Pour en finir avec l'intégrisme

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Cinci
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Cinci » sam. 16 avr. 2016, 14:03

Un mot d'Émile Poulat touchant le problème de l'intégralisme catholique. En deux parties, pour plus de confort :

[+] Texte masqué
"[...] il y a eu en 1976, un cas Lefebvre, puis une affaire Lefebvre.

Un archevêque dressé contre le pape et, seul, prêchant l'insoumission au Saint-Siège au nom de l'obéissance due à Dieu et de la fidélité à la tradition catholique, cela, certes, ne se voit pas tous les jours. Que cet archevêque défie le pape sans être aussitôt foudroyé, excommunié, et sans même qu'un procès soit ouvert contre lui selon les règles du droit canonique, voilà qui est encore moins banal. [...]

Comment devient-on Mgr Lefebvre?

D'une manière toute naturelle et toute simple, jusqu'au jour, précisément, où tout s'est détraqué et embrouillé, où un homme qui ne l'a ni voulu ni cherché, que rien n'y prédestinait, se trouve projeté sous les feux de l'actualité. Parce que ce qui était naturel a cessé de l'être; parce que ce qui était de règle et que cet homme veut continuer à enseigner ce qu'il a toujours enseigné comme il l'a enseigné, à faire ce qu'il a toujours fait comme on le faisait partout : la messe en latin, le catéchisme d'autrefois, les prêtres s'occupant des églises et donnant les sacrements, en un mot la religion d'avant tous les changements que le dernier concile a produits.

Aurait-il ainsi gravi les échelons de la hiérarchie catholique si, au sommet, on n'avait pas discerné et apprécié ses qualités au service de cette religion? Et ce service n'était-il pas celui d'une vérité immuable? Le monde évolue très vite : cette vérité doit-elle changer aussi pour suivre le mouvement?

Certes, l'Église n'est pas figée dans un passéisme hiératique et sacré. Elle ne méprise pas le progrès ni ses avantages; ce n'est pas son histoire qui la lie, mais sa foi, la doctrine dont elle a le dépôt. Elle peut et doit donc savoir modifier ses habitudes, faire son aggiornamento comme l'y invitait Jean XXIII. Il lui faut se moderniser. Mais, juste lâché, le mot révèle ses ambiguïtés. Se moderniser, mais qu'est-ce à dire et jusqu'où? Va-t-on commencer par tout démolir pour mieux reconstruire?

Marcel Lefebvre

Marcel Lefebvre est né en 1905, à Tourcoing (Nord), dans une famille très religieuse de bourgeoisie aisée. Études secondaires dans un collège catholique, puis sept années à Rome, où il est élève du Séminaire français (que dirigent les pères de la congrégation missionnaire du Saint-Esprit) et où il suit les cours de l'université Grégorienne (confiée aux jésuites). Climat traditionnel et même traditionaliste : on y est hostile aux idées libérales et démocratiques, à tout ce qui sent la Révolution et les principes de 1789; corrélativement, on y est favorable à Maurras [...] Drame : en décembre 1926, Pie XI condamne l'Action française et son chef, puis démet de sa charge le supérieur du Séminaire français, qui répugne au nouveau cours, et, pour la même raison, obtient la démission du cardinal Billot, théologien jésuite dont l'influence était grande à la Grégorienne. Un demi-siècle plus tard, la blessure n'est pas cicatrisée, mais le jeune Lefebvre ne reniera jamais ses maîtres.

La condamnation, pourtant, ne remettait pas en cause les doctrines romaines telles qu'elles étaient alors enseignées, mais elle orientait de façon nouvelle l'action de la jeunesse catholique : concrètement, elle opposait à l'Action française l'Action catholique et ses mouvements, dont on peut dire qu'ils ont été le milieu où ont germé les inquiétudes du futur concile avec son souci d'ouverture.

[...]

Ordonné prêtre en 1929 [...] Il est sacré évêque et nommé, en 1947, vicaire apostolique de Dakar; en 1948, délégué apostolique pour l'Afrique française; en 1955, premier archevêque de Dakar. L'Afrique bouge, mais il reste égal à lui-même : on l'aime, on l'estime, on l'écoute, [...] C'est une homme pieux, dévoué, austère, affable, "au magnifique passé missionnaire", comme on dit, que suit sa réputation d'avoir été l'un des hommes de confiance de Pie XII .

En 1968, il renonce à son poste de supérieur général et se consacre à ce qui va devenir le centre de sa vie : à l'heure où les séminaires se transforment ou se ferment, où les vocations se tarissent, où le sens du sacerdoce se perd, former un clergé à l'ancienne. En 1970, il obtient de l'évêque de Fribourg l'érection d'une fraternité sacerdotale Saint-Pie X [...] Le 29 juin 1976, Mgr Lefebvre ordonne treize nouveaux prêtres malgré la défense du Saint-Siège, qui, le 24 juillet, le déclare "suspens", lui interdisant ainsi tout acte du culte. Il passe outre : le 29 août, il célèbre à Lille une messe annoncée à grand renfort de publicité.

Depuis lors, chacune des parties campe sur ses positions [...]
et
[+] Texte masqué
L'écho et les remous suscités par cette affaire ont révélé à l'épiscopat français une résistance au cours nouveau qu'ils mesuraient mal [...] Tout montre en Mgr Lefebvre un évêque isolé. Pourtant sa fraternité comptait en avril 1976, 111 membres et 51 postulants, dont 126 séminaristes et 13 prêtres. Outre le Séminaire d'Ecône, elle dispose de trois maisons (États-Unis, Suisse alémanique, Italie) et, en France, de cinq prieurés [...] Mais surtout, il y a l'opinion publique, que deux sondages ont consultée en août 1976 [...] On apprend ainsi que pour 46% des catholiques et 58% des pratiquants réguliers [...] que, pour 40% des premiers et 48% des seconds, l'Église est allée trop loin [...] que 25% des Français approuvent Mgr Lefebvre, que 35% préfèrent la messe en latin [...] En Suisse, 24% des catholiques lui sont favorables, et 38% en Suisse romande. En août 1976, le Times de Londre a été submergé de lettres également favorables ... Manifestement, les sympathies maurrassiennes et les préférences politiques du prélat n'ont guère à voir dans ces jugements.

L'affaire Lefebvre n'est pas une simple manoeuvre de diversion, destinée à détourner l'attention et l'effort des vrais combats de notre temps : la misère, la faim, la guerre, la pollution, la torture, etc. Mais il est bien vrai qu'il ne faut pas la réduire à une histoire de rites liturgiques, de formules dogmatiques et d'exigences disciplinaires. Après le point critique atteint au moment de la crise moderniste, elle marque le point critique de la réaction antimoderniste devant l'un des grands enjeux de l'histoire actuelle : le destin du christianisme dans une culture qui l'exclut et les questions que pose cette situation pour les églises et les fidèles.

Mgr Lefebvre c'est un clignotant : il signale, avertit, sans pouvoir obliger personne, mais sans désemparer. Advienne que pourra. Il assume la mauvaise conscience romaine de transformations acceptées après avoir été longtemps déclarées inacceptables, consenties après avoir été impitoyablement combattues, sans autre fondement en dernière instance qu'un changement de perspective et de majorité.

Mgr Lefebvre symbolise , dans l'Église romaine, un problème théorique vital pour elle. Ouvert par le modernisme, il est encore en mal de solution. [...] On peut aussi le transposer de la théorie dans la pratique : certains, dont Mgr Lefebvre, tiennent que la doctrine commande l'action; de l'autre côté règne l'idée que le temps répondra à qui aura su vivre. C'est la vieille querelle scolastique qui refait surface, sur les rapports de l'essence et de l'existence. Elle avait déjà occupé les beaux jours du Sillon, qui entonnait un hymne à la vie quand on lui avançait les exigences de la théologie.

Le concile a inauguré une période de décompression : relâchement de la discipline, évanescence des interdits, libre examen de la doctrine, libération des contrôles, explosion d'énergies, recherches en tous sens, un festival impromptu à désarçonner les plus chevronnés. Ce déchaînement, au sens propre, et cet entraînement peuvent se comprendre sans grande difficulté, sinon s'apprécier de même. Le nouveau prime et prospère. Nouvelles théologies, nouvelles exégèses, nouvelles liturgies, nouvelles méthodes, etc. Depuis le Moyen Age au moins se mesurent antiqui et moderni, les Anciens et les Modernes comme dira le Grand Siècle. Mais la dispute se déroulait dans un même univers théorique : les modernes se voulaient plus anciens que les anciens; ils en appelaient d'une tradition récente à une tradition antérieure; ils légitimaient le changement par le ressourcement. "Révolution par la tradition", a dit un historien anglais de ce modèle.

Or voici qu'a surgi l'ambition d'un autre modèle , qui joue de la rupture et se passe de précédent. "Cela ne s'est jamais fait, cela se fera", Après tout, pourquoi pas, s'Il est avéré que notre régime culturel ne connaît pas de précédent et qu'un seuil est à franchir inéluctablement, fut-ce au prix d'un choc. Mais acceptation ne vaut pas solution.

Le système catholique s'est toujours défini par une exigence radicale de continuité : dans la succession apostolique, dans le développement dogmatique, l'argumentation théologique, la célébration eucharistique ou sur le registre mineure des dévotions, partout l'on trouve le même archétype. [...] Le catholicisme peut-il sans explication avec lui-même renoncer à cette propriété qu'il a toujours défendue comme sa prunelle? Tenu par un passé et une tradition qu'il n'a cessé d'enrichir mais aussi de revendiquer avec fierté, peut-il les désavouer sans se renier?

Source : Émile Poulat, Une Église ébranlée. Changement, conflit et continuité de Pie XII à Jean-Paul II, Paris, Castermann, 1980, pp. 274- 280

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par hussard » jeu. 28 avr. 2016, 12:24

Cgs a écrit :Il me semble que si l'Eglise n'a plus de pasteur suprême, elle n'est plus guidée sur le plan humain. Comment dès lors conserver la foi ?
Je souhaitais revenir sur cette assertion.
Les nombreuses églises orthodoxes autocéphales sont la démonstration vivante que la Foi peut rester intègre sans pour autant qu'il n'y ait d'allégeance à la papauté.
« Sufficit Tibi Gratia Mea » St Paul (2 Co XII:9)
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Héraclius » jeu. 28 avr. 2016, 17:33

hussard a écrit :
Cgs a écrit :Il me semble que si l'Eglise n'a plus de pasteur suprême, elle n'est plus guidée sur le plan humain. Comment dès lors conserver la foi ?
Je souhaitais revenir sur cette assertion.
Les nombreuses églises orthodoxes autocéphales sont la démonstration vivante que la Foi peut rester intègre sans pour autant qu'il n'y ait d'allégeance à la papauté.
Oui, mais ces Eglises sont sont pas en communion parfaite avec le Corps du Christ. Elles entretiennent une certaine relation avec lui, qui leur permet d'avoir de vrai sacrements, une jurdidiction légitime, des saints véritables sans doute, etc... Mais il ne s'agit pas d'une véritable communion visible et totale.

Cela, vous le savez, bien entendu, mais du coup se pose la question : ou se trouverait l'Eglise Véritable et Visible sans le Siège Apostolique qui est précisément le marqueur qui définit cette Eglise Véritable et Visible ? Si la définition de l'appartenance à l'Eglise Visible du Christ tient dans la communion au Siège Pétrinien, alors comment peut-on imaginer l'un sans l'autre ?
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Cinci » ven. 29 avr. 2016, 0:40

Hussard :

Les nombreuses églises orthodoxes autocéphales sont la démonstration vivante que la Foi peut rester intègre sans pour autant qu'il n'y ait d'allégeance à la papauté.
Vos chrétiens orthodoxes d'une Église autocéphale ne font que transmettre et reconduire le schisme. On ne parle pas de conservation intègre de la foi catholique avec ça,

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Cgs » ven. 29 avr. 2016, 9:03

Bonjour hussard,

Pour compléter les deux réponses précédentes, les églises orthodoxes, de part leur caractère séparé, peuvent relativiser certains points de foi. Je pense par exemple aux dogmes mariaux, qui, parce que édictés par l'Eglise catholique, sont rejetés par certaines églises orthodoxes.

Ceci est vrai pour d'autres entités schismatiques au sein de l'Eglise. Quand on n'est pas relié au tronc, on dérive, que cela prenne 100 ans, 1000 ans ou plus. La pleine communion avec le Saint Siège et la succession apostolique ne sont donc pas des détails et fondent la légitimité de l'Eglise catholique comme seule vraie église établie par le Christ, parmi tous ceux qui s'en réclament.

Bien à vous,
Cgs
Mes propos qui apparaissent en vert comme ceci indiquent que j'agis au nom de la modération du forum.

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par hussard » ven. 29 avr. 2016, 10:05

Bonjour et merci pour vos réponses,

@Heraclius :
  1. La notion de communion parfaite (ou de pleine communion) n'existe pas canoniquement : en l’occurrence ils ne sont pas en communion du tout, ils sont schismatiques ;
  2. mon propos est justement qu'il peut arriver des périodes de l'histoire où l'église n'a plus d'autorité visible.
@Cinci :
Effectivement, ils sont schismatiques, mais c'est évidemment un point de vue subjectif. En tant que catholique, nous les appelons schismatiques, mais http://www.pravoslavie.ru/english/92763.htm.
Donc pour eux il n'y a pas de rupture de la continuité apostolique, etc. et ils ont bien su conserver intègrement tous le dépôt de la Foi.

@Cgs :
Ils ne relativisent pas certains points de Foi, simplement le dépôt de la Foi avec lequel ils sont "partis" n'intègre bien évidemment pas les ajouts ultérieurs qui ont été faits par l'Eglise catholique seule.
De la même manière que l'Eglise catholique n'intègre pas les dogmes qui pourraient être décrétés par une Eglise schismatique... c'est tout à fait logique et cela ne permet pas de dire que les orthodoxes n'ont pas su conserver intègrement leur Foi.
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Héraclius » ven. 29 avr. 2016, 17:05

La notion de communion parfaite (ou de pleine communion) n'existe pas canoniquement : en l’occurrence ils ne sont pas en communion du tout, ils sont schismatiques ;
Ca ne change pas grand' chose au propos.
mon propos est justement qu'il peut arriver des périodes de l'histoire où l'église n'a plus d'autorité visible.
Oui, je comprends ce que vous voulez dire. Vous avez bien entendu techniquement raison au nom de la simple existence du sede vacante.

Quand à l'idée d'une prologation d'une telle situation... :incertain:
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Cinci » lun. 02 mai 2016, 2:46

Hussard,

Il y a quand même une différence objective entre l'Église catholique et les Églises autocéphales. C'est la question de la promulgation de nouveaux dogmes et la tenue de conciles.

Les Églises autocéphales peuvent bien conserver beaucoup de choses, elles ne peuvent plus agir collégialement, ni engager une quelconque décision magistérielle et dont la valeur sera reconnu universellement, En temps que corps il y a "quelque chose" qui ne circule plus entre les orthodoxes, c'est à dire les Églises entre elles et chaque Église avec Rome. Ce "quelque chose" qui ne fonctionne plus ou qui ne circule plus : c'est ce que l'on peut appeler la charité surnaturelle. Le schisme endommage la charité. Il suffit de regarder un peu nos sédévacantistes pour en être convaincu. Il n'y a pratiquement pas de schisme sans qu'il n'y ait d'abord une sorte de haine, refus d'écouter, soif de tenir l'autre pour un criminel, tricheur, menteur; un individu malintentionné. A l'origine du grand schisme d'occident l'on peut être certain qu'il y aura eu une montagne de propos diffamatoires, un emploi de langage violent, des insultes et le reste.

Le vie du corps du Christ ne se résume pas à être une histoire de conservation.

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par hussard » lun. 02 mai 2016, 9:51

Je ne souhaite pas particulièrement entrer dans un débat sur les Eglises orthodoxes, mais simplement montrer que certaines Eglises ont conservé leur Foi (au iota près) depuis des siècles, sans reconnaître l'autorité papale. Donc la conservation de la Foi n'est pas liée à la question de l'autorité papale.

Sur le Magistère :
L'Eglise catholique prend des décisions magistérielles qui se veulent universelles, mais dans les faits elles ne sont bien évidemment suivies que par les catholiques.

Les Eglises orthodoxes prennent également des décisions magistérielles (qui se veulent universelles également) et qui ne sont suivies que par chacune de ses Eglises qui les décrète.

D'un point de vue objectif, je ne vois aucune différence.

Sur la charité :
Pour ce qui est de l'état hostile dans lequel naissent les schismes, en particulier du grand schisme d'orient il me semble qu'en imputer la responsabilité uniquement aux orthodoxes soit aller un peu vite en besogne...

Sur l'autorité papale :
Pour l'argument de l'autorité papale, c'est un argument auto-réalisateur : nous considérons notre Eglise comme la seule véridique, donc ils ont tord, donc ils doivent reconnaître notre Pape, or ils ne le font pas : donc ils ne sont pas dans l'Eglise... cet argument est brandi par nos adversaires également. Etant donné que tout le monde peut se l'appliquer, il n'a de fait aucune valeur.
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Héraclius » mar. 24 mai 2016, 17:51

Hussard n'est pas sédévacantiste, il spécule juste sur la possibilité d'une vacance du Siège Apostolique qui serait de longue durée. ;)
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par hussard » mer. 25 mai 2016, 9:31

Le sédévacantisme désigne une opinion théologique historique précise qui est que, depuis 1958 (mort de Pie XII) ou 1963 (mort de Jean XXIII), le siège de Pierre est vacant et que les papes qui se sont succédé depuis ne sont que des usurpateurs.
Or, ce n'est pas du tout mon propos.

Ce que je constate d'un point de vue ecclésiologique, c'est que :

Une vacance du siège apostolique a lieu après la mort de chaque pape, elle peut durer un certain temps (durée de l'élection).

Dès lors, une multitude d'éléments peuvent prolonger cette durée :
  • difficultés à réunir le conclave (persécution de l'Eglise, guerre, etc.) ;
  • difficultés à désigner un successeur (déchirements internes partisans dans le Sacré Collège, pressions politiques extérieures, etc.) .
Tous ces événements ont déjà eu lieu dans le passé.

N'étant pas sédévacantiste, je ne pense pas que le Saint-Siège soit vacant actuellement (25 mai 2016, François étant Pape valide), mais ça a déjà eu lieu plusieurs fois dans l'histoire de l'Eglise, et je ne vois aucune raison qui garantirait que cela ne se reproduise pas (dans les mêmes conditions : par exemple 4 années, ou sur une période plus longue).

Exemples :
(outre les très nombreuses vacances de 1 année)
  • vacance de 2 années entre 258 et 260 (entre les papes Sixte II et Denys) ;
  • vacance de 4 années entre 304 et 308 (entre les papes Marcellin et Marcel Ier) ;
  • vacance de 1 an 1/2 entre 1241 et 1243 (entre les papes Célestin IV et Innocent IV) ;
  • vacance de 3 années entre 1268 et 1271 (entre les papes Clément IV et Grégoire X) ;
  • vacance de 2 années entre 1292 et 1294 (entre les Papes Nicolas IV et Célestin V).
Image
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Jeremy43 » sam. 28 mai 2016, 14:04

Bonjour,

En ce qui concerne l'intégrisme à proprement parlé, il y a quand même de sérieux problèmes, surtout quand on rentre dans ce milieu sans être issu de familles bourgeoises pour trouver une vie chrétienne plus véritable, plus sainte.

Le besoin de souffrir est mis en exergue, pour les natures les plus faibles, c'est redoutable puisqu'il n'y a pas de limite dans la souffrance et au final on se demande ce que peut bien vouloir ce Dieu tortionnaire. Face aux personnes qui prônaient cela, je me demandais pourquoi est-ce qu'elles allaient chez le médecin ? c'est tellement débile, puisque Dieu voudrait qu'on souffre un maximum pour "sauver les âmes".

L'autre point, c'est la haine de l'Eglise Catholique depuis Vatican II, pour la plupart des intégristes le pape actuel c'est le diable, tout simplement.

Cela se rapproche tout de même beaucoup du fondamentalisme musulman, comme le milieu dit détenir la Vérité, il a la puissance de détruire les consciences propres puisqu'il faudrait être idiot pour ne pas aller là où se situe la Vérité.

Personnellement cela m'a dégoûté de Dieu et de son Christ, je ne connais plus le Dieu d'Amour que j'ai rencontré, qui était doux et tendre, qui ne s'imposait jamais; cela a laissé la place à un Dieu cruel et sanguinaire qui se repaît de la souffrance de ses créatures et qui en demande toujours plus : mais ce qui m'a fait revenir dans la réalité, c'est que les personnes qui promulguent cela, pensent curieusement bien plus à elle qu'aux autres !

Je tenais à partager cette expérience au cas où certains seraient tentés par ce milieu, si on est un peu "faible d'esprit", le danger est à mon avis grand d'y laisser tout ce qu'on est et tout ce qu'on a. On est pas dans une secte, mais pas loin.

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Kerniou » sam. 28 mai 2016, 16:50

Merci, Jérémie, de votre témoignage fort instructif qui corrobore des "on dit".
" Celui qui n'aime pas n'a pas connu Dieu , car Dieu est Amour " I Jean 4,7.

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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Héraclius » sam. 28 mai 2016, 17:05

Enfait, à force de m'y intéresser dans un mélange de fascination et de rejet qui m'est propre, je pense que le milieu tradis est fondamentalement extrêmement divers, malgré les apparences.

J'ai rencontré récemment une jeune tradi(e ?) avec qui j'ai eu un peu l'occasion de discuter de nos "parcours" spirituels respectifs. Elle m'a dit qu'elle était née dans une famille FSSPX, avec internat de jeune fille très tôt... La fermeté de sa condamnation de ce milieu d'enfance m'a étonné. "Tout ce qui comptait, c'était la longueur de notre jupe" "on avait certes la messe, mais on n'apprenait rien à propos de la religion du Christ" "nous étions totalement séparés du monde extérieur, et le retour à la réalité au sortir de l'internat a été rude". Aujourd'hui, elle est à la FSSP, ou on lui a "appris à ne pas juger" "a vraiment vivre de la messe", etc...

Je donnerait ma main à couper qu'il y a quelque chose là-dedans qui est lié à l'humilité des premiers membres de la FSSP dans leur refus de suivre Mgr Lefebvre sur la pente de l'excommunication.

Autre chose : il me semble qu'il a de vrai différences de motifs parmis les tradis. En Angleterre, le motif proprement politique (la tradition maurassienne, royaliste, etc.) est très faible et totalement dominé par le motif proprement spirituel ; en France, il me semble qu'il n'est pas rare, sans vouloir trop tomber dans le jugement, que l'inverse soit vrai - sans que ce soit une généralité, hein.


Ce que vous décrivez, cher Jérémie, c'est un mal propre aux extrême, qui est le manque total de recul sur soi-même. Les "traditionnels" au sens large, vocable dans lequel je m'inclut totalement et qui regrouperait, en gros, tout ceux qui ont conscience que quelque chose de l'ordre du désastre a eu lieu dans les années 60-70-80 en France, ne prennent pas souvent suffisament en compte les risques inhérents de ce qu'ils s'emploient à restaurer, d'une façon ou d'une autre, c'est à dire des structures (enseignantes, rituelles, morales, etc.).

La structure est à la fois totalement néssécaire pour progresser (et ce fut l'erreur des progressistes d'y voir une entrave à une authenticité fantasmée), mais elle a aussi ses vices internes - et en premier lieu celui de se "reposer" sur les structures et de perdre de vue la radicalité personnelle de la vocation chrétienne.

En clair, si l'on veux un exemple : il est très, très, très important de maintenir de fortes structures liturgiques, rituelles. Si on les fait voler en éclat sous prétexte d'un retour à l'autenticité apostolique, on se trouve rapidement confronté à un problème majeur : faute de structure, la foi dans l'invisible que rend visible le rituel se perd. Fondamentalement, ce qui compte est l'attitude intérieure, mais faute d'attitude extérieure pour informer sans cesse notre nature pécheresse et orgeuilleuse au sujet de l'attitude intérieure que nous devons adopter, cette dernière se dissout assez vite.

Sauf que lorsque on est les seuls à avoir la bonne attitude extérieure, même si on a factuellement raison quand à la nécessité de cette attitude, un autre vice se révèle : celui d'absolutiser cette attitude, la confondre avec l'attitude intérieure.

Je suis pour la latin, le grégorien, la liturgie ad orientem, l'encens, les clochettes, l'omniprésence de la beauté dans le culte divin, la création d'une tension rituelle, l'insistance sur la somptuosité de l'art sacré au nom du "rien n'est trop beau pour Dieu"... Mais lorsque l'on est à genoux dans les marbres du sanctuaire, au milieu des aubes immaculées, des vapeurs d'encens, des paroles liturgiques chargées de poésie sacré et des chants grégoriens, avec le sentiment d'être au sommet de 2000 ans de tradition chrétienne et d'opposer quelque chose à une culture ambiante corrompue et séculière... On a, et je parle d'expérience, la bouffée d'orgeuil facile. Et on oublie que l'idéal chrétien est un idéal de faiblesse, de petitesse et d'humilité.

Lorsque l'on parle du "sacrifice de la messe" avec ferveur, mais que l'on oublie que ce sacrifice, c'est le Roi glorieux parce qu'Il est humble qui s'immole dans le plus grand acte d'amour qui soit, on est perdu. On en vient à adore l'ostensoir plus que l'hostia, la victime.

Lorsque l'on commence à adorer Dieu dans sa puissance seulement, en oubliant que c'est là le plus bas des niveaux de l'adoration et de la crainte, au lieu de l'adorer dans Son humilité et Son Amour, on se perd également.


Je suis à la fois terrifié par les tradis à certains moments, parce qu'ils me renvoient à la face sombre de ma prope façon de vivre le Christ, mais aussi emplis de beaucoup de sympathie pour certaines de leurs aspirations. A chaque fois que je revit le "choc" de revenir en France et à nos liturgies d'une pauvreté affligeante, de l'ad orientem, des chants du propre et de la tension rituelle de la consécration aux "chansonnettes", aux chasubles-poncho et aux sermons confortables, il me semble revivre un peu de cette fatidique année ou l'on changea de liturgie en France.

Finalement, comme pour les "progressistes" (et tout groupe humain en général, quelque part), il faut distinguer le bon et le mauvais, s'inspirer de l'un et rejeter l'autre. Eviter, surtout, de fonctionner en vase clos, avec un seul "modèle" en tête, avec pour toute vision des "autres" une caricature toute faite. Il m'arrive parfois de saisir en moi-même une sorte d'étonnement lorsque je lis un commentaire de PaxetBonum empli de douceur et d'humilité - ce qui arrive souvent, en plus -, un genre de "mais ou est passé son traditionnalisme" totalement stupide. Auquel cas il faut vite coller une baffe à ce sentiment, pour se délivrer des caricatures toutes faites.


Dieu vous bénisse,


Héraclius -
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

Jeremy43
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Re: Pour en finir avec l'intégrisme

Message non lu par Jeremy43 » sam. 28 mai 2016, 18:23

Bonjour,

Merci pour votre message Heraclius.

Pour moi le plus déstabilisant, c'est vraiment le rapport avec l'Eglise actuelle (et pas spécifiquement avec les folies liturgiques françaises mais bien avec l'institution Elle même et donc avec ce qui est au final le socle de la Foi et de l'unité des chrétiens).

Ajoutez à cela une sauce de fin du monde (avec ce Pape qui n'en serait pas un), l'aspect "dernier des Mohicans" ayant gardé l'orthodoxie, une touche de royalisme (avec les prophéties du grand monarque qui vont avec) et vous obtenez un cocktail qui vous embrigade dans une vie sectaire qui vous coupe totalement du monde réel qui nous entoure (et qui est celui qui doit être Evangélisé).

Comme vous le dîtes Heraclius, il faut sans doute trier le bon et le mauvais pour soi (car chacun est différent et le traitement pour extirper les vices ne peut pas être le même pour tous) en laissant le Saint-Esprit éclairer toutes les misères de notre âme (ce qu'une pratique religieuse "sérieuse" et orthodoxe peut masquer du voile de l'orgueuil, comme l'enseignait Jésus avec la parabole du pharisien et du publicain en prière).

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