Olalà ! Moi qui pensait que la question avait été tranchée depuis belles lurettes, comme on coupe un ennemi avec un sabre Jedi !
J'ai bien pris le temps de décortiquer tout ce fil, puis je me suis rappelé que j'ai un gros pavé de l'abbé Descouvremont, intitulé "guide des difficultés de la foi catholique". Merci à tous les intervenants, pour vos points de vue pertinents.
Pour ma part, j'aimerai vous proposer un résumé du chapitre intitulé "la conscience du Christ" dudit abbé, qui permet d'avoir un regard historique sur la question.
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- "1. La naissance de la question
C'est au début du VIe siècle que le problème commence à se poser, à partir des affirmations énoncées par le Concile de Chalcédoine (451). Puisque'il faut distinguer dans le Christ sa divinité et son humanité, il faut distinguer la connaissance qu'Il en avait en temps que Dieu et la connaissance qu'il en avait en temps qu'homme. Sa conscience humaine avait-elle une conscience plénière de sa divinité?"
Réponse de l'évêque Fulgence en 500 : "l'intelligence humaine de Jésus, connait pleinement sa divinité, mais non d'une plénitude identique à celle dont Dieu se connaît lui-même. Cette connaissance lui est communiquée par l'Esprit-Saint que le Père lui donne sans mesure".
Cette phrase de "Fulgence eut une grande influence chez les latins postérieurs.
2. Les trois niveaux de la conscience du Christ
"Les théologiens du Moyen-Age, et les théologiens modernes essaient, quant à eux, de répondre à une question que les Pères avaient laissée sans solution : COMMMENT la science divine du Verbe passe-t-elle dans l'intelligence humaine du Christ ? Ce n'est pas une question oiseuse ! C'est une façon de tirer toutes les conséquences du Concile de Chalcédoine : Comment l'intelligence humaine du Christ a-t-elle pu savoir qu'elle était intimement unie au Verbe même de Dieu, qu'elle était l'intelligence humaine du Fils unique ?
Pour répondre à la question, la plupart des théologiens distinguent trois niveaux dans la connaissance humaine de Jésus :
a. La connaissance acquise que possède tout homme - une connaissance capable de s'enrichir au contact de la réalité.(...) (Jésus) s'étonnera de l'incrédulité des gens de Nazareth (Mc 6,6). L'étonnement suppose la découverte d'une réalité à laquelle on ne s'attend pas.
b. La science infuse, du type de celle des prophètes transmettant aux hommes la révélation divine. (...) C'est de cette façon que Jésus pouvait recevoir de son Père les lumières dont il avait besoin pour l'accomplissement de sa mission. Des lumières que son Père lui envoyait jour après jour comme un pain quotidien." Exemple : "C'est par cette science infuse que Jésus a pu apprendre en temps voulu que Pierre le renierait et que Judas le trahirait. Il est très important pour l'économie du Salut que le Christ n'ait pas prévu ce reniement ni cette trahison grâce à la simple connaissance qu'il avait de la psychologie des ses apôtres. En pareil cas, la conduite de ces deux hommes n'aurait pas été une démarche libre; elle aurait été la simple conséquence prévisible de leurs antécédents psychologiques.
c. La vision béatifique, la vision de son Père face à face. Comment expliquer autrement le mot de l'Evangile : "Dieu, personne ne l'a jamais vu; Dieu, le Fils unique qui est dans le sein du Père, Lui, L'a raconté" (Jn 1, 18) ? La plupart des théologiens thomistes pensent que c'est par sa science de vision que Jésus savait avec évidence qu'Il était le Fils bien-aimé du Père. (...)
Mais, remarque avec justesse Jacques Maritain, cette évidence était incommunicable, car "supraconsciente". Seule, la science infuse en permettrait la formulation et la communication.
Que Jésus ait connu dès le début de sa vie qui Il était et de quel Amour Il était l'objet ne signifie pas qu'Il ait échappé à la condition humaine ni qu'Il n'ait pas vraiment souffert. C'est seulement au fond de lui-même qu'Il connaissait une paix merveilleuse. (...)
Au XXième siècle, grand chamboulement. "Le Christ n'a pris que progressivement conscience de son identité ou même qu'Il n'a jamais su avant sa résurrection qu'Il était le Fils unique du Père." (ibid.).
Réponse de Rome, par le biais de la Commission théologique internationale, en 1985, dont faisais partie ... Sesboüé !!! : la conscience que Jésus avait de lui-même et de sa mission : cette question est difficile et on n'a pas le temps d'en faire une synthèse en tenant compte des trouvailles des théologiens et philosophes du XXième siècle.
On se bornera à "quatre grandes affirmations sur ce dont Jésus avait conscience concernant sa propre personne et sa mission. Les quatre propositions qui suivent se situent au plan de ce que la foi a toujours cru au sujet du Christ. Délibérément, elles n’entrent pas dans les élaborations théologiques qui tâchent de rendre compte de cette donnée de foi.
Il n’y sera donc pas question des tentatives de formuler théologiquement comment cette conscience a pu s’articuler dans l’humanité du Christ."
Première proposition : "La vie de Jésus témoigne de la conscience de sa relation filiale au Père."
Deuxième proposition : "Jésus connaissait le but de sa mission : annoncer le Règne de Dieu et le rendre déjà présent dans sa personne, ses actes et ses paroles, afin que le monde soit réconcilié avec Dieu et renouvelé."
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- Commentaires de la Commission :
a. "La conscience que Jésus possède de sa relation filiale singulière à « son Père » est le fondement et le présupposé de sa mission. Inversement, on peut en inférer de sa mission à sa conscience." En d'autres termes : "La conscience qu’a Jésus de lui-même coïncide avec la conscience de sa mission."
b. Cela va beaucoup plus loin que la conscience d’une mission prophétique, reçue à un moment donné, serait-ce « dès le sein de sa mère » (Comme pour Jean-Baptiste, ou le prophète Jérémie). Cette mission s’enracine bien plutôt dans une « sortie » originaire de Dieu ce qui présuppose, comme condition de possibilité, qu’il ait été « dès l’origine » avec Dieu.
c. La conscience que Jésus a de sa mission implique donc la conscience de sa « préexistence ». En effet, la mission en est le « prolongement ». La conscience humaine de sa mission « traduit » pour ainsi dire, dans le langage d’une vie humaine, l’éternelle relation au Père.
d. Cette relation du Fils incarné au Père suppose en premier lieu la médiation de l’Esprit Saint. L’Esprit doit donc être dans la conscience de Jésus en tant que Fils.
Déjà sa pure existence humaine est le résultat d’une action de l’Esprit; depuis le baptême de Jésus toute son œuvre — qu’elle soit action ou passion parmi les hommes, ou communion de prière vers le Père — ne se réalise que dans et par l’Esprit."
Je trouve que ce texte n'est pas aisé à comprendre. D'ailleurs il ne parle pas de l'enfance de Jésus de manière claire.
En outre le Père Descouvrement ne cite que la première proposition. Pour revenir à ce prêtre : "Nous pensons aussi et surtout, avec le père Balthasar, que Jésus connaissait dès sa toute petite enfance, tout au fond de son coeur, son identité divine. Il ne l'a pas appris progressivement, par apprentissage : qui aurait pu lui apprendre ? Il l'a su immédiatement, en vivant dans sa conscience ce qui constituait l'essence même de sa Personne divine : sa relation et son union intime avec le Père. Sinon, remarque le Père Balthasar (...) " à l'instant où sa vie psychique aurait perçu sa personnalité divine, il n'y aurait pas eu seulement une évolution ascendante, mais une rupture dans sa conscience.
Le Christ, continue le théologien, a une "vision immédiate" de la mission définitive et universelle dont il est investi."
Pour terminer cette recherche, le Vatican n'a pas tranché, mais plutôt indiqué de grandes balises sans utiliser un attirail philosophico-théologique. De mon côté, je penche plutôt pour l'hypothèse de Balthasar.
Le dernier mot est à Descouvremont : "Mystère qui nous donne évidemment le vertige, mais qui suscite aussi notre adoration et notre jubilation."
@ Aldous.
Pourquoi j'ai dis que ça ne tenait pas debout ? Parce qu'en écoutant le prêtre, j'ai trouvé que son hypothèse
diminuait la divinité
et l'humanité de Jésus, car être conscient d'être le Fils de Dieu, seulement vers 12 ans, c'était un peu tard. Entre 18 et 24 mois, un enfant est capable de se reconnaître dans un miroir, alors qu'avant il pensait que c'était un autre enfant qu'il avait devant lui. Un prêtre raconte souvent l'histoire véridique d'un enfant de 2 ans et demi qui volontairement n'a pas voulu aimer ses parents. Il avait posé à ce moment un acte libre de volonté. Il relate aussi le refus catégorique d'un enfant de 5 ans à vouloir adorer avec ses parents. Il vécu un combat spirituel pendant une semaine, puis choisi de se donner à Jésus. Il est actuellement prêtre.
Ainsi, cette hypothèse sous-estime aussi la grandeur de l'homme, me semble-t-il. Mais on est d'accord que la grâce présuppose la nature, Aldous.
Cordialement, Théophile (désolé du pavé :-))