Message non lu
par Charles » jeu. 12 mai 2005, 2:47
APPEL AU BERGER
Berger qui me suis dans la plaine
Un rêve au-delà du jour,
Berger je suis une reine
Qui vient te prier d'amour.
Berger, je pleure à la ronde,
J'ai besoin d'un grand baiser.
Je suis la Douleur du Monde,
Berger, veux-tu m'épouser ?
J'ai dans le vent, j'ai dans l'ombre
Trop de brebis à garder,
Seule, par un temps si sombre,
Sans personne pour m'aider.
Le troupeau las que je mène
Le long d'un pays sans fin,
A traversé tant de peine
Qu'il ne sait plus le chemin.
Qu'il ne sait plus sa fontaine
Pour boire... Un vent étranger
Dans le noir du domaine
Le pousse entre les dangers.
Le vent sans ciel s'en empare.
Un faux pâtre m'a volé
Mes brebis et les égare
Dans un champ inconsolé...
Veux-tu de moi pour chérie,
Berger ? Mon royaume errant,
Mes moutons sans bergerie
Que je conduis en pleurant,
Veux-tu dans leur mal sans route
Les empêcher de périr
Et me donner goutte à goutte
Ton âme pour me guérir ?...
Viens ! - Si c'est ton avantage
Que tu cherches, ne viens pas -
Tu n'auras pour héritage
Avec moi, mon pauvre gas,
Que la maison de misère,
La huche sans miel ni vin
Où, maigre, chaque jour serre
Le reste obscur de sa faim.
Tu n'auras guère de flamme
Entre tes chenets étroits...
Tu n'auras ni fils, ni femme,
A ton ombre. Il fera froid...
Viens ! mon berger lamentable,
Viens et goûte mon festin !
Je mettrai Dieu sur la table
Pour ton repas du matin.
Je mettrai près de ta bouche
Dieu, comme un morceau de pain.
Et tes brebis, touche à touche,
L'iront manger dans ta main.
Aux agneaux tu feras boire
Dieu, comme du vin à toi
Et des gouttes de sa gloire
Te jailliront sur les doigts...
Il a fait un grand voyage
D'amour. Pauvre, les pieds nus,
Pour me prendre en mariage,
Moi perdue, Il est venu
Jusqu'à la porte barrée
Du bercail. Il a conduit
La solitude égarée
De mon troupeau dans la nuit.
Il a trouvé la pâture
Close au bout d'un val étroit,
Il a rompu la clôture
D'un seul coup avec sa croix.
Il a brisé la barrière,
Les mains et les pieds en sang,
Et tous les moutons derrière,
Par l'ouverture passant,
Sont entrés dans l'Espérance,
L'herbage au sommet du jour
Où leurs talons en souffrance
Se calment aux fleurs d'amour...
Berger ! la porte divine
Va se perdre. Le Mauvais
La bouche avec des épines.
Et je vais pleurant, je vais
Réclamant à l'aventure
Ce lieu que je ne sais plus,
Cette eau, cette nourriture,
Ce pain, ce vin, ce Jésus.
Cherchant pour être guérie
Le passage... Berger, viens !
Viens dans les ronces, marie
Tes pieds déchirés aux miens.
Donne-moi tes mains couvertes
De blessures. Viens et tiens
La porte du ciel ouverte
Pour que mes petits - les tiens -
Qu'une grand'sueur inonde
Entrent là se reposer...
Je suis la Douleur du Monde,
Berger, veux-tu mépouser ?
Marie Noël, Les Chants de la Merci.
Dernière modification par
Charles le lun. 23 janv. 2006, 13:46, modifié 1 fois.