Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

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Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par Mukassa » mer. 12 août 2009, 10:41

Interressante interview de Patrice de Plunkett. J'espère que cette rubrique est la mieux indiquée pour ce post.

Interview de Patrice de Plunkett

Les évangéliques à la conquête du monde est le titre de votre dernier livre. Quel était votre objectif ?

Je fais des enquêtes sur les phénomènes spirituels d'aujourd'hui. J'avais déjà enquêté sur les rapports entre l'écologie et la pensée chrétienne ; sur l'Opus Dei (phénomène hautement controversé) ; sur Joseph Ratzinger et les raisons de son élection comme pape... Pourquoi s’intéresser maintenant aux chrétiens évangéliques ? Parce que c'est un phénomène en forte expansion et très controversé lui aussi dans les médias. Mes confrères journalistes appliquent aux évangéliques la même incompréhension qu'ils appliquent à tout ce qui est religieux. Je déplore ce fossé entre la société ambiante et les religions. Mais il faut reconnaître que certaines religions sont plus tolérées que d'autres...

Lesquelles ?

En France, l'islam est regardé avec un a priori favorable malgré l'existence de l'islamisme. Les raisons sont politico-médiatiques (l'immigration), mais pas religieuses : les mêmes gens qui ont un regard sociologique sur l'islam seraient par ailleurs incapables de parler de la religion musulmane !
Les protestants de la mouvance réformée, eux aussi, sont plutôt bien vus des médias - mais pour une autre raison : on croit voir chez eux un relativisme de bon aloi... A l'inverse, on constate une malveillance médiatique envers les catholiques croyants et les évangéliques. Pourquoi une animosité vis-à-vis de ces derniers ? Tel était le point de départ de mon enquête.

Aviez-vous des a priori ?

Le protestantisme évangélique est une religion de convertis. Etant moi-même un converti (une sorte de born-again catholique des années 85-90), je perçois tout chrétien converti comme un proche parent. J'avais donc un a priori favorable envers le converti évangélique, pour les raisons même qui créent un a priori défavorable chez beaucoup de journalistes : la conversion et la foi.

Vous consacrez une place importante à l’histoire des évangéliques. On y apprend qu’ils ne doivent pas tout aux Américains, contrairement à ce que suggèrent d’autres observateurs…

Je pose cette question dans le livre : d'où vient le phénomène évangélique ? Là, on a des grandes surprises ! Les racines de l'évangélisme ne sont pas américaines mais européennes, pratiquement contemporaines des premières années de la Réforme. Qu'il y ait un lien entre les anabaptistes de Zürich en 1523 et les évangéliques de 2009 est une idée répandue chez les évangéliques, mais pas dans les autres milieux. J’évoque cette lointaine histoire dans mon enquête... Mais je fais d'autres découvertes. Ainsi par exemple, vers 1700, au moment de la Guerre des camisards : le « pentecôtisme » (si j'ose dire) des petits bergers des Cévennes ! C'est une histoire stupéfiante, très peu connue. Qui parle aujourd'hui de cette vague de prophétisme cévenol ? Cela intéresserait pourtant les Français, de savoir que le pentecôtisme a des racines ici sous Louis XIV ! Ce n'est donc pas quelque chose qu'on aurait totalement « importé des Etats-Unis ».

Combien de temps avez-vous consacré aux évangéliques d’aujourd’hui ?

J'ai passé un an à fréquenter des cultes dans toute la France. Auparavant j'étais allé en Corée du Sud, où j'avais vu des assemblées évangéliques. J'ai beaucoup discuté avec des convertis évangéliques, en particulier à Mulhouse à la Porte ouverte chrétienne... D'où cette question entre autres, que je pose dans le livre : pourquoi certains nouveaux convertis, venus de l'indifférence religieuse, ont-ils choisi une assemblée évangélique plutôt qu'une paroisse catholique ? Les réponses qu'ils m'ont faites m'ont beaucoup intéressé en tant que catholique.

Etes-vous surpris par l'accueil relativement favorable réservé à votre livre dans les milieux évangéliques ?

Heureux, pas surpris ! J'ai voulu faire un livre lucide mais sans malveillance. En plus, nous avons ce point commun qu'est la conversion : je comprends ce que le converti ressent, je ne le considère pas comme un fou sectaire ou une bête curieuse... J'ai une empathie avec lui. Beaucoup d'évangéliques y sont sensibles et m'écrivent (sur mon blog) que mon livre leur semble assez objectif.

D’après vous, beaucoup d'observateurs et de journalistes prennent les convertis pour des gens un peu bizarres…

Depuis les années 1970, les médias considèrent que ce qui n'est pas intéressant, dans une religion, c'est l'aspect... religieux. N'est intéressant (à leur avis) que l'aspect sociologique, politique, etc.. Quand on explique à certains observateurs que le moteur des religions est le religieux, ils vous regardent soupçonneusement et se demandent si vous êtes intolérant ! Pour eux, l'intolérance c'est de croire réellement en Dieu. Le bon chrétien, à leurs yeux, c'est celui qui serait le moins chrétien possible - mais qui garderait des « valeurs », comme on dit. Que signifient des « valeurs » si on supprime leur source ? On croit en Jésus Christ mort et ressuscité ou on ne croit à rien, et si l'on ne croit pas, on n'est pas chrétien. J'aimerais que le catholicisme se libère de ceux qui prétendent (sans foi) l'apprécier et le soutenir par passéisme, nostalgie, etc. Ou par utilitarisme politique : ainsi le regrettable « discours de Latran » de Nicolas Sarkozy.

Les évangéliques sont des « protestants explosifs », dites-vous. Ils seraient « à la conquête du monde ». Pourquoi utiliser ces termes qui ne correspondent pas à tous les évangéliques ?

Le langage guerrier, beaucoup de courants évangéliques l'utilisent ! Dans les Marches pour Jésus, il est question de « conquérir » la cité ! C'est bien de la « conquête », revendiquée comme telle... A Bercy, le dimanche de Pentecôte de cette année, le pasteur Freddy De Coster a employé l'expression « prendre autorité »... On voit ce qu'il veut dire chrétiennement, mais ce vocabulaire de combat spirituel permet des dérapages. Il y a des déviances chez certains évangéliques : leur religion frôle parfois le magique et la « guerre des esprits ». Là, on sort du christianisme ! Contre ce genre de choses, Paul met en garde dans ses épîtres. Et beaucoup d'évangéliques également.

Ce langage-là, comment vous parle-t-il en tant que catholique précisément ?

Si j'étais un catholique intégriste, il ne me choquerait pas : les intégristes aiment les idées guerrières. N'étant pas intégriste, je trouve que c'est un vocabulaire dangereux. Quand Paul utilise des termes comme « bouclier », « casque », « glaive » [lire notamment l’épître aux Ephésiens, chapitre 6, ndlr], il se sert des métaphores. Le danger serait de les prendre au pied de la lettre et de survaloriser l'idée de conflit. Affronter les puissances des ténèbres, Jésus l'a fait pour nous et il les a vaincues ; ce n'est pas à refaire. Les conflits spirituels que nous vivons ici-bas durant notre existence terrestre, ne nous en exagérons pas la portée ! L'important est la foi que nous avons reçue. Tout ce qui n'est pas le kérygme, le noyau de la foi, n'est qu'effet secondaire : la doctrine et la morale mêmes ne sont que conséquences développées par la foi. Ne prenons pas les conséquences pour l'essentiel.

Dans votre livre, vous dites que certains pentecôtistes, notamment en Afrique, mêlent des traditions ancestrales avec la foi chrétienne...

Les théories de la « guerre spirituelle » ont été inventées non par des Africains mais par des Nord-Américains. De là elles ont proliféré en Afrique. Mais introduire dans la religion des théories stratégiques de « guerre contre les esprits », c'est un dérapage redoutable : c'est survaloriser le mal. Or dans le christianisme, Satan n'est pas le symétrique de Dieu : c'est une créature qui n'existe que par l'autorisation de Dieu ! A force de survaloriser les esprits du mal, on sort du christianisme... Ainsi l'idée de « guerre contre les esprits » a poussé une partie du néo-pentecôtisme africain à fusionner avec les religions traditionnelles : dans celles-ci, les esprits ne sont pas bons ou mauvais, ni créés par Dieu ; ce sont des forces qu'il faut se concilier (comme dans tout paganisme). Le néo-pentecôtisme ajoute sans doute à cela un vocabulaire de bien et de mal venu du christianisme, mais qui vient seulement pimenter la vieille négociation païenne avec les « esprits ».

Beaucoup de personnes issues de cette culture-là disent vivre une délivrance en contact avec le Dieu des chrétiens…

La conversion chrétienne agit en effet comme une libération, quand elle est authentique. Et bien entendu, dans les Actes, les apôtres chassent des esprits. Mais ils les chassent au nom de Jésus-Christ, sans leur donner trop d'importance. Certains néo-pentecôtistes vont beaucoup plus loin – et même « ailleurs » : ils invoquent la puissance pour la puissance, en utilisant la Bible comme un gri-gri. Ce n'est plus du christianisme...
Cela dit, ce genre de risque a toujours été présent dans le christianisme. La religion rurale du Moyen-Age européen avait de larges zones d'ambiguïté paganisante, et il a fallu deux Réformes (la Réforme protestante suivie de la Réforme catholique tridentine) pour faire le tri ! L'instinct de l'homme est païen. On ne naît pas chrétien, on le devient...

La culture individualiste de beaucoup d'évangéliques, surtout des jeunes, serait en phase avec la société contemporaine. Elle contribuerait grandement à la croissance du nombre d'évangéliques. Partagez-vous cette affirmation ?

Affirmation en partie juste. Mais « en phase » ne veut pas dire « en accord » ! Le moteur dans une religion, c'est le religieux ; le religieux, c'est la foi ; et, aujourd'hui, la foi c'est la conversion : parce que nous sommes dans une société où les transmissions ne se font plus. Ni la culture, ni la religion ne se transmettent. De plus en plus, ceux qui adhèrent à une foi religieuse le font par décision personnelle, ex nihilo. Ce sont des convertis. Ce ne sont pas des héritiers... Alors, oui, dans cette mesure, le christianisme de conversion des évangéliques est « en phase » avec l'état actuel des mentalités. Là où les transmissions ne se font plus, tout commence à zéro pour tout le monde, tous les matins, dans tous les domaines ! L'attitude évangélique est « matinale » puisqu'elle repose à 100 % sur la conversion. Donc elle répond d'emblée au mode de fonctionnement de la société actuelle...
Les catholiques ont plus de mal avec cette société : l'organisme collectif catholique repose sur la transmission, ce qui met cette Eglise à contrepied de notre société : toute la structure catholique, avec son côté organique, hiérarchique, est une protestation contre la société actuelle. Les vrais protestants sont les catholiques aujourd'hui ! Les catholiques croyants vivent une sorte de contre-culture.
Est-ce un mal ? Faudrait-il dire que la société actuelle est formidable ? C'est ce que pensent beaucoup de mes confrères journalistes. La seule chose qui leur plaise chez les évangéliques, c’est leur côté « de plain-pied avec l'époque » : l'interactif, la musique, la simplicité directe, l’absence de médiation... Mais le problème pour mes confrères est que les évangéliques croient « trop » en Jésus !
En résumé : avantage aux évangéliques, parce qu'ils ont un accès direct aux mentalités d'aujourd'hui. Désavantage aux catholiques, qui ont un effort à faire dans ce sens, pour se doter d'une dimension qu'ils ne possédaient pas vraiment jusqu'ici. Beaucoup de responsables catholiques le savent et le disent.

Mais que peut faire l'Eglise catholique, concrètement ?

En France, faire revivre la paroisse ! La moitié des paroisses françaises sont en train d'agoniser. Pas assez de jeunes... Pourquoi est-ce ainsi ? Il y a des raisons démographiques, territoriales, sociologiques. Mais en tant que croyant, je pense que c'est aussi (voire surtout) l'ultime conséquence du dessèchement spirituel qui a saisi l'Eglise catholique française dans les années 1970, après le Concile, qui a été trahi par ce qu'on appelait alors le « progressisme » catholique : une véritable entreprise de déspiritualisation. Les « progressistes » ont voulu bâtir une religion sans religion, avec l'appui des médias. Ils ont entrepris de détruire le sens de la Présence réelle eucharistique, alors que c'est le coeur nucléaire du catholicisme et de la paroisse. Ils ont essayé de transformer la messe catholique en une espèce de mauvaise imitation d'un culte protestant mais sans l'enthousiasme évangélique, sans la flamme de la prière, et avec des chants ringards. C'était si nul que les gens sont partis ! Beaucoup de catholiques sont passés chez les évangéliques : car « les évangéliques, eux, parlent de Dieu à l'église », m'ont dit de vieux Alsaciens ex-catholiques... Des jeunes, eux, m'ont dit qu'ils avaient commencé par essayer une paroisse catholique mais que « les catholiques ne se parlent pas à la sortie de la messe », et qu'ils étaient allés avoir chez les évangéliques : « Ici, tu vois, c'est une famille ! »
Faire revivre la paroisse catholique, c'est remettre l'eucharistie au centre de tout parce que tout le reste est donné par surcroît. A partir du moment où les catholiques recommenceront à croire en l'eucharistie, la paroisse refleurira, redeviendra un foyer d'amitié, d'entraide : tout cette sociabilité qui lui manque à l'heure actuelle en beaucoup d'endroits. Les catholiques ne doivent pas commettre l'erreur d’imiter ce qu'ils croient être les « recettes » des évangéliques : le marketing, la musique, etc.. Ce serait absurde. Ils doivent remettre l’eucharistie au centre. C'est là leur vrai trésor.

Vous êtes très critique à l’égard de la théologie de la libération développée en Amérique latine dans les années 70 et 80. Celle-ci « avait persuadé une partie du clergé latino-américain de dissoudre le spirituel dans le sociopolitique », dites-vous (page 109). Si on admet l’idée qu’il y a eu un déficit en matière spirituelle, on pourrait quand même y voir aussi une source de progrès social allant dans le sens de l’évangile. Lula, le très populaire président brésilien de gauche, est issu de cette « Eglise (catholique) des pauvres ». Il revendique haut et fort sa foi catholique. C’est bien, non ?

Je suis moins enthousiaste que vous. Même si Lula avait une bonne politique économique, ça ne changerait rien à ce qui s'est passé il y a vingt-cinq ans en Amérique latine sur le plan religieux. Je vous rappelle la phrase de Mgr Romero, l'archevêque du Salvador assassiné par les escadrons de la mort : « Pour lutter aux côtés des pauvres, je n'ai besoin ni de Fidel ni du Che : Jésus me suffit. » C'était une critique de ce qui se présentait alors comme une théologie de la libération, mais qui ajoutait à la lutte politique (nécessaire) une idéologie de déspiritualisation (superflue). Cette déspiritualisation a rebuté des centaines de milliers de catholiques de base : ceux-ci sont partis chez les évangéliques qui, eux, leur parlaient de Dieu ! C'était avant le boom des charlatans matérialistes de « l'Evangile de la prospérité ».
Quant à Lula, il a cruellement déçu les masses paysannes pauvres au Brésil. C'est l'homme qui refuse de faire le partage des terres et la révolution agraire. Il accepte au contraire de retirer des milliers d'hectares aux cultures alimentaires, pour y faire de l'agro-carburant destiné aux voitures des pays riches de l'hémisphère Nord... Depuis qu'ils l'ont vu embrasser GW Bush en 2007, les paysans sans terre considèrent Lula comme une sorte de traître !


Avec ce discours-là, vous pourriez travailler pour Témoignage chrétien !

C'est le paradoxe d'une existence d'homme : le changement est une loi de la vie... Dans les années 1980 je dirigeais le service culture du Figaro Magazine, dont le service politique avait déclaré la guerre au Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD). Aujourd'hui je partage beaucoup d'analyses du CCFD ! Mais je ne suis pas seul chez les catholiques à avoir suivi ce type de trajectoire. Heureusement.


Votre façon de parler de la nécessité de partager les richesses et de se conformer à une éthique chrétienne en matière de sexualité, par exemple, évoque pour moi le théologien évangélique « de gauche » Jim Wallis. Vous en parlez dans votre livre. Qu’en pensez-vous ?

J’apprécie ce que j’ai lu de lui. Jim Wallis a dit : « Il y a 2500 versets bibliques expliquant qu’il faut lutter généreusement contre la pauvreté, et seulement 12 versets qui parlent de l’homosexualité : alors pourquoi parlons-nous toujours de l’homosexualité et non pas de la pauvreté ? » Je suis d’accord avec Wallis là-dessus. Pendant la dernière campagne présidentielle, Obama a pris l’engagement d’accentuer les programmes sociaux pour aider les femmes enceintes à garder leurs enfants ; Wallis dit qu'il faut pousser Obama à tenir parole (« ce serait plus efficace pour réduire le nombre d'avortements que de manifester dans les rues avec la « droite religieuse »)... Je suis d’accord aussi avec cette analyse.


La « Nouvelle évangélisation » catholique lancée par Jean Paul II a été inspirée par ce que font les évangéliques. Permet-elle de faire redécouvrir le catholicisme aux catholiques ?

Il y a « nouvelle évangélisation » par les catholiques là où les catholiques ont commencé par se ré-évangéliser eux-mêmes. Cet été, en France, les mouvements et les diocèses catholiques organisent des centaines d'événements pour les jeunes. Les catholiques français en général le savent-ils, s'en soucient-ils ? Un peu, mais pas assez. Je pense que l'organisme catholique entier devrait être irrigué par ce désir de ré-évangéliser. Sinon, on n'aura que des expériences pilotes... Une partie des catholiques français ont peur de montrer trop de foi ; ce ne sont pas des convertis mais des héritiers, et des héritiers sceptiques... Ils raffolent des livres qui mélangent Bouddha, Socrate et Jésus-Christ. C'est quelque chose qu'ils partagent avec beaucoup de réformés. Mais pas avec les évangéliques ! Voila ce qui me plaît chez ces derniers : là, ils sont vraiment à contre courant de la société actuelle. Ils ne sont pas relativistes.


Certains catholiques qui évangélisent copient sur les évangéliques. En tant que catholique, vous arrive-t-il de craindre qu’ils s’en inspirent aussi sur le plan théologie ?

Je ne crois pas que tel genre de musique, ou telle technique d'évangélisation, véhicule une théologie plutôt qu'une autre. Ma seule crainte, c'est que des catholiques puissent s'imaginer qu'il suffirait « d'emprunter des méthodes ». Alors qu'il leur faut plutôt ressourcer et revitaliser leur foi, leur formation, leur connaissance de la théologie... Ainsi la question eucharistique dont j'ai parlé. Or c'est la question qui sépare protestants et catholiques ! Certains catholiques ont tendance à dire : « écartons ce qui nous sépare des protestants ». Mais si ce qui nous sépare fait partie de l'essentiel, il ne faut pas l'écarter ! Le protestant, en conscience, pense que le catholicisme abuse dans sa définition de l’eucharistie ; le catholique croyant, en conscience, pense que cette définition n'est pas un abus mais une action de grâces ! Acceptons que cela reste un sujet de division entre frères séparés. Il faut avoir confiance en Dieu : Il résoudra la question quand Il voudra. À Lui rien d'impossible.


Comment expliquer qu'on arrive à remplir « nos » temples et que vous arrivez à remplir « vos » églises en prônant une éthique chrétienne qui va à l'encontre des valeurs de la société actuelle ?

L'essentiel est la foi, le kérygme. Tout le reste vient de la foi. Si tu as la foi, tu sais par exemple ce qu'est le mariage pour un chrétien, car le mariage a une signification particulière depuis la théologie de Paul : l'union de l'homme et de la femme a un reflet de sacralité, venu de l'union du Christ et de l'Eglise... On n'est pas croyant à moitié. On l'est totalement ou pas du tout. C'est pour cette raison que les convertis changent de vie. Ils ne « se » convertissent pas à une morale : ils « sont convertis » par la grâce de l'Esprit. Un jeune gay envoie ce commentaire sur mon blog : « Dieu ne nous veut pas hétérosexuels, il nous veut saints. »
Curieusement, les seuls qui fassent des objections sont de vieux catholiques tièdes qui continuent à dire, par exemple : « L'Eglise sera hors de l'époque tant qu'elle n'acceptera pas de s'ouvrir au mariage homosexuel... » Ils sont restés dans les idées des années 1980, leurs slogans viennent de la faiblesse de leur foi. En revanche, les jeunes catholiques croyants ne pensent pas que ce genre de question (les nouvelles moeurs etc) soit le centre de tout. Ils comprennent que l'enjeu est infiniment plus vaste et plus profond. Discutailler sur les moeurs n'est pas leur affaire ; eux cherchent l'absolu de la foi.


Vous avez pu comparer différentes théologies. Qu'est-ce qui vous choque chez les évangéliques ?

Je ne me choque pas facilement. Je ne suis choqué que par les déviances hors du christianisme : par exemple la « théologie de la prospérité », les violences verbales ahurissantes des pasteurs d'églises comme Charisma. Mais dans les assemblées pentecôtistes en général, ou chez les baptistes, ou chez les libristes, rien ne saurait me choquer. Tout m'est sympathique. J'ai simplement l'impression qu'il manque quelque chose de vital : l'eucharistie, au sens catholique du terme…


Que pensez-vous de la Segond 21, une Bible protestante à 1,5 euro et une nouvelle traduction faite par des évangéliques ?

J’aime bien son style direct (proche de la simplicité du texte hébraïque, disent les experts !). Je m’en sers souvent, notamment dans mes conférences sur la Bible et l’écologie. Elle est facile à manier. Et le prix plus qu'abordable – 1,5 euro – permet à n’importe qui de l’acheter : aucune excuse de ne pas avoir une Bible chez soi.


Vous vous êtes converti à Paray-le-Monial. Parlez-nous de cette expérience.

J’avais envoyé promener toute religion en 1968, et j'avais passé dix ans dans des milieux philosophiques antichrétiens. Quand j’ai découvert Paray-le-Monial en 1986, j’ai eu l’impression de découvrir littéralement le christianisme. J’y ai reçu la foi, et j’ai compris que je ne l’avais jamais vraiment eue avant de la « perdre » dix ans plus tôt : si on a reçu la foi, on ne peut pas la perdre. Cela ne dépend pas de nous.
Paray-le-Monial, la communauté de l'Emmanuel, c’était le Renouveau charismatique catholique. J'y ai découvert que les voies du Seigneur déroutent les réflexes des hommes partisans... Les intégristes catholiques disaient : « Les charismatiques, c’est le pentecôtisme protestant qui envahit l’Eglise catholique ». A l'inverse, les pentecôtistes anti-œcuméniques disaient : « Ces charismatiques, c'est le cheval de Troie de l’Eglise catholique qui envahira le protestantisme ! ». Les extrémistes des deux camps faisaient la même accusation, à front renversé. Ils étaient à côté du sujet.
Il est vrai que l’Emmanuel avait fait des emprunts au pentecôtisme : la façon de prier en petits groupes ou en foule, parfois le chant en langues (moins qu’on ne croit), une certaine spontanéité… Et tout cela a fait le plus grand bien aux catholiques qui avaient une pratique formelle de la prière. Ou qui priaient peu.
Mais le plus important, pour moi et des milliers d'autres, c'est qu'à Paray on éprouvait la présence du Christ à travers l'eucharistie : le « saint sacrement », qui connaissait une terrible éclipse dans les paroisses catholiques françaises depuis les années 1970.


« L’univers protestant demeure un volcan de contradictions », dites vous dans la dernière phrase de votre livre. Un volcan ? Quelles contradictions ?

N'y voyez pas une note polémique : je ne fais que constater, et les contradictions ne me font pas peur ! Le volcan apparaît dès l'aube de la Réforme. La première contradiction est entre la cérébralité de la religion de Calvin (quoiqu’il s’en défende) et le besoin d’une religion de cœur. C'est la scission anabaptiste... Une infinité d'autres subdivisions, séparations et évolutions parallèles fleuriront ensuite, les entreprises de recherche spirituelle protestantes se démultiplieront sans jamais se stabiliser. On a tort d'ironiser devant la multiplicité de ces Eglises, comme le font des athées et certains catholiques : cette recherche indéfinie est spontanée, et se manifestera tant que le protestantisme sera ce qu’il est. D'où vient ce mouvement irrépressible ? Les hypothèses et les explications sont innombrables. Mon impression personnelle est que tout remonte à la scission entre religion de l'intellect et religion du coeur. Et, comme catholique, j'ai tendance à penser que seule la Présence réelle eucharistique unifie le coeur et l'intellect, et le corps aussi puisqu'elle saisit toute la personne. Mais, bref ! Les chrétiens divisés se réunifieront quand Dieu le voudra. On ne sait pas quand. Le temps n’est rien dans l’éternité.
Il ne faut pas s’énerver sur les « progrès » et les « reculs » de l’œcuménisme, comme disent les journaux. D'ailleurs ils ne savent pas de quoi ils parlent : leur vision de l'œcuménisme consisterait à vider les confessions de leurs contenus pour faire une sorte d’Unesco. Le vrai œcuménisme, c’est par exemple la rencontre du Forum chrétien mondial à Nairobi en novembre 2007 : 250 hauts représentants de toutes les confessions chrétiennes rassemblés, au delà des différences, pour partager l'expérience spirituelle. Voila ce qui est important.

Faut-il « évangéliser les évangéliques », comme le suggère Richard Borgman, un catholique longuement cité dans le livre Dieu est de retour par Jean-Baptiste Maillard ?

Borgman est un évangélique converti au catholicisme. Et les convertis en font toujours trop ! Je parle d’expérience… (rires). Ce n’est certainement pas ainsi qu’il sera écouté par ses anciens frères évangéliques. C’est un peu une provocation.
Dans ce climat, sa phrase ne pouvait qu'être mal interprétée quand il dit : « Enlevez Marie et l’Eglise catholique, et vous n’avez plus d’Evangile ». Or cette phrase-là n'est pas une provocation. Elle exprime une réalité. S’il n’y avait pas eu Marie et l'Eglise, il n’y aurait pas d’Evangile : l’Evangile a été écrit par l'Eglise (ce n'est pas le Coran « tombé du ciel »), et l'Eglise a commencé quand Marie a dit oui à l’ange... Si Marie avait dit non, il n’y aurait pas eu le Christ ni l’Evangile. Ainsi Marie est la première Eglise. Mais comme l'Eglise, Marie reçoit tout du Christ. Donc un catholique, s'il prie Marie, est centré sur le Christ, comme Marie ! La mariolâtrie n'existe pas. Ou, si elle existe, c'est une hérésie du point de vue catholique...
Je pense qu’il faut dissiper les quiproquos. L’Eternel décidera du jour où il réunira ceux qui se sont séparés. Nous, maintenant, notre première tâche est de clarifier nos idées pour savoir de quoi on parle. On peut voir ensemble les définitions des problèmes, au lieu de s’accuser les uns les autres de choses plus ou moins inexactes.

Peut-on évangéliser ensemble ?

Nous pouvons nous évangéliser mutuellement. C’est possible par l’écoute et le respect de l’autre, auquel nous sommes censés témoigner nous-mêmes de notre fidélité au Christ : si l'on ne respecte pas l’autre, on ne vit pas l’Evangile. Imaginons un catholique assistant à un culte pentecôtiste. Il a des réactions intérieures. A quoi se réfère-t-il ? A ses habitudes de milieu ? ou à l’Evangile ? Qu'il s'interroge là-dessus ! Ce genre de questionnements purifie. J’ai passé un an à fréquenter des assemblées évangéliques : je ne suis plus tout à fait le même. Je suis toujours aussi catholique, mais autrement. J’ai fait un tri, dans mes réflexes, entre ce qui venait de l’Evangile et ce qui venait d'habitudes mentales. Ces dernières sont rarement bonnes.
Pour répondre à votre question : peut-on évangéliser ensemble ? Ce serait ambigu : même si nous savons tous que l'Esprit nous est donné pour nous faire remonter vers le Père, dans le Christ, par l'action de grâces, même si nous recherchons tous l'expérience personnelle de la vie dans l'Esprit, nous avons par ailleurs trop de divergences théologiques... Mais nous nous retrouverons côte à côte de toute façon : sur le terrain, sur le net, dans les médias. À nous de veiller à ce que notre différence ne se retourne pas en contre-témoignage, contre l'Evangile qui nous est commun.

Recueilli par Henrik Lindell disponible sur http://www.dieu-et-moi.com/thematiques/ ... edb9b4128c

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Alex67
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Re: Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par Alex67 » dim. 04 oct. 2009, 0:35

Il parait que Patrice de Plunkett a écrit un bon livre que je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de lire.

J'ai écouté ses interventions sur les radios France Info et TopInfo.

Pour faire simple : c'est un gars objectif.

MB
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Re: Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par MB » mar. 06 oct. 2009, 23:53

Avé

J'ai souvent eu envie de gueuler contre Plunkett dans d'autres sujets, mais cette interview est réconfortante. L'ayant déjà lue il y a quelque temps, et la reparcourant grâce à vous, je note un passage qui me semble vraiment très fin, et que l'on devrait méditer :
La culture individualiste de beaucoup d'évangéliques, surtout des jeunes, serait en phase avec la société contemporaine. Elle contribuerait grandement à la croissance du nombre d'évangéliques. Partagez-vous cette affirmation ?

- Affirmation en partie juste. Mais « en phase » ne veut pas dire « en accord » ! Le moteur dans une religion, c'est le religieux ; le religieux, c'est la foi ; et, aujourd'hui, la foi c'est la conversion : parce que nous sommes dans une société où les transmissions ne se font plus. Ni la culture, ni la religion ne se transmettent. De plus en plus, ceux qui adhèrent à une foi religieuse le font par décision personnelle, ex nihilo. Ce sont des convertis. Ce ne sont pas des héritiers... Alors, oui, dans cette mesure, le christianisme de conversion des évangéliques est « en phase » avec l'état actuel des mentalités. Là où les transmissions ne se font plus, tout commence à zéro pour tout le monde, tous les matins, dans tous les domaines ! L'attitude évangélique est « matinale » puisqu'elle repose à 100 % sur la conversion. Donc elle répond d'emblée au mode de fonctionnement de la société actuelle...
Les catholiques ont plus de mal avec cette société : l'organisme collectif catholique repose sur la transmission, ce qui met cette Eglise à contrepied de notre société : toute la structure catholique, avec son côté organique, hiérarchique, est une protestation contre la société actuelle. Les vrais protestants sont les catholiques aujourd'hui ! Les catholiques croyants vivent une sorte de contre-culture.
(...)
En résumé : avantage aux évangéliques, parce qu'ils ont un accès direct aux mentalités d'aujourd'hui. Désavantage aux catholiques, qui ont un effort à faire dans ce sens, pour se doter d'une dimension qu'ils ne possédaient pas vraiment jusqu'ici. Beaucoup de responsables catholiques le savent et le disent.

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Re: Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par Alex67 » mer. 07 oct. 2009, 10:15

La culture individualiste de beaucoup d'évangéliques, surtout des jeunes, serait en phase avec la société contemporaine.
La conversion est un acte individualiste, en ce sens c'est correct. On n'est pas chrétien par naissance, mais seulement par conversion, ce qui est individualiste.

Mais la pratique est communautaire, plus qu'ailleurs. En dehors de l'évangélisation en direction des non-chrétiens, le monde évangélique est un monde à part où l'on aime se retrouver "entre nous". Les évangéliques, c'est un monde qui a ses groupes d'étudiants, ses soirées de louanges pour jeunes, ses colonies de vacances, ses chanteurs-stars, ses associations (sociales, écologistes, politiques), ses écoles, ses librairies, ses radios et chaine de télé, etc... et même son parti politique !

S'il est vrai que les catholiques, on aussi tout ça, j'ai l'impression que chez l'évangélique de base, il y a une incitation plus forte à se rester "entre soit" et à se marier "entre soit" que chez le catholique de base.
En résumé : avantage aux évangéliques, parce qu'ils ont un accès direct aux mentalités d'aujourd'hui
Heu... Je ne crois pas que ce soit une mentalité d'aujourd'hui bien acceptée dans la population que de dire que Jésus est notre Sauveur. Ni même de dire qu'il faut attendre le mariage avant d'avoir ses premières relations sexuelles.

gerardh
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Re: Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par gerardh » mer. 07 oct. 2009, 16:35

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Bonjour,

Je pense qu'après la conversion, il ne faut pas s'arrêter là : il est souhaitable que la foi soit fortifiée et que le Christ soit mieux connu : cela s'appelle de l'édification. Lors de ses voyages Paul était revenu vers des chrétiens qu'il avait déjà convertis "pour voir comment ils allaient". De plus, il laisse des serviteurs comme Timothée ou Tite pour affermir la foi des nouveaux convertis.


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Alex67
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Re: Eglise catholique et évangéliques: Interview de Plunkett

Message non lu par Alex67 » ven. 09 oct. 2009, 21:10

gerardh a écrit :Je pense qu'après la conversion, il ne faut pas s'arrêter là : il est souhaitable que la foi soit fortifiée et que le Christ soit mieux connu : cela s'appelle de l'édification.
La conversion n'est que le début de la vie chrétienne.

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