La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

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Message non lu par Cinci » dim. 01 oct. 2017, 2:06

... peut-être parviendra-t-on à saisir quelque chose. J'avoue que j'ai encore des difficultés.

Ce sentiment de frustration me rappelle le genre d'état dans lequel je pouvais me trouver, à l'époque où je ne parvenais pas à comprendre l'intérêt du culte marial. Maintenant c'est une joie. Ce ne l'était pas au départ. Il y a peut-être un lien avec le pape François? Je ne sais pas. Le lien c'est qu'il prendrait des grâces particulières pour entrer dans l'intelligence de cette manière de voir les choses.

(ce fil pourrait être comme une forme de prière, à sa manière ...)

Alors comme une bouteille à la mer, je pense mettre ici des réflexions soit que je comprendrais encore assez mal , soit qui pourraient être éclairantes. Je me baserais sur le petit livre du père Jean-Marc Barreau et au moins un autre de Thierry-Dominique Humbrecht cette fois. Donc, des réflexions en vrac ... C'est l'approche actuelle de l'Église qui me cause un peu de souci.


De Jean-Marc Barreau (prêtre) :
... le pape reprend alors la page d'Évangile qui parle des disciples d'Emmaüs. "Les deux disciples souligne-t-il, s'enfuient de Jérusalem. Ils s'éloignent de la "nudité" de Dieu. Ils sont scandalisés par l'échec du Messie en qui ils avaient espéré et qui maintenant apparaît irrémédiablement vaincu, humilié, même après le troisième jour. Le mystère difficile de ceux qui quittent l'Église ... Face à cette situation, que faire? Il faut une Église qui n'ait pas peur d'entrer dans leur nuit. Il faut une Église capable de les rencontrer sur leur route. Il faut une Église qui sache dialoguer avec ces disciples qui, en s'enfuyant de Jérusalem, errent sans but, seuls, avec leur désenchantement, avec la désillusion d'un christianisme considéré désormais comme un terrain stérile, infécond, incapable de générer du sens.
Face à ce tableau, il faut une Église en mesure de tenir compagnie, d'aller au-delà de la simple écoute; une Église qui accompagne en se mettant en chemin avec les personnes, une Église capable de déchiffrer la nuit présente dans la fuite de tant de frères et soeurs de Jérusalem; une Église qui se rende compte que les raisons pour lesquelles des personnes se sont éloignées contiennent aussi en elles-mêmes les raisons d'un possible retour, mais il est nécessaire de lire le tout avec courage. (p.41)


... a propos de la mission, il faut rappeler, souligne-t-il, que son urgence provient de sa motivation interne : c'est à dire qu'il s'agit de transmettre un héritage, Et concernant sa méthode, il est décisif de rappeler que l'héritage est comme le témoin, le bâton dans la course à relais : on ne le jette pas en l'air [...] Pour transmettre l'héritage, il faut le remettre personnellement, toucher, celui à qui on veut le donner, transmettre cet héritage. A propos de la conversion pastorale, le pape affirme : Je voudrais rappeler que la conversion pastorale n'est pas autre chose que l'exercice de la maternité de l'Église. Celle-ci engendre, allaite, fait grandir, corrige, alimente, conduit par la main [...] Il faut donc une Église capable de redécouvrir les entrailles maternelles de la miséricorde. (p.42)
... sans la miséricorde, il est difficile aujourd'hui de s'introduire dans un monde où tant de blessés ont besoin de compréhension, de pardon, d'amour. (p.43)
... il s'agit d'être configuré au Maître, de faire l'expérience de sa miséricorde afin de pouvoir l'offrir adéquatement. Il s'agit du "oui qui engage radicalement la liberté du disciple à se livre à Jésus-Christ , Vérité et Vie. Il s'agit d'une réponse d'amour".

... c'est donc là que se glisse la dimension de l'option préférentielle pour les pauvres : le pauvre que l'Église est appelée à aimer est prioritairement le frère en Église. Car aimer son frère c'est accueillir le Christ! La mission devient donc le témoignage de la miséricorde vécue au sein de l'Église. Au regard d'Aparecida et de la théologie du concile, l'Église-communion n'est pas une vision idéaliste de l'Église et de la civilisation de l'amour. Elle se présente plutôt comme le fruit du mystère de la miséricorde vécu ad intra par l'Église. Au regard d'Aparecida et de la théologie du concile, la mission ecclésiale n'est pas une course en solitaire, elle est avant tout le témoignage d'une miséricorde vécue ad intra. (p.47)

... et c'est parce que l'Église d'aujourd'hui éprouve une réelle difficulté à vivre ce commandement de la charité fraternelle intra-muros comme témoignage du coeur de Dieu que le pape François l'exhorte à aller sur les périphéries. Le déclic espéré de l'Église par le pape est celui-ci : que l'Église se laisse enseigner par le pauvre sur ses périphéries afin de pouvoir accueillir à nouveau son frère en Église comme un pauvre envoyé par Dieu! (p.47)

Aparecida = document final de la conférence épiscopal latino-américain et des Caraïbes, 2007

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » dim. 01 oct. 2017, 3:16

De Thierry-Dominique Humbrecht :

... la postmodernité est le résultat d'une évolution logique, sinon d'un progrès. Elle est une époque de la modernité elle-même, époque de mise en doute de la raison, autodérision de l'effort humain. Cette phase dite de déconstruction s'oppose donc au progrès, sauf pour ce qui relève des techniques. La fin du progrès comme processus nécessaire de la prise de possession de l'homme par lui-même et aussi du monde a engendré le nihilisme, doute porté sur la vérité, puisque la vérité précédente était déterminée par la seule raison.

... la seule direction intimée à cette marche en avant est celle de l'éternité promise, l'amitié amoureuse entre Dieu et chaque personne qui l'accepte, ainsi que le triomphe céleste de l'Église, avec le retour glorieux du Christ. Mais cette finalité intimée à l'histoire de l'humanité, qui aura lieu puisqu'elle est la volonté de Dieu, n'introduit aucune nécessité en lieu et place de la liberté de chaque personne, qui doit faire de sa vie une réponse, ni surtout aucun déterminisme dans la succession des moments de l'histoire de l'Église. Elle n'appelle pas non plus le triomphe terrestre de l'Église, sa domination sociale sur les peuples. A bien des égards, elle comporte au contraire une purification constante des tentations politiques qui étaient déjà celles des Apôtres, même au lendemain de la résurrection. (p.254)
... aucune époque ne va sans épreuves. Les âges d'or sont des fabrications d'idéologues plus que d'historiens.

Il revient en revanche à la communauté chrétienne de cultiver sur toutes choses un point de vue surnaturel, c'est à dire de porter un regard chrétien, analogue à celui dont Dieu considère les biens et les maux. Le point de vue surnaturel est un autre nom de la sagesse chrétienne. Il consiste à refuser de se laisser engloutir par les soucis, les urgences, et même par une réactivité trop liée à l'actualité ou bien à une résolution humaine des problèmes. Il ne se retranche pas du monde. Il ne prétend pas non plus lire dans tout événement la volonté solitaire, sans médiations, de Dieu.

Au contraire, si la volonté de Dieu consiste à aider les êtres libres à exercer leur liberté, elle n'aboutit pas à cautionner toutes leurs décisions. Bien des orientations humaines contreviennent à la volonté de Dieu, c'est à dire que Dieu veut de mieux pour nous; mais il ne le veut pas sans nous, et il nous est possible de nous y opposer en posant des actes contraires. Il est donc plus ajusté de considérer la volonté de Dieu telle qu'elle inclut les volontés contradictoires des créatures libres, donc aussi les nôtres. (p.255)


Quelle trouvaille! La volonté de Dieu qui inclut les volontés contradictoires des créatures libres ... Et la postmodernité correspondrait au milieu dans lequel nous devons évoluer. Qu'est-ce que la postmodernité? Comment répondre au défi qu'elle pose? Le pape François paraît trouver que la conversion de la pastorale serait le moyen de faire face à la postmodernité. Comment? - Et qu'est-ce que la vérité? (Pilate) Je suis la vérité et la vie ... accueillir la vérité, accueillir le pauvre ... Le pape penserait sans doute à un moyen de contourner les intelligences blessées.

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » lun. 02 oct. 2017, 5:03

[pour bien voir dans quel milieu nous évoluons]

L'insincérité des nantis de la culture

Toujours en tête de la déconstruction, c'est à dire du déni des fondements chrétiens et culturels de l'Occident, il faut interroger le spectacle de la société, et, en guise d'exemple de déconstruction déconstruite, l'enrichissement des entrepreneurs de la démolition. La déconstruction profite sans déposséder, à l'instar de ces chanteurs de rock qui invitent les jeunes au suicide mais qui continuent, quant à eux, à entasser bourgeoisement les années, les revenus et des conquêtes de plus en plus jeunes à mesure qu'ils vieillissent.

Les médias, ou plutôt les castes qui vivent de la célébrité que les moyens médiatiques leur offrent, ont conquis une position sociale dominante. Ces réseaux aux confins du culturel et du politique donnent le ton du relativisme et souvent celui du post-christianisme. Les médias exercent désormais un rôle magistériel, c'est à dire une autorité doctrinale et un arbitrage des opinions.

Quand le pape dit ou écrit quelque chose d'Important, les médias en font la critique au nom de ce qui leur semble acceptable dans le monde actuel. En d'autres termes, ils exercent eux-mêmes un Magistère de vérité, plus élevé que celui du Vatican. Ce Magistère médiatique se pense assez compétent pour juger celui de l'Église, assez objectif pour ne pas en déformer la pensée, ce qui donne lieu à de fréquentes contre-performances.

Les contresens sont énormes, absurdes ou malhonnêtes, mais ils sont proférés en premier, quasiment avant la publication du texte du discours papal en question. Ils déterminent un cadre interprétatif, pour ne pas parler de l'impact affectif, plus déterminant encore et dont l'ampleur est considérable, au point d'étouffer la vérité du message et d'orienter sa réception, y compris chez les catholiques qui trop souvent, se gardent bien de vérifier les sources. Celui qui parle à la télévision jouit d'un capital de confiance inouï. Les médias exercent par conséquent la triple charge réservée aux papes et aux évêques, proprement magistérielle : enseigner, paître et gouverner.

Les médias

Ils enseignent, et, pour cela, disent ou montrent ce qu'il faut penser, avec toutes les ressources de leur rhétorique pour imposer le subjectivisme et pour relativiser l'enseignement de l'Église. "Peut-on encore aujourd'hui écouter le discours de Benoit XVI et tenir ces positions réactionnaires?"

Ils paisent, et n'hésitent pas à s'occuper de l'intimité de la vie des gens, avec la prévoyance de ceux qui travaillent sur les consciences pour changer, demain, les décisions éthiques. Les feuilletons télévisés français les plus familiaux préparent l'opinion au mariage homosexuel et à l'adoption par eux, à l'euthanasie, etc.

Ils gouvernent, jugent, condamnent ou absolvent, confèrent à chacun sa place, surveillent les propos publics, nivellent les opinions. Ils présentent en même temps, par exemple, un million et demi de jeunes présents aux Journées Mondiales de la Jeunesse et quelques milliers de personnes venues dans le sud de la France écouter le Dalaï-Lama, afin de boucler de façon balancée, ce soir-là, la page "religieuse".

Le Magistère médiatique, qui cherche à dissimuler ses contours, et qui n'est d'aucune façon piloté par un groupe, est cependant revêtu de la force de la pensée unique. Il se présente comme plus contraignant que ne le fut jamais celui de l'Église catholique. Régis Debray s'en fait le témoin :

"Les anciennes formulations de foi du magistère sont devenues incroyables pour un catholique d'aujourd'hui parce qu'elles sont impensables dans le milieu où il se meut." (Régis Debray)

Que l'hérésie du XIXe siècle [les droits de l'homme] se retrouve après Vatican II, en figure imposée suggère que c'est un état de culture profane qui définit en matière religieuse l'opinion droite, et non l'inverse." [...] La société postmoderne détermine ce qui est vrai, y compris pour l'Église. Si l'Église dit la même chose que la société, on l'approuve; si elle dit autre chose, on la blâme. Dans ce contexte, elle est invitée à "évoluer", c'est à dire ajuster son discours sur celui du monde. (p.70)

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » lun. 02 oct. 2017, 18:08

[toujours pour appréhender la postmodernité]


Fatigue de civilisation

En un sens, postmodernité, déconstruction et nihilisme relèvent d'une frange de la pensée plutôt marquée à gauche, ou bien aussi à droite, riches dans les deux cas, dont beaucoup pourraient ne pas se réclamer. Mais s'ils ne s'occupent pas de la déconstruction, la déconstruction s'occupe d'eux. C'est assez dire que cette culture n'a rien de marginal. Elle imprègne nos mentalités. Au fondement, il faut rappeler le travail de sape du refus de toute transmission et donc de l'idée de paternité. L'un des pères de ce refus de la paternité est Jean-Paul Sartre : dans Les mots, racontant son enfance, il dit qu'il fut sans surmoi, sans instance surplombante incarnant l'autorité, sans père. Nous sommes dans une société sans pères [...]

L'enfant qui s'institue ainsi orphelin, n'ayant plus personne pour le précéder, ne sachant où il va, s'éprouve fatigué, adolescent grandi trop vite, encombré de soi-même, sans combat à mener, avec un désir perverti de vérité.

Un de ces enfants du siècle est le très médiatisé Frédéric Beigbeder, horripilant et désarmant symptôme, qui ne parvient pas à ne pas rester sympathique dans le genre roué. Il promène sa fatigue d'héritier et chante la complainte des enfants gâtés, riche de ses origines, de ses études, de son carnet d'adresses, de sa célébrité, et met son talent au service de la version nocturne de la fatigue postmoderne.

Dans une chronique littéraire, genre où il excelle, il propose l'équation suivante, à propos de l'ouvrage qu'il recense : Une merveille de nihilisme décadent, c'est à dire de romantisme frustré.

L'épuisement des principes et des personnes provient d'un renoncement, le renoncement à ce qui élève l'homme, que parfois l'on désigne sous le terme flou et ambigu de transcendance. De ce point de vue, la fatigue révèle un désespoir, une quête effondrée.

Un autre contemporain, encore plus fatigué et plus médiatisé, ami du précédent, est Michel Houellebecq, dont les romans mettent en scène la déchéance de l'homme actuel, jusqu'aux caricatures de son impuissance. L'un et l'autre, parmi beaucoup, traduisent une fatigue de civilisation, ce que Pascal appellerait la misère de l'homme sans Dieu.

Toutefois, la fatigue est aussi une pose, comme le romantisme auquel elle appartient. Pose, dans la mesure où elle procède d'une volonté de se montrer telle, plus que d'une réalité. Ceux qui la prônent n'en subissent les conséquences que pour autant qu'ils le veuillent bien. Le nihilisme comporte une part de snobisme. Il sert les intérêts de quiconque étale qu'il vit sans normes. Une telle attitude est pour une large part insincère. A l'Instar des manifestants de Mai 68 qui ne pouvaient se révolter que parce qu'ils avaient tout reçu, leurs descendants ne dissertent sur leur fatigue que s'ils ont les moyens de cultiver leur forme intellectuelle et physique. L'élitisme culturel rejoint l'élitisme social pour prendre la posture de la fatigue. C'est une posture de riches et même de mondains. (p.51)

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mar. 03 oct. 2017, 2:19

Jean-Paul II

"... certains penseurs ont donné à notre époque le qualificatif de postmodernité. Ce terme, fréquemment utilisé dans des contextes très différents les uns des autres, désigne l'émergence d'un ensemble de facteurs nouveaux qui, par leur extension et leur efficacité, se sont révélés capables de provoquer des changements significatifs et durables [...] Les courants de pensée qui se réclament de la postmodernité méritent d'être attentivement considérés. Selon certains d'entre eux, en effet, le temps des certitudes serait irrémédiablement révolu." (Fides et Ratio, 91)


Mgr Walter Kasper

"... la véritable philosophie postmoderne (Michel Foucault, Jacques Derrida) en arrive à une déconstruction de la métaphysique traditionnelle. Elle critique les structures jugées totalitaires et autoritaires de la pensée moderne sur le sujet de la raison et en dévoile la violence implicite." (La Miséricorde, notion fondamentale de l'Évangile, clé de la vie chrétienne, Éditions des Béatitudes, 2015)



Jean-Marc Barreau
Il s'agit d'appréhender la manière bouleversante dont le pape François conjugue l'Église et la "postmodernité", nouvelle évangélisation et miséricorde.
et
Mais voilà : peut-on sillonner les périphéries existentielles de l'Église les mains entachées de pardons en sursis? Peut-on parcourir notre terre, ce village global, le coeur appesanti par tant de non-dits et de blessures qui font fi de la grâce?

Pourtant, ses contacts avec le pauvre "concret" rencontré sur les périphéries vont interpeller l'Église à mieux vivre ad intra le mystère de la miséricorde. Les défigurations existentielles qui sévissent sur les périphéries ecclésiales s'Imposent donc à elle comme le lieu de la conversion pastorale tant espérée par le pape François. Revêtue du Christ et donc délestée de ses pesanteurs, l'Église pourra vivre cette conversion à l'interne avant de reprendre le chemin des périphéries existentielles pour y partager la joie de la miséricorde reçue.

Mais que se cache-t-il vraiment derrière le visage du pauvre qui puisse justifier une telle insistance du Pasteur de l'Église? Le pauvre est le lieu de l'espacement à partir duquel le Christ peut enfin révéler son coeur miséricordieux.

La réalité de l'espacement définit cette tension anthropologique e l'homme entre d'un côté ses limites humaines et de l'autre côté sa dignité humaine inviolable. L'espacement est le lieu du désir, ce lieu où la grâce aime à se déposer.

Source : Jean-Marc Barreau, François et la miséricorde, 2015

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mar. 03 oct. 2017, 3:07

Éric-Emmanuel Schmitt
Bouddha contemporain

"... Odette Toutlemonde n'a objectivement rien pour être heureuse, mais elle l'est : C'est une femme qui a comme un jazz band à l'intérieur d'elle-même, c'est à dire qu'elle possède la joie. Cette joie qui lui permet de traverser la vie, d'oublier ce qui peut être trop douloureux, résume le scénariste et réalisateur à propos de son personnage principal. Odette est une femme simple qui a une vie difficile, car elle n'a pas beaucoup d'argent et pratique deux métiers pour joindre les deux bouts. Pourtant, poursuit l'auteur, elle ne voit que ce qu'il y a de beau dans son quotidien, elle a le sens de l'étonnement et de l'émerveillement. Tout le contraire de l'écrivain Balthasar Balsan, à qui Odette voue une admiration sans bornes. Grâce aux romans de Balthasar Balsan, Odette lévite de bonheur. Mais, paradoxalement, cet écrivain riche et célèbre qui a apparemment tout est malheureux. C'est grâce à Odette Toutlemonde qu'il retrouvera son vrai centre et cherchera ce qui le rend réellement heureux.

Fable sur le bonheur, le film Odette Toutlemonde a été inspiré par une lectrice admirative de Éric-Emmanuel Schmitt qui, lors d'une séance d'autographes, lui a remis une lettre parfumée assortie d'un coeur en mousse. Le genre de lectrice dont un écrivain reconnu peut avoir honte :"Même si je l'ai remerciée, je l'ai très mal pris parce que son cadeau était kitsch, parce qu'elle n'avait pas les mêmes goûts que moi. Comme Balthasar Balsan, je ne comprenais pas comment elle pouvait aimer mes livres", avoue-t-il. Pourtant, cette rencontre inusitée a fait grandir l'intellectuel qui confie avec humilité : "J'ai réagi avec un mépris moqueur et pourtant, une heure après, seul dans ma chambre d'hôtel, triste, mélancolique, j'ai ouvert cette lettre. Elle était très belle et ce coeur que je trouvais ridicule, je l'ai serré contre ma poitrine toute la nuit."

Pour Éric-Émmanuel Schmitt, "le vrai bonheur n'est fait que de petits bonheurs". Il n'y a pas d'autres secrets.

[...]

Les sociétés de consommation ne vendent que des clichés inaccessibles du bonheur, ce qui crée seulement de la frustration et du vide intérieur, affirme l'écrivain : "Si être heureux c'est être riche, il y a toujours plus riche que soi. Si c'est être célèbre, il y a toujours plus célèbre que soi. Si être heureux c'est d'être une célébrité creuse, de baudruche, à la Paris Hilton, on est loin du compte". Tout cela s'arrime au culte du superficiel qui a détrôné la spiritualité et participe à la perte des repères, selon le philosophe. Chaque époque a inventé ses façons d'être superficiel, mais pour nous, la technicité permet de multiples variantes : chirurgie plastique, pectoraux saillants ou remplissage de fesses pour avoir le cul brésilien! La baisse de la spiritualité vient de ce que nous vivons une époque de refondation. L'individu doit trouver seul ce qui le rend heureux. C'est à chacun de se refonder lui-même.

Même si les conditions de vie des Occidentaux sont généralement meilleures qu'il y a cinquante ans, la détresse psychologique ne cesse de s'accroître.

[...]

Selon le philosophe, la peur de l'autre est un réflexe neurologique et animal qu'il faut s'appliquer à déconditionner. "Je crois qu'on est tous spontanément racistes, soutient-il, et qu'on peut tous cesser de l'être par la réflexion, le travail sur soi, la connaissance de l'autre.

Éric-Emmanuel Schmitt poursuit son argumentation en expliquant que le rejet de la différence s'appuie sur la peur de se rendre compte que, au fond, la différence entre soi et l'autre n'est rien. "Ce sont ces replis identitaires, cette croyance que l'identité est compacte, qui font qu'il y a de la violence dans notre monde." Par extension, le penseur aborde spontanément la peur de la majorité des gens face aux sans-abri : "l'Individu se projette et se dit : Je pourrais être à sa place et je ne veux surtout pas y être, donc je refuse l'autre ou je lui parle comme à quelqu'un d'inférieur. Il y a tout un raisonnement qui consiste à refuser que la différence ne soit rien parce que ce pourrait être moi demain."

A une époque où nous sommes confrontés à une multitude de réalités et de croyances religieuses, Éric-Emmanuel Schmitt conclut qu'il est impératif de faire preuve d'humilité pour le mieux être de notre humanité : "Le paradoxe de notre civilisation est qu'il faut avoir la force d'affirmer une croyance et avoir en même temps la sagesse de savoir que l'on ne possède pas la vérité. Il faut croire en sachant que l'on cultive l'espérance."

Tiré de :
L'itinéraire, 15 octobre 2007

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mar. 03 oct. 2017, 15:53

Illustration "sur le vif" du propos (et de l'à propos) de Thierry-Dominique Humbrecht rapporté plus haut :


Je ne sais pas si vous avez vu la nouvelle passer, mais, vendredi dernier, le pape François a sensibilisé les gens au danger des fake news.
« L’Église veut offrir une contribution sur le phéno­mène des fake news en proposant une réflexion sur les causes, les logiques et les conséquences de la désinformation dans les médias », a-t-il lancé.

Vive la vérité !

Je suis d’accord avec le pape.
Pourquoi les médias répandent-ils toutes sortes de fausses nouvelles au lieu de parler de faits scientifi­quement prouvés, comme la résurrection, le buisson ardent, la Vierge Marie, la multiplication des pains, la transformation de l’eau en vin, la séparation de la mer Rouge, la création du monde en sept jours, la transsubstantiation, la Sainte Trinité et l’exploit extraordinaire de Noé, qui a embarqué un mâle et une femelle de chaque espèce animale vivante dans un bateau en bois qu’il a construit dans sa cour ?


[...]

Du solide !

Vincent Gratton et le pape ont raison : il faut lutter contre les « nouvelles alternatives ».
Et baser ses opinions seulement sur des faits solides.

Comme la religion et la spiritualité nouvel âge.
http://www.journaldemontreal.com/2017/1 ... de-lumiere
La foi catholique et le New Age s'équivalent selon le chroniqueur Richard Martineau. En terme de nivellement vers le bas, il serait difficile de faire mieux. La "Bonne nouvelle" devient comme tout naturellement une fausse nouvelle chez le potineur mondain.


Les médias, ou plutôt les castes qui vivent de la célébrité que les moyens médiatiques leur offrent, ont conquis une position sociale dominante. Ces réseaux aux confins du culturel et du politique donnent le ton du relativisme et souvent celui du post-christianisme.
Les médias exercent désormais un rôle magistériel, c'est à dire une autorité doctrinale et un arbitrage des opinions. (Thierry-Dominique Humbrecht)

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mar. 03 oct. 2017, 17:11

"Le paradoxe de notre civilisation est qu'il faut avoir la force d'affirmer une croyance et avoir en même temps la sagesse de savoir que l'on ne possède pas la vérité. Il faut croire en sachant que l'on cultive l'espérance."

- Éric-Emmanuel Schmitt



Que penser de ça? Ne dirait-on pas l'expression même de ce dont notre clergé nous parle et alors chaque fois qu'il sera question de la nouvelle approche pastorale? S'agit-il de cette conjugaison entre l'Église et la postmodernité?

Mais comment vivre une pastorale semblable en pratique? Comment pourrait-on affirmer une croyance solide, sans penser posséder quelque chose de la vérité? Qu'est-ce que cela veut dire? J'ai du mal à voir comment une telle attitude devrait se traduire en terme de comportement missionnaire dans le monde, auprès de sceptiques du XXIe siècle.

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mer. 04 oct. 2017, 5:46

- Joie, joie, joie!

Il s'agit d'un texte de Jean Vanier. J'ai trouvé cela la semaine dernière. Je ne fais que le découvrir maintenant. On dirait que je suis tombé sans le savoir sur le maître à penser du pape François. Quelle surprise!

Jean Vanier pourrait-il être la clé?

:?:

Ici :

"...le coeur humain, de ce qui nous définit essentiellement, en deça de nos compétences, de nos savoirs, de nos dons, de nos faiblesses, de nos habitudes ou de nos convictions, Je veux montrer comment nous pouvons le libérer des ténèbres et des peurs qui l'emprisonnent, l'empêchent d'être lui-même et l'incitent à rejeter les autres.

La prise de conscience que nous appartenons à une humanité commune, et que cette appartenance est plus fondamentale que toute autre appartenance, a changé beaucoup de mes attitudes et ma vision de l'être humain. Elle m'a aidé à me libérer de compulsions égocentriques et de blessures intérieures, m'a incité à mieux accueillir ceux qui sont différents, les étrangers, et même ceux qui nous agressent, les ennemis. Passer de l'égoïsme à l'amour, de l'esclavage à la liberté, de l'enfermement sur soi à l'ouverture aux autres, c'est grandir; c'est le chemin vers la pleine maturité humaine.

Nous sommes tous appelés à la libération du coeur, à nous ouvrir aux autres et à découvrir ce qui fait le fond de notre être, notre humanité commune. Mais cette libération est un long cheminement, depuis l'angoisse et l'enfermement sur nous-mêmes, où nous nous sentons coupés des autres, jusqu'à un amour plénier qui nous transforme et nous permet d'aider les autres à se transformer. Ce cheminement, nous ne pouvons l'accomplir seuls. Il implique que nous appartenions, à un moment ou un autre, à un groupe ouvert qui aide chacun à vivre un dialogue harmonieux avec les autres, à l'intérieur comme à l'extérieur du groupe." (p.10)




"Rechercher la vérité, c'est se laisser envelopper par elle, plutôt que la posséder pour dominer les autres. La vérité est non pas un objet que l'on possède, mais une lumière qu'on reconnaît et qu'on contemple pour mieux servir et aimer les autres. La vérité est libératrice si nous lui ouvrons la porte de notre coeur afin qu'elle déchire le voile qui sépare notre coeur de notre tête. Il s'agit d'aimer la vérité, d'accepter qu'elle inspire notre vie, nos comportements et notre manière d'être. La religion et la morale témoignent de la vérité quand elles deviennent sources de libération, et inspirent le respect et la compassion pour autrui.

Cette recherche de la vérité exige un esprit ouvert : elle exige une évolution de la pensée chez les personnes et les groupes sociaux, car notre monde est en perpétuel changement, nous faisant sans cesse découvrir des réalités nouvelles. Certains principes demeurent : nous sommes toujours appelés à être des hommes et des femmes d'amour, et non de haine. Nous sommes appelés à revitaliser les principes à partir de notre expérience et de notre vie, et à illuminer notre expérience et notre vie, par ces principes.

Une telle évolution de pensée peut provoquer une certaine angoisse car elle nous oblige à marcher à tâtons dans l'inconnu et à repenser des formules anciennes, pour les restituer dans un langage accessible et vivant. La philosophie, l'anthropologie, la théologie et les sciences humaines peuvent se révéler dangereuses lorsqu'elles deviennent des idéologies qui veulent s'Imposer à la réalité, au lieu d'être des moyens humbles de mieux écouter la réalité et de s'émerveiller devant elle." (p.23)

Source : Jean Vanier, Accueillir notre humanité, 1999, 187 p.

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par saperlipopette » mer. 04 oct. 2017, 14:21

:-D Ben voyons... C'est un jésuite, c'est normal que personne comprenne rien! ;)


Sinon, merci pour les extraits.
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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par axou » mer. 04 oct. 2017, 15:58

Cinci a écrit :
mer. 04 oct. 2017, 5:46
- Joie, joie, joie!

Il s'agit d'un texte de Jean Vanier. J'ai trouvé cela la semaine dernière. Je ne fais que le découvrir maintenant. On dirait que je suis tombé sans le savoir sur le maître à penser du pape François. Quelle surprise!

Jean Vanier pourrait-il être la clé?

:?:
Source : Jean Vanier, Accueillir notre humanité, 1999, 187 p. [/color]
Magnifique texte de Jean Vanier !!!
un géant spirituel de notre temps,

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Kerniou » mer. 04 oct. 2017, 19:07

Très beau texte, en effet, dense et plein de sagesse ...
" Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu , car Dieu est Amour " I Jean 4,7.

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Kerniou » mer. 04 oct. 2017, 19:07

Très beau texte, en effet, dense et plein de sagesse ...
" Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu , car Dieu est Amour " I Jean 4,7.

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mer. 04 oct. 2017, 19:31

Bonjour,
Saperlipopette a écrit :

:-D Ben voyons... C'est un jésuite, c'est normal que personne comprenne rien! ;)
Non, je ne dirais pas cela.

J'ai plus le sentiment que je ne comprend rien du pape François au départ, mais parce que je me suis contenté jusqu'à maintenant de recevoir des phrases de lui par médias interposés : mélange de réactions à chaud et très personnelles de l'individu Bergoglio sur quelque sujet d'actualité (des points de vue avec lesquelles je serait rarement en accord) et l'expression officielle et bien corsetée du pape écrivant dans quelque document issu du Vatican.

Autant l'expression des choses que je découvre dans la lettre encyclique ne m'apporte rien quant au fond des choses, autant les points du vue personnelle et politique de Jorge Bergoglio seraient bien fait pour me vexer plus qu'autre chose. Donc, rien + rien = rien.

J'ai comme l'idée qu'il me faudra prendre un autre chemin.

Et, là, grâce à d'autres comme Jean Vanier, il me semblerait que la voie serait plus dégagée. Tout à coup, on dirait (... l'espoir se lève? réconciliation?) que je saisirais mieux ce à quoi notre pape argentin voudrait nous renvoyer. En lisant Jean Vanier, il m'apparaît bien mieux qu'il ne s'agit en rien de devoir trahir l'Évangile ou la foi de l'Église.

La discussion de "techniciens" sur Amors Laetitia, par exemple, ne m'apporterait rien, rien de rien et archi-rien, en le sens que ce n'est pas cela qui va me faire vivre, ni vibrer ni me libérer des blocages que je puis avoir par rapport au Souverain Pontife ou sa demande de conversion pastorale.

- Huh? Une conversion, quelle conversion? C'est peut-être beau sur papier mais comment faire en pratique?

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Re: La pastorale nouvelle du pape François (Un jour ...)

Message non lu par Cinci » mer. 04 oct. 2017, 20:08

Axou a écrit :
Magnifique texte de Jean Vanier !!!
un géant spirituel de notre temps,
Oui, je ne me doutais pas d'avance que les phrases de Jean Vanier présenteraient pour moi ce caractère "explosif". Et à ce stade-ci, qu'elles auraient pu m'être un chemin pour parvenir à déverrouiller la situation sans issue.

:)

P.S. : Si ce n'est déverrouiller totalement, mais au moins un espoir de trouver que la conciliation serait possible entre le dogme et ses exigences de vérité et une pastorale apparemment "trop"humble.

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