A propos des étrangers, il y a bien ce passage d'
Erich Fromm que l'on retrouve dans
L'art d'aimer, p. 80 :
"... de toutes les formes d'amour, la plus fondamentale, celel qui sous-tend toutes les autres est l'amour fraternel. J,entends par là le sens de la responsabilité, la sollicitude, le respect, la connaissance de tout être humain, et le désir de promouvoir sa vie. C'est de cet amour dont parle la Bible lorsqu,elle dit : aime ton prochain comme toi-même. L'amour fraternel s'étend à tous les êtres humains : il se caractérise par une absence de toute exclusivité. Dès lors que je suis devenu capable d'amour, je ne puis m'empêcher d'aimer mes frères. Dans l'amour fraternel se réalise une expérience d'union avec tous les hommes, de solidarité et d'unicité humaine. Cet amour se fonde sur l'expérience que tous nous ne faisons qu'un.
Les différences de talents, d'intelligence, de connaissances apparaissent négligeables en regard de l'identité du noyau humain qui est commun à tous les hommes. Pour expérimenter cette identité, il importe de pénétrer de la périphérie jusqu'au noyau. Si je ne prends d'autrui qu'une vue superficielle, je perçois surtout les différences, celles qui me séparent de lui. En revanche, si je pénètre jusqu'au noyau le perçois ce qu'il y a d'identique en nous, le fait même de notre fraternité. Cette relation de centre à centre - plutôt que de périphérie à périphérie - constitue la relation "centrale". Ou, comme Simone Weil l'a exprimé si admirablement : Les mêmes mots (ex : un homme dit à sa femme : je vous aime) peuvent être vulgaires ou extraordinaires selon la manière dont ils sont prononcés. Et cette manière dépend de la profondeur de la région de l'être d'où ils procèdent, sans que la volonté y puisse rien.
L'amour fraternel est un amour entre égaux. Il est vrai que même entre égaux, nous ne sommes pas toujours "égaux"; en effet, dans la mesure où nous sommes humains, nous avons tous besoin d'aide. Aujourd'hui, ce peut être moi; demain, ce peut être vous. Mais ce besoin d'aide ne signifie nullement que l'un soit démuni et que l'autre soit puissant. La faiblesse n'est qu'une condition transitoire; la capacité de se tenir debout et de marcher par ses propres moyens est la condition permanente et commune.
Et pourtant, l'amour porté à celui qui est faible, au pauvre et à l'étranger, marque le début de l'amour fraternel. Aimer seulement ce qui est de sa chair et de son sang n'est pas un accomplissement. L'animal aime ses jeunes et en prend soin. L'esclave aime son maître, car sa vie dépend de lui; l'enfant aime ses parents, car il a besoin d'eux. En fait, l'amour ne commence véritablement à s'épanouir que lorsqu'il s'attache à ceux qui ne remplissent pas une fonction à notre égard.
Dès qu'il se prend de compassion pour le faible, l'homme s'ouvre à l'amour fraternel; tout comme d'ailleurs, dans l'amour qu'il se porte, il aime celui qui a besoin d'aide, l'être fragile et incertain. "Vous connaissez le coeur de l'étranger, dit l'Ancien Testament, car vous avez été des étrangers sur la terre d'Égypte [...] par conséquent, aimez l'étranger !"(Deutéronome 10, 19)
Par conséquent, il indéniable que les catholiques ou les chrétiens devraient se révéler aptes à se surmonter un peu dans le domaine, à être capables d'accueil, d'ouverture et de venir en aide à d'autres, des réfugiés ou des personnes en détresse. Tous les chrétiens savent cela depuis longtemps. Et il n'est donc pas besoin "spécialement" qu'un pape François nous le rappellent sans cesse, à temps et contretemps, dix fois par année plutôt qu'une, et solennellement et etc.
Le texte d'Erich Fromm cité au-dessus a été écrit en 1956. Erich Fromm était d'origine juive allemande. Son texte est formidable. Rien à redire, rien à jeter. C'est parfait.
Non, le problème se situe ailleurs.
Dans ma perception des choses, ce constant rappel du Vatican en faveur de la générosité ("Qui est contre la tarte aux pommes ?") n'est pas tant une promotion de la générosité autant qu'une promotion d'une conduite politique précise et qui en revient à vouloir faire des catholiques notamment des soutiens de la politique libérale multiculturaliste. C'est ce que je ne peux pas digérer. Je ne le prend pas !
Je n'aime pas voir - oui,de mes propres yeux - des évêques catholiques d'aujourd'hui nous tenir des discours qui en reviendrait à faire des "faux chrétiens" leurs propres collègues d'il y a cinquante ans à peine ! Comme si le multiculturalisme devrait faire partie de la doctrine de l'Église depuis toujours !
Malgré que plusieurs s'en défendent obstinément, je les trouve occupés à mêler la politique avec la religion, et alors même qu'ils passent ensuite leur temps à vouloir nous répondre que ce ne serait pas le cas. "Je fais ça, moi ? Non, non."; "Le pape François n'a pas de parti pris politique. Il ne se souci aucunement de la politique, voyons!"; "Il n'est pas de biais ... Non, c'est juste l'Évangile. "
- Mauvaise foi ou aveuglement ?
Je n'aime pas que l'Église catholique pèche par "manque de distance" à l'égard du multi, et qu'elle ne se montre pas du tout neutre sur un pareil sujet, Mais non seulement n'y est-on pas du tout neutre, l'on s'y pique ensuite de vouloir rabaisser et discréditer comme catholique identitaire superficiel, inconverti et non-évangélisé le moindre baptisé qui oserait remettre en question ce complexe idéologique libéral. Et c'est là que le bât blesse. Ça m'ennuie formidablement. Je trouve que ça "entache" le pontificat.
Ce pape jésuite est à l'image de la pensée de bien des jésuites de chez nous (cf revue
Relations) et que je trouve passablement
extrémistes dans le domaine (le genre à prôner l'abolition des frontières, à parler sans cesse du droit à l'autodétermination des indigènes au Canada, tout en s'essuyant les pieds sur le nationalisme québécois (soupçonnés de xénophobie, racisme, etc.) au passage, pour ensuite promouvoir les politiques de l'empire anglo-américain).
Tout en contraste
Dans le journal
Le Devoir de cette semaine, on y évoquait la disparition "toute chaude" d'une soeur catholique engagée et alors d'une autre trempe que celle de ces jésuites dont je parle, ayant su tout aussi bien être généreuse que ces derniers, sans "vendre son âme" au trudeauisme, à l'européisme, au cosmopolitisme et al.
http://media2.ledevoir.com/societe/actu ... -a-101-ans