Bonjour Teano,
J'ai moins aussi trouvé des idées intéressantes dans cet article. Plus intéressantes en tout cas que sous bien d'autres plumes occidentales. Cependant, je ne peux cacher que je ne suis fondamentalement pas d'accord avec les solutions proposées par Abdennour Bidar. Comment ce passage ne pourrait-il pas rencontrer la réprobation de tout catholique un tant soit peu cohérent?:
Ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur de réacteur d’une civilisation humaine ! Et que l’avenir de l’humanité passera demain non pas seulement par la résolution de la crise financière mais de façon bien plus essentielle par la résolution de la crise spirituelle sans précédent que traverse notre humanité tout entière ! Saurons-nous tous nous rassembler, à l’échelle de la planète, pour affronter ce défi fondamental ? La nature spirituelle de l’homme a horreur du vide, et si elle ne trouve rien de nouveau pour le remplir elle le fera demain avec des religions toujours plus inadaptées au présent – et qui comme l’islam actuellement se mettront alors à produire des monstres.
Je vois en toi, ô monde musulman, des forces immenses prêtes à se lever pour contribuer à cet effort mondial de trouver une vie spirituelle pour le XXIème siècle ! Malgré la gravité de ta maladie, il y a en toi une multitude extraordinaire de femmes et d’hommes qui sont prêts à réformer l’islam, à réinventer son génie au-delà de ses formes historiques et à participer ainsi au renouvellement complet du rapport que l’humanité entretenait jusque là avec ses dieux ! C’est à tous ceux-là, musulmans et non musulmans qui rêvent ensemble de révolution spirituelle, que je me suis adressé dans mes ouvrages ! Pour leur donner, avec mes mots de philosophe, confiance en ce qu’entrevoit leur espérance !
Ce sont surtout les passages soulignés par moi qui sont problématiques. On est là dans une pensée typiquement occidentale et indifférentiste, voire mondialiste (avec l'idée d'une nouvelle spiritualité à l'échelle mondiale). Et surtout, le philosophe sous-entend qu'il existe plusieurs religions inadaptées au présent, sans toutefois les citer. J'aimerais bien qu'il précise sa pensée, mais aussi qu'il se rende compte que le concept de religion inadaptée au présent est inaudible pour un croyant traditionnel. C'est une idée totalement nouvelle et typique de l'Occident post-chrétien. Auparavant, on pensait qu'une religion était inadaptée si elle était fausse, tout simplement.
Autre passage problématique:
Tu ne sais plus du tout qui tu es ni où tu veux aller, et cela te rend aussi malheureux qu’agressif… Tu t’obstines à ne pas écouter ceux qui t’appellent à changer en te libérant enfin de la domination que tu as offerte à la religion sur la vie toute entière.
Tu as choisi de considérer que Mohammed était prophète et roi. Tu as choisi de définir l’islam comme religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’Etat que sur la vie civile, aussi bien dans la rue et dans la maison qu’à l’intérieur même de chaque conscience. Tu as choisi de croire et d’imposer que l’islam veut dire soumission alors que le Coran lui-même proclame qu’« Il n’y a pas de contrainte en religion » (La ikraha fi Dîn). Tu as fait de son Appel à la liberté l’empire de la contrainte ! Comment une civilisation peut-elle trahir à ce point son propre texte sacré ?
Comment la plupart des musulmans pourraient-ils bien recevoir le premier paragraphe, constatant l'état de dégénérescence morale et spirituelle avancée de ceux qui les appellent à changer? Changer pour quoi? Pour devenir pareil à l'Occident, qui rejette son passé et sa morale traditionnelle? Par ce que les conséquences de ça:
la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias, c'est le monde occidental moderne et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il ne fait pas envie à tout le monde et surtout pas aux esprits profondément religieux.
Deuxième problème: ce n'est pas le monde musulman auquel s'adresse notre penseur qui a choisi de considérer Muhammad comme un prophète et un roi (ou plutôt un chef), ces données sont dans les textes sacrés eux-mêmes! De plus, le verset cité par Abdennour Bidar est abrogé par un verset plus belliciste envers les incroyants. C'est du moins une interprétation très largement partagée. Il ne s'agit donc pas de trahison du texte sacré. Au contraire, c'est Abdennour Bidar qui s'est fait un islam à sauce et donc compatible avec l'Occident post-chrétien. Je ne crois d'ailleurs pas me tromper en pensant que la majorité des savants musulmans considèreraient ce philosophe comme un apostat, tellement il s'éloigne de la religion traditionnelle. La question est donc: une telle transformation de l'islam est-elle possible à grande échelle? Les musulmans ont-ils envie massivement de renier leur foi pour finalement s'aligner sur l'Occident (car ne nous leurrons pas, les valeurs que propose notre penseur sont celles de l'Occident contemporain et indifférentiste)? Une telle rupture avec la foi traditionnelle s'est déjà effectuée avec le christianisme depuis quelques décennies (acceptation des valeurs révolutionnaires de la modernité), mais est-ce possible avec une religion comme l'islam, profondément légaliste? Je ne vous cache pas que je ne le crois pas, surtout dans le contexte actuel: les musulmans ont en effet la chance de voir ce que donnerait grosso modo une société sans Dieu et ce n'est d'après moi pas très beau à voir...
Mes critiques parfois dures n'ont pas pour but de dénigrer Abdennour Bidar, qui pose néanmoins des questions très intéressantes, et notamment ce passage:
Il ne faut donc pas que tu t’illusionnes, ô mon ami, en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l’islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d’évoquer – une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive – est trop souvent l’islam ordinaire, l’islam quotidien
La suite me pose plus de problèmes, car y est évoqué un
islam du passé dépassé. Une telle manière de voir sera certes partagée par tous les penseurs occidentaux, éloignés de la religion, mais pas par beaucoup de croyants sincères et notamment par nombre de musulmans, pour qui le passé de l'islam, et surtout celui des premières générations de croyants, représente un Age d'Or.
Je m'arrête à ce niveau de réflexion pour l'instant,
Suliko