Pour ceux qui perçoivent encore difficilement l’importance du sujet, il est utile d’écouter les récents propos du président Poutine : «
L’intelligence artificielle est l’avenir non seulement de la Russie, mais de toute l’humanité. Les possibilités sont colossales et les menaces sont difficiles à pronostiquer aujourd’hui. Celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde…, mais pour ne pas être les derniers en ligne, il faut commencer à y travailler dès aujourd’hui » :
https://www.youtube.com/watch?v=KJNvRKHmrlI
Le tsunami de l’intelligence artificielle qui s’annonce ne peut que concerner aussi l’intelligence de la foi.
Déjà dans les prémisses actuelles de l’intelligence artificielle, on peut discerner l’importance de l’extraordinaire augmentation des connaissances disponibles. Pensons, par exemple, à l’interprétation de l’Ecriture Sainte en ce qu’elle se recherche, notamment, dans la culture et les modes d’expression de ses auteurs : ne faut-il pas s’attendre à voir se développer sur internet un tsunami de découvertes et d'analyses archéologiques et anthropologiques qui augmentera sensiblement les informations disponibles pour mieux comprendre un texte comme celui de La Genèse dans son contexte historique ?
La recherche théologique elle-même ne va-t-elle pas être développée et affinée par les progrès de l’intelligence artificielle ? Non pas nécessairement pour contredire la foi comme certains pourraient le craindre, mais pour en dégager de nouveaux aspects.
Ne faudra-t-il pas affiner davantage notre définition de l’homme face aux perspectives trans-humanistes pour pouvoir baliser correctement nos limites par rapport aux nouveautés qui pourraient surgir de toutes parts ?
Comment aborder la prétention de certains à un quasi pouvoir créateur divin (démiurgique) qui se manifeste ?
Sommes-nous devant l’émergence d’une nouvelle tour de Babel avec un nouveau langage universel de communication (le langage informatique, y compris l’intelligence artificielle ou l’internet) ?
Les questions que posent les perspectives de l’intelligence artificielle sont profondes, voire vertigineuses.
Par exemple, le docteur Laurent Alexandre, chirurgien urologue fondateur du site Doctissimo, interpelle vivement par sa réflexion sur les progrès de l’intelligence artificielle, dans diverses vidéos récentes sur Youtube.
Ses propos, même s’ils sont loin d’être tous convaincants ou parfois très excessifs, ne peuvent pas être ignorés.
Que penser, par exemple, de ces quelques extraits d’une video de Youtube intitulée «
L’éthique de l’intelligence » ? :
https://www.youtube.com/watch?v=o3WOPKNvbt8
20.22 : « Un séquençage d’ADN c’est vingt mille milliards d’informations, d’octets par seconde. Il est clair qu’un cerveau biologique ne peut pas traiter ça et ne peut pas transférer ces informations à ce niveau là. Notre débit de sortie est de dix octets par la voix et quant on tape à la machine. Dix octets contre déjà ... mille milliards d’octets pour les ordinateurs. Le décalage est terrible. L’information circule dans nos neurones à un mètre par seconde, l’information circule dans les micro-processeurs à un tout petit peu moins de la vitesse de la lumière : trois cent mille kilomètres à la seconde. »
18.40 : « Les trans-humanistes de la Silicon Valley ont des ambitions démiurgiques... Le plus emblématique de ces changements c’est bien la volonté de Google d’euthanasier la mort »
24.10 : « Elon Musk a annoncé le lancement de Neuralink dont l’objectif… est de mettre autour de nos 83 milliards de neurones des circuits intégrés miniatures pour augmenter notre quotient intellectuel et nous rendre compétitifs face à l’intelligence artificielle »
25.04 : « Facebook a développé … une technologie de télépathie … qui va permettre de taper, de transférer un message d’homme à ordinateur et d’homme à homme, par la pensée, à la vitesse de cent mots par minute »
38.05 : « Je vous rappelle la phrase de Sergei Brin : « Nous allons faire des machines qui raisonnent, pensent et font les choses mieux que ce que les humains sont capables »
38.25 : « Avec de l’i-tech, des procédés technologiques variés, les neuro-sciences, ce qu’envisage Elon Musk, ça va poser mille problèmes éthiques. Il faudra des éthiciens à l’école. Cela va pas être simple de savoir comment on paramètre les implants intra-cérébraux qu’on va mettre chez un gamin »
38.52 : « 13 % des parents seraient prêts à utiliser des techniques d’augmentation génétique in utero pour avoir un bébé plus intelligent en France et 50 % en Chine côtière »
41.44 : « Nous allons co-évoluer avec les différentes formes d’intelligence artificielle que nous allons créer puis qui vont se créer toutes seules dans un deuxième temps »
42.15 : « Picq, le fameux paléontologue, dans son dernier livre, explique que pour mieux comprendre les différences entre nous et l’I.A., ce serait pas mal de comprendre les différences d’intelligence qu’il y a entre les animaux et nous. C’est une façon de lever le voile sur des formes d’intelligence différentes de la nôtre. Et d’autre part, Church, le patron de la génétique à Harvard, l’un des plus grands généticiens au monde, a un projet pour recréer Néanderthal. Nous pourrions être dans un monde demain où nous aurions différents types d’intelligences humaines, upgradées ou pas upgradées, plein de formes d’intelligences artificielles, plus ou moins interfacées avec l’intelligence humaine, des animaux augmentés. On a déjà fait des manipulations génétiques et des modifications génétiques sur la souris pour augmenter le Q.I. des souris et ça marche déjà pas mal. »
43.49 : « la troisième religion sera celle de l’homme dieu. Nous allons avoir des pouvoirs quasi divins. Les religieux et conservateurs vont s’en plaindre. Les trans-humanistes sont en transes de joie »
48.26 : « C’est ce que disait Musk il y a quelques jours. Il disait nous allons vers une fusion de plus en plus proche entre le silicium et les neurones jusqu’à ne faire plus qu’un… Il faut que nous nous battions contre ce cauchemar neuro-technologique »
52.08 : « Nous devons défendre notre autonomie, nous devons pouvoir sortir de la matrice. Bien sûr, nous allons vers des phases d’imbrication, d’entrelacement entre le silicium et le neurone, mais il faut pouvoir sortir, garder une autonomie. Il faut pouvoir sortir de l’autoroute et aller sur un chemin vicinal. »
Déjà maintenant, mais plus encore demain, l’intelligence artificielle va profondément interpeller tout homme sur ce qu’est un homme, sur ce qu’est son intelligence spécifique, ce qui ne peut que concerner profondément les chrétiens par rapport à ce que nous croyons être un homme créé à l’image de Dieu, par rapport à sa vocation.
Nous ignorons les limites des capacités du cerveau humain et de leurs développements futurs. Mais, cela rend plus important que jamais de comprendre ce que fut, dans la réalité historique, notre création par un souffle créateur spirituel de Dieu dans un corps de chair, que nous savons aujourd’hui être issu de l’évolution. Ce souffle spirituel divin dans un corps matériel (y compris un cerveau matériel) a créé l’âme humaine avec une double nature terrestre et spirituelle.
En ce qu’elle est d’origine divine, la vie spirituelle est hors de portée de l’intelligence artificielle. Jamais une évolution terrestre n’a produit une vie spirituelle immortelle. L’immortalité dont rêvent certains trans-humanistes, n’est et ne peut être qu’un rêve de perpétuation de notre réalité terrestre.
Ne nous laissons pas emporter par les excès de langage qui parlent de développements de l’esprit et de la conscience dans une perspective terrestre qui ne renvoient à rien d’autre qu’à du terrestre, en ignorant la réalité spirituelle de l’humain.
Nous pouvons nous effrayer de l’immensité des progrès de l’informatique comme d’autres ont pu s’effrayer en découvrant l’immensité de l’univers.
Mais, en réalité, ne faudrait-il pas observer d’abord que, dans l’histoire, l’invention de l’écriture fut une révolution encore plus fondamentale pour le développement du cerveau humain ?
Le proto-langage des hominidés préhumains ne se différenciait que peu de celui de certains grands singes.
Avant l’invention de l’écriture dans le pays sumérien d’Abraham, en Basse Mésopotamie, le langage était limité à des communications entre personnes présentes au même endroit et en même temps. Chacun ne pouvait réfléchir qu’en lui-même avec les seules données mentales qu’il pouvait saisir en lui-même.
Le premier texte écrit sur une tablette d’argile sumérienne, c’était, en fait, un premier «
disque dur externe » déchargeant la mémoire vive, la mémoire de travail de l’écrivain, en fixant des pensées de manière séparée dans un support matériel extérieur à lui.
L’utilisation d’une mémoire externe pour élaborer du neuf par du lien entre, d'une part, des données mémorisées en dehors de soi et, d'autre part, des réflexions en soi, ouvre l’intelligence à pouvoir créer de l’inconnu, à entrer en relation avec du «
autre » qu’elle-même. Ce n’est pas une invention de l’informatique, c’est le propre d’une écriture.
Cette mise à distance externe a permis de délivrer la parole de son enfermement dans le temps et l’espace. En effet, le langage oral n’est entendu que par celui qui est présent au moment et à l’endroit de la parole. L’écrit, au contraire, peut persister dans le temps et peut être déplacé dans l’espace. Il peut s’accumuler et se combiner avec d’autres dans le temps. Ce fut une révolution pour l’intelligence, la communication et le partage. Par une écriture de la parole sur un support matériel, ne faut-il pas constater, avec un écho spirituel étonnant, qu'ainsi, la parole humaine s’est faite chair ?
L’animal peut reproduire du connu, voire même faire du nouveau en présence d’un besoin inconnu ou de stimulation nouvelle, mais, en l’absence de besoin à satisfaire ou de stimulation nouvelle dans le présent, il ne peut créer du nouveau, car il ne sort pas de lui-même.
Il n’a pas seulement une existence précaire, mais sa pensée, son action et son langage, restent limités à lui-même. L’autre n’est perçu et pris en compte que par rapport à lui-même.
Dans la nature terrestre, la singularité de l’humain, n’est-ce pas sa capacité d’externaliser sa pensée, de pouvoir la mettre en dehors de lui-même et devant lui-même, de pouvoir penser sa propre pensée ? L’écriture fut le premier moyen technique ayant permis à l’homme d’extraire sa pensée de son corps pour en faire une réalité externe qu’il puisse lui-même réfléchir, mais aussi une réalité externe qu’il puisse partager avec d’autres, un moyen essentiel de communication et de communion avec d’autres.
L’intelligence artificielle d’un ordinateur ne fait que prolonger, d’une manière certes nouvelle et exponentielle, l’intelligence que l’homme a pu tirer de l’écriture et de la lecture.
Nous ne pourrons éviter de devoir nous adapter à cette intelligence artificielle, ni à l’étendue extraordinaire de ses progrès, mais d’abord en n’oubliant pas qu’en réalité, elle n’est rien d’autre qu’une nouvelle «
écriture », une technologie permettant à l’humain de réfléchir et de participer à une pensée présentée en dehors de lui et devant lui, avec des moyens démultipliés.