Modernisme ?

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prodigal
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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 10:18

Cinci a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 4:47
Le problème que pose le modernisme c'est bien le fait que la critique reste pourtant nécessaire. Un honnête catholique pourrait passer bien à tort pour un moderniste et au motif qu'il critiquerait certains éléments ou inviterait à une révision dans la manière de recevoir tel passage. Un vrai moderniste pourrait être pris pour un honnête théologien, un bibliste catholique faisant simplement son métier et parce que tous peuvent se livrer à des examens critiques apparemment. Parfois c'est bluffant. Il pourrait prendre des années avant de réaliser que le professeur Machin n'a finalement rien d'un catholique.

Je me souviens par exemple d'avoir déjà écouté une ou deux conférences du professeur Thomas Römer, des conférences très longues. Et à la sortie j'aurais été bien en peine de vous dire si le prof est catholique, protestant ou moderniste. A une autre occasion, je me serai déplacé en personne pour entendre un cours d'exégèse des Évangiles livré par une bibliste de l'Université de Montréal et à la maison-mère d'une vénérable communauté de soeurs catholiques. J'écoute le cours et après deux heures je ne saurais pas vous dire si la bibliste a la foi, si elle travaille vraiment au bénéfice de l'avancement des âmes et pour la gloire d'une saine théologie ou bien si elle serait en train de faire une Hans Küng d'elle-même.
Je profite de ce post très intéressant pour essayer de revenir au sujet, en demandant à ceux qui en préfèrent un autre de bien vouloir, s'il leur plaît, ouvrir le fil adéquat pour mener leurs discussions. :siffle:
Vous mettez l'accent, cher Cinci, sur ce que j'appellerai la loi du silence. Les modernistes avancent masqués. Pourquoi? Il y a plusieurs explications à ce phénomène.
1) l'explication traditionaliste : parce que ce sont de sales hypocrites suppôts de Satan qui comme chacun sait est le père du mensonge. Pas forcément totalement faux, mais tout de même un peu manichéen!
2) l'explication progressiste : parce qu'ils se heurtent à la répression inquisitoriale des esprits étroits et bornés (les traditionalistes, vous les aviez reconnus :D ) et ne peuvent s'en tirer qu'en taisant ce qui dépasse la faible intelligence des susnommés, incapables de la moindre nuance. L'existence d'un serment anti-moderniste a renforcé cette hypothèse, mais celle-ci n'en reste pas moins tout aussi manichéenne que la précédente.
3) l'explication "paranoïaque" : parce qu'ils sont les surgeons du gnosticisme, infiltrés par la franc-maçonnerie et de surcroît agents de Moscou, donc soumis à la discipline du secret. En réalité, si l'on peut trouver effectivement des passerelles idéologiques avec la franc-maçonnerie, cela perd de sa crédibilité quand on tente de rapprocher modernisme et gnose, qui a priori tendraient à s'exclure, le moderniste ne reconnaissant que la science profane comme instance de vérité.
Mais je serais tenté d'en retenir une quatrième. C'est, selon ma suggestion, parce que l'on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu. Je m'explique. La crise moderniste, en réalité, ne serait pas un phénomène marginal, mais traduirait la crise profonde de la foi chrétienne, qui semble incompatible avec le monde moderne (d'où la célèbre conclusion du Syllabus de Pie IX). Certains s'en accommodent en rejetant tout ce qui est postérieur au XIIIe siècle, d'autres s'en accommodent en quittant le navire et en assumant d'avoir perdu la foi. Mais la majorité d'entre nous ne s'en accommode pas, tout simplement. Et beaucoup préfèrent éviter le sujet plutôt que de risquer d'avoir à affronter des constats déprimants. Chacun rumine alors ses petits secrets intérieurs et ses doutes.
Il existe un roman de Georges Bernanos dont le personnage principal est un prêtre historien du sentiment religieux et moderniste. Il s'appelle L'Imposture.
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Message non lu par aldebaran » mar. 22 oct. 2019, 15:08

prodigal a écrit :Mais je serais tenté d'en retenir une quatrième. C'est, selon ma suggestion, parce que l'on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu. Je m'explique. La crise moderniste, en réalité, ne serait pas un phénomène marginal, mais traduirait la crise profonde de la foi chrétienne, qui semble incompatible avec le monde moderne (d'où la célèbre conclusion du Syllabus de Pie IX). Certains s'en accommodent en rejetant tout ce qui est postérieur au XIIIe siècle, d'autres s'en accommodent en quittant le navire et en assumant d'avoir perdu la foi. Mais la majorité d'entre nous ne s'en accommode pas, tout simplement. Et beaucoup préfèrent éviter le sujet plutôt que de risquer d'avoir à affronter des constats déprimants. Chacun rumine alors ses petits secrets intérieurs et ses doutes.
Il existe un roman de Georges Bernanos dont le personnage principal est un prêtre historien du sentiment religieux et moderniste. Il s'appelle L'Imposture.
Je suis d'accord avec l'analyse. Mais la foi en occident ne pourra resurgir, nous ne pourrons ré-évangéliser qu'une fois ce paradoxe résolu. Science et foi, il faut les deux! Et je pense sincèrement que c'est possible sans tout démythifier à la sauce moderniste.
Suroît a écrit :Je pense que ces oppositions appartiennent toutes à la modernité et en portent les stigmates, notamment dans la perte du sens symbolique et le problème de la démythologisation dont nous parlions plus haut. Traditionalisme et modernisme participent tout deux de la même mentalité moderne, ils en sont deux avatars opposés en surface mais solidaires en principe. Et ils participeraient donc tous les deux de l'embarras entre monde moderne et foi chrétienne, chacun la vivant à leur manière.
Je ne crois pas que le christianisme ait à s'enfermer dans ceci. Que ce soit les modernistes ou les traditionalistes qui gagnent, la foi chrétienne sera perdante dans les deux cas.
De nouveau d'accord avec la réflexion. C'est pourquoi cette lutte devrait cesser. Mais apparemment ni les uns ni les autres ne semblent vouloir s'arrêter mais au contraire partir dans ce qui ressemble à une fuite en avant. Je suis très pessimiste sur le court terme :(

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Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 15:22

Cher Suroît,
vous m'avez bien compris, je pense! :)
Non seulement je déteste déjà les mots en isme dans les discussions profanes, mais de plus je les trouve particulièrement déplacés lorsque l'on parle des choses saintes et sacrées. Dieu est au-delà de toutes les contradictions, rien n'est en dehors de lui, et on voudrait l'enfermer dans les catégories étroites de tel ou tel troupeau? C'est absurde, et pire encore on touche là à la racine de l'idolâtrie, qui consiste à prendre le fini pour Dieu.
Cela dit, je n'ai pas dit que le monde moderne et la foi chrétienne étaient incompatibles, mais seulement qu'ils le semblent, et que Pie IX d'ailleurs avait jugé qu'il ne fallait pas forcément les réconcilier. Je ne sais pas ce qui va se passer en ce siècle-ci, je ne crois pas qu'il soit impossible à Dieu d'inspirer à quelque saint le moyen de convertir ce monde moderne et ceux qui l'habitent. Bref, je suis ignorant de ces secrets.
Mais il me semble acquis en revanche qu'il y a bien une opposition frontale entre modernité et christianisme quant à la question fondamentale du surnaturel. Peut-on être chrétien et nier le surnaturel? Je ne crois pas. On peut être admirateur du message évangélique, défendre le patrimoine, mais ce n'est pas avoir la foi, cela. Peut-on être moderne et accepter le surnaturel? Peut-être que oui, mais alors c'est au prix d'un arrachement, et en réalité cela implique que l'on conteste la modernité, non pas forcément dans tous ses aspects, mais dans sa manière de se représenter le monde et la condition humaine. C'est donc être moderne comme une brebis au milieu des loups. Je conçois donc que certains tentent d'échapper à cette douloureuse situation en devenant modernistes, mais je ne crois pas que ce soit réellement possible sans imposture.
Cher Aldebaran,
je découvre votre message après avoir rédigé le mien. Je ne crois pas qu'il y ait d'incompatibilité entre la science et la foi, mais à la condition que la science n'ait rien à dicter à la foi, et réciproquement. La négation du surnaturel n'est pas scientifique, mais son affirmation ne l'est évidemment pas non plus. Donc, à mon avis il n'y a pas à réconcilier la science et la foi, elles n'ont jamais eu grand chose à se dire, donc il n'était pas nécessaire qu'elles se disputassent. Quant à savoir ce qu'il en est des relations entre les clercs et les savants, c'est plus délicat mais aussi, à mon avis, de peu d'importance.
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Message non lu par aldebaran » mar. 22 oct. 2019, 15:37

Prodigal a écrit :Cher Aldebaran,
je découvre votre message après avoir rédigé le mien. Je ne crois pas qu'il y ait d'incompatibilité entre la science et la foi, mais à la condition que la science n'ait rien à dicter à la foi, et réciproquement. La négation du surnaturel n'est pas scientifique, mais son affirmation ne l'est évidemment pas non plus. Donc, à mon avis il n'y a pas à réconcilier la science et la foi, elles n'ont jamais eu grand chose à se dire, donc il n'était pas nécessaire qu'elles se disputassent. Quant à savoir ce qu'il en est des relations entre les clercs et les savants, c'est plus délicat mais aussi, à mon avis, de peu d'importance.
Cher Prodigal,
Je me rends compte que je n'ai pas été clair, de votre réponse et en relisant mon texte. La modernité actuelle n'est que fille de la science! Sans science, pas de modernisme. C'est cela que je voulais mettre en exergue. Pourquoi la modernité apparaît, c'est suite aux extraordinaires découvertes du XIXe siècle, de la technologie qui permet de sortir de la simple survivance, des fouilles archéologiques, des recherches sur l'historique des textes, au doute méthodologique etc...
Le seul moyen de réconcilier monde moderne et foi catholique, c'est de montrer, avec patience, que notre foi n'est en rien contredite par la science. Resteront les libertaires, mais là c'est autre chose (et il y en a toujours eu, ils restaient cachés c'est tout).
P.S : la science est neutre. Mais comme toute connaissance elle peut être utilisée dans un but partisan. Par exemple contre la religion. Dawkins est un bel exemple.

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Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 15:55

Cher Aldebaran,
certes la modernité est inséparable du développement des sciences et des techniques. Mais celui-ci n'est pas issu d'une génération spontanée. Il a fallu aussi que la recherche scientifique se libère de la tradition, et manifeste les immenses possibilités qui s'offrent à l'homme dès lors qu'il réduit le réel au mesurable, ce qui l'institue créateur du monde nouveau.
Donc la science s'est construite autour de la contestation du christianisme, ce qui explique l'énorme retentissement de l'affaire Galilée. Et elle s'est construite comme source indépendante de vérité, afin de fabriquer un monde dont l'homme est l'auteur et la fin, donc où Dieu est superflu.
S'il n'en était pas ainsi, où serait le problème?
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Message non lu par aldebaran » mar. 22 oct. 2019, 16:23

Cher Aldebaran,
certes la modernité est inséparable du développement des sciences et des techniques. Mais celui-ci n'est pas issu d'une génération spontanée. Il a fallu aussi que la recherche scientifique se libère de la tradition, et manifeste les immenses possibilités qui s'offrent à l'homme dès lors qu'il réduit le réel au mesurable, ce qui l'institue créateur du monde nouveau.
Donc la science s'est construite autour de la contestation du christianisme
Cher Prodigal,
Merci pour votre réflexion, mais je suis en total désaccord avec. Quand le moine Mendel fait pousser ses petits pois il ne cherche pas à contester le christianisme, quand Pasteur très croyant travaille sur le vaccin de la rage, non plus! La majorité des grands découvreurs du XIXe siècle sont des chrétiens sincères. La science est neutre vous dis-je, elle n'est qu'une connaissance du monde et de ses lois. Que les lois soient divines ou non n'est pas la question. Ca c'est de la métaphysique.
Et elle s'est construite comme source indépendante de vérité, afin de fabriquer un monde dont l'homme est l'auteur et la fin, donc où Dieu est superflu.
S'il n'en était pas ainsi, où serait le problème?
Le problème est tout simplement que la science et la lecture littérale de la Bible sont incompatibles, c'est aussi simple que ça! L'affaire Galilée n'est pas autre chose. C'est plutôt l'Eglise qui a vu dans la Bible la seule source de connaissance vous ne croyez pas, et pas uniquement comme source théologique. D'où cette malheureuse l'affaire, en fait beaucoup moins retentissante qu'on le prétend aujourd'hui. Galilée était croyant d'ailleurs.
Et que de ce constant d'incompatibilité, beaucoup en ont conclu que tout était faux et sont partis. Le modernisme, la démythification ne sont jamais que la mauvaise méthode, celle de l'effacement, de vouloir raccommoder les deux. Encore une fois il faut lire l'introduction de VII (Pie XII avait parfaitement compris le problème lui).

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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 17:29

aldebaran a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 16:23
Quand le moine Mendel fait pousser ses petits pois il ne cherche pas à contester le christianisme, quand Pasteur très croyant travaille sur le vaccin de la rage, non plus! La majorité des grands découvreurs du XIXe siècle sont des chrétiens sincères. La science est neutre vous dis-je, elle n'est qu'une connaissance du monde et de ses lois. Que les lois soient divines ou non n'est pas la question. Ca c'est de la métaphysique.
Cher Adelbaran,
c'est moi qui n'ai pas été clair. D'ailleurs si vous m'avez bien lu, vous avez pu remarquer que je me contredisais, en affirmant dans un message que science et foi n'avaient rien à se dire, ce qui est en parfait accord avec ce que vous dites de la neutralité de la science, puis en disant dans le message suivant que la science s'était opposée à la foi.
Le fait est que j'ai bien l'impression que les deux sont vrais, que la science soit neutre, que la science ait été ennemie de la foi. Mais dit comme cela c'est incohérent, je le reconnais. Il faut donc que je corrige ma formulation.
Je dirai donc que la science est neutre en principe, mais qu'historiquement sa prise de pouvoir est passée par la contestation de la foi en amont, et a conduit à la négation du surnaturel en aval. Pas par méchanceté, non. Parce qu'il lui a bien fallu revendiquer son indépendance face à la prétention de l'Eglise d'être la gardienne de la vérité, libre de dispenser ses anathèmes, voici pour l'amont. Parce que la compréhension scientifique du monde et de ses lois a semblé un progrès objectif par rapport aux représentations médiévales, d'autant plus que l'on en excluait la métaphysique et le surnaturel, et voici pour l'aval.
Donc la science n'est pas anti religieuse par essence, mais s'est néanmoins imposée comme source principale de vérité en combattant la vision religieuse du monde, quand bien même de nombreux savants ont été en effet croyants. Est-ce que cela aurait pu se passer autrement? J'avoue que je l'ignore.
aldebaran a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 16:23
Le problème est tout simplement que la science et la lecture littérale de la Bible sont incompatibles, c'est aussi simple que ça! L'affaire Galilée n'est pas autre chose. C'est plutôt l'Eglise qui a vu dans la Bible la seule source de connaissance vous ne croyez pas, et pas uniquement comme source théologique. D'où cette malheureuse l'affaire, en fait beaucoup moins retentissante qu'on le prétend aujourd'hui. Galilée était croyant d'ailleurs.
Et que de ce constant d'incompatibilité, beaucoup en ont conclu que tout était faux et sont partis. Le modernisme, la démythification ne sont jamais que la mauvaise méthode, celle de l'effacement, de vouloir raccommoder les deux. Encore une fois il faut lire l'introduction de VII (Pie XII avait parfaitement compris le problème lui).
Cette fois je ne suis plus d'accord avec vous. Non, je ne crois pas que ce soit aussi simple que cela, et pour une raison majeure : l'Eglise catholique n'a jamais été fondamentaliste. Il me semble, qu'on me corrige si je dis une bêtise, qu'a toujours été admis le principe suivant : on doit lire la bible de façon littérale seulement si c'est possible. S'il entre une contradiction entre la lecture proposée et la raison, il ne peut y avoir deux vérités. Donc, ou bien la raison (ou plutôt ce que l'on a pris à tort pour elle) se trompe, ce qu'il doit être possible de montrer de façon rationnelle ; ou bien il faut lire le texte sacré dans une interprétation compatible avec la vérité connue.
Remarquez que Copernic, presque un siècle avant Galilée, n'a pas été condamné.
J'en induis que l'affaire Galilée est beaucoup plus complexe (cela se passe au pays des intrigues!) qu'une simple affaire de vieillards bornés.
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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 17:48

Suroît a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 16:39
Qu'entendez-vous par surnaturel?
Cette notion est toujours à manier avec précaution, à mon sens. Et je ne pense pas qu'une foi qui repose sur le surnaturel (signe, miracle, etc.) soit une foi bien solide pour autant.
Je crois comprendre que ce qui vous gêne, c'est l'idée, assez païenne, que la foi proviendrait de signes spectaculaires, d'une sorte de cirque divin, puisque vous employez cette expression de cirque, comme si nous étions des enfants à émerveiller avant qu'ils puissent s'endormir.
Fondamentalement j'ai tendance à penser que vous avez raison. La foi vient de l'ouïe. Elle vient d'avoir entendu et retenu en son cœur les deux commandements d'amour (de Dieu, du prochain). Ceci n'a besoin d'aucune pyrotechnie additive.
Mais j'ai néanmoins deux objections.
1) De fait, la religion chrétienne s'est propagée par le miracle, et en proclamant le grand miracle de la résurrection, dont le caractère surnaturel ne fait aucun doute. Pascal, par exemple, pour lequel j'avoue avoir un grand faible, juge que les miracles chrétiens sont paradoxalement plus crédibles que les plus savantes démonstrations des meilleurs théologiens. Si l'on évacue cela, il me semble que c'est une autre religion.
2) Le surnaturel, ce n'est pas le spectaculaire. C'est ce qui ne peut être expliqué par les lois naturelles, même à supposer qu'on les connaisse. Qu'un être humain soit capable de pardonner à un autre, qu'un enfant puisse donner son jouet à un plus malheureux que lui, qu'on puisse donner sa vie par amour, peut-être bien que c'est surnaturel. La résurrection est à la fois surnaturelle et spectaculaire, mais elle est précédée d'un événement surnaturel et invisible, le total abandon du Christ.
Vous me direz que ce surnaturel-ci, celui qui n'est pas spectaculaire, le monde moderne en veut bien. Peut-être en effet est-ce ce qu'il faut lui donner pour qu'il se convertisse. Mais en attendant, il nous a appris à scruter les motivations inconscientes de nos élans d'amour et à les réduire à des phénomènes physico-chimiques (dans le cas de la psychologie scientifique) ou à des projections de l'inconscient (dans le cas de la psychanalyse). Il n'admet que ce dont il a identifié la cause. Or, si vous lui dites que la cause d'un acte d'amour pur ne peut être que la grâce divine, il ricane, et vous demande où vous avez pu observer cette étrange chose. Une telle négation me semble évidemment destructrice de la foi.
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Re: Modernisme ?

Message non lu par Altior » mar. 22 oct. 2019, 18:14

Cher Prodigal,
prodigal a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 10:18

Mais je serais tenté d'en retenir une quatrième. C'est, selon ma suggestion, parce que l'on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu. Je m'explique. La crise moderniste, en réalité, ne serait pas un phénomène marginal, mais traduirait la crise profonde de la foi chrétienne, qui semble incompatible avec le monde moderne (d'où la célèbre conclusion du Syllabus de Pie IX). Certains s'en accommodent en rejetant tout ce qui est postérieur au XIIIe siècle, d'autres s'en accommodent en quittant le navire et en assumant d'avoir perdu la foi. Mais la majorité d'entre nous ne s'en accommode pas, tout simplement. Et beaucoup préfèrent éviter le sujet plutôt que de risquer d'avoir à affronter des constats déprimants. Chacun rumine alors ses petits secrets intérieurs et ses doutes.
Je n'ai pas bien compris votre thèse. Pourquoi la foi chrétienne serait incompatible avec le monde moderne ? Puis, par «monde moderne» apparemment vous mettez tout ce qui est postérieur au XIII siècle (donc à partir de la Renaissance j'imagine). Si c'est comme ça, si le monde moderne commence avec Trecento, alors pourquoi le modernisme est beaucoup plus récent ?

Bien sûr, il se peut que vous répondiez que le ver fut dans le fruit à partir de la Renaissance, mais il est sorti de son trou dans les années 60. Eh bien, si c'est comme ça, pourquoi justement dans les années 60 ? Qu'est-ce qui a changé ?

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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 18:31

En fait, je n'ai rien à répondre à votre première question que ce que vous avez dit vous-même, ce qui me donne à penser que vous avez tout à fait compris. Pour être tout à fait clair, je vous dirai que si l'on cherche à dater l'apparition de la modernité il est convenu de ne jamais remonter plus loin que le XIVe siècle. Donc, le XIIIe siècle est le dernier que nul ne taxera de moderne, sauf à aimer les paradoxes. De plus, c'est un siècle chéri des traditionalistes, et je les comprends.
Mais je ne comprends pas votre deuxième question. Vous parlez bien des années 1960? pas 1860? Mais le modernisme n'est pas sorti de son trou dans les années 1960, mais bien avant!
Le concile Vatican II ne découvre pas le modernisme, ni n'entreprend de le révéler au monde, il essaie de présenter l'enseignement de l'Eglise en tenant compte des objections inspirées par le modernisme. Certains pères conciliaires voulaient sans doute le combattre, il m'apparaît difficile de nier qu'en revanche d'autres auraient souhaité qu'il inspirât une religion refaite à neuf, et si vous me pardonnez ce mauvais jeu de mots il y avait aussi des pères conciliaires pour vouloir tout concilier.
Entre Loisy et Paul VI la graine (ou l'ivraie, si vous préférez) moderniste a eu le temps de pousser. Et la naissance subséquente de l'intégrisme n'a pu que la renforcer, en servant de repoussoir. Mais vous connaissez tout cela par cœur, je crois.
PS : je m'aperçois qu'il y avait une autre question, qui m'a échappé parce que j'y avais déjà répondu. Le monde moderne est incompatible avec la foi catholique dans la mesure où il nie le surnaturel.
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Re: Modernisme ?

Message non lu par aldebaran » mar. 22 oct. 2019, 18:53

Suroît a écrit :Tout dépend ce qu'on entend par "démythification". Au sens de Bultmann, c'est le contraire de ce que vous dites, par exemple.
Bonjour,
N'étant pas un expert des travaux de cette personne, voilà ce que j'ai trouvé dans l'Universalis:
Cet immense labeur scientifique débouche sur un résultat essentiel : tout l'élément miraculeux du Nouveau Testament est tardif et légendaire
Par contre la description de la "démythologisation" est assez obscure de ma première lecture, et je veux bien vous croire que je l'utilise avec un contresens. C'est noté!

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Re: Modernisme ?

Message non lu par Altior » mar. 22 oct. 2019, 19:04

prodigal a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 18:31
Mais je ne comprends pas votre deuxième question. Vous parlez bien des années 1960? pas 1860? Mais le modernisme n'est pas sorti de son trou dans les années 1960, mais bien avant!
Par «sortir de son trou» moi je comprends «entrer dans le courent principal d'idées (mainstream). Devenir paradigmatique». Quoique le modernisme fût active bien avant, il n'était pas paradigmatique. Autrement dit, la plupart de gens, pendant l'année de grâce 1959, ne pensaient pas que la foi est incompatible avec le monde moderne. Dix ans plus tard, il le pensaient et il le pensent encore, voilà bien votre cas, de nos jours. La question est: pourquoi ce changement, car le monde n'a pas fondamentalement changé entre 1959 et 1969.
Le monde moderne est incompatible avec la foi catholique dans la mesure où il nie le surnaturel.
Ici, c'est un sujet à débattre.
D'un côté, je vous donne raison: le monde a été depuis toujours dans le déni les miracles, l'irruption la plus spectaculaire du surnaturel (qui a, toutefois, pleins d'autres moyens d'agir) ont été depuis toujours, mais ce que le monde moderne apporte de plus est la négation de la possibilité du surnaturel.
Toutefois, d'un autre côté, je note un pourcentage qui s'accroît d'année en année de gens sérieux, ayant cravate et tunique, qui se préoccupent d'un faux surnaturel. Il font du yoga et ils parlent, avec le ton le plus grave, des énergies cosmiques et de la pensée positive, de l'intelligence immanente et de réincarnation. La chose devient si répandue que, si vous dites à quelqu'un le mot «spiritualité» il est plus probable qu'il pense aux techiques de concentration ayant une vague origine païenne qu'aux prières chrétiennes. En voiture, j'entends rarement l'Évangile du jour, mais très souvent l'horoscope du jour.
Tout cela me fait croire que nous sommes proches d'un nouveau changement de paradigme. Il ne faut pas croire que, si le siècle dernier nous a apporté le matérialisme comme paradigme, celui-ci aura une évolution dans la même direction. Je crois qu'au matérialisme encore dominant de ce jour laissera sa place a une nouvelle époque de spiritualité. Quelle sera cette spiritualité et de quels esprits on parlera, ça reste à voir.

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Re: Modernisme ?

Message non lu par aldebaran » mar. 22 oct. 2019, 19:08

Prodigal a écrit :Donc la science n'est pas anti religieuse par essence, mais s'est néanmoins imposée comme source principale de vérité en combattant la vision religieuse du monde, quand bien même de nombreux savants ont été en effet croyants. Est-ce que cela aurait pu se passer autrement? J'avoue que je l'ignore.
Cher Prodigal,
Les deux ne devraient pas empiéter, or ils le font, de la faute des hommes : quand littéralement on fait de la science et de l'histoire avec l'AT, ou quand on fait de la métaphysique avec la science. Et souvent avec des arrières pensées il faut bien le reconnaître. Mais si les hommes étaient sages, il n'en serait pas ainsi. Guider vers cette sagesse semble être un but louable.
Prodigal a écrit :Cette fois je ne suis plus d'accord avec vous. Non, je ne crois pas que ce soit aussi simple que cela, et pour une raison majeure : l'Eglise catholique n'a jamais été fondamentaliste. Il me semble, qu'on me corrige si je dis une bêtise, qu'a toujours été admis le principe suivant : on doit lire la bible de façon littérale seulement si c'est possible. S'il entre une contradiction entre la lecture proposée et la raison, il ne peut y avoir deux vérités. Donc, ou bien la raison (ou plutôt ce que l'on a pris à tort pour elle) se trompe, ce qu'il doit être possible de montrer de façon rationnelle ; ou bien il faut lire le texte sacré dans une interprétation compatible avec la vérité connue.
Remarquez que Copernic, presque un siècle avant Galilée, n'a pas été condamné.
J'en induis que l'affaire Galilée est beaucoup plus complexe (cela se passe au pays des intrigues!) qu'une simple affaire de vieillards bornés
Vous êtes de bonne foi, mais je pense que vous faites erreur. Moi qui doit être plus vieux, et surtout qui a eu des parents âgés, je me rappelle qu'ils croyaient dur comme fer qu'Adam et Eve étaient les premiers humains sur terre, créés à partir de boue et qui avaient pris vie du souffle divin. Parce que c'est ce qu'enseignait le cathéchisme. Ni l'un ni l'autre n'était de haute naissance ni de bonne famille. C'étaient des catholiques modestes, lambda.
La lecture littérale de la Bible semble avoir été le fait normal du début du XXe (vraisemblablement avant aussi), et probablement plus qu'au temps des Pères, de St Augustin ou même de St Thomas d'Aquin. Les traditionalistes d'aujourd'hui ne font que poursuivre. C'est la raison pour laquelle Darwin a été un tel scandale (je trouve l'affaire darwinienne bien plus emblématique et fondatrice que celle de Galilée). Science et Eglise catholique se sont alors opposées de plus en plus violemment.

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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 21:09

Altior a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 19:04
Par «sortir de son trou» moi je comprends «entrer dans le courent principal d'idées (mainstream). Devenir paradigmatique». Quoique le modernisme fût active bien avant, il n'était pas paradigmatique. Autrement dit, la plupart de gens, pendant l'année de grâce 1959, ne pensaient pas que la foi est incompatible avec le monde moderne. Dix ans plus tard, il le pensaient et il le pensent encore, voilà bien votre cas, de nos jours. La question est: pourquoi ce changement, car le monde n'a pas fondamentalement changé entre 1959 et 1969.
Ma réponse est d'abord que je n'en sais rien. En 1959, je n'étais pas né, quoique déjà conçu. Ma première messe, me semble-t-il, fut dite en vernaculaire, en 1965. Donc, je n'ai connu que le concile et la suite.
Cependant, saint Pie X n'aurait pas fait de la lutte contre le modernisme une des priorités de son pontificat si le modernisme n'avait été alors qu'une sorte de semence de taupe. La question était déjà perçue dans toute son acuité, comme le démontrent les citations postées par mikesss, où l'on lit clairement que saint Pie X a conscience des enjeux de la question.
Altior a écrit :
mar. 22 oct. 2019, 19:04
Ici, c'est un sujet à débattre.
D'un côté, je vous donne raison: le monde a été depuis toujours dans le déni les miracles, l'irruption la plus spectaculaire du surnaturel (qui a, toutefois, pleins d'autres moyens d'agir) ont été depuis toujours, mais ce que le monde moderne apporte de plus est la négation de la possibilité du surnaturel.
Toutefois, d'un autre côté, je note un pourcentage qui s'accroît d'année en année de gens sérieux, ayant cravate et tunique, qui se préoccupent d'un faux surnaturel. Il font du yoga et ils parlent, avec le ton le plus grave, des énergies cosmiques et de la pensée positive, de l'intelligence immanente et de réincarnation. La chose devient si répandue que, si vous dites à quelqu'un le mot «spiritualité» il est plus probable qu'il pense aux techiques de concentration ayant une vague origine païenne qu'aux prières chrétiennes. En voiture, j'entends rarement l'Évangile du jour, mais très souvent l'horoscope du jour.
Tout cela me fait croire que nous sommes proches d'un nouveau changement de paradigme. Il ne faut pas croire que, si le siècle dernier nous a apporté le matérialisme comme paradigme, celui-ci aura une évolution dans la même direction. Je crois qu'au matérialisme encore dominant de ce jour laissera sa place a une nouvelle époque de spiritualité. Quelle sera cette spiritualité et de quels esprits on parlera, ça reste à voir.
Je trouve cependant que les machins dont vous parlez qu'on range en effet sous la rubrique "spiritualité" pensent la vie spirituelle avec des catégories matérialistes, à base de force et d'énergie, comme si Dieu s'était incarné en un professeur de physique, ou de gymnastique. A vrai dire je n'y sens rien de surnaturel, ni même de spirituel.
Je vous conseille en voiture d'écouter RCF. Même quand on ne tombe pas sur l'évangile il y a souvent de bonnes surprises. :D
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

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Re: Modernisme ?

Message non lu par prodigal » mar. 22 oct. 2019, 21:11

Cher Aldebaran,
en lisant les pères de l'Eglise, on s'aperçoit qu'ils n'étaient pas du tout prisonniers du sens littéral de la Bible. Voyez Grégoire de Nysse, par exemple, et la vie de Moïse. Il me semble d'ailleurs que la théorie des quatre niveaux d'interprétation (littéral, allégorique, moral et spirituel) date des premiers siècles (Origène?).
De plus, en ce qui concerne Galilée, il faut vraiment un microscope pour trouver quelque chose dans la Bible qui soit en contradiction avec l'héliocentrisme.
Mais je suis d'accord avec vous pour dire que le traumatisme darwinien est plus grave. J'attends l'occasion de peut-être m'immiscer dans la conversation à ce sujet sur un autre fil. Car le darwinisme ne contredit pas que la lettre de la Bible, mais surtout la spécificité de l'âme humaine.
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

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