kisito a écrit :
Donc si la chasteté dans le mariage porte des fruits cela signifie qu'elle est un acte de charité.
La question maintenant est de savoir comment en elle-même l'union conjugale rapproche objectivement de Dieu ? Comment l'expliquer sans utiliser des concepts abstraits où il est difficile de voir l’Agape ? C'est à ce niveau où je trouve que la notion de lutte contre la concupiscence prend toute sa valeur.
Et bien merci Saint Bonaventure ! Je tente de répondre à votre question sur l'union conjugale qui rapproche de Dieu, et en même temps sur l'acte de charité.
Je repars de vos propos Kisito :
kisito a écrit :
Jésus a posé l'acte de charité par excellence pour nous, c'est-à-dire souffrir et mourir pour notre salut. Et c'est que nous devons faire pour notre prochain : en esprit ou en désir obligatoirement, effectivement si Dieu nous donne l'opportunité et la capacité de souffrir et de mourir effectivement pour son Amour ou pour le salut du prochain. Un acte de charité est désintéressé par sa nature.
Dans l'union conjugale, il y a toujours une joie et un plaisir qu'on a, donc cet acte n'est jamais désintéressé dans sa nature, récompense ou si on veut Dieu ne peut pas nous admettre
Je comprends mieux.
Personne ne vous enlèvera que donner sa vie par amour, à la suite du Christ, comme l'ont fait les moines de Thibirine en demeurant près de leurs frères en Algérie, ou en demandant de prendre la place d'un père de famille parmi les condamnés à mort comme l'a fait Saint Maximilien Kolbe, c'est le sommet de l'amour, le sommet du don de soi, le sommet de la charité chrétienne, le plus grand des actes de charité. Et que oui, le summum de l'amour, c'est le martyre, c'est le suprême renoncement à sa propre vie comme l'a fait le Christ pour nous. Vous nous rappelez que c'est le sommet, et c'est la vérité.
Concernant le couple. D'abord, comme le dit Cinci, il y a d'autres formes de martyres, d'immenses sacrifices dans le couple ou la vie de famille (comme dans "un homme d'exception") qui sont agréés par Dieu dans le secret des coeurs.
Mais notre sujet est la sexualité et l'amour et l'union qui rapproche de Dieu. Et bien tout d'abord, la Bible, Jésus lui-même, l'Eglise dans toute sa richesse et sa diversité à travers les âges nous dit que le martyre n'est pas la seule manière de glorifier Dieu, qu'il n'y a pas que la souffrance offerte qui rapproche de Dieu, que la joie, la paix, le plaisir, l'union sont des Dons de Dieu et donc des voies d'accès à Dieu lorsqu'ils sont accueillis. On a un peu l'impression à vous lire que seul le summum a le droit de cité, que seul l'extrême est digne de Dieu. Et que les autres voies, si elles ne sont pas teintées de souffrance et de difficiles renoncements, sont menu fretin. Ce faisant, vous passez à côté, me semble-t-il, d'un aspect considérable du don de Dieu qui nous donne sa joie et sa paix, en lui-même par la prière et aussi par l'union physique des corps des époux qui s'aiment. La charité de Dieu va jusque là et la charité de notre part, est de la redonner, la rendre en action de grâce. En fait, c'est un aspect considérable de l'incarnation, et la foi en un Dieu que l'on glorifie également par le bonheur, la joie, le don dans la joie.
Héraclius a écrit :[
L'acte sexuel sanctifiant existe, il est celui qui ne désire pas le plaisir sexuel pour lui-même mais souhaite connaître la communion de la chair - que je n'entends pas directement comme plaisir - et donner du plaisir à son partenaire tout en accueillant la béatitude de l'acte comme conséquence, en action de grâce.
Le plaisir devient péché lorsqu'il est érigé en finalité, mais il ne corrompt pas une finalité sainte elle-même lorsqu'il est simple conséquence. Je dirais même que l'accueil du plaisir sans désir avec action de grâce est juste.
Ce qui est sanctifiant ici c'est la relation et le don dans cette relation, dans cette prise en compte magistrale de l'altérité. Comme le dit Héraclius, ce n'est pas le plaisir que je cherche avant tout (ou l'autre n'est qu'objet) mais l'autre que je cherche à rencontrer et le plaisir arrive comme conséquence, plus exactement comme FRUIT, expression phare du Cantique. Le Cantique est un texte sur le désir comme tension forte vers l'autre, une tension parfois douloureuse et intolérable (le Bien-aimé échappe à la Bien-aimée à certains moments), parfois assouvie. Ce qui est sanctifiant, c'est l'accueil de la joie de la rencontre comme don de Dieu, dans l'abandon, la confiance, la liberté qui sont des dons de Dieu et qui ne vont pas de soi.
Les mystiques s'approprient cette tension pour dire les tourments de leur âme qui a soif de Dieu qui leur échappe et ils s'approprient les mots sur le plaisir pour dire les joies de leur âme comblée par Dieu. C'est le signe que le corps est Signe, lieu d'union entre les époux et que cette union est à la fois le fruit et la source d'une union plus forte avec Dieu (j'espère que je suis claire).
En effet, Madeleine Delbrel disait que le chrétien est celui qui est "chargé " de Dieu et qui rayonne de Dieu autour de lui. Et bien si une personne est ainsi "chargée" de Dieu (par sa vie de prière), elle va rencontrer les autres de manière différente des autres : sa poignée de main, son sourire, son regard vont porter l'empreinte de Dieu qui va être donnée à l'autre, lequel reçoit de la présence divine, sans que des mots religieux soient prononcés. Et bien dans l'union physique des époux, si les personnes sont "chargées" de Dieu, leur rencontre physique est nourrie de cette présence sacrée et cette rencontre elle-même cultive en eux la présence de Dieu, par la joie offerte. C'est la rencontre entre Eros et Agapé.
Je cite un passage pris sur le site "théologie du corps" sur le Cantique :
"
Le fait que l'Écriture Sainte célèbre l'eros ne devrait pas nous surprendre : en effet, dans la mesure où nous sommes libres de la vision manichéenne, nous reconnaissons qu'un tel thème "contient un signe primordial et essentiel de la sainteté": le "corps parle". Si la sainteté permet à l'homme de s'exprimer profondément, par son corps et plus précisément par le don de soi, alors c'est dans nos corps que nous prenons conscience de notre appel à la sainteté.
Le Cantique est le livre préféré de nombre de mystiques : la poésie érotique qu'il contient leur donne en effet un langage - certes imparfait, mais le moins imparfait qui soit - pour exprimer la passion brûlante de l'amour de Dieu.
Présentant la position de Dubarle, le Pape Jean-Paul II affirme qu'un amour humain fidèle et heureux révèle aux hommes les qualités de l'amour divin. D. Lys note que c'est un poème à la fois sexuel et sacré. Enlevez le sacré et le Cantique n'est qu'un banal poème érotique ; enlevez le sexuel et il n'est qu'une vague allégorie."
Je cite Alina Rheyes qui a écrit "
Charité de la chair : le sexe et le sacré" (écrivain passionnant qui a écrit sur sa conversion, je n'ai pas encore lu celui-ci mais je vais le faire).
"
La bonne alliance, c'est que la chair ne soit pas coupée de l'esprit, que l'esprit ne soit pas coupé de la chair. Que le désir de la chair et celui de l'esprit ne soient pas ennemis. Qu'ils ne s'annulent pas l'un l'autre, car il ne resterait plus ni l'un ni l'autre, et il n'y aurait plus de vie, ni charnelle ni spirituelle.
Nous avons le sentiment que l'amour charnel est bon quand il unit deux personnes qui s'aiment. Mais il faut aller plus loin encore et comprendre que l'acte sexuel accompli dans sa profonde vérité est en lui-même pure charité. Qui efface toute dette, passée ou à venir. Deux êtres qui se sont vraiment donnés l'un à l'autre par la chair se sont gagnés l'un à l'autre un pardon définitif.»
A découvrir aussi, Marie-Paul Ross, religieuse et sexologue (!), auteur de "
Je voudrais vous parler d'amour et de sexe".
Je suis émue de parler de ce sujet, tellement cela touche au coeur de notre être.
Bien à vous,
Axou