à la liberté personnelle."

En tout cas, le fait que le nazisme puisa au départ son fonds de commerce protestataire dans les courants de pensée anti-modernes, est d'un grand secours pour expliquer le destin du populisme contemporain. Cette alliance historique allait contribuer largement à la mise au ban du conservatisme européen, si lié aux idées populistes.

Comment cela est-il possible, puisqu'en réalité, le nazisme aux yeux d'un conservateur, est un nihilisme (c'est d'ailleurs ce que dit Rauschnig), au sens où il prône la tabula rasa, met en coupe réglée toutes les valeurs de la civilisation, récuse avec ardeur la moindre norme y compris morale, défend le positivisme juridique qui n'est autre que le droit du plus fort, exalte la violence nue? Le nazisme ne cherche pas à restaurer une situation perdue (sinon mythique), mais à détruire tout ce qui a toujours été, de façon à faire émerger un monde nouveau et un homme nouveau. Ce qui est bien le contraire de tout conservatisme.

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par JCNDA » mer. 01 nov. 2017, 20:13

Cinci a écrit :
mer. 01 nov. 2017, 19:36
Le fort veut transmettre sa philosophie de fort aux autres.
Bonsoir,

Comment?
Avec son argent?

Le pauvre est donc faible?
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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par JCNDA » mer. 01 nov. 2017, 21:42

Les pauvres?

Le populisme oublie les pauvres. Une région très riches en Espagne ignore les autres.
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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » jeu. 02 nov. 2017, 6:16

Le fort se sent assez fort pour pouvoir se passer de barrières de protection traditionnelles. Le fort prétend ne pas craindre les risques. Il est plus volontaire pour accepter de changer des règles.

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » ven. 03 nov. 2017, 22:44

Le nazisme a contribué à précipiter la pensée de l'enracinement dans des ténèbres dont elle n'est toujours pas sortie. Parce que la parti hitlérien s'était appuyé sur la nostalgie des traditions et des communautés abolies, désormais toute critique de l'émancipation subit la réduction ad hitlerum.

Par exemple, la trappe dans laquelle, juste après la guerre, est tombée l'oeuvre de Herder. Ce précurseur de Hegel, spiritualiste et romantique, est un authentique humaniste, et l'on ne pourrait déceler dans son oeuvre aucun propos raciste. Pourtant, il va devenir un soi-disant précurseur du nazisme. On peut se demander pourquoi un auteur comme Fichte, qui au début du XIXe siècle étale sans précaution des théories pangermanistes absolument terrifiantes, non seulement n'a jamais été choisi comme tête de turc, mais était proposé à l'étude dans les années 60 comme l'un des plus grands philosophes allemands, sans qu'il soit jamais fait mention de ses Lettres à la nation allemande (imaginons que l'on fasse étudier Céline en passant complètement sous silence l'existence de Bagatelle pour un massacre). Seulement, Herder avait toujours refusé de donner l'idéologie des Lumières comme seule pensée possible : il critiquait le terrorisme de la pensée des Lumières et osait parler des vices de la modernité. Ce qui faisait de lui un conservateur, et même dans la tradition allemande, un arriéré de la pensée holiste : il n'y avait qu'un pas à franchir pour le rapprocher d'un nazisme embryonnaire. Ce qui fut vite fait, et par les meilleurs esprits contemporains.

Autrement dit, Herder, dont personne ne contestait l'oeuvre immense, se retrouva d'un coup l'ancêtre du nazisme, non pas parce qu'il l'était , car rien ne l'indique et même au contraire, mais parce qu'il défendait la pensée de l'enracinement. Il faut insister : il ne défendait pas cette pensée comme un ancrage unique, voué à enrayer dans sa course la marche au progrès, mais comme l'autre terme du paradoxe auquel l'humanité se trouve confrontée, et l'on pourrait citer maints passages où il s'émerveille de l'ascension vers l'universel. Mais il n'était pas univoque. Il n'avait pas injurié la tradition. Voilà la faute.

[...]

A partir de la béance que l'hitlérisme a provoquée dans la culture occidentale, tout appel à l'enracinement devient louche, et commence à sentir le roussi.

Sur la lancée de cette tradition d'amalgame, l'Europe d'aujourd'hui rejette avec horreur toute pensée capable de s'opposer à l'individualisme et à l'émancipation sans limite, de regretter les solidarités perdues, de décrire les identités comme exigences humaines fondamentales.

Ces pensées se voient réduites à des formes d'extrême-droite, jusqu'aux conservatismes les moins suspects de nostalgie pour aucun fascisme. Des amalgames adroits et machiavéliques sont mis en oeuvre, et si nécessaire, des néologismes aussi subtils que vicieux. Devant le développement en France d'un courant conservateur chrétien qui de toute évidence ne paye aucun tribut à l'extrême-droite, à laquelle on ne peut le réduire, on le dénomme désormais "droite-extrême", et l'expression, martelée par la presse, opère la magie du mélange. Tout ce qui en appelle à l'enracinement et au particularisme est jugé nourri par l'autoritarisme brutal, le cynisme, la haine de l'altérité, et en définitive identifié à une remise en cause de la démocratie.

p. 164

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Re: Le populisme ou les demeurés de l'histoire

Message non lu par Cinci » ven. 03 nov. 2017, 23:39

[L'unique adversaire et l'hypocrisie de l'élite]

La tendance à identifier le populisme à une démagogie représente une manière comme une autre de le déconsidérer et de le rendre inopérant. Car alors on parle des passions du peuple pour désigner un plaidoyer en faveur de l'enracinement. Ce qui n'est pas la même chose, même si, naturellement, le statut d'un comportement n'est pas toujours aisé à clarifier.

Voilà des gens qui disent qu'il y a trop d'étrangers dans leur cité. Un gouvernant, aussitôt traité de populiste, les écoute et relaie leur discours. On peut penser, et c'est le premier réflexe aujourd'hui, que ces gens sont des xénophobes primaires, et que le fait de les écouter revient à flatter leur désir enfantin de rester "entre soi", comme si une société pouvait se constituer de cette manière : dans ce cas, le populisme est une simple démagogie. On peut aussi, rendant le débat idéologique, dire que ces gens sont des racistes, consciemment ou non liés à une idéologie du particularisme : et dans ce cas, les écouter signifie faire l'éloge de quelque chose comme l'hitlérisme. On peut aussi poser la question réelle de ces quartiers où vivent en majorité des populations d'origine étrangère, et où les autochtones restants finissent par se sentir étrangers, développant ainsi tous les excès du particularisme.

Les plaintes qui émanent des dits xénophobes expriment, sous les passions même, la volonté de maintenir des valeurs culturelles, et j'imagine que nous ne serions pas heureux, nous qui scolarisons nos enfants dans le 6e arrondissement, de voir notre progéniture adopter par mimétisme scolaire, par exemple, des comportements machistes.

Bien entendu, les passions et la défense des valeurs sont souvent liées [...] Mais justement, le rôle des politiques responsables consiste à démêler les passions et la défense des valeurs, et non pas à les embrouiller volontairement, fût-ce pour confondre un adversaire.

Le populiste est l'unique adversaire - plutôt l'ennemi - de nos gouvernants qui n'en ont plus. Voilà un homme qui, au lieu de tirer le peuple vers l'universel, utilise au contraire la démocratie pour se faire élire par la masse des défenseurs de la particularité. Mettant ainsi ces gens-là en valeur.

On l'a remarqué : dès qu'un leader politique est traité de populiste par la presse, le voilà perdu. Car le populiste est un traître à la cause de l'émancipation, donc à la seule cause qui vaille la peine d'être défendue. Je ne connais pas de plus grande brutalité, dans nos démocraties, que celle utilisée contre les courants populistes. La violence qui leur est réservée excède toute borne. Ils sont devenus les ennemis majuscules d'un régime qui prétend n'en pas avoir. Si cela était possible, leurs partisans seraient cloués sur les portes des granges.

p. 188

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