Voici le texte de l'abbé Guillaume de Tanoüarn où il éclaircit ce passage de St Paul. Effectivement cela n'a rien à avoir avec le voile islamique.
http://ab2t.blogspot.fr/2010/05/polemiq ... lique.html
l'abbé Guillaume de Tanoüarn a écrit :On parle beaucoup du voile islamique, y compris sur ce blog. Mais on oublie le voile... catholique, celui dont parle saint Paul au début du chapître 11 de la Première aux Corinthiens.
Les dix versets qui concernent cette question et qui enjoignent aux femmes de se couvrir la tête lorsqu'elles participent à des prières publiques sont difficiles à comprendre, ou même "incompréhensibles" s'il faut en croire certains exégètes... Essayons d'éclaircir un peu cette difficulté. Autant le commentaire du Père Spicq dans Pirot Clamer me semble pour cette fois insuffisant. Autant le vieux commentaire du Père Allo me semble pertinent. J'y ajouterai bien sûr quelques considérations - toujours ad rem - de Cajétan. Je n'ai malheureusement pas le temps de mettre la main sur un commentaire plus récent. L'article de Rosine Lambin sur Internet (1995) me semble de nature à embrouiller la question plus qu'à l'éclairer. il contient une bibliographie intéressante.
S'agit-il de voiler les chrétiennes dans ce texte de Paul ? Non. Comme le soulignait déjà Cajétan,"Paul livre un nouveau texte de référence au sujet du voile sur la tête, parce que chez les Corinthiens les femmes (comme les hommes) apparaissaient dans la lecture publique et la lecture, la tête non voilée pour des actions de vénération. Le fait de prier en public, de lire en public ou d'enseigner en public n'avait pas encore été enlevé au sexe féminin, comme en témoignent les récits des femmes de ce temps là [acta martyrum ?]. Telle semble être d'après la lettre du texte, la raison pour laquelle Paul prend sur lui cette charge d'expliquer aux Corinthiens la distinction à faire entre l'homme et la femme priant en public ou prophétisant, à propos du fait de se voiler la tête". L'interprétation est très claire. Il ne s'agit pas de voiler les femmes en toutes circonstances, ni même à l'église, mais seulement lorsqu'elles remplissent une fonction publique de prière.
Pourquoi les femmes doivent-elles se voiler la tête lorsqu'elles conduisent la prière ? Saint Paul est gêné pour répondre à cette question parce qu'il a lui-même expliqué aux Corinthiens que dans le Christ, "il n'y a plus ni homme ni femme" [comme il l'écrit dans l'Epître aux Galates 3, 28] et que, par conséquent, il existe une égalité fondamentale entre l'homme et la femme. Tout se passe comme si Paul ici tente de mettre de l'eau dans son vin sur un point précis, relevant de l'ordre des cérémonies religieuses.
Il me semble que c'est à cet enseignement qui lui est propre dans la primitive Eglise qu'il se réfère lorsqu'il commence en disant : "Je vous loue d'ailleurs de ce qu'en toutes choses vous gardez mon souvenir et vous tenez à mes [le possessif est dans la Vulg.] traditions à la manière dont je vous les ai transmises". Il loue les Corinthiens de pratiquer entre eux cette égale dignité des sexes qu'il leur a enseignée. Mais il craint les débordements que sa prédications de la liberté chrétienne peut produire chez des esprit binaires, et il leur rappelle aussi la tradition de l'Eglise universelle ou plutôt de l'ensemble des Eglises (ai ekklesiai tou theou au verset 16) que les chrétiens "n'ont pas coutume de mettre en discussion". C'est cette tradition à propos du voile des femmes dirigeant la prière publique dans une Eglise qu'il entend rappeler et, en quelque sorte, ajouter, pour que l'ordre règne, à sa propre tradition de liberté.
Pour expliquer cet ajout, il tente de mobiliser les principes les plus fondamentaux, d'une part en remontant à sa doctrine du Christ tête (qu'il développe au chapitre 12) et d'autre part en montrant que le voile, chez les Grecs signe de bourgeoisie ou de noblesse et caractéristique des citadines, est "une gloire" pour la femme, comme l'est sa chevelure.
1- La doctrine du Christ tête
Pour saint Paul, on le verra aussi au chapître 5 de l'Epître aux Ephésiens, l'idéal chrétiens du service est universel : "Soyez soumis les uns aux autres. Femmes soyez soumises à vos maris... Maris aimez vos femme, comme le Christ a aimé l'Eglise et s'est livré pour elle à la mort". On ne peut pas dire que la femme soit plus "au service" que l'homme. Et le Christ lui-même qui est la tête est aussi le serviteur de tous. La pensée de saint Paul dans les premiers versets du chapitre 11 de la Ière aux Corinthiens me semble être également celle du service universel. Si la femme sert l'homme, l'homme sert le Christ et le Christ sert Dieu. Différence entre l'homme et la femme ? La femme sert le Christ en servant son mari. L'homme sert sa femme en servant le Christ. Mais tous partagent le même idéal du service. Cela dit, lorsque la femme sert le Christ, elle doit se couvrir la tête pour ne pas être au service de l'homme auquel elle plaît plutôt qu'au service du Christ auquel elle veut plaire."La femme est la gloire de l'homme", elle doit cacher cette gloire pour s'approcher du Christ. L'homme n'est pas de la même façon la gloire de la femme, il peut donc être la gloire du Christ tête découverte. Les Juifs portaient ils le talith déjà à cette époque ? Ce n'est pas impossible. La coutume juive était donc que les hommes prient la tête couverte. La coutume chrétienne est à l'inverse parce que, hommes et femmes, nous sommes destinés à voir Dieu "visage à visage" (I Cor. 13).
C'est ce que l'on découvre dans un autre passage, tiré de la Deuxième Lettre aux Corinthiens. Saint Paul, sans faire de différence entre l'homme et la femme parce qu'il ne s'agit pas d'acte du culte public mais de la destinée humaine, s'écrie : "Et nous tous, le visage dévoilé, nous reflétons la gloire du Seigneur..." (II Cor. 3, 18). Le fait que la femme se couvre la tête dans le culte public est donc uniquement un fait humain, lié au rapport de séduction entre les sexes. C'est aussi une tradition humaine dans l'Eglise, qu'il faut accepter sans discuter (sous entendu : même si le raisonnement un peu tarabiscoté que je vous tiens moi Paul ne vous convainc pas) - à ce seul titre que c'est une tradition : "Si quelqu'un se plaît à contester, nous n'avons pas cette habitude et les Eglises de Dieu non plus" (v.16)
2- Le voile est une puissance (exousia) pour la femme
Cette expression de saint Paul au verset 10 a fait couler beaucoup d'encre. La plupart des traduction (j'ai la TOB sous les yeux) traduisent par... une antiphrase : "La femme doit porter sur sa tête la marque de sa dépendance à cause des anges...". Il faut reconnaître que l'on se demande ce que les anges viennent faire là. Mais la marque de dépendance, c'est du pur fantasme ! Je rappelle que le mot exousia en grec chrétien acquiert ses lettres de noblesse dans le Prologue de l'Evangile de Jean : "A tous ceux qui ont reçu [le Verbe], il a donné la liberté de devenir enfants de Dieu". Dans le lexique grec latin du Nouveau Testament, le grec exousia est souvent traduit par le latin potestas : "Je suis constitué dans un pouvoir" sub potestate constitutus dit le centurion dont le serviteur a été guéri. Dans toute la première Epître aux Corinthiens, saint Paul l'emploie au sens de ce que donne la liberté chrétienne. Pourquoi inverser ce sens ici, moyennant des raisonnements tortueux (voir C. Spicq dans Pirot Clamer par exemple)?
Le voile est donc le pouvoir, la liberté, la gloire de la femme. Je crois que je n'extrapole pas (même si je fais sursauter les exégètes poussièreux) lorsque je dis que pour saint Paul, le voile est l'hommage que rendent les femmes à leur beauté, à leur "gloire" cette gloire qui a tellement d'effets sur l'homme. Loin d'être un signe de soumission, c'est une marque de noblesse, y compris d'ailleurs au sens social du terme. Il est "avantageux" (opheilei) aux femmes de la porter quel que soit leur milieu social d'origine. Les prostituées ou les petites marchandes en tous genres que saint Paul a converties à Corinthe sont priées de s'habiller comme des grandes dames lorsqu'elles veulent avoir un rôle à l'Eglise. Voilà me semble-t-il ce que dit le verset 10.
"A cause des anges..." : les anges sont présents au cours de la cérémonie liturgique (Apoc 8, 3). Chacun doit donc se trouver présent avec la meilleure image qu'il puisse donner de lui-même. Pour les femmes "la chevelure est une gloire" (I Cor, 11, 15), le voile est "avantageux" (v. 10). Nous savons par Plutarque que les femmes grecques à partir d'un certain milieu social étaient voilées (marquant par ce voile qu'elle ne se rendait qu'à un seul homme)
Et si les femmes ne veulent pas paraître ainsi à leur avantage,dans l'assemblée des chrétiens, explique saint Paul, "elles n'ont qu'à se faire tondre". Mais "s'il est honteux pour une femme d'être rasée ou tondue, qu'elle se couvre la tête". Il me semble que la seule manière raisonnable de comprendre ce petit pétage de plomb paulinien, c'est celle que je propose : le voile est le signe social de la dignité de la femme libre. Il n'est pas porté par l'esclave. Eh bien ! Femmes libres ou esclaves, conformément à l'habitude sociale des femmes libres, portez toutes le voile comme une exousia, une liberté, et sinon faites vous tondre ! La dignité des anges présents invisiblement durant la cérémonie requiert votre propre dignité. Qu'importe le rang et les habitudes vestimentaires qui sont les vôtres ! Soyez élégantes pour Dieu. Vous dont l'homme est la tête (v. 3), ou qui avez l'homme en tête... dans la prière, libérez-vous de cette préoccupation ou de cette sujétion par le voile qui ainsi fera votre gloire devant Dieu.
Conclusion :
Il me semble que bien des femmes ressentent encore les choses ainsi lorsqu'elles prient en public : il ne faut pas mélanger les genres, séduction et contemplation ou du moins prière active. C'est aussi la signification du voile que portent les religieuses, non pas comme un signe de sujétion à l'homme, ainsi que le rabache la TOB (quel homme ?) mais comme "une liberté"(exousia) ainsi que le note saint Paul, qui leur permet, lorsqu'elles prient, de faire abstraction du regard des hommes et, paradoxalement grâce à leur voile, d'aller elles aussi vers Dieu "de gloire en gloire à visage découvert" (II Cor. 3, 18)
Il se trouve que c'était une règle non paulinienne que saint Paul impose à la turbulente communauté de Corinthe au nom de l'usage universel. Mais Paul cherche à montrer justement que ce n'est pas un signe de sujétion vis à vis de l'homme auquel la femme est en quelque sorte nativement attachée ("Ton désir te portera vers ton mari mais il dominera sur toi" dit la Genèse abruptement"). Il a en tête ce passage de la Genèse puisqu'il le cite : "La femme est tirée de l'homme" (c'est la fameuse côte d'Adam). Mais il ajoute (bien avant Aragon) que la femme est l'avenir de l'homme : "L'homme existe par la femme". Et il insiste : Ni la femme n'est à part de l'homme ni l'homme à part de la femme dans le Seigneur". Cajétan commente ce "dans le Seigneur" de façon magnifique : "dans le Seigneur, c'est-à-dire selon l'être chrétien, selon la foi, l'espérance et la charité, selon l'être agréable à Dieu, l'homme et la femme sont égaux : pares sunt vir et mulier, comme le montre le fait qu'ils se produisent réciproquement l'un l'autre", l'un de sa côte, l'autre de son sein.
Il n'y a donc pas deux lois dans le Seigneur (comme c'est le cas dans la charia musulmane), la loi du Christ est la même pour tous... Mais il faut accepter les différences sociales pour les dépasser et parvenir à cette égalité du Royaume des Cieux.
Que les femmes soient donc socialement femmes pour être libres de leur féminité, tel me semble être le premier message de Paul dans ce texte embrouillé [je citerai sur ce point le moment où Paul prend à témoin son lecteur ou sa lectrice sur ce qui se fait et sur ce qui se fait en milieu grec (car pour les Hébreux les cheveux longs ne sont pas forcément déshonorants pour l'homme comme le montre la coutume du nazirat) : "Jugez par vous même : est-il convenable qu'une femme prie Dieu sans être voilée. Et la nature elle-même ne nous enseigne-t-elle pas qu'il est déshonorant pour l'homme de porter des cheveux longs".
Le deuxième message peut paraître en contradiction avec le premier : parce que la femme est (qu'elle le veuille ou que, féministe, elle le rejette) "la gloire de l'homme", le voile est pour elle une liberté (exousia). Il me semble que les religieuses du monde entier, dans la mesure où elles renoncent à être la gloire d'un homme, ont compris cela. Pas question ici de pratiques sociales, mais d'une liberté supérieure (le célibat), dont Paul indique bien en I Cor. 7 qu'elle est optionnelle.
Il y a enfin un troisième paramètre : la tradition (paradosis) des Eglises, que Paul veut imposer à cette Eglise de Corinthe qu'il a comme refondée.
Mais, imposant cette tradition universelle, à la fois pour des raisons d'ordre public (le chapitre 10 qui précède, portant sur les beuveries qui marquent les agapes corinthiennes, montre que de loin Paul a été mis au courant : il y a eu dans l'assemblée corinthienne, un problème d'ordre public. De là à imaginer plus que des scènes de soulographie...) et à la fois pour des raisons d'ordre ecclésial (verset 16 déjà cité : "ce n'est pas notre habitude de contester ce genre de tradition"), il n'en maintient pas moins son enseignement sur l'égalité de l'homme et de la femme, comme le montre les versets 11 et 12 de notre texte, commentés plus haut. Notons d'ailleurs que l'épitre aux Galates qui insiste sur le fait que dans le Royaume de Dieu il n'y a plus ni homme ni femme est bien postérieure à la Ière aux Corinthiens, qui au chapitre 12 verset 13 dit déjà que dans le Royaume il n'y a ni juif ni grec ni esclave ni homme libre, mais ne mentionne pas le "ni homme ni femme" que l'on trouvera dans Galates 3, 28.
En pratique :
Faut-il, à cause de ce texte de saint Paul, que les femmes se voilent quand elles vont à l'église aujourd'hui ? Je dirais que la première raison, sociologique, est complètement tombée (les femmes ont aujourd'hui d'autres moyens que le foulard Hermès pour être élégantes), que la deuxième raison concernent celles - saint Paul les souhaitaient nombreuses - qui ne veulent pas dépendre d'un homme ne concerne vraiment que quelques femmes attirées par la perfection d'une vie céleste sur la terre, et enfin que la tradition ecclésiale s'est interrompue. Les femmes sont donc parfaitement libres me semble-t-il, de se voiler la tête dans l'action liturgique ou de ne pas le faire.
Certes le voile des femmes dans l'action liturgique est une tradition de la primitive Eglise. Je signale aux grincheux que si l'on reprenait toutes les traditions de la primitive Eglise, il faudrait tous s'abstenir de steak et de viande saignante, conformément à la disposition du concile de Jérusalem, déclarant : "Il a plu au Saint esprit et à nous que vous vous absteniez de la viande étouffée et du sang" (Ac. 15).