J'ai pensé faire ici l'équivalent d'une petite chronique parlementaire à saveur historique, en pompant sans vergogne dans les Mémoires de Georges-Émile Lapalme. Et alors la question : Qui était Georges-Émile Lapalme? C'est le monsieur qui fut le chef du parti libéral du Québec pendant les années 1950, c'est à dire durant les années de pouvoir de l'honorable Maurice Duplessis. Et qui accepta ensuite de céder sa place comme chef des libéraux du Québec au profit de Jean Lesage à la veille de l'élection du 22 juin 1960; date qui fut collectivement la plus importante pour nous selon Marcel Rioux (fameux sociologue), plus encore que le 15 novembre 1976. Le programme de la Révolution tranquille : c'était lui. Qui? Lapalme.
Alors, bras droit de Jean Lesage à partir de 1958 en quelque sorte, Georges-Émile Lapalme, ministre de la justice à partir de 1960 et … et le tout premier ministre des affaires culturelles du Québec soit un nouveau ministère qui fut crée en même temps qu'étaient entrepris tout une série d'innovations majeures, lesquelles auront contribué à pouvoir donner au Québec le visage que nous lui connaissons aujourd'hui.
De ses Mémoires écrites en 1972-1973, je retiendrai surtout ces passages où il aborde ce temps de la création du ministère des affaires culturelles ou pour le dire autrement "ce temps des débuts de la création d'un lien diplomatique permanent et direct entre la France et le Québec". Il en restitue un peu l'esprit qui était celui de l'époque, évoquant au passage la figure d'André Malraux , un de ces bonshommes que sa carrière lui aura permis de rencontrer à plusieurs reprises, et un de ceux qui l'auront le plus impressionné visiblement.
Aussi, voyons ce qu'il raconte :
- Comme dirait Stendhal, j'en suis au troisième volume des « je » et des « moi ». Cela devient de plus en plus gênant et embarrassant; on se sent empêtré dans sa vie racontée et on se demande s'Il ne vaudrait pas mieux faire de l'équilibrisme comme Bona [Arsenault], et a parler à la troisième personne : « Ce jour-là, Lapalme alla au cinéma. »
Le caractère personnel des souvenirs, devenus ensuite des mémoires écrits, fait trébucher sur cet obstacle purement mental. C'est tellement plus grave de taire la vérité.
Pour certains qui sont au courant, il est bien évident que je côtoie certains rivages sans les décrire, certaines personnes sans les déplumer. A qui me reproche de me taire, je réponds : "Vous voulez sans doute que je dise : Telle ou telle chose s'est faite ou ne s'est pas faite parce qu'un personnage important était soûl comme une grive, ou tout simplement ne s'était pas levé à temps?" Vous décririez cela, vous? Certes, il y a des choses que j'aurais pu dire ou que je pourrais dire, et après?
[...]
Aujourd'hui me sentant moins scrupuleux, je reviens, pour l'exemple, sur un seul des faits escamotés, dont voici l'essentiel : au cours d'une rencontre organisée par Jean-Louis Gagnon avec Pierre Elliott Trudeau, à son domicile, aux environs de 1950-52, je demandai au futur premier ministre du Canada de joindre les rangs du parti libéral [du Québec] dans sa lutte contre Duplessis. Pierre Trudeau refusa en alléguant que nous n'allions pas assez loin dans le domaine social. Or, depuis 20 ans, on n'a pas encore rejoint le programme libéral de 1952 et monsieur Trudeau, mon voisin immédiat depuis 18 ans à Outremont, est maintenant premier ministre du Canada.
Les années dures, je les ai vécues au cours desquelles tout le monde ou à peu près refusait de combattre en rase campagne sous un drapeau qui attirait les balles.
Aujourd'hui, alors que je ne suis que le passé, Pierre Trudeau est peut-être très puissant. Mais il eût été encore plus essentiel qu'il le fût autrefois, il y a vingt ans, quand la victoire était ailleurs. Toutes les hésitations, tous les reculs devant le danger, tous les refus de s'embrigader ont probablement valu au Québec au moins 20 ans de retard. C'est cela qui est grave. Et c'est cela qu'on oublie quand on décore l'un des plus conscients des éteignoirs de l'époque, Roger Duhamel.
Aujourd'hui, tout le monde maudit l'aridité duplessiste. Seul le gouvernement fédéral libéral récompense les artisans de notre « grande noirceur ».
Je viens de citer un exemple. Pour ce faire, j'ai choisi le plus gros personnage de notre époque. L'exemple n'a pourtant rien de scandaleux mais dans les milieux fédéraux, où surnagent encore on ne sait comment quelques assassins du parti libéral provincial, on va me reprocher d'avoir dévoiler une toute petite partie d'une statue.
[…]
Au début des années 1950, ils furent plusieurs à se décerner l'auréole de militants de la grève de l'amiante à Asbestos (Asbestos : mot anglais qui signifie amiante et qui désigne le grand centre mondial de l'amiante, dans le Québec.)
Jean Marchand y avait risqué sa peau. Deux ou trois autres y avaient lancé une carrière. Avec le nivellement du temps, on finit par faire des héros avec les profiteurs qui oblitèrent littéralement les victimes. Qui se souvient de René Rocque? Il ne fut pas ministre.
C'est exactement le même phénomène qui a donné la couleur du temps à l'histoire des années 60. A un point tel que je voudrais ne pas l'avoir vécue!
L'autre jour, à la radio, j'écoutais une prétendue rétrospective des temps qui ont dérivé vers l'oubli ou l'histoire (17 juin 1972). Surtout vers l'oubli car l'histoire, c'est l'accumulation des choses fausses dites par des gens qui n'étaient pas là.
Je me suis entendu. On avait découpé une conversation d'une heure et demie en petits morceaux appliqués ici et là sur la mosaïque dessinée par Pierre de Bellefeuille. Des gens témoignaient qui n'avaient rien eu à faire ni rien compris à la délivrance que nous avions opérée. Et cependant on leur accordait la crédibilité que l'on concède à un témoin visuel. Quelle misère que l'histoire!
A cette même émission radiophonique, il m'a fait plaisir d'entendre Charles Lussier ramener Cité Libre à sa véritable dimension, c'est à dire à une toute petite revue pour petite chapelle et de toute petite influence. Il a été poli. Pour moi, Cité Libre ce fut zéro, sauf … 20 ans après, quand vint la distribution des prix.
Il ne faut pas regarder la vie du haut d'un promontoire ni accepter avec indulgence toutes les vantardises des autres. Mais comment acceptera-t-on mes vérités?
(à suivre)