Libre-arbitre vs hasard

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Didyme
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Didyme » lun. 26 sept. 2016, 16:12

hussard a écrit :La volonté est figée, car les circonvolutions de la volonté sont l'effet du temps.

Une fois dans l'éternité, il n'y a plus de temps, et de plus le jugement personnel est instantané.
Je ne sais pas, l'éternité est le propre de Dieu car lui seul est parfait, plénitude qui ne nécessite plus de changement. L'abence de perfection, de plénitude me semble etre forcément soumise au changement et donc au temps.
Est-on sur qu'il convienne de parler d'éternité ou plutot d'une autre appréhension du temps. Je ne sais plus qui disait qu'en enfer il n'y avait justement que du temps, et c'est ce que semble signifier ceux qui relatent des visions de l'enfer.
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par hussard » lun. 26 sept. 2016, 16:14

Est-ce que vous sous-entendez que vous pourrez vous damner une fois au paradis, ou bien vous sauver malgré avoir été en enfer ? ;)
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Didyme » lun. 26 sept. 2016, 16:20

Désolé, je dois vous laisser mais je reviendrais dès que possible sur la discussion. ;)
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Mac » lun. 26 sept. 2016, 16:33

Bonjour Didyme :)
Didyme a écrit :Ou comment votre haine peut-elle etre plus forte que l'amour de Dieu ?!
Il n'y a pas de haine en Dieu tout simplement. Il n'y a pas de haine en Jésus Christ, il pardonne même sur la croix.
Et comment Dieu peut-il etre plus grand que tout s'il ne vainc pas le péché (car le rejet de Dieu est péché), si son rejet séduit davantage certaines créatures que son amour ?
La victoire de Jésus ne change pas le libre arbitre humain. Jésus a vaincu satan, la mort et l'homme peut accéder à la béatitude éternelle par les sacrements de l'eglise,une vie charitable, par l'amour fraternel.
D'ailleurs je n'ai jamais compris comment concilier victoire sur la mort et le péché si la mort, l'enfer et le rejet (péché) demeure éternellement ?!
Avant Jésus ne règnait pas aux cieux (il me semble si j'ai bien compris). Maintenant il règne donc c'est Lui qui détient l'autorité sur tout, il est la porte du ciel, avant il n'y avait pas de porte. La porte est une image, on pourrait dire qu'il n'y avait pas de solution pour aller au paradis.
Comment concevoir une plénitude, une fin parfaite si Dieu doit au final etre éternellement "blessé" par le rejet de certaines créatures ?
Je ne sais pas si on blesse Dieu en le rejettant. Si en rejettant un frère en le blessant, alors que Jésus s'identifie à ce frère (comme on le voit dans l'évangile), oui dans ce sens je blesse Dieu.
D'ailleurs n'éprouve-t-il pas un manque du fait de cet enfer ?
Mon sentiment serait non. Les damnés ne manquent pas à Dieu. Jésus dit : "loin de moi vous qui commettez le mal...dans le feu préparé pour satan"/

Fraternellement. :coeur:

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » lun. 26 sept. 2016, 21:10

Salut dydime,
Est-ce que tu connais des écrits qui parlent de ce sujet ?
Pour la dernière réflexion que j'avais lancée plus haut? Je ne croirais pas. Je n'ai pas le souvenir conscient. Mais il n'est pas impossible que j'aies pu tomber déjà sur une idée semblable dans Le Dieu des surprises ou dans Trouver Dieu en toutes choses. Il me faudrait vérifier.

:)

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Didyme » lun. 31 oct. 2016, 16:16

hussard a écrit :Est-ce que vous sous-entendez que vous pourrez vous damner une fois au paradis, ou bien vous sauver malgré avoir été en enfer ? ;)
J'ai donné plus ou moins une opinion dans ce fil http://www.cite-catholique.org/viewtopi ... 92&t=41172
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Didyme » lun. 31 oct. 2016, 16:20

Il demeure toujours cette interrogation quant au rapport de Dieu au péché.

En-dehors du fait que le péché est ce que Dieu n’est pas et que Dieu hait le péché, je me demande si Dieu connait le péché ou celui-ci aveugle-t-il Dieu ? Car de même que le soleil ne peut voir l’ombre et la connaître, Dieu ne peut voir ce qu’il n’est pas et donc le péché, il ne peut le connaître (sauf en théorie car il en connait l’existence). En tout cas, cela semble être vrai jusqu’à la descente du Christ aux enfers, car là il a été confronté à tout péché, il a pu voir le péché tel qu’il est.

Peut-on dès lors penser qu’avant la descente aux enfers que Dieu ne connaissait pas le péché en soi ? Et là encore ça apparait tordu car se pose non seulement la question temporelle pour Dieu, il y aurait un avant où Dieu connaissait et un après où Dieu ne connaissait pas (et en même temps c’est le cas pour l’incarnation), comme si Dieu était soumis au temps ?! Alors que l’on voit par les prophéties que Dieu connait les choses d’avance et n’attend pas qu’elles se produisent. Bien que d’une certaine façon, n’est-ce pas du fait de son statut de Créateur de toute chose qui fait qu’il sait d’avance comment chacune va se comporter, s’enchaîner pour en connaître l’aboutissement avant qu’elle ne se produise ? Et dans cette hypothèse, en ce qui concerne le péché qui n’est pas de sa création alors il ne pouvait le connaître avant l’événement de la descente aux enfers ?
Ça paraît également tordu (mais peut-être pas ?) dans l’idée qu’il y a quelque chose que Dieu ne connaissait pas de toute éternité ?

Ce qui me triture l’esprit c’est surtout ce rapport de Dieu au péché. Peut-on penser que le péché aveugle d’une certaine façon Dieu ? Qu’il lui masque la partie de la création corrompue par lui ? Qu’il lui masque sa créature déchue et corrompue par lui, que Dieu ne puisse plus connaître sa créature au tréfonds d’une âme où le péché s’est incrusté, voilant certaines parties de son être qui ne correspondrait plus à ce que Dieu a créé ? Même s’il connaissait certaines parties de l’être demeurées intacts, ces zones d’ombre le réduiraient à l’ignorance, au flou ? Ou tout du moins avant la descente aux enfers ? Le hasard existerait ?

Cela paraît aberrant, limite blasphématoire et j’aimerais y voir plus clair sur le sujet pour ne pas m’y égarer.
Quelqu’un aurait-il des pistes, des lectures sur ces questions ?

NB : Merci Cinci pour les tiennes ;)
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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par AliceB » mer. 29 mars 2017, 14:07

Bonjour à toutes et tous,

J’ai besoin de vous pour un projet d’étude mené en Licence de Psychologie. J’étudie l’accompagnement de la religion catholique dans les moments de vie difficile et j’ai besoin de nombreuses personnes pour répondre à ce questionnaire qui ne vous prendra qu’une dizaine de minutes 😊

Les réponses sont évidemment anonymes et si vous avez des questions au sujet de mon étude, vous pouvez me contacter en MP !
Je vous remercie d’avance de votre participation.

Bonne journée

https://goo.gl/forms/FBKymbEXrm86s1kC3

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » jeu. 04 mai 2017, 21:00

Bonjour,

Tu demandais des pistes de lecture, Didyme. Eh bien, grâce à une lecture de Peter Kreeft : j'ai pu me rendre compte que ce sujet avait déjà été traité par Boèce, le philosophe chrétien de l'Antiquité tardive. Ça ne date pas d'hier. Pense à l'an 526 après Jésus ou à peu près. Il traitait le point dans son écrit La consolation de la philosophie.


Livre V

Prescience divine et liberté humaine

- Alors moi : "Ah!", dis-je, me voici au prise avec un nouveau problème plus difficile qui me bouleverse. "Lequel?" dit-elle. C'est qu'il me semble, dis-je, qu'il y a trop d'opposition et d'incompatibilité entre l'universelle prescience divine et l'existence d'un libre arbitre. En effet, si Dieu prévoit tout et ne peut aucunement se tromper, il est nécessaire que se produise ce qui a été prévu par la Providence. C'est pourquoi, s'il connaît de tout éternité non seulement les actions des hommes, mais encore leurs desseins et leurs volontés, il n'y aura pas de libre arbitre; car il ne pourra exister aucune action ni aucune volonté autres que celles qu'aura pressenties la Providence divine, qui ne peut se tromper. Si elles peuvent s'écarter dans une autre direction que celle qui aura été prévue, il n'y aura plus de sûre prescience du futur, mais plutôt une opinion incertaine : ce qu'il serait sacrilège, à mon sens, de croire à propos de Dieu.

C'est pourquoi il n'y a point de liberté pour les desseins et les actions des hommes, que l'intelligence divine, qui voit d'avance toutes choses sans erreur et sans faute, relie et rattache à une unique issue.

[...]

Une fois ces arguments admis, la conséquence apparaît clairement : quel effondrement de tout ce qui est humain!

Car c'est en vain que l'on promet aux bons et aux méchants des récompenses et des punitions s'ils ne les ont aucunement méritées par un mouvement libre et volontaire de leur âme. Et ce qui semblerait le plus injuste de tout, c'est ce que l'on juge en réalité le le plus juste : la punition des méchants et la récompense des bons, s'Ils sont conduits à l'une ou à l'autre non pas par leur volonté propre, mais par l'inéluctable nécessité de ce qui doit arriver. Il ne saurait plus y avoir ni vice ni vertu, mais plutôt un mélange et une confusion inextricable de ce que méritent tous les hommes; et - ce qui est véritablement l'abomination suprême - puisque c'est la Providence qui conduit l'ordre universel et qu'aucune liberté n'est laissée à l'initiative humaine, on rapporterait même nos vices à l'auteur de tout bien.

Il n'y a donc plus aucune raison ni d'espérer ni de prier : que pourrait-on espérer, que pourrait-on détourner par des prières, quand tout ce que l'on pourrait souhaiter est intégré dans un enchaînement inflexible?

Perplexité du prisonnier devant l'âme humaine

Le pacte de l'univers, quelle discorde
Est cause de sa dissolution? Quel Dieu
impose de si terribles guerres entre deux vérités,
au point que des choses séparément solides
refusent de s'unir dans l'harmonie?

Ou bien n'y a-t-il point de discorde entre les vérités,
sont-elles toujours en union étroite,
et est-ce l'esprit, enseveli dans un corps aveugle,
qui ne peut, car le feu de son oeil a été étouffé ,
distingué les subtiles liaisons des choses?

Alors elle :"C'est cette vieille plainte sur la Providence, qui a si fortement occupé Marcus Tullius, quand il classait les moyens de divination, et qui a été longtemps l'objet de ta propre recherche; mais jusqu'à présent aucun d'entre vous n'a réussi à lui donner une solution satisfaisante, ni pour la précision, ni pour la solidité. Si cette question est brouillée, c'est que le mouvement de la raison humaine ne peut s'approcher de l'unicité de la prescience divine; or, si l'on peut trouver une manière de penser celle-ci , il ne restera plus aucune ambiguïté. C'est ce que je vais tenter de clarifier et d'expliquer.

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » jeu. 04 mai 2017, 22:07

(suite)

Si la prescience n'impose aucune nécessité aux événements futurs, quelle est la raison pour laquelle les choses qui dépendent de la volonté pourraient être contraintes?

Pour les besoins de l'argumentation, et afin que tu puisses voir les conséquences, supposons qu'il n'y ait pas de prescience. Est-ce que, dans ce cas, les choses qui dépendent du libre arbitre seraient contraintes à la nécessité? "Non." Supposons maintenant qu'il existe une prescience, mais qu'elle n'impose aucune nécessité aux choses; il demeurera, à mon avis, le même libre arbitre, entier et absolu.

Mais la prescience, diras-tu, même si elle ne constitue pas pour les choses futures une nécessité de se produire, est cependant un signe qu'elles se produiront nécessairement. De cette manière, donc, même s'il n'y avait pas eu de prescience, il serait certain que la réalisation des choses futures est nécessaire; car le signe ne fait que montrer ce qui est, il ne produit pas ce qu'il signifie.

[Explication]

Il y a beaucoup de choses que nous voyons se faire sous nos yeux, par exemple les manoeuvres du conducteur de char qui guide son quadrige et le fait virer, et tout le reste. Y a-t-il une nécessité qui force tout cela à se faire ainsi? Non. La technique ne servirait à rien, si tout le mouvement était déjà fixé. Donc, ce qui se produit sans aucune nécessité est, avant de se produire, un futur sans nécessité. Et ainsi, il y a des événements futurs dont la réalisation échappe à toute nécessité. Car je pense que personne ne dira que ce qui se produit maintenant n'était pas à venir avant de se produire; donc, même connu d'avance, cela se produit donc librement. Car de même que la connaissance du présent n'impose aucune nécessité à ce qui arrive, de même, la prescience du futur n'en impose aucune à ce qui est à venir.

Cela paraît contradictoire, et tu pense que s'il y a prévoyance, il y a conséquemment nécessité, que s'il n'y avait pas de nécessité, il n'y a pas de prescience et que rien ne peut être saisi par la connaissance que ce qui est certain.

La cause de cette erreur est dans l'idée commune que toute notre connaissance des choses nous vient de leurs caractéristiques naturelles. Mais c'est tout le contraire : car ce qui règle toujours la connaissance que l'on a d'une chose, ce ne sont pas les caractéristiques de cette chose, mais bien plutôt la faculté cognitive.

Prenons brièvement un exemple pour éclairer cela [...] L'homme lui-même est perçu différemment par les sens, l'imagination, la raison et l'intelligence. Car les sens évaluent seulement la forme imposée à une matière donnée, et l'imagination seulement la forme, sans la matière. La raison transcende la forme, et évalue par rapport à l'universel la spécificité même des êtres pris isolément. Mais l'oeil de l'intelligence voit les choses de plus haut ; car elle dépasse l'universel et contemple avec la pure vision de l'esprit la simplicité de l'essence.

Et sur ce point, voici ce qu'il faut considérer particulièrement : la faculté de compréhension supérieure inclut celle qui lui est inférieure, et celle qui est inférieure ne peut en aucune manière s'élever jusqu'à celle qui lui est supérieure. Car, en dehors de la matière, les sens n'ont aucune force; l'imagination ne contemple pas les espèces universelles; la raison ne saisit pas la forme simple; mais l'Intelligence, si l'on peut dire, regarde d'en haut, conçoit la forme et distingue aussi tout ce qui lui est subordonné, mais de la manière dont elle comprend la forme, qui ne pourrait être connu par aucun autre processus cognitif. Car l'intelligence connaît l'universel, qui relève de la raison, la forme, qui relève de l'imagination, et la matière, qui relève des sens, sans avoir recours ni à la raison, ni à l'imagination, ni aux sens, mais en prévoyant tout, pour ainsi dire, formellement et d'un seul coup.
Dernière modification par Cinci le ven. 05 mai 2017, 4:58, modifié 2 fois.

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » ven. 05 mai 2017, 4:30

(suite)

La connaissance divine, éternelle, voit le passé et le futur sans porter atteinte au libre arbitre de l'homme

Puisque donc, comme on vient de le montrer, ce qui permet de saisir un objet de connaissance n'est pas sa propre nature, mais les capacités de celui qui le comprend, examinons maintenant, dans la mesure du possible, ce qu'est en soi la substance divine, pour pouvoir reconnaître en même temps quelle connaissance est la sienne.

Dieu est éternel ; c'est l'opinion commune de tous les êtres raisonnables. Voyons donc ce qu'est l'éternité; car c'est elle qui nous montre à la fois la nature et la connaissance de Dieu.

L'éternité est la vie sans fin possédée à la fois tout entière et de façon parfaite [...] C'est donc ce qui embrasse et possède d'un seul coup toute la plénitude d'une vie sans fin, sans absence de futur, sans écoulement du passé, que l'on tient avec raison pour éternel, et qui est nécessairement aussi bien maître de son propre présent et possesseur dans le présent du temps qui se déroule sans fin.

Donc, puisque tout jugement appréhende les choses qui sont ses objets selon sa propre nature, et puisque Dieu a une nature toujours éternelle et présente, sa connaissance aussi, surpassant tout mouvement de temps, est permanente dans l'unicité de son présent, et, embrassant tous les espaces infinis du futur et du passé, les considère dans son mode de connaissance simple comme s'ils étaient en train de se produire maintenant. C'est pourquoi, si tu veux considérer la prévoyance grâce à laquelle il connaît toutes choses, tu seras davantage dans le vrai en estimant que ce n'est pas une prescience, comme si elle s'appliquait au futur, mais la connaissance d'un instant présent qui ne passe jamais.

Pourquoi veux-tu donc que le regard divin rende nécessaires les choses sur lesquelles il brille, alors que le regard humain ne rend pas nécessaires celles sur lesquelles il se pose? Les événements présents que tu vois, est-ce que ton regard leur impose quelque nécessité? Pas du tout.

Pourtant, s'il existe un rapport que l'on puisse faire entre le présent humain et le présent divin, celui-ci voit toutes choses dans son éternité comme vous en voyez quelques unes dans votre présent temporel. C'est pourquoi cette prescience divine ne change pas les caractéristiques naturelles des choses, et voit comme présents dans son éternité les événements qui se produiront à un moment du temps.

Dieu ne mélange pas ses jugements, il distingue en un seul regard de son intelligence aussi bien les événements nécessaires que les non nécessaires, comme vous, lorsque vous voyez en même temps l'homme marcher sur la terre et le soleil se lever dans le ciel, bien que la vue des deux soit simultanée, vous les distinguez pourtant, et jugez que l'un est volontaire, tandis que l'autre est nécessaire. C'est ainsi que le regard divin voit clairement toutes choses : il ne bouleverse aucunement leurs caractéristiques, et elles sont présentes de son point de vue, mais à venir du point de vue temporel. Il ne s'agit donc pas d'une opinion, mais bien plutôt une connaissance fondée sur la vérité, lorsque Dieu connaît que quelque chose sera, sans ignorer que cela n'a pas de nécessité de se produire.

Si la Providence voit quelque chose comme présent, il est nécessaire que cette chose soit, bien qu'elle n'y soit contrainte par aucune nécessité naturelle. Cependant Dieu voit comme présents les événements futurs qui dépendent du libre arbitre : ces événements, donc, si on les rapporte à la vision divine, deviennent nécessaires par l'intermédiaire de la condition de la connaissance divine, mais considérés en soi, ils ne perdent pas l'absolue liberté de leur propre nature. C'est pourquoi il est hors de doute que se réaliseront tous les événements dont Dieu connaît par avance qu'ils se produiront, mais que parmi eux certains relèvent du libre arbitre; et ceux-ci, même s'ils viennent à être et à se produire, ne perdent pourtant pas leur nature propre par laquelle, avant de se produire, ils pouvaient aussi ne pas se réaliser.

[...]

C'est aussi de cette manière que ce qui est présent pour Dieu se produira sans aucun doute, mais que tel de ces événements dépend de la nécessité, tel autre du libre pouvoir de ses acteurs.

Mais, diras-tu, s'il est en mon pouvoir de changer d'intention, je viderai la providence de son objet, puisque je changerai peut-être ce dont elle a la connaissance préalable. Je répondrai que bien sûr tu peux modifier ton intention : mais puisque la vérité de la providence voit tout aussi bien comme présent que tu le peux et si tu vas le faire et quel changement tu vas faire, tu ne peux éviter la prescience divine, de sorte que tu ne saurais échapper au regard d'un oeil présent, même si, par libre volonté, tu changeais tes actions pour les rendre différentes.

Quoi donc? diras-tu, est-ce que sont mes dispositions qui vont changer la connaissance divine, et la verra-t-on alterner ses formes de connaissance selon que j'aurai tantôt telle volonté, tantôt telle autre? Pas du tout. En effet, la vision divine précède le futur et le ramène de force au présent de sa propre connaissance; elle ne fait pas alterner, comme tu le crois, ses formes de préconnaissance, mais, dans sa permanence, elle prévient et embrasse d'un seul coup tes changements. Cette manière de tout saisir et de tout voir comme présent, ce n'est pas de la réalisation du futur, mais de sa propre unicité que Dieu la tire.
Dernière modification par Cinci le ven. 05 mai 2017, 5:05, modifié 1 fois.

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » ven. 05 mai 2017, 4:45

Puisqu'il en est ainsi, les mortels conservent un libre arbitre intact; non elles ne sont pas injustes, les lois qui proposent récompenses et châtiments, parce que la volonté ne se dissout pas dans une nécessité universelle. Demeure aussi, spectateur céleste de toutes choses et les connaissant toutes par avance, Dieu, et l'éternité toujours présente de son regard se joint à la qualité future de nos actes pour dispenser aux bons la récompense, aux méchants la punition.

Non elles ne sont pas vaines, les espérances placées en Dieu, les prières qui lui sont adressées : étant droites, elles ne peuvent être inefficaces. Détournez vous donc du vice, cultivez la vertu, élevez vos âmes à de droites espérances, étendez jusqu'aux cieux vos humbles prières. Elle est grande si vous ne voulez pas vous cacher la vérité, la nécessité qui vous impose de vivre selon le bien, quand vous agissez sous les yeux du juge qui voit tout.

Source : Boèce, La consolation de la philosophie, Paris, Les Belles Lettres, 2002, pp. 129-144

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » sam. 06 mai 2017, 23:52

Didyme,

Ce que je trouve fantastique dans le texte de Boèce, et puis cela que l'on pourrait voir, je l'espère, à travers ces petits extraits : il me semble que l'auteur chrétien du VIe siècle réconciliait tant ton point de vue que le mien.

A partir de ce que j'ai compris de son propos, Dieu a la prescience de tout. Dieu connaît l'avenir aussi bien que le passé. Il ne peut se tromper. Ça, c'était ton idée. Donc, du point de vue de la connaissance des choses que Dieu possède, il ne peut pas y avoir de hasard. Il n'y a pas de hasard pour Dieu dans le sens qu'il n'est rien pouvant survenir qu'il n'aurait pas pu savoir. Par contre, il existe bel et bien du hasard. Il existe du hasard en ce que possédant réellement un libre arbitre, nous ne sommes pas prédéterminés. Ça, c'était mon idée.


Un espace de véritable liberté implique un risque. C'est le risque que l'autre ne se comporte pas comme l'on aurait pu souhaiter qu'il le fasse. Il n'y a pas de hasard sur le plan de la connaissance. Dieu connaît tout ce que le joueur d'échec face à lui va décider d'entreprendre comme manoeuvre, mais Il y a du hasard quant au choix de la direction que le joueur aura finalement décidé d'emprunter. Ce n'est pas Dieu qui joue la partie à la place du joueur en face.

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Cinci » dim. 07 mai 2017, 0:16

Pour l'intitulé du fil, peut-être aurait-il fallu écrire Libre-arbitre vs omniscience. Boèce considère que l'omniscience divine n'empêche ni liberté d'action ni hasard événementiel.

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Re: Libre-arbitre vs hasard

Message non lu par Didyme » lun. 08 mai 2017, 15:22

Salut Cinci,

merci pour ce texte et à priori, je ne ressens pas de gêne dans ce que j’y lis. Il souligne même ce point :
Cinci a écrit :
jeu. 04 mai 2017, 21:00
Si elles peuvent s'écarter dans une autre direction que celle qui aura été prévue, il n'y aura plus de sûre prescience du futur, mais plutôt une opinion incertaine : ce qu'il serait sacrilège, à mon sens, de croire à propos de Dieu.
Et
Mais, diras-tu, s'il est en mon pouvoir de changer d'intention, je viderai la providence de son objet, puisque je changerai peut-être ce dont elle a la connaissance préalable. Je répondrai bien sûr que tu peux modifier ton intention : mais puisque la vérité de la providence voit tout aussi bien comme présent que tu le peux et si tu vas le faire et quel changement tu vas faire, tu ne peux éviter la prescience divine
Mais je reste sur l'opposition du titre "libre-arbitre vs hasard".

J’ai dernièrement buté de nouveau sur un commentaire du père Sébastien Antoni dans Pèlerin qui nie le destin au nom de la toujours liberté. Je crois que ce qui me heurte là-dedans c’est que ça m’apparaît être une approche sans Dieu. Ça ne le rend plus présent, souverain, créateur mais extérieur, indifférent, spectateur.

Moi je crois au destin, nous sommes destinés par ce que nous sommes en interaction avec l’extérieur. C’est une chimère que cette vision de la liberté qui ne répondrait à aucune logique, à aucune impulsion, à aucune source. Quel que soit la vision qu’on en ait, il y a toujours une forme de destin.

Croire en une liberté qui exclut toute destinée, écartant Dieu, c’est retirer tout sens à la vie, aux événements, aux épreuves, à la souffrance. Lorsqu’un malheur nous tombe dessus, on ne peut plus dire « c’est la volonté de Dieu » et en tirer un enseignement mais on est réduit à une sorte de fatalité de « cela n’a pas de sens, Dieu n’a rien à voir là-dedans. C’est simplement pas de chance ou encore c’est l’absurde qui régit ce monde ». Il n’y a plus rien de constructif, plus de bien tiré de ce mal. De même, lorsque nous chutons, on ne peut plus dire « Dieu a permis cette chute » avec l’arrière-plan de pédagogie ou de valeur à en retirer, mais on est réduit à s’accabler et à être confronté à un Dieu indifférent et extérieur à nos vies.

Mais le destin ne nie en rien le libre-arbitre, je ne vois pas pourquoi on voudrait tant opposés les deux. Quand bien même nos choix sont « influencés », ils demeurent nos choix libres, un mouvement de notre volonté et non pas un choix forcé. Par exemple, nous sommes en période d’élection présidentielle, on peut vouloir à la base voter pour tel candidat puis un autre tient un discours qui nous fait changer notre vote. Ce n’est pas parce que notre choix aura été influencé que ce n’est plus un choix libre.

Je ne sais malheureusement plus où j’avais lu ça mais quelqu’un disait que si une personne connaissait à un instant t chaque propriété de l’univers, chaque donnée, il connaitrait l’avenir. Qui de mieux que le Créateur peut correspondre à cette personne ? Lui qui a tout créé et connait par conséquent parfaitement chacune de ses créations. Je pense que connaissant sa création et sa créature, il connait dans sa prévoyance, dans sa prescience comment chacune va évoluer. Prescience qui est d’une certaine façon la conséquence logique du statut de créateur. Celui qui est à l’origine de toute chose et connait parfaitement toute chose en connait logiquement la fin, l’aboutissement. Tout instant est dans son champ de vision (passé, présent et à venir) parce qu’il contient toute chose en lui, l’origine, le temps lui-même. Et s’il est l’origine, il est la fin. S’il est le principe, toute connaissance alors il connait le Tout (début et fin), tout ce qui existe et qui sera.

Notre volonté, notre liberté résulte tout de même de cette base créée. Alors après, il y a le péché. Péché qui plus qu’une conséquence du libre-arbitre comme on le dit trop souvent est surtout une conséquence de notre état de créé et donc de fini, de faillible, d’imparfait. Est-ce que Dieu savait où ses créatures allaient faillir et les conséquences de ces chutes. Je pense que oui, que Dieu connaissant la faillibilité de ce qui est créé savait certainement comment chacun allait faillir. Il connait la base et je pense qu’il sait comment elle va évoluer avec ses caractéristiques propres. D’où la prévoyance dès l’origine de la rédemption. Il fallait remédier à la faillibilité (inéluctable) du créé par la participation à la divinité, à la perfection, à l’infaillibilité à travers la résurrection, rendu semblable au corps du Christ. Il fallait bien que la semence que nous sommes soit créé, passe par le créé premièrement, meurt de cette faillibilité du créé pour ressusciter infaillible à travers le Christ qui est venu habiter le créé pour le relever, l’élever, le lier à l’incréé.

Et ceci ne retire en rien la question de responsabilité de la créature. C’est bien la créature qui chute, de par sa volonté. Il faut bien condamner ses manquements, il faut nommer le péché, manifester la nature faillible. Il faut que la créature soit confrontée à ses manques, à sa petitesse, à sa condition pour venir vers Dieu. Tout cela est un formidable enseignement pour la création, la connaissance d’elle-même et de Dieu, de la place de chacun.
L'autre est un semblable.

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