Réflexions sur le libéralisme

« Par moi les rois règnent, et les souverains décrètent la justice ! » (Pr 8.15)
Cinci
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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » dim. 22 déc. 2013, 23:08

Bonjour MB,

Ah ! C'est que je ne vous attendais plus. Les deux derniers posts ? ce sont simplement des ouvrages qui traitent aussi du libéralisme d'une façon ou d'une autre. Dans tous les cas, il s'agirait autant d'angles différents par lequel la liberté en politique pourrait être bafouée, même si ce ne l'est pas franchement via des techniques de brutes.

Dans le cas de Saint-Simon, c'est proprement stupéfiant de voir à quel point les idéaux du célèbre utopiste - qui est contemporain des deux grandes révolutions du XVIIIe siècle (il aurait même combattu à Yorktown à côté des insurgés américains, dit-on) et pu tâter de la paille des cachots au moment de la Terreur en France (à cause de ses origines nobles) - sont finalement celles de nos élites actuelles.

C'est intéressant de voir également que Saint-Simon n'était pas un démocrate, qu'il ne souhaitait en rien que le bon peuple gouvernât, des caractéristique qui ne faisait pas moins de lui un progressiste,tel un bienfaiteur du genre humain à ses yeux.

Par exemple, partant de ce que dit Isaiah Berlin sur Saint-Simon et dans la transcription d'une série de conférences radiophoniques livrées par lui à la BBC en 1952 :

«... il nous donne quatre critères du progrès, et ces critères sont fort intéressants.

Voici le premier : la société progressiste est celle qui offre le maximum de moyens pour satisfaire le maximum de besoins chez les êtres humains qui la composent. Est progressiste tout ce qui concourt à cet effet, tout ce qui satisfait à un maximum de besoins : voilà l'idée centrale de Saint-Simon tout au long de sa carrière. Les êtres humains ont certains besoins - qui ne sont pas nécéssairement des besoins de bonheur, de sagesse, de connaissance, de sacrifice ou de quoi que ce soit de ce genre - et ce qu'ils veulent c'est satisfaire ces besoins. Il faut laisser libre cours à ces besoins sans s'enquérir de leur origine, et tout ce qui leur donne un développement riche et complexe, tout ce qui participe à un maximum de croissance de la personnalité dans un maximum de directions que possible, tout cela est progrès, tout cela est progressiste.

Le deuxième critère est le suivant. Tout ce qui est progressiste offre aux meilleurs l'occasion d'occuper le premier rang. Les meilleurs, à ses yeux, ce sont les plus doués, les plus imaginatifs, les plus ingénieux, les plus profonds, les plus énergiques, les plus actifs, ceux qui aspirent à goûter toute la saveur de la vie.

Pour Saint-Simon, il existe un nombre limité de types humains : il y a ceux qui renforcent la vie et ceux qui lui sont hostiles, il y a ceux qui veulent agir et procurer des choses aux gens - qui veulent que quelque chose se passe, qui veulent satisfaire des besoins - et ceux qui préféreraient qu'on baisse d'un ton, qu'on calme les choses, qu'on les laisse se tasser, qui sont hostiles à toute cette agitation, qui voudraient dans l'ensemble que les choses redescendent, déclinent et, au bout du compte, se figent dans un état de complète nullité.

Le troisième critère du progrès, c'est l'existence de dispositions assurant le maximum d'unité et de force en cas de rébellion ou d'invasion; et le quatrième, c'est la mise en oeuvre de circonstances favorables à l'invention, aux découvertes, à la civilisation. Par exemple, le loisir est favorable à ces dernières, et c'est pourquoi l'esclavage apparut en son temps comme une institution progressiste - ou l'invention de l'écriture ou autre chose.

Ce sont là des critères concrets et, dit Saint-Simon, si vous jugez l'histoire selon ces critères, alors le tableau diffère profondément de celui que nous brossait, au XVIIIe siècle, le dogmatisme des Lumières. Les âges sombres cessent d'être sombres si vous pensez à ce que, par exemple, le pape Grégoire VII ou Saint Louis ont accompli en leur temps. Ces hommes, après tout, ont construit des routes et asséché des marais. Ils ont bâti des hôpitaux, ils ont appris à lire et à écrire à un grand nombre de gens. Surtout, ils ont préservé l'unité de l'Europe, ils ont contenu les envahisseurs orientaux, ils ont civilisé soixante millions de personnes; et ces soixante millions vivaient de manière uniforme, sous un régime à peu près identique, et elles ont pu se développer ensemble de façon harmonieuse. [...] l'histoire aux yeux de Saint-Simon alterne ce que ses disciples devaient appeler des périodes organiques et critiques. Les périodes organiques sont celles où l'humanité est unifiée, où elle se développe harmonieusement, où dans l'ensemble ceux qui sont à sa tête promeuvent le progrès, c'est à dire fournissent au plus grand nombre possible le maximum de chances de satisfaire le plus grand nombre possible de besoins, quels que soient ces derniers. Les pédiodes critiques sont celles où ces dispositions deviennent obsolètes, où les instituions elles-mêmes deviennent des obstacles au progrès [...] c'est ainsi que Saint-Simon perçoit sa propre époque, où l'on assiste aux prémices d'un âge industriel qui se trouve encore ridiculement et artificiellement confiné à l'intérieur de structures féodales obsolètes.

L'âge critique est un âge qui détruit plus qu'il ne construit. Aux yeux de Saint-Simon, il représente quelque chose d'inférieur, mais il n'en est pas moins inéluctable et nécéssaire.

Par exemple, dans son analyse du XVIIIe siècle et des causes de la Révolution française, il dit que celle-ci a été, dans le fond, l'oeuvre des juristes et des métaphysiciens, deux classes essentiellement destructrices. Que font les juristes ? les juristes emploient des concepts tels que ceux de droits absolus, de droits naturels, de liberté; or la liberté est toujours un concept négatif. L'invocation de la liberté signifie que quelqu'un essaie de vous enlevez quelque chose, et qu'alors vous essayez de trouver une raison de garder cette chose. Bref, une situation se présente dans laquelle l'humanité, ou une majorité de l'humanité, n'a pas assez pour vivre, et vous vous sentez prisonnier, vous vous sentez opprimé. Alors vous engagez des professionnels appelés juristes, ou des professionnels appelés métaphysiciens, pour faire ce que vous ne pouvez faire vous-même, c'est à dire pour extorquer à la classe dominante, d'une manière ou d'une autre, ce que vous êtes trop faible pour lui arracher vous-même.

Les juristes sont donc des gens occupés à inventer de bonnes et de mauvaises raisons pour contourner le vieil appareil gouvernemental en fin de course, la vieille tradition caduque qui étouffe des pans entiers de population; et les métaphysiciens sont des gens, particulièrement au XVIIIe siècle, qui accomplisent la tâche fort nécéssaire de saper les vieilles religions. Le christianisme, dit Saint-Simon, a été une grande chose en son temps, comme le judaïsme avant lui, mais il faut qu'il se développe, qu'il avance. S'il reste statique, il implosera, il sera renversé.

C'est pourquoi, de tous les réformateurs religieux, c'est Luther qui lui déplaît le plus. Luther a remplacé le catholicisme par une dévotion à la Bible, un livre unique. Nul doute que la Bible n'ait fort bien fait l'affaire pour une tribu juive semi-nomade vivant dans un petit pays de la Méditerrannée orientale; mais elle ne peut suivre le développement des nations. C'est de flexibilité que l'on a besoin, d'un changement perpétuel, d'un progrès perpétuel. L'Église romaine, quels que soient ses défauts, possède un élément de flexibilité. Nul doute qu'elle ne soit réactionnaire à certains égards, répressive et oppressante à d'autres, mais par ses infinies fictions juridiques, en affirmant que la source de l'autorité n'est pas un texte imprimé inaltérable, mais une institution humaine sujette au changement et composée, après tout, de générations humaines dont chacune diffère légèrement de la précédente, elle s'est rendue suffisamment souple pour servir de guide à l'humanité tout au long du Moyen Age, avec un immense succès. C'est précisément à cela que Luther a mis fin. Il a brisé l'unité de l'Europe. Il a enchaîné la religion à quelque chose d'immuable, il a affirmé des principes absolus, privés.

S'il y a quelque chose que Saint-Simon déteste, c'est bien la notion de principe absolu : rien n'est stable, rien n'est absolu, tout évolue, tout répond au mouvement du siècle, à l'évolution de l'humanité, aux nouvelles découvertes, aux esprits, aux âmes et aux coeurs nouveaux que cette évolution produit peu à peu. Par conséquent, il est dans l'ensemble procatholique et antiprotestant; mais sur la fin, il n'a plus rien d'un catholique orthodoxe. »

[...]

L'humanité ne peut se développer que par la concentration rationnelle de ses ressources, de sorte que chaque bien, chaque art, chaque technique, chaque don, chaque aspiration ne soient pas gaspillés, mais utilisés de la meilleur manière possible [...] Saint-Simon comme Hobbes au XVIIe siècle après la révolution anglaise, redoute par-dessus tout les massacres gratuits, la violence, les foules d'émeutiers qui envahissent les rues, les Jacobins enragés à la tête pleine de slogans vides, fournis par des juristes et des rhéteurs incapables de comprendre leur époque. D'où sa vénération pour les industriels, les banquiers, les hommes d'affaires, et sa conception de la société comme une énorme entreprise commerciale, à la manière d'ICI ou de General Motors. L'État à ses yeux, est déjà obsolète, bien qu'il ait été nécéssaire en son temps pour protéger les individus contre une Église puissante [...] l'État, qui avait permis aux êtres humains de se développer sur les plans économiques, social et spirituel en les libérant de l'hypothèque que constituait une Église sclérosée, a perdu son utilité et sa créativité ; il est à son tour devenu un poids mort, oppressant et superflu. C'est pourquoi (il le dit très fermement) le genre d'État qu'il nous faut n'est rien d'autre qu'une sorte d'entreprise industrielle dont nous serions tous membres, une sorte d'immense compagnie à responsabilité illimitée.»

Source : I. Berlin, La liberté et ses traîtres, pp.199-210

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » lun. 23 déc. 2013, 1:14

Dans le message initial à la première page du fil (cf contre-histoire du libéralisme), l'on faisait valoir comme l'existence d'un côté sombre au libéralisme, d'une certaine ambigüité pour nombre de ses penseurs.
  • « L'ouvrage est bien trop érudit en même temps que limpide pour pouvoir être aisément récusé. S'exercent alors à son encontre les tours usés de la polémique. On met en cause les prises de position de l'auteur sur de tout autres sujets, où il est parfaitement permis de ne pas le suivre. On l'accuse d'unilatéralisme, quand il ne manque aucune occasion de montrer la diversité d'aspect du libéralisme, la complexité de ses courants, souvent l'ambiguïté de ses penseurs. Pour finir, on lui fait le coup du «mais c'est bien connu !», quand l'idéologie dominante s'active sans cesse à faire vivre en sa grossière partialité la légende dorée du libéralisme.» (voir p. 1)

Alors, avec Saint-Simon, l'on se pincerait savoir si l'on ne rêve pas, tellement ses idéaux se révèlent en totale adéquation avec les idées généreuses des chantres de notre système mondialiste actuel. Partout, nous verrions le discours public associer le libéralisme avec la démocratie politique, les droits de l'homme, la liberté individuelle, le sacro-saint droit de vote, le suffrage universel, le droit d'expression des citoyens, etc.

Aussi, pour considérer les objectifs mis de l'avant par notre utopiste ayant connu lui-même l'époque des Lumières, trouvant ensuite ses objectifs tellement symétriques à ceux des politiciens et des industriels de notre époque : on serait tenté de penser que l'un l'autre partageront fatalement un même engouement pour ce même système intégral de pensée, la démocratie étant incluse dans la distribution. Seulement, le fait de savoir que notre comte du début du XIXe siècle ne militait pas du tout, avec ça, pour la démocratie, voilà aussi qui serait le genre de chose bien faite pour nous inquiéter un peu.

On pourrait croire, après tout, que notre élite actuelle de penseur serait bien plus saint-simonienne qu'on ne l'aurait cru, ce qui voudrait dire aussi bien moins démocrate qu'on aurait pu se figurer.

Quand on dit que beaucoup de gens ont le sentiment que ce n'est vraiment pas eux qui pilotent le destin du pays ou de la nation, pas eux qui peuvent dicter la marche du progrès, que ce ne sont pas leurs goûts qui sont mis de l'avant, jamais leurs préférences, leurs choix.



Sur Saint-Simon :

«... son discours sur les élites rend un son très moderne lorsqu'il dit qu'elles doivent pratiquer deux sortes de morale.

Ce qui était si merveilleux, par exemple, chez les prêtres égyptiens, qui formaient une élite très originale et très en avance, c'est qu'ils croyaient une chose et en donnaient une autre en pâture à la population. C'est cela qu'il nous faut, c'est exactement comme cela que les choses devraient se passer, parce qu'on ne saurait s'attendre à ce que les gens regardent la vérité en face; ils doivent au contraire être éduqués progressivement. Il nous faut par conséquent un corps restreint d'industriels, de banquiers, d'artistes qui sèvrent l'humanité petit à petit, qui conditionnent progressivement les hommes à prendre leur place dans l'ordre industriel.

Mais si on veut y parvenir, on ne peut s'encombrer d'un tas de croyances métaphysiques inintelligibles et périmées. C'est ainsi que Saint-Simon est le père de l'antidémocratie, parce qu'on ne pouvait rien mener à bien par la démocratie.

un plan de grande envergure ne peut être mené à bien que par des hommes intelligents qui comprennent le temps dans lequel ils vivent, qui concentrent le pouvoir dans leurs mains et qui agissent en experts, parce que seuls les experts peuvent arriver à quelque chose. Les experts sont les seuls qui aient jamais réussi à faire quoi que ce soit, et un gouvernement d'experts n'aurait jamais été renversé par la Révolution française, laquelle a débouché sur un bain de sang, sur le chaos, sur une terrible régression humaine.

De même la liberté est un slogan ridicule. La liberté est toujours désorganisatrice; la liberté est toujours une chose négative, dirigée contre une oppression extérieure. Mais dans un régime avancé, où tout n'est que progrès, il n'y a pas d'oppression, il n'y a pas besoin de résister à quoi que ce soit.»

Source : I. Berlin, pp.214-216



En tout cas, après lecture, j'aurais l'impression de mieux pouvoir appréhender le comportement politique de «nos» socialistes, mieux saisir cette complaisance qui se laisse voir chez eux vis-à-vis les milieux d'affaires, le néo-libéralisme et tout. On serait moins surpris de trouver un Michel Rocard trinquant au conseil du patronat, sachant par exemple qu'un idéal progressiste saint-simonien réserverait un trône pour les meilleurs de la classe des producteurs (lire : les gestionnaires en charge). On comprend mieux en réalisant que la lutte contre les «vilains capitalistes» pourrait faire partie d'un folklore seulement, celui pouvant s'associer à une morale parmi plusieurs, parlant bien ici de celle à livrer en pâture au public occasionnellement (au cours d'une campagne électorale, tiens). A côté du folklore, la «foi au progrès» qui nécéssite un autre agenda.

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » lun. 23 déc. 2013, 3:03

Quant à ce qui est de Bernays et l'exploitation de la propagande sur une base «technocratique» , je voulais illustrer un autre aspect de la menace, une autre façon par laquelle une élite ambitionne d'écarter le bon peuple du processus décisionnel.

Il y aurait bien une certaine complémentarité entre les aspirations de Saint-Simon et le dévouement d'un Bernays au service de clients importants, peu importe que ce soit le gouvernement, le Parti Démocrate, la compagnie de tabac, la General Electric, le ministère de la Défense ou bien la United Fruit Company et la CIA. Pour tous, le progrès représenterait une direction cardinale à emprunter, avec le consentement initial ou pas des masses; à défaut en s'arrangeant pour fabriquer celui-ci.

C'est encore et toujours l'idée que les experts savent mieux que la masse quelle direction le pays devra emprunter. Il s'agit toujours de vouloir contrôler les gens. La propagande introduit l'idée de jouer avec la psychisme de la foule, jouer avec ses perceptions dans le but de la mettre au service des intérêts d'un petit nombre. C'est plutôt antidémocratique comme entreprise. Il n'est jamais question d'honnêteté là-dedans, de franchise, de donner l'heure juste aux citoyens, d'aider la majorité à découvrir réellement ce qui serait à son plus grand avantage, en faisant ressortir les vrais données du problème, les éléments signifiants.

Bernays en arrivait à conclure à l'inévitabilité de la propagande (partout; de plus en plus), mais à raison justement de la forme «démocratique» du système. Il y a de quoi réfléchir avec ça. Comme s'il fallait que le gouvernement mente d'autant plus et d'autant mieux qu'il peut s'en trouver davantage à pouvoir voter. Il est quand même piquant d'apprendre que la propagande contemporaine (techno-savante) est né dans le système libéral américain finalement. Je ne trouve pas que la chose soit banale.

MB
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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par MB » mer. 25 déc. 2013, 19:14

Cinci a écrit :Quant à ce qui est de Bernays et l'exploitation de la propagande sur une base «technocratique» , je voulais illustrer un autre aspect de la menace, une autre façon par laquelle une élite ambitionne d'écarter le bon peuple du processus décisionnel.

Il y aurait bien une certaine complémentarité entre les aspirations de Saint-Simon et le dévouement d'un Bernays au service de clients importants, peu importe que ce soit le gouvernement, le Parti Démocrate, la compagnie de tabac, la General Electric, le ministère de la Défense ou bien la United Fruit Company et la CIA. Pour tous, le progrès représenterait une direction cardinale à emprunter, avec le consentement initial ou pas des masses; à défaut en s'arrangeant pour fabriquer celui-ci.

C'est encore et toujours l'idée que les experts savent mieux que la masse quelle direction le pays devra emprunter. Il s'agit toujours de vouloir contrôler les gens. La propagande introduit l'idée de jouer avec la psychisme de la foule, jouer avec ses perceptions dans le but de la mettre au service des intérêts d'un petit nombre. C'est plutôt antidémocratique comme entreprise. Il n'est jamais question d'honnêteté là-dedans, de franchise, de donner l'heure juste aux citoyens, d'aider la majorité à découvrir réellement ce qui serait à son plus grand avantage, en faisant ressortir les vrais données du problème, les éléments signifiants.

Bernays en arrivait à conclure à l'inévitabilité de la propagande (partout; de plus en plus), mais à raison justement de la forme «démocratique» du système. Il y a de quoi réfléchir avec ça. Comme s'il fallait que le gouvernement mente d'autant plus et d'autant mieux qu'il peut s'en trouver davantage à pouvoir voter. Il est quand même piquant d'apprendre que la propagande contemporaine (techno-savante) est né dans le système libéral américain finalement. Je ne trouve pas que la chose soit banale.
Avé et joyeux Noël !

C'est précisément sur tous ces points que nous achoppons. J'essaie de tout grouper en quelques paragraphes.

1° Nous sommes entièrement d'accord sur Saint-Simon et sur ses prolongements actuels - en fait, je n'y avais pas pensé, et c'est assez clair... Mais encore une fois, je ne vois pas en quoi il est libéral. Faire diriger la masse par une élite, je regrette, mais ce n'est pas libéral, c'est autre chose - à vous, ou à d'autres, de trouver le terme. Depuis que l'Etat s'est mis en tête d'intervenir dans l'économie, les lobbies se sont précipités dessus pour en profiter... Mais c'est le paradoxe de l'interventionnisme...

2° Les Etats-Unis sont un pays complexe, comme vous le savez. L'équation USA = libéralisme est fausse. Certes, les principes libéraux y sont mieux appliqués que chez nous, dans certains domaines, mais des pans entiers de la vie y échappent. Le lobbying y est très fort, le big business aussi, qui est un lobby parmi d'autres. L'administration peut y être tentaculaire (les affaires récentes de la NSA ne sont qu'un exemple). D'ailleurs, si vous vous renseignez sur les libertariens américains (qui sont à la pointe du libéralisme), vous verrez que leurs revendications sont très proches des vôtres - ils sont très hostiles au big business, à l'Etat fédéral, aux firmes de Wall Street, etc.

3° Les procédés de propagande de masse ne sont pas réservés aux pays libéraux. Dans les années 1840, Custine s'étonnait que le tsar de Russie fût capable de manipuler l'histoire de son pays à sa volonté et en fonction des besoins politiques du moment, comme plus tard sous le communisme. Disons que les moyens modernes de persuasion sont nés dans le monde contemporain, c'est tout.

4° Il y a une tendance, chez beaucoup de gens ici et en particulier sur ce forum, de regrouper tout ce qui est détestable dans la catégorie "libéralisme". Si je pisse contre un lampadaire, si je gueule contre mon voisin, c'est libéral, en gros... Je crois qu'il faudrait arrêter !

Bien à vous
MB

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Menthe » mer. 25 déc. 2013, 22:11

Je m'incruste.
Mon copain m'a offert Pulp libéralisme à Noël, à ma demande. Je n'y connais rien et il y a plein d'auteurs dont le nom m'est inconnu. :-D

Image

Pour l’instant il est agréable à lire (il faut aimer le ton).

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » mer. 25 déc. 2013, 23:31

... je vous en prie. C'est juste marrant (la couverture du Comic Book).


Joyeux Noël !
(MB, je reviendrai avec votre message un autre jour. Merci)

__

Minuit chrétien _ Enrico Caruso (1916)
http://www.nme.com/nme-video/youtube/id/hv5t7pOs4vc

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » jeu. 02 janv. 2014, 18:06

Bonjour MB,
Mais encore une fois, je ne vois pas en quoi il est libéral. Faire diriger la masse par une élite, je regrette, mais ce n'est pas libéral, c'est autre chose
Je ne suggére pas non plus que Saint-Simon devait être un libéral à proprement parler. Je disais qu'il était plutôt inclassable quant à lui. Mais ses idées progressistes sont intéressantes de par leur proximité avec celles qui sont tellement prédominantes dans notre société actuelle (emphase sur la technologie, la démultiplication des besoins à satisfaire, la grande production, valorisation d'un mode civilisationnel unique, etc) et qu'alors nous associons au libéralisme.

Par ailleurs, il me semble bien (désolé de vous contredire ici, MB) que le libéralisme peut justement opérer dans une société oligarchique, quand une classe de bourgeois ou d'industriels monopolise le pouvoir réel à toute fin pratique, trouvant là une situation excellente dans le fait que c'est bien la masse qui est gouvernée par une élite éclairée. Voltaire pensait de la sorte, nombre des pères fondateurs des États-Unis d'Amérique, le ami de la Gironde au temps de l'Assemblée constituante, etc. Il semblait normal aux politiciens libéraux de style XVIIIe/XIXe siècle que la canaille, les sans-le-sou, le petit peuple n'en puissent avoir son mot à dire sur la conduite des affaires dans le pays. C'est comme le paradoxe que je souhaite faire ressortir : le libéralisme peut frayer (très bien à part ça) avec le déni de démocratie, avec une démocratie restreinte si vous préférez. Le libéralisme opère très bien dans une société qui compte des esclaves, ou qui n'autoriserait pas le suffrage universel, ou qui ne reconnaitrait pas l'égalité des droits pour les femmes, etc.

Les grands libéraux pourraient trouver tout à fait fait juste, normal, moral et naturel qu'il soit une grande inégalité des fortunes, que les «meilleurs» soient récompensés, que ce soit les meilleurs qui dirigent et tout. Rappel : c'est le Chili dictatorial de Pinochet qui voulait libéraliser économiquement la société tout entière, et ce, dans le cadre de l'anticommunisme féroce qui régnait comme doctrine en Amérique du Sud, au temps de la Guerre froide.

Ce que je veux dire : l'on nous présente toujours le libéralisme comme si ce devait être le synonyme pour dire régime démocratique universel, comme si l'un ne pourrait pas être sans l'autre. Alors je fais remarquer que ce n'est pas si automatique. Et c'est le lien avec la réflexion qui était présente dans l'article en tête du fil. La démocratie n'apparaît pas spontanément comme un beau fruit mûr, du simple fait que l'on aurait dû avoir céder à tous les désideratas de penseurs libéraux.

:)

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Cinci » jeu. 02 janv. 2014, 18:44

L'équation USA = libéralisme est fausse.
Là-dessus, vous avez raison. C'est James k. Galbraith (le fils de John K.) qui le faisait remarquer, d'ailleurs, dans au moins un de ses livres (L'État prédateur, etc.) De mémoire, je souviens qu'il signalait combien les politiciens américains pouvaient employer un langage de capitaliste de la belle époque (n'étant ici que du folklore en réalité, du folklore au même titre que le chapeau de cow-boy porté par JR Ewing le serait). Dans la réalité d'aujourd'hui, l'État serait devenu comme indispensable au bon fonctionnement des grands groupes industriels, financiers, etc au point que lui-même évoquait un véritable Welfare State (État providence) pour les compagnies. L'État et le privé se confond, le haut fonctionnaire peut tour à tour être sur le conseil d'administration de la compagnie et ensuite dans le ministère.

Alors votre remarque, en plus d'être vrai, se trouve intéressante pour moi à double titre, mais en ce qu'elle vous en rapprocherait aussi (enfin, je l'imagine) de ce qui retenait mon attention avec Saint-Simon (ensuite «nos» technocrates, enarques et tout), avec la démocratie restreinte voire presque pas de démocratie du tout. On peut imaginer là comme un système saint-simonien qui est totalement dirigé d'en haut, officiellement au bénéfice du bon peuple, afn de satisfaire les multiples besoins de ce dernier, comme ses milliers de désirs les plus contradictoires, jusqu'à pouvoir changer de sexe à la limite, encourageant la science à plein et la gadgétisation du monde.

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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par Guillaume C. » mer. 06 sept. 2017, 8:37

Aux armes de l’Esprit, citoyens des cieux!

Rapport de synthèse
des Université d’été de la Sainte-Baume – 23/26 août 2017
par fr. Joseph-Thomas PINI op (Marseille – Rome)



Comme toujours, l’exercice du rapport de synthèse est délicat, et s’avère particulièrement ardu lorsque, comme en l’occurrence, le sujet choisi était vaste et ample et les contributions ont été variées, denses et de belle tenue. Elle l’est aussi pour le rapporteur, appartenant à l’une de ces microsociétés holistes subsistant dans le monde post-moderne et abhorrées, dans laquelle il est venu chercher avec d’autres et a trouvé une profonde libération.

* Y aurait-il là une tension emblématique de la question générale qui nous a retenus cette année, fort opportunément et judicieusement et pour laquelle il faut remercier les organisateurs de l’Université d’été ? Plutôt que dans une « impasse Adam Smith », pour reprendre une expression de Jean-Claude Michéa, cité lors de nos travaux, nous avons peut-être trouvé, ces derniers jours, l’impression d’être arrivés au « cap des apories » et, en toute hypothèse, au bout d’un chemin quadri-séculaire du libéralisme. Et cette impression peut s’exprimer en sentiment de déception. Non, certes, celle qui tiendrait à nos travaux eux-mêmes, durant lesquels contributions et participations ont affronté et saisi avec talent un sujet exceptionnellement vaste et profond, et méritent chacune notre reconnaissance pour les éclairages apportés et réflexions exposés, tous stimulants et nourrissants ; et d’éventuels regrets sur des points non abordés ou insuffisamment, des auteurs non cités, des passages rapides, doivent tenir compte de la difficulté de l’exercice dans le cadre nécessairement contraint de notre manifestation, et auront trouvé assurément de très larges et légitimes satisfactions dans tout ce qui aura été évoqué et présenté, et même suggéré.

* Mais, toute justice rendue, s’impose la lucidité qui est l’une des règles cardinales de notre travail : c’est d’une déception plus générale et profonde, vis-à-vis du libéralisme lui-même, qu’il peut s’agir, de la part de ceux qui ont à cœur, chacun à son poste et à l’œuvre dans ce monde, d’y faire rayonner l’Evangile de Jésus Christ pour que Son Règne Se manifeste et prévale effectivement et globalement. Les motifs en sont divers et les raisons lourdes :

– le christianisme, par construction promoteur de la libération de l’homme et défenseur des conditions indispensables, selon son anthropologie, à l’accomplissement de sa perfection, ne pouvait dédaigner une doctrine générale mettant au premier rang la liberté et le développement humains, mais a vu peu à peu que les mécanismes régulateurs des rapports interindividuels et de la vie commune dans le cadre historique politique, économique et social que le libéralisme a façonné ne préservaient pas l’homme de l’aliénation et de nombre de servitudes jusqu’aux plus graves et qui touchent à l’identité et à l’intimité de l’être humain. L’homme supposé devenu enfin maître de lui-même s’est révélé et confirmé être le plus féroce despote de lui-même, et son esclave le plus cruellement traité ;

– percevant les présupposés et prérequis anthropologiques et moraux élevés et exigeants de l’univers libéral, il a pensé percevoir, dans le mouvement d’autonomisation, d’ouverture et d’égalisation caractérisant le libéralisme, un élan porteur de sa propre exigence de vie vertueuse objectivement fondée et orientée vers le bonheur éternel, mais il doit constater que l’aboutissement historique au moins, et qu’on le considère ou non comme inscrit dans la logique même du libéralisme, passant par l’utilitarisme et la sécularisation, finit dans le présentisme, l’exacerbation des désirs, l’hégémonie d’un modèle de croissance matérielle supposément illimitée. La liberté humaine, ses combats et ses armes lui apparaissent comme assignés à la défense de l’hédonisme consumériste, du matérialisme, du relativisme absolutisé confinant à l’anomie réelle masquée sous un droit et des institutions bouffis et grippés devenus décor de carton-pâte et théâtre d’ombres ;

– la place accordée à la personne humaine et à son accomplissement, l’importance de relations justes et pacifiques entre les hommes promues par le libéralisme ont pu lui sembler, peu à peu, servir globalement, dans l’ordre temporel, sa propre mission en laissant de surcroît l’espace spirituel indispensable à l’homme et nécessaire à sa propre action terrestre, ainsi que son idéal de concorde humaine fondée sur la paix intérieure. Mais elle a vu les dangers et les méfaits de l’hégémonie du paradigme marchand axiologiquement neutralisé, et la perversion de la liberté absolutisée comme fin, et en réalité utilisée comme moyen et prétexte à des atteintes gravissimes à la dignité intégrale de tout être humain et à la déconstruction de tout lien organique naturellement légitime entre les hommes ;

– surmontant l’hostilité native de la doctrine libérale au catholicisme, cette partie du christianisme, tout en maintenant son regard critique et des réserves et mises en garde spécifiques à l’égard du libéralisme, a pensé y voir un terrain de contact et d’accommodement avec la modernité et une voie possible d’action politique et sociale dans le cadre nouveau né des XVIIIè et XIXè siècles. Mais, sans minorer quelques contributions significatives, lui reste l’impression d’avoir été, peut-être, plus un faire-valoir qu’un acteur d’importance ; enrôlement inévitable et sincère dans la croisade contre les totalitarismes, au point d’être pris dans des illusions, de pâtir de quelques points aveugles aussi (sur les véritables détresses sociales, morales et spirituelles) : la Bête n’est pas terrassée avec la fin des totalitarismes institutionnels, la (re)christianisation qui devait être le fruit d’un certain investissement et de divers compromis avec le monde ne semble pas avoir eu lieu. Ici, la déception peut se muer même en désarroi :

– car les échecs de l’action politique chrétienne en Occident ont été lourds, y compris récemment ;

– car, pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Karl Popper, la « société ouverte », supposée par construction accueillante aux points de vue et options divers, traite désormais majoritairement le christianisme, et spécialement le catholicisme comme l’un de ses « ennemis », et semble redonner, de manière révélatrice de sa véritable nature, actualité au « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » révolutionnaire et de sinistre mémoire ;

– car l’Eglise et les fidèles du Christ engagés dans l’action au service de la Cité se voient contester par la dite société le droit même de porter leur message : quant au principe même d’une parole dans l’ordre politique et social ; quant aux fondements mêmes et aux présupposés de ce message : l’existence d’une vérité objective, les conditions non négociables de la grandeur et de l’accomplissement de l’homme selon sa nature ; la définition du bonheur et de la perfection de l’homme.

* Les raisons sérieuses de déception et d’inquiétude ne semblent donc pas manquer. Là encore, selon notre parti-pris, elles ne sauraient être motifs de démission, mais au contraire et avant tout, de réflexion. Tout d’abord, de quoi y a-t-il, en réalité, lieu d’être éventuellement déçu, au risque de ne pas éviter l’écueil de la naïveté qui, pour beaucoup, et non sans raisons, caractérise aujourd’hui l’attitude chrétienne en Occident ? De fait, les mises en garde du Magistère sur le libéralisme depuis le XIXè siècle, par-delà leur forme datée, conservent leur pertinence, et l’Ecriture elle-même avertit sur les risques et les faux-semblants de la liberté humaine. Sous des formes parfois nouvelles et désormais exacerbées, nous ne voyons se déployer autre chose, semble-t-il, que des excès déjà pointés depuis plusieurs décennies. Ensuite, déçu par qui ? La question peut apparaître incongrue, mais elle ne fait que souligner la grande difficulté, imparfaitement résolue par nos travaux, à définir le libéralisme lui-même, dont il serait question de se libérer. Nous avons rappelé sa périodisation, caractérisé ses domaines et ses mutations, mais rendu partiellement compte de sa grande diversité, sur des points non mineurs même ; restent des principes communes originaires, une expérience historique, un cadre de civilisation aussi dans lequel s’est développé et répandu l’Occident moderne. Ces transformations et cette diversité des approches et sensibilités sont le fruit de l’histoire et de l’ouverture même du libéralisme, reflétant sa nature. Elles rendent la compréhension et le bilan plus complexe, au-delà des désordres objectifs, à partir du moment où elles sont aussi contradictions internes majeures : parce que ces dernières se traduisent elles aussi dans une expérience historique à la fois empiriquement constatée et réductrice (d’un certain point de vue libéral, le monde n’a, à ce jour, pratiquement pas connu le libéralisme authentique !) ; parce que leurs facteurs posent la question de savoir si les dérives et apories constatées relèvent du développement du libéralisme ou de son reniement : tant il est vrai notamment que, dans sa version originaire, il suppose le primat de la raison et que les passions l’ont emporté dans son ordre (par démission de la raison elle-même sous couvert de son empire moderne). Nous a sans conteste manqué aussi le temps pour clore valablement la phase d’instruction du procès du libéralisme avant de prononcer le jugement : tout n’a pu être abordé ni approfondi et, même si son absence n’est pas imputable aux organisateurs, un point de vue libéral « moyen » a fait défaut et empêché le contradictoire.

Enfin, c’est le christianisme lui-même, plus exactement le point de vue chrétien supposé éclairer notre examen, qu’il ne faut pas manquer d’examiner. Car la mise en regard du libéralisme et du christianisme renvoie aussi ce dernier à ses propres interrogations, évolutions et errements. D’une part les bouleversements philosophiques et, par suite, théologiques qui ont marqué son histoire moderne, non seulement soulignent des origines communes avec les doctrines libérales, mais interrogent dans le même temps, dans ses acquiescements comme dans ses réactions critiques, le point de vue chrétien finalement divers et composite, dans lequel se révèle aujourd’hui, de manière patente, la limite et les méfaits d’un « christianisme libéral ». D’autre part et par distinction, elle met en lumière ce en quoi a pu et peut consister la recherche, vaine ou non, satisfaisante ou pas, d’un libéralisme chrétien.

* Car voilà l’enjeu qui demeure : de sa déception, le chrétien ne fait pas (seulement) un poème, ne peut ni doit faire un prétexte à la démission ou l’étendard de la rancœur. Il lui incombe d’agir, et de le faire aussi à la manière de Dieu Lui-même lorsqu’Il explique, par le prophète Osée, comme Il ramène la femme perdue au désert pour lui parler au cœur (Os 2, 16). Que faire alors ? Dénoncer sans doute errances et excès, mais agir sans ruiner le meilleur de l’apport historique du libéralisme en ce qu’il sert la cause de l’homme, et le faire dans une posture de réalisme pratique, humble autant que lucide. Quelques pistes simples d’action peuvent être esquissées :

– rappeler l’essence de la liberté humaine : qu’elle est dans la nature humaine car l’homme a été créé à l’image de Dieu, mais que le retour à la ressemblance de Dieu dans Son Fils donne un modèle et un pôle d’éminence dans le Christ Lui-même ; que cette liberté a une fin : qu’elle est liberté d’excellence et non d’indifférence précisément parce que sa fin est excellente ; que cette liberté a un cadre et un guide : qu’elle n’est pas laissée sans repères ni direction ; qu’elle se déploie dans son environnement : interpersonnel ; social, culturel et historique

– rappeler le sens de la promotion et du combat de la liberté : ce combat n’est pas celui des droits, mais d’abord et finalement uniquement, celui de l’absence de contraintes sur les conditions fondamentales d’accomplissement par l’homme de sa perfection. Ce combat n’est pas non celui de ma liberté : en mode chrétien, il est celui de la liberté de mon frère, et spécialement du plus petit parmi mes frères.

Forts de l’espérance en Celui qui donne l’essence et le sens de cette liberté, nous avons alors autant de raisons d’entreprendre. Aux armes de l’Esprit, citoyens des cieux ! Le Christ, notre Chef et notre Maître, est venu libérer la liberté de l’homme. Il est très possible que nous ayons, nous, à libérer le libéralisme.


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Re: Réflexions sur le libéralisme

Message non lu par DeusPrimus » mer. 24 janv. 2018, 23:33

Bon Jour à tous,

(désolé si je remonte un peu en arrière dans le sujet)

Vous pointez les défauts du libéralisme, je suis d'accord et ne reviendrai pas dessus. Il me semble qu'une société juste et saine (différent de viable) ne peut être socialement possible que dans le Christ car le catholicisme de tous les individus implique qu'ils Le suivent (ni violence ni péché ni injustice etc.). C'est également le cas chrétiennement car sans le Christ, nous ne pouvons avoir les grâces qu'il accorde (soit respecter ses commandements : aimer son prochain comme soi-même).

C'est justement le cas du Moyen-Âge (diabolisé par la république libérale : vos cours à l'école ne vous servent donc plus à rien... :p ) qui se trouve être LA période où la Bible fut la principale référence morale, sociale etc. de la société (au moins en Europe). Est-il besoin de rappeler que l'esclavage en Europe (hérité de l'Empire romain) fut aboli par l’Église dès les premiers siècles d'évangélisation et que la traite négrière est apparue au moment où l’Église commence à être remise en question (Renaissance). le servage est extrêmement différent de l'esclavage et se développe à l'initiative des serfs eux-même et contre la volonté de l’Église (des rois aussi d'ailleurs).

C'est la grande période de développement social (égalité homme-femme, esclavage) scientifique et technique (cathédrales, lunettes...)et économique (non pas basé sur la richesse mais sur la satisfaction des besoins de tous. ex : les corporations).

Il y aurait bien d'autres choses à dire, je vous conseille seulement le livre de l'excellente historienne Régine Pernoud Pour en finir avec le Moyen-Âge (si vous le trouvez sur Internet, vous voudriez bien me donner l'adresse s.v.p., je n'ai pu en lire que des extraits)

A défaut de pouvoir vous le rendre accessible, voici le lien pour un site d'historiennes s'inspirant d'elle. Les opinions politiques sont en effet bien tranchées mais n'influent en rien sur la recherche historique. : http://re-histoire-pourtous.com/

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« Le libéralisme est une erreur anthropologique »

Message non lu par Guillaume C. » mar. 01 mai 2018, 14:48

« Le libéralisme est une erreur anthropologique »
Par Eugénie Bastié
Publié le 27/04/2018 à 12:41


FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - Dans « La politique de la vertu », le théologien et philosophe britannique John Milbank, théoricien du « blue socialism » propose une alternative au libéralisme dans le retour d'une éthique des vertus et une économie sociale de marché fondée sur la coopération.
John Milbank est un théologien chrétien anglican, professeur de religion, politique et éthique à l'université de Nottingham. Il a publié La politique de la vertu avec Adrian Pabst (Desclée de Brouwer, 537p, 24€).

FIGAROVOX.- Dans votre livre «La politique de la vertu», vous critiquez abondement le «libéralisme» qui est selon vous dans une «métacrise». Qu'entendez-vous par là?
John MILBANK.- Le libéralisme peut vouloir dire beaucoup de choses. C'est avant tout une erreur anthropologique: l'intuition d'Hobbes et de Locke de construire une théorie politique en partant des individus isolés, détachés de tous liens. L'individu est décrit comme une créature inquiète et désirante faisant preuve de volonté, et non plus comme un être constitué par ses liens aux autres ayant des finalités. Ce libéralisme pense de façon abstraite l'individu en dehors de tout contexte culturel, social ou historique. Il s'agit de déterminer ce qu'un système politique doit nécessairement être, en le déduisant d'un hypothétique état de nature, sans traits culturels. Alors que le libéralisme est souvent associé à l'optimisme, il fait preuve en réalité d'un pessimisme anthropologique radical, même s'il est censé être socialement amélioré par le miracle de la main invisible. Une autre forme d'anthropologie libérale est celle de Rousseau, qui pense lui aussi l'individu isolé de tout comme originellement bon. L'association a tendance à corrompre l'individu, en introduisant la rivalité, l'avidité. Cela implique un différent type d'ingénierie sociale pour produire une société qui minimise la rivalité. Ce sont deux formes de pessimisme: pessimisme au niveau de l'individu jugé intrinsèquement égoïste, ou pessimisme au niveau d'un processus culturel jugé intrinsèquement corrupteur. Dans les deux cas, cela repose sur une dualité instaurée entre nature et culture.

Dans quelle anthropologie la «politique de la vertu» s'enracine-t-elle?
Nous à l'inverse qui nous situons dans l'anthropologie aristotélico-thomiste, nous pensons que les hommes sont des animaux naturellement culturels. Les buts de la société humaine: avoir des bonnes relations, participer au processus politique, mettre en œuvre des amitiés, atteindre la connaissance, s'ils sont naturels, doivent être soumis à un soubassement métaphysique. Sans transcendance, je crains que le postlibéralisme ne prenne soit la voie d'un fascisme sanctifiant l'état nation soit la voie d'une sorte de progressisme qui ne reconnaît des droits individuels ou bien ne reconnaît que l'écologie comme projet collectif, qualifiant toutes les autres médiations culturelles comme des formules arbitraires. Les principaux rivaux du libéralisme: le socialisme de guilde non-étatiste (proudhonien), le personnalisme catholique ou le conservatisme tocquevillien ont été mis hors-jeu.

Vous êtes l'un des théoriciens de la «Radical Ortodoxy». Quel est ce mouvement?
C'est d'abord un mouvement théologique. Il s'agit d'insister sur le fait que l'orthodoxie chrétienne ne consiste pas seulement en une série d'observations rituelles traditionnelles, mais possède un pouvoir de transformation radical. Cela implique d'insister sur une vue intégrale de la nature et de la grâce, de la raison et de la foi, de la théologie et de la philosophie. Il est impossible de séparer la foi chrétienne de la manière dont nous pensons l'éthique, les sciences sociales. Je ne pense pas qu'il y ait une frontière entre théologie et philosophie.
Par ailleurs, il s'agit de s'ériger contre l'idée selon laquelle le christianisme serait un humanisme comme les autres. Le christianisme est un modèle alternatif à la modernité telle qu'elle est issue des Lumières. L'idée post-kantienne selon laquelle on pourrait stabiliser le savoir dans des structures de la connaissance sans les ancrer dans une métaphysique a fait long feu. Foucault et Deleuze ont été utiles lorsqu'ils ont souligné le profond relativisme auquel devait nécessairement aboutir un humanisme sans transcendance: tout en réalité est instable et le savoir est incertain. En poussant jusqu'au bout les prémisses d'un humanisme sans dieu, ils ont paradoxalement montré que la seule stabilité possible était la transcendance.

Pour lire la suite:

http://www.lefigaro.fr/vox/culture/2018 ... ct_premium
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