La première est la voie suivie par la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX) fondée par Mgr Lefebvre, qui reconnait l’autorité du pape mais conteste ses positions théologiques et pastorales. Mgr Lefebvre s’est montré, en apparence, respectueux de la figure du pape, mais il ne lui a, de fait, pas reconnu de pouvoir. En 1975, il refusa l’ordre du pape Paul VI de fermer le séminaire d’Ecône qu’il avait fondé en 1970. En 1976, il refusa l’interdiction du pape d’ordonner de nouveaux prêtres, ce qui entraîna la première sanction canonique : la suspense a divinis. En 1988, il refusa de se soumettre à l’interdiction formelle d’ordonner des évêques, ce qui se traduisit par une deuxième sanction : l’excommunication.
La seconde est la voie du sédévacantisme qui considère qu’il n’y a plus de vrai pape en exercice mais un usurpateur qui n’a que les signes extérieurs de la papauté, mais plus la bénédiction divine et donc la légitimité temporelle. Ils fondent leur théorie sur un syllogisme trompeur : l’Église ne produit que du bon fruit spirituel, or le Concile Vatican II étant un fruit empoisonné, c’est donc que celui qui le donne à l’Église n’est pas le bon pasteur.
La troisième est le conclavisme qui découle du sédévacantisme : puisque l’Église est sans pape, certains intégristes se sont réunis en conclave pour élire un nouveau pape. De cette position sont nées de nouvelles églises.
Alors que la FSSPX dénonce l’entrée du protestantisme et du modernisme dans l’Église catholique, les sédévacantistes eux dénoncent l’entrée du diable dans l’Église. Si les deux courants intégristes ont pu unir leurs forces quelques fois, quelques temps, pour s’opposer au Saint Siège - qu’il accusent de Haute trahison pour avoir voté et défendu le Concile Vatican II - il leur arrive plus souvent de s’opposer violemment. Car les sédévacantistes reprochent à la FSSPX sa tiédeur, sa mollesse, sa trahison à la cause de la Tradition (car la FSSPX négocie en vue d’un accord avec le pape).
Pour les sédévacantistes, l’Église ne peut se tromper ni tromper personne. Or la rédaction et l’application du Concile Vatican II étant une œuvre démoniaque, qui ferait table rase du passé, les papes qui l’ont promus n’ont pu qu’être des antipapes, des usurpateurs. Le dernier pape en exercice, véritablement choisi et conduit par l’Esprit-Saint, serait donc Pie XII. Ses successeurs ne sont pas légitimes car ils sont impliqués dans l’acte sacrilège, à leurs yeux, d’avoir créer et mis en œuvre le IIe concile du Vatican. Ils inventent alors des récits dignes de Dan Brown pour les disqualifier.
Ils affirment que l’élection du pape Jean XXIII est invalide pour deux raisons. D’une part, parce qu’il aurait été franc-maçon ce qui impliquait son excommunication de fait. L’ordination n’était donc qu’un simulacre. Le cardinal Roncalli aurait même eu des sympathie pour le communisme ! Ces accusations n’ont pas de fondement, évidemment. D’autre part, parce que ce serait le Cardinal Siri qui aurait été élu, mais il se serait désisté sous la pression. Le conclave de 1958 serait donc entaché d’irrégularité du point de vue du droit canon. Accusation sans preuve formelle ! Le Cardinal Siri n’a jamais voulu commenter ce qui s’était passé lors des conclaves auxquels il a assisté, soulignant qu’il était tenu par le secret. Néanmoins, il est toujours resté dans l’Église catholique, reconnaissant le pape Jean XXIII, le pape Paul VI et le pape Jean-Paul II. Il a défendu le Concile Vatican II contre ceux qui l’attaquaient, en particulier sur la question liturgique. On ne peut donc pas utiliser le cardinal Siri pour discréditer une Église auquel il est resté fidèle. Ces histoires proviennent d’auteurs peu crédibles. Il y a le père Malachie Martin, un jésuite ordonné prêtre en 1954 et relevé de ses vœux en 1964 par le pape Paul VI à sa demande, pour devenir écrivain. Il se déchaina contre son ordre dans un livre contre les jésuites. Comment croire à un écrivain qui a rejeté l’Église ? Il y a d’autres écrivains qui ont colporté ses idées comme le scénariste italien Pier Carpi (”Les prophéties du pape Jean XXIII“) ou Jacques Duchaussoy, qui y trouvaient matière à intrigue et rebondissement. Quelques franc-maçons profitèrent également de cette opportunité pour écorner le pape et diviser l’Église : en affirmant que le cardinal Roncalli était l’un des leur ils disqualifiaient la réprobation que leur faisait subir l’Église, ils redoraient leur image. Leurs témoignages, de toute façon, sans preuve n’ont aucune valeur. Hutton Gibson - le père de Mel Gibson - qui est un tenant du sédévacantisme a réfuté cette thèse sur l’élection du cardinal Siri en montrant qu’elle était sans fondement car mal documentée.
Le pape Jean XXIII, dont ils salissent la mémoire, est celui qui a promulgué après l’avoir modifié le nouveau missel de 1962 que les prêtres de la FSSPX utilisent sur ordre de Mgr Lefebvre mais que les sédévacantistes refusent, conformément à leur théorie. Les sédévacantistes n’utilisent donc pas le même missel que la majorité des communautés traditionalistes schismatiques qui sont proches des lefebvristes.
Les sédévacantistes instrumentalisent même la sainte Vierge en citant sans cesse une prophétie qu’elle aurait faite à La Salette :
Les sédévacantistes utilisent une phrase au sens obscur pour l’appliquer à un événement qui est sensé, pour eux, arriver un siècle après la prophétie ! En effet, la sainte Vierge aurait dit cela dans une révélation privée en 1848, alors que le pape Jean XXIII fut élu en 1958 et le Concile a débuté en 1962. Cette interprétation est inacceptable à plusieurs titres.L’Église sera éclipsée… Rome perdra la Foi et deviendra le siège de l’Antéchrist
Premièrement, dans la révélation privée d’où est tirée cette phrase, il n’y a aucune allusion au fait qu’un pape devienne hérétique, qu’il perdre la foi. La sainte Vierge ne dit pas explicitement ou implicitement qu’un jour le Siège de Pierre sera vacant. Elle ne dit pas ce que les sédévacantistes veulent lui faire dire.
Deuxièmement, dans sa révélation la sainte Vierge indique deux dates à venir, elle parle de l’année 1964 et de l’année 1965 et précise des événements sensés s’y passer. Elle évoque ensuite des “événements lointains” sans autre précision, et c’est là qu’on trouve cette phrase au sens douteux. Ces événements apocalyptiques qui sont décris doivent donc avoir eu lieu entre 1965 et 1917, date à laquelle la sainte Vierge est à nouveau apparue à des enfants à Fatima. Chaque révélation ne concerne que la génération à laquelle la sainte Vierge parle car son objectif est bien de convertir les cœurs. Elle évoque une situation catastrophique avec l’intention de réveiller les consciences, que les âmes prient et retournent à Dieu. A Fatima, la sainte Vierge n’a plus évoqué cet épisode de Rome qui perd la foi (sinon les sédévacantistes citeraient bien entendu ses propos, ce qui n’est pas le cas !). Donc l’événement est sensé être déjà passé. La phrase de la révélation de 1848 concerne donc la période entre 1865 et 1917. La sainte Vierge aurait donc indiqué que “l’Église sera éclipsée” et que “Rome perdra la foi”. L’Église ne sera donc pas détruite, juste éclipsée c’est-à-dire cachée par quelque chose d’autre. Cette phrase se comprend mieux si on la rapporte à un événement historique précis, datant de 1870 (donc dans la période que nous avons défini) : l’annexion des états pontificaux par l’armée du Royaume d’Italie. Rome, longtemps ville du pape, devient capitale du jeune Royaume italien. Dans la Ville éternelle, l’Église est éclipsée par le pouvoir du roi Victor-Emmanuel II. Le pape se dit prisonnier dans les murs du Vatican. La ville de Rome perd la foi, elle est soumise à une autorité civile laïque et plus au pape. Pie IX excommunie plusieurs fois le roi. L’Église perd une grande partie de sa visibilité, de son pouvoir terrestre, de son autorité sur Rome et les anciens territoires pontificaux. Pie IX s’oppose au roi, il demande aux catholiques de ne pas participer aux élections.
Si la sainte Vierge voulait être plus claire elle aurait pu l’être : si elle parle de Rome, il faut s’en tenir à la ville de Rome et ne pas extrapoler. Pourquoi la sainte Vierge n’a-t-elle rien dit à Fatima sur l’Église ? Pourquoi a-t-elle dit une seule phrase d’avertissement sur l’avenir de l’Église plus d’un siècle avant la soit-disant apostasie ? Pourquoi n’a-t-elle pas depuis repris la parole pour dénoncer l’erreur dans l’Église ? Pourquoi n’a-t-elle pas encore disqualifier le pape ? N’interviendrait-elle pas aux moments les plus difficiles de l’histoire ? Comment peut-elle se taire sur une situation aussi grave que l’hérésie des papes si tel est effectivement le cas ? N’est-ce pas, au contraire, que les papes restent fidèles à la Tradition et l’Église dans le droit chemin et qu’elle n’a donc pas à intervenir ?
Les sédévacantistes s’appuient également sur une phrase du pape Léon XIII tirée de sa prière d’Exorcisme contre Satan et les anges révoltés (1884) :
Le pape Léon XIII aurait écrit cette prière à la suite d’une vision qu’il eu à la fin d’une messe : Satan dialoguait avec Dieu et lui affirmait être capable de détruire l’Église. Le pape demandait donc que tous les catholiques, prêtres comme laïcs, prient l’archange saint Michel de protéger l’Église et de vaincre le démon. Il a écrit cette prière pour que Satan ne l’emporte jamais sur l’Église. Le pape utilise le langage du livre de l’Apocalypse, il indique ce qui peut arriver si on ne prie pas, non ce qui va arriver de façon certaine. Le futur n’est pas déterminé, il n’est pas écrit d’avance, les choses peuvent toujours changer. Le pape n’est pas un voyant à la façon de Nostradamus qui prédit l’avenir, mais un prophète qui avertit du danger. Dans la Bible Dieu menace souvent des épreuves à venir du fait du manque de foi et de l’idolâtrie. Quand il envoie dire au prophète Jonas que Ninive sera détruite, ce n’est pas parce qu’il va la détruire, mais qu’il veut que les hommes se convertissent, et finalement, la ville n’est pas détruite. Le pape Léon XIII n’a jamais dit ou écrit que le Siège de Pierre sera un jour vacant, qu’un anti pape sera à la tête du Saint Siège, qu’il n’y aura bientôt plus de pape. Il n’a jamais dit ou écrit que l’Eglise institutionnelle sombrera dans l’hérésie et que Dieu abandonnera le successeur de Pierre.Et voici que des ennemis très rusés ont rempli d’amertumes l’Église, épouse de l’Agneau immaculé, l’ont abreuvé d’absinthe, ils ont jeté des mains impies sur tout ce qui est désirable en elle. Là où le siège du bienheureux Pierre et la Chaire de la Vérité fut établie comme une lumière pour les nations, là ils ont posé le trône d’abomination de leur impiété ; afin que, le pasteur une fois frappé, ils puissent disperser le troupeau.
Son propos pourrait concerner la situation matérielle de l’Église à la suite de l’annexion des États Pontificaux. Le Siège de Pierre étant, au sens physique, la Ville éternelle où le roi Victor-Emmanuel II a mis son siège et, du coup, a récupéré ce lieu où brillait la lumière de la Vérité pour faire briller sa Gloire et le nouveau Royaume d’Italie. Ce coup matériel et symbolique porté à l’Église s’est avéré avoir des répercussions sur la foi des fidèles. Désormais, le politique prime sur le spirituel dans la conscience de plus en plus de personnes. Il faut lire, en tout cas, toute la prière pour voir que l’Église n’est pas abandonnée par Dieu et le pape n’est pas voué à disparaître.
A ces propos du pape on peut faire dire n’importe quoi. Par exemple, on pourrait même interpréter ces mots contre les sédévacantistes : ils sont ces “ennemis très rusés” qui “ont rempli d’amertumes l’Église” avec leurs propos démoniaques sur le pape, avec leurs accusations contre le Concile. Ils l’ont “abreuvé d’absinthe”, ils déversent leur poison dans l’âme des fidèles, ils leur font tourner la tête et perdre le sens de la réalité avec leurs textes où la vérité est tronquée. Ils ont “jeté des mains impies” parce que non légitimes, “sur tout ce qui est désirable en elle” : la mise à jour de l’expression de la foi rend plus compréhensible et plus belle la Tradition de l’Église. Eux jettent le bébé (le Concile) avec l’eau du bain (les excès dues aux interprétations erronées du Concile). Ils frappent “le pasteur”, avec leurs accusations diffamatoires, et la conséquence est la dispersion du troupeau, la division.