Quand bien même Summorum Pontificum l'affirmerait (ce dont je doute ; pour moi la distinction entre rite et forme constitue surtout un subtilité canonique géniale), il s'agit ici d'un jugement porté sur un processus historique, qui est hors du champ de compétence du Magistère, et avec lequel un catholique peut légitimement être en respectueux désaccord.
Je crois au contraire que la distinction entre la forme et le rit est assez capitale, et est assez ancienne: pour rappel, le rit byzantin contient en son sein différentes formes rituelles, propres à telle région. Ainsi, la forme russe est assez différente de la forme grecque. Et même dans le premier cas, il y a deux "formes" pourrait-on dire: la liturgie byzantine russe actuelle, et la liturgie byzantine des "vieux-croyants". Avec en plus deux chants distincts.
Vous imposez au rite byzantin une distinction qui n'a pas lieu d'être. Il y a certes une variété de coutumes locales, mais c'est (que cela soit chez les Orthodoxes ou les Catholiques) un seul et unique rite ; et un prêtre de passage peut célébrer la liturgies dans une autre Eglise que la sienne sans problèmes, sinon celui de la langue.
Dans la mesure où les vieux-croyants ont rompu la communion avec le reste, et ne sont de toute façon pas dans l'Eglise, leur cas ne nous importe que peu. Comment parler de deux "formes" différentes quand il n'y a pas même de contexte ecclésial de communion ?
De plus, il n'est pas étonnant de voir des défauts dans l'organicité du développement dans des Eglises s'étant coupées de l'unité organique de l'Eglise.
Pour ce qui concerne ceux qui l'ont conservé, ce que j'ai dit plus haut s'applique.
Bref, rien dans le rite byzantin ne forme un parallèle aux deux "formes" actuelles du rite romain, qui sont plus éloignées entre elles que ne pouvaient l'être, par exemple, le rit ambrosien du rit romain avant le Concile (et on a jamais dit que le rit ambrosien était autre chose qu'un rit).
Pour ce qui est des grecs, l'usage du Mont Athos est assez différent de celui de l'Eglise grecque-orthodoxe.
Pouvez-vous développer ?
Et dans le cas du rit romain, on pourrait même se demander si au fond, les "rits" dominicain, lyonnais, croate (oui, ça existe),
Vous voulez parler du missel glagothique ? Une traduction en vieux-slavon du rite romain, remontant à Cyrille et Méthode... par spécialement un "rite" propre (seule la langue change en fait). Pour les autres, voir plus bas.
cartusien, carmélitain, etc. ne sont au fond que les formes d'un même rit, avec telle ou telle particularité. C'est la position de l'abbé de Servigny dans son excellent Orate Fratres.
Tout dépend ; je sais que cela a été un débat entre liturgistes. Pour ma part on a là affaire à des rites particuliers (il suffit de voir les variations du rite dominicain, qui se rapproche carrément plus du rite de Sarum par moments), conservant des traces des rites gallicans (coucou Charlemagne), issus du rite romain, et enrichis de certains développement médiévaux. On peut au moins isoler comme *rites*, tant historiquement que liturgiquement, le rite mozarabe et le rite ambrosien. Et ces derniers diffèrent moins entre eux que l'actuel et l'ancien missel.
Du reste, on aurait parlé "d'usage", non de "forme". "La Sainte Messe dans l'usage dominicain"...
Voici l'opinion d'Adrian Fortescue (grand liturgiste anglais du début du XXè s) à ce sujet :
The Western medieval rites are in no case (except the Ambrosian and Mozarabic RiteRites), really independent of Rome. They are merely the Roman Rite with local additions and modifications, most of which are to its disadvantage. They are late, exuberant, and inferior variants, whose ornate additions and long interpolated tropes, sequences, and farcing destroy the dignified simplicity of the old liturgy. In 1570 the revisers appointed by the Council of Trent restored with scrupulous care and, even in the light of later studies, brilliant success the pure Roman Missal, which Pius V ordered should alone be used wherever the Roman Rite is followed. It was a return to an older and purer form. The medieval rites have no doubt a certain archæological interest; but where the Roman Rite is used it is best to use it in its pure form. This too only means a return to the principle that rite should follow patriarchate. The reform was made very prudently, Pius V allowing any rite that could prove an existence of two centuries to remain (Bull "Quo primum", 19 July, 1570, printed first in the Missal), thus saving any local use that had a certain antiquity. Some dioceses (e.g. Lyons) and religious orders (Dominicans, Carthusians, Carmelites), therefore keep their special uses, and the independent Ambrosian and Mozarabic Rites, whose loss would have been a real misfortune, still remain.
In
http://www.sanctamissa.org/en/resources ... escue.html
fTout cela pour dire que cette distinction est loin d'être seulement une subtilité canonique.
Je pense toujours qu'elle l'est. Il s'agit d'éviter de qualifier la forme extraordinaire de "rite", ce qui, en droit canon, la cloisonnerait totalement de la forme ordinaire (on y seriat incardiné, les fidèles y seraient affilié par le baptême,... ce que Gambler avait réclamé, de peur que sans une telle mesure protective, le rite romain disparaisse corps et âme) Bref, tout le contraire de l'enrichissement mutuel qui est la grande vision de Beniît XVI.
Vous vous appelez donc John Henry ?
Mon prénom vous sera dissimulé jusqu'à notre rencontre en chair et en os,
Deus volent. Qu'il vous suffise de savoir que le bienheureux John Henry Cardinal Newman est mon saint patron de confirmation ;-)
L'évolution organique d'un rite est une caractéristique constitutive de sa pleine légitimité et catholicité. Une évolution homogène non-organique est un contresens ; les deux termes sont synonimes chez Newman. Et "forcer" l'évolution d'un rite est précisément quelque chose que l'Eglise n'a pas moralement le droit de faire, quand bien même elle en aurait juridiquement le pouvoir (ce qui se discute). L'histoire honteuse de l'ingérence romaine dans les rites orientaux, sans doute fondée en droit, le prouve amplement.
L'opinion de Newman est ce qu'elle est: une opinion. Elle a certes beaucoup de valeur, puisqu'elle provient d'un des plus grands théologiens catholiques du XIXe siècle (le plus grand ?), mais elle n'en reste pas moins une opinion parmi d'autres. Il est donc permis de penser autrement. A titre personnel, malgré mon grand respect pour Newman, je préfère me tourner vers le docteur commun de l'Eglise, saint Thomas d'Aquin (peut-être un réflexe anti-moderne, allez savoir
)
Vous reprenez un vocabulaire newmanien, je vous corrige dans un cadre newmanien ;-)
Et je me tourne aussi fort volontiers, et même prioritairement, vers le Docteur Angélique... d'ailleurs je reçois bientôt un livre détaillant son rapport à la liturgie
Pour ma part, je pense qu'il y a deux façon d'évoluer pour un rit:
[...]
- Une évolution commandée, et décidée par l'Eglise. Vous en niez la légitimité. Je ne demande qu'à vous croire, mais alors il convient de rejeter en bloc les réformes de Charlemagne (fusion des liturgies romaines et franques, pas franchement organique),
Charlemagne a fait pire que cela : il a promu l'adoption de la liturgie romaine dans l'Empire franc (phénomène qui s'est passé sans trop de difficultés, et avec quelques subsistances intéressantes de caractéristiques gallicanes, dont certains rites médiévaux gardent encore la trace, notamment celui de Lyon). Ce faisant, le résultat était en fait une liturgie romaine enrichie d'apport francs (chant du Credo, prières d'Offertoire, forme actuelle du chant grégorien) qui est redescendue à Rome au début du IInd millénaire. Je précise que la romanisation des rites gallicans a été un processus bien antérieur ; on sait que, déjà à l'époque de Saint Cyprien de Carthage, le pape régissait en maître les sièges épiscopaux des Gaules, et on sait aussi qu'au moins à partir du bas Moyen-Âge, l'influence du Siège Apostolique se fait de plus en plus sentir dans les liturgies gallicanes. Bref. Après Charlemagne, le rite romain s'enrichit de quelques apports francs lors de son adoption dans l'Empire. Il s'en retourne ensuite à Rome ; le tout dans un processus d'inter-fertilisations relativement lent, qui mérite le nom "d'organique" (ou, si vous voulez parler thermodynamique, de quasi-stationnaire).
Après, est-ce que je regrette la disparition pure et simple des gallicans ? Dans un certains sens, oui... et non. Il faudrait étudier les liens culturels entre Rome et les régions de ces rites sur la durée de ce long processus d'inter-pénétration rituelle, mais au final, ils ont bien fini par former une unité culturelle (et la liturgie s'enracine dans la culture autant qu'elle la crée) ; une plus grande unité liturgique ne semble donc pas historiquement absurde. Mais enfin, quoiqu'il en soit le mal est fait.
Par contre je regrette beaucoup, par exemple, la disparition du rite de Sarum en Angleterre
et celles du patriarche Nikhon en Russie.
C'était hors de l'Eglise. Qui plus est, les réformes de Nikon étaient relativement organiques ; quand on lit l'état de la liturgie byzantine en Russie à son époque, on comprend qu'il y avait une sévère décadence, contraire à ses propres principes, à laquelle le patriarche a remédié en regardant l'usage des Grecs, dont la Russie avait reçu sa liturgie (une forme de "retour aux sources" dans le présent donc). On peut sans doute questionner certaines réformes, cependant.
Hors, ces réformes montrent que l'Eglise a parfaitement le droit de modifier sa liturgie, si elle l'estime nécessaire, du moment que l'évolution reste homogène.
Bon, je crois avoir expliqué en quoi le principe d'organicité reste sauf dans ces cas.
En d'autres termes, du moment que l'évolution reste cohérente avec la substance du rit. Or, il me semble que c'est précisément le cas du "Novus Ordo Missae": le même chant est prescrit, les mêmes antiennes y sont indiquées, le Canon romain demeure et l'ordre de la Messe demeure, à quelques différences près, le même. Pour toutes ces raisons, il me semble que la liturgie romaine révisée en 1969 s'insère dans toute l'Histoire de la liturgie romaine, sans aucune difficulté.
Je suis de l'opinion inverse ; mais Klaus Gambler expose le problème bien mieux que je ne saurais le faire, et avec plus d'autorité. Et il ne le fait que partiellement ! SC stipule clairement que tout modification apportée au rite doit l'être pour une vraie nécessité pastorale, et que les formes nouvelles doivent jaillir organiquement des formes anciennes. Plus j'en viens à pratiquer la forme extraordinaire, plus je me rend compte qu'il n'y a que peu de choses dans le rite romain qui n'aient été modifiées, souvent violemment, par le Consilium, et sans nécessité pastorale apparente.
Notre débat me fait penser à livre dont j'ai entendu du bien, bien que je ne l'aie pas lu :
http://www.amazon.com/Reform-Liturgical ... 0898709466