Message non lu
par Héraclius » sam. 28 mai 2016, 17:05
Enfait, à force de m'y intéresser dans un mélange de fascination et de rejet qui m'est propre, je pense que le milieu tradis est fondamentalement extrêmement divers, malgré les apparences.
J'ai rencontré récemment une jeune tradi(e ?) avec qui j'ai eu un peu l'occasion de discuter de nos "parcours" spirituels respectifs. Elle m'a dit qu'elle était née dans une famille FSSPX, avec internat de jeune fille très tôt... La fermeté de sa condamnation de ce milieu d'enfance m'a étonné. "Tout ce qui comptait, c'était la longueur de notre jupe" "on avait certes la messe, mais on n'apprenait rien à propos de la religion du Christ" "nous étions totalement séparés du monde extérieur, et le retour à la réalité au sortir de l'internat a été rude". Aujourd'hui, elle est à la FSSP, ou on lui a "appris à ne pas juger" "a vraiment vivre de la messe", etc...
Je donnerait ma main à couper qu'il y a quelque chose là-dedans qui est lié à l'humilité des premiers membres de la FSSP dans leur refus de suivre Mgr Lefebvre sur la pente de l'excommunication.
Autre chose : il me semble qu'il a de vrai différences de motifs parmis les tradis. En Angleterre, le motif proprement politique (la tradition maurassienne, royaliste, etc.) est très faible et totalement dominé par le motif proprement spirituel ; en France, il me semble qu'il n'est pas rare, sans vouloir trop tomber dans le jugement, que l'inverse soit vrai - sans que ce soit une généralité, hein.
Ce que vous décrivez, cher Jérémie, c'est un mal propre aux extrême, qui est le manque total de recul sur soi-même. Les "traditionnels" au sens large, vocable dans lequel je m'inclut totalement et qui regrouperait, en gros, tout ceux qui ont conscience que quelque chose de l'ordre du désastre a eu lieu dans les années 60-70-80 en France, ne prennent pas souvent suffisament en compte les risques inhérents de ce qu'ils s'emploient à restaurer, d'une façon ou d'une autre, c'est à dire des structures (enseignantes, rituelles, morales, etc.).
La structure est à la fois totalement néssécaire pour progresser (et ce fut l'erreur des progressistes d'y voir une entrave à une authenticité fantasmée), mais elle a aussi ses vices internes - et en premier lieu celui de se "reposer" sur les structures et de perdre de vue la radicalité personnelle de la vocation chrétienne.
En clair, si l'on veux un exemple : il est très, très, très important de maintenir de fortes structures liturgiques, rituelles. Si on les fait voler en éclat sous prétexte d'un retour à l'autenticité apostolique, on se trouve rapidement confronté à un problème majeur : faute de structure, la foi dans l'invisible que rend visible le rituel se perd. Fondamentalement, ce qui compte est l'attitude intérieure, mais faute d'attitude extérieure pour informer sans cesse notre nature pécheresse et orgeuilleuse au sujet de l'attitude intérieure que nous devons adopter, cette dernière se dissout assez vite.
Sauf que lorsque on est les seuls à avoir la bonne attitude extérieure, même si on a factuellement raison quand à la nécessité de cette attitude, un autre vice se révèle : celui d'absolutiser cette attitude, la confondre avec l'attitude intérieure.
Je suis pour la latin, le grégorien, la liturgie ad orientem, l'encens, les clochettes, l'omniprésence de la beauté dans le culte divin, la création d'une tension rituelle, l'insistance sur la somptuosité de l'art sacré au nom du "rien n'est trop beau pour Dieu"... Mais lorsque l'on est à genoux dans les marbres du sanctuaire, au milieu des aubes immaculées, des vapeurs d'encens, des paroles liturgiques chargées de poésie sacré et des chants grégoriens, avec le sentiment d'être au sommet de 2000 ans de tradition chrétienne et d'opposer quelque chose à une culture ambiante corrompue et séculière... On a, et je parle d'expérience, la bouffée d'orgeuil facile. Et on oublie que l'idéal chrétien est un idéal de faiblesse, de petitesse et d'humilité.
Lorsque l'on parle du "sacrifice de la messe" avec ferveur, mais que l'on oublie que ce sacrifice, c'est le Roi glorieux parce qu'Il est humble qui s'immole dans le plus grand acte d'amour qui soit, on est perdu. On en vient à adore l'ostensoir plus que l'hostia, la victime.
Lorsque l'on commence à adorer Dieu dans sa puissance seulement, en oubliant que c'est là le plus bas des niveaux de l'adoration et de la crainte, au lieu de l'adorer dans Son humilité et Son Amour, on se perd également.
Je suis à la fois terrifié par les tradis à certains moments, parce qu'ils me renvoient à la face sombre de ma prope façon de vivre le Christ, mais aussi emplis de beaucoup de sympathie pour certaines de leurs aspirations. A chaque fois que je revit le "choc" de revenir en France et à nos liturgies d'une pauvreté affligeante, de l'ad orientem, des chants du propre et de la tension rituelle de la consécration aux "chansonnettes", aux chasubles-poncho et aux sermons confortables, il me semble revivre un peu de cette fatidique année ou l'on changea de liturgie en France.
Finalement, comme pour les "progressistes" (et tout groupe humain en général, quelque part), il faut distinguer le bon et le mauvais, s'inspirer de l'un et rejeter l'autre. Eviter, surtout, de fonctionner en vase clos, avec un seul "modèle" en tête, avec pour toute vision des "autres" une caricature toute faite. Il m'arrive parfois de saisir en moi-même une sorte d'étonnement lorsque je lis un commentaire de PaxetBonum empli de douceur et d'humilité - ce qui arrive souvent, en plus -, un genre de "mais ou est passé son traditionnalisme" totalement stupide. Auquel cas il faut vite coller une baffe à ce sentiment, pour se délivrer des caricatures toutes faites.
Dieu vous bénisse,
Héraclius -
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)