Bonjour Chris Prols,
Chris Prols a écrit :Ca commence assez mal. Le Concile regarderait avec diligence les revendications des libéraux, des modernistes? (car c'est bien de cela qu'il s'agit!) dans le but de quoi? de déclarer à quel point elles sont conforme à la vérité et à la justice. Les aspirations et revendications des ennemis de l'Eglise seraient conformes avec la tradition. Première nouvelle.
Que faites-vous : vous prenez des phrases du texte, puis vous les remplacez par des termes de votre cru pour montrer que ces phrases rentrent dans des catégories condamnables. Vous démontrez alors deux choses : un problème de discernement, et un problème de compréhension de ce en quoi l'Eglise condamne ces "catégories" que vous désignez.
Le texte ne parle pas des modernistes et des libéraux, c'est vous qui en parlez. Regardez, par pitié, précisément de quoi parle le texte. Et au passage, s'il se trouve que les libéraux et les modernistes disent que le ciel est bleu, l'Eglise peut le dire également, sans qu'on l'accuse de céder aux sirènes du modernisme. Un peu de discernement s'impose.
"Considérant avec diligence ces aspirations" (Ad has animorum appetitiones diligenter attendens) : c'est-à-dire, considérant ces "aspirations" (appétences, attraits, désirs) avec soin, assiduité, méticulosité... Comment pourrait-on lui reprocher ? De quelles aspirations parle-t-elle ? C'est tout le début du paragraphe, il y en a deux :
- revendication pour l’homme de "
la possibilité d’agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d’une contrainte, mais guidé par la conscience de son devoir."
- requête pour "
que soit juridiquement délimité l’exercice de l’autorité des pouvoirs publics, afin que le champ d’une honorable liberté, qu’il s’agisse des personnes ou des associations, ne soit pas trop étroitement circonscrit."
Dans quel but l'Eglise s'intéresse-t-elle à ces revendications ?
"dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice" (sibique proponens declarare quantum sint veritati et iustitiae conformes) : il me semble que la traduction française prête légèrement à confusion ici, car il faudrait entendre je crois, d'après le latin : "dans le but de déclarer
en quoi elles sont conformes à la vérité et à la justice" ou plus exactement (mais ce n'est pas très français) : en quelle quantité elles sont conformes à la vérité et à la justice". La phrase n'est donc pas d'emblée une conclusion sur ces aspirations, mais bel et bien la problématique du texte, comme il sied à une introduction. L'Eglise se pose la question : n'y a-t-il pas quelque chose de légitime, fusse une toute petite part même bien cachée (là c'est moi qui rajoute), dans ces aspirations ?
Il n'y a donc pas de "première nouvelle" dans cette introduction, mais une question, une problématique que "Notre temps" pose à l'Eglise et à son jugement. L'Eglise se met à l'écoute de l'Homme comme elle l'a toujours fait, non pour obéir aux idéologies de son temps, mais pour déterminer quelle forme optimale doit prendre son enseignement et sa mission pastorale. Elle explique d'ailleurs pourquoi l'Eglise entend se prononcer sur de telles aspirations : "
Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement les biens spirituels de l’homme, et, au premier chef, ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société." (liberum
in societate religionis exercitium). Le complément circonstantiel ici est indispensable : on traitera du libre exercice de la religion "dans la société", c'est-à-dire des libertés civiles, et non des licences morales. Cela délimite parfaitement la réflexion.
C'est là que va nous intéresser au premier chef le passage de Quanta Cura (que vous nous avez déjà cité) et du syllabus qui lui est associé, puisqu'il est notamment question d'appliquer à la société civile telle ou telle doctrine (panthéisme, naturalisme, rationalisme, indifférentisme, latitudinarisme, ...) et de quel regard porte l'Eglise là-dessus. Il s'agit en particulier, dans Quanta Cura de la question du naturalisme. On peut, il me semble, reconnaitre dans cette dénonciation de l'application à la société civile du principe impie du naturalisme, la condamnation de ce qui se fit en France après la révolution, et qui continua sans doute d'être revendiqué par un certain esprit des Lumières, à savoir l'exercice publique du culte de la raison et de l'être suprême, ou encore de la Théophilanthropie. En outre, de tels cultes appliqués à la société civiles entendaient soit interdire la pratique d'autres cultes, soit les soumettre à l'autorité temporelle (sous forme d'un gallicanisme par exemple, ou encore sous la forme de ce qui se fait en Chine actuellement). Voilà clairement ce que condamne Quanta Cura.
Or on notera bien que DH ne donne en aucun cas licence à la société civile de promouvoir et d'exercer publiquement un autre culte que le culte catholique. Elle lui demande en revanche de garantir aux individus le libre exercice de la religion. Un état qui reconnaitrait comme religion d'état une autre religion que celle qui subsiste dans l'Eglise Catholique, pour autant qu'il soit dans la conscience de son erreur, serait alors hautement condamnable du point de vue catholique. Réfléchissons un instant au pourquoi de cela, si vous le voulez bien.
Le libre exercice du culte catholique suppose que la société civile permette aux fidèles catholiques de consacrer du temps, des lieux, des dispositifs communautaires, à l'exercice de leur culte. Il suppose aussi que les ministres du culte soient indépendant, dans l'exercice de leur ministère, de l'autorité temporelle à laquelle ils sont soumis civilement. Aussi, si une fausse religion devenait religion d'état, fut-elle non pas une religion mais une "philosophie" cultuellement et culturellement contraignante, elle transgresserait alors le droit à la liberté pour les catholiques d'adorer Dieu et de lui rendre un culte tout en se soumettant à l'autorité temporelle. Ils seraient alors obligés de désobéir à l'autorité temporelle pour obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, et dès lors on peut affirmer que l'autorité temporelle ne serait plus légitime, et même condamnable.
En sens inverse, si la religion catholique (re-)devenait religion d'état, l'autorité temporelle ne serait légitime à exercer publiquement la religion catholique qu'en n'imposant aucunement cette religion aux individus. Elle devrait alors n'exercer aucune forme de pression extérieur sur les individus. Ceci ne donnerait aucunement une licence morale aux individus de ne pas vivre selon la vraie religion, mais laisserait à leur seule liberté le soin de satisfaire à leur obligation morale.
Enfin, attendu que les pasteurs de l'Eglise doivent garder pleine indépendance quant à leur charge pastorale pour ce qui concerne les biens spirituels, mais que comme tout homme ils doivent se soumettre à l'autorité temporelle pour ce qui concerne la justice et l'ordre d'ici bas, et pour que donc l'autorité temporelle conserve elle-même son indépendance en matière de maintien de l'ordre, la société civile et l'Eglise doivent être indépendantes l'une de l'autre et ne rien s'imposer l'une à l'autre qui sorte du champs de son autorité légitime : temporelle pour l'une, spirituelle pour l'autre. Et si l'ordre temporel est bel et bien soumis à l'ordre spirituel cela ne peut signifier une dépendance qu'en tant que la société civile a l'obligation (morale) de respecter la loi naturelle et la loi morale, et de les faire respecter ; en aucun cas pour imposer l'exercice de la religion catholique, même dans le cadre de la vie publique.
Les enseignements présentés dans Dignitatis Humanae sont donc essentiels pour prévenir les dérives des sociétés sécularisées de plus en plus laïcistes et liberticides en matière de pratique religieuse, tout comme les sociétés imposant la pratique d'autres religions (en particulier dans les pays islamistes). Mais on est en droit de préciser qu'une société civile catholique imposant la religion catholique dans le cadre public, si cela contraint d'une manière ou d'une autre des individus à la pratiquer sans leur laisser librement l'exercice de leur volonté, n'est pas légitime. Par exemple si l'enseignement du catéchisme catholique était imposé dans des écoles publiques, on sortirait de prérogatives de la société civile. En revanche elle a toujours la charge de permettre que l'éducation puisse être librement organisée par la famille, et donc de permettre l'existence d'écoles catholiques enseignant le cathéchisme à ses élèves et librement accessible par toutes les familles. Elle a même le devoir d'en fournir les moyens et les garanties, au passage.
Bon, je m'arrête là pour aujourd'hui. Je reviendrai plus tard sur vos autres remarques si j'ai le temps, bien entendu.