Sur la question du célibat/continence ecclésiastique, il me semble qu'on peut dire ceci:
- tout d'abord, personne ne prétend sérieusement que le
célibat compris comme l'interdiction d'ordonner des hommes mariés soit d'origine apostolique. Saint Pierre était marié, une quantité innombrable de Saints ont été fils d'ecclésiastiques, certains papes également, et certains ont eu des fils...
De même, il semblerait qu'il n'existe dans l'Eglise latine, même aujourd'hui, aucun canon qui proscrive l'ordination d'hommes mariés (que ce soit dans les anciens Conciles, les décrets de Gratien, le CIC de 1917 ou celui de 1983). Je peux me tromper là-dessus, mais j'ai l'impression qu'un évêque qui déciderait unilatéralement d'ordonner un homme marié (avec une épouse vivante, puisqu'on a déjà des cas d'époux pères de famille ordonnés après veuvage - je pense par exemple au P. Yannick Bonnet) sous réserve de séparation du mariage n'enfreindrait aucune règle canonique.
Le problème est donc bien la continence, soit temporaire dans des cas comme celui exposé par Altior ci-dessus (Eglises orientales), soit permanente selon les canons occidentaux (décrétales du Pape Sirice, conciles d'Elvire et de Carthage, puis plus tard Conciles du Latran... jusqu'au code de droit canonique actuel), mais aussi la cohabitation entre clercs mariés et leur épouse: peuvent-ils vivre comme frère et soeur ou doivent-ils complètement se séparer, comme s'ils n'étaient pas mariés?
La question est de savoir quelle est la Tradition léguée par les Apôtres, et si les normes canoniques apparues à partir du IVe Siècle réflètent celle-ci (comme plusieurs normes contradictoires le revendiquent) et ont donc quelque chose d'essentiel, ou si elles ne représentent que des traditions (avec un petit "t") locales, pas forcément fidèles à la Tradition avec un grand T. De tout ce que j'ai vu, la question est très disputée et ne permet pas de conclure avec certitude. Il me semble qu'il y a quand même pour l'essentiel 4 positions sur lesquelles je me permettrai de donner mes remarques personnelles:
1/ On peut considérer que du temps des Apôtres et de l'Eglise antique, au moment de leur ordination, les prêtres devaient se séparer de leur épouse, leur office itinérant et la fonction sacerdotale même étant incompatibles avec la continuation de la vie conjugale, assimilée purement et simplement à de l'impureté rituelle. Certains veulent ainsi que ceux des Apôtres qui étaient mariés, dans leur mission apostolique, aient quitté leurs épouses.
Ce point de vue extrême se heurte à pas mal d'objections, dont une est scripturaire, puisqu'il s'agit de la 1re Epitre aux Corinthiens (texte que je n'ai pas vu mentionné jusqu'ici dans la discussion, sauf erreur):
N’aurions-nous pas le droit d’emmener avec nous une femme croyante, comme les autres apôtres, les frères du Seigneur et Pierre ?
(1Co 9:5, traduction AELF)
Le terme de "femme croyante" ou de "soeur" selon les traductions, a naturellement fait l'objet d'interprétations variées, d'autant que l'auteur de l'Epître (St Paul) était célibataire, mais à la base il est pour le moins incongru - pour ne pas dire blasphématoire - de penser qu'un Apôtre marié devrait se séparer complètement de sa femme mais pourrait emmener une "soeur" autre que son épouse pour l'accompagner.
2/ Une autre position consiste à dire qu'anciennement, l'ordinand devait renoncer à tout commerce charnel avec son épouse et vivre avec elle comme frère et soeur (mais pas forcément s'en séparer), celui qui s'approche de l'autel devant être pur de toute souillure charnelle qui survient même dans les rapports sexuels licites. C'est en gros la tradition occidentale attestée par écrit à partir du Concile d'Elvire et des décrétales du Pape Sirice. Le Pape Léon le Grand est peut-être celui qui a décrit le plus clairement ce point de vue:
Afin que de charnelle leur union devienne spirituelle, il faut que, sans renvoyer leur épouse, ils vivent avec elle comme s’ils n’en avaient pas, de telle sorte que soit sauf l’amour conjugal et que cesse l’activité nuptiale
.
Cette position a été ravivée au XIe Siècle lors de ce qu'on a appelé la "Réforme grégorienne", non sans un glissement à ce qu'il me semble vers la position précédente puisque tout mariage entre clercs a été assimilé à un mariage illlicite et à un concubinage, sans que la question de savoir si le mariage était licite, ou si les époux devaient cohabiter comme frères et soeurs tout en devant s'abstenir de rapports conjugaux, n'apparaisse.
Le principal problème de cette façon de voir les choses, c'est qu'aucune Eglise orientale ne pratique une telle discipline (continence
permanente). La réaction habituelle en Occident est de considérer que toutes ces Eglises orientales, avec leur caractère schismatique (ou Eglises catholiques issues d'une Eglise schismatique et revenues à la communion romaine) ont dévié de la tradition originelle. Ce qui me paraît difficilement défendable:
- d'une part, on dit souvent que l'exception orientale vient du Concile "In Trullo" (VIIe Siècle) qui a défini la discipline Orthodoxe (byzantine) actuelle. Outre que ce Concile est antérieur au schisme, que ses canons aient été approuvés par le Pape (et donc parfaitement catholiques), et qu'il indique bien qu'il ne fait en la matière que reprendre la tradition léguée, il reste que ce Concile est postérieur à la rupture avec les Eglises "nestoriennes" ou "monophysites". Si tel est le cas, quand ces 2 communions (la 2e comprenant au départ 3 Eglises pratiquement indépendantes les unes des autres, avec leurs disciplines propres - cf par exemple les spécificités de la liturgie arménienne) auraient-elles abandonné l'ancienne discipline? Je n'ai jamais vu aucun indice en ce sens.
3/ On peut considérer comme notre ami Altior le fait plus haut, que les canons des Eglises orientales qui prescrivent la continence
temporaire partent du même principe que le précédent, mais en limitant le devoir de continence à une période donnée avant la célébration.
Ce point de vue a l'avantage d'accorder les disciplines orientales et occidentale, et de les rattacher toutes deux à la discipline imposée aux Lévites dans l'Ancien Testament, lorsqu'ils officiaient dans le Temple.
4/ Un dernier point de vue considère que la vision du sacerdoce chrétien comme une continuation, en plus parfait, du sacerdoce du Temple dans l'Ancien Testament, est une évolution qui s'est produit dans les premiers temps de l'Eglise qui s'oppose pas à ce qu'elle était à l'origine, où l'on recherchait une rupture avec le Temple. Ce point de vue est par exemple exposé dans ce texte, par ailleurs très complet sur la question qui nous intéresse ici:
http://www.dieumaintenant.com/auxoriginesducelibat.html
Il y a d’abord la resacralisation des responsables chrétiens. Dans les deux premiers siècles on évitait tout ce qui ferait d’eux des « prêtres » au sens du mot latin sacerdos ou du mot grec hiereus, c’est-à-dire des opérateurs attitrés du sacré, par lesquels il faut passer pour présenter une offrande à la divinité. Le vocabulaire proprement sacerdotal était évité pour eux, il était réservé au seul Christ, et par extension à la communauté des fidèles, corps du Christ, mais les responsables étaient (en grec) dénommés episcopoi, c’est-à-dire des veilleurs ou superviseurs, ou presbuteroi, c’est-à-dire des « anciens », membres d’un conseil gérant une communauté. Si, très vite (au 2ème siècle), on voit qu’un seul prononce les paroles de la grande prière eucharistique, c’est à titre de président (proéstôs dans le grec de saint Justin) de l’assemblée. J’ai retracé ailleurs (5)l’évolution qui a peu à peu abouti à ce que le vocabulaire sacerdotal soit utilisé, d’abord pour les seuls évêques au 3ème siècle et pendant la plus grande partie du 4ème, ensuite, précisément autour de 400, pour tous les prêtres. Dès lors les prêtres et les évêques de l’Église pouvaient être considérés d’après le modèle des prêtres juifs, ce que le Nouveau Testament avait soigneusement évité. De ce fait, alors que la sainteté chrétienne refuse les tabous qu’on trouve ici ou là dans la religion païenne ou dans le judaïsme (Jésus abolit les interdits alimentaires), il y a une résurgence au moins partielle de ce que j’ai appelé le sacré de tabou(6) qui isole une sphère sacrée interdite au profane et aux activités ordinaires. La sexualité la plus légitime se met à souiller le sacré.
Ce point de vue, court le risque de conduire à recréer une "Eglise primitive" imaginaire, sur la base d'une interprétation jamais définitive d'un petit nombre d'écrits. L'assimilation du sacerdoce ordonné chrétien comme continuation du sacerdoce du Temple, avec l'équivalence Lévites-Diacres et Cohens-Prêtres, est d'ailleurs apparue très tôt dans la littérature chrétienne.
Par ailleurs, on peut reprendre le raisonnement en sens inverse et considérer que le Corps du Christ tout entier, donc y compris les simples fidèles, sont appelés à la même continence, au moins avant la célébration des Mystères pour ceux qui n'ont pas choisi l'état angélique du célibat permanent. On retrouve alors le cas 3/. C'est d'ailleurs toujours ce que prescrivent les canons orthodoxes (byzantins), au moins, et c'est à mon sens la façon la plus solide de rendre compte du donné révélé et transmis.
Bref, vous l'aurez compris, je pense que la position 3/ est la plus étayée. La position 2/ a quand même l'avantage de représenter la tradition occidentale.
Au départ de cette discussion, il y avait la volonté affichée du Pape François d'ouvrir la voie à l'ordination de
viri probati. Je suis loin d'être un inconditionnel de ce Pape, mais franchement, je ne pense pas que nous devions craindre une telle évolution. La constatation que dans certaines parties de l'Eglise, les diacres ordonnés pullulent sans qu'on trouve de prêtre, devrait quand même donner à réfléchir, d'autant que l'ordination de "viri probati" n'est nullement incompatible avec la position dogmatique n° 2/. A contrario, la position 3 a déjà été battue en brèche par la discipline actuelle sur les diacres mariés, à qui on n'a demandé aucun voeu de continence lors de leur ordination (malgré le droit canon qui l'impose). A mon sens, il serait plus facile de l'imposer à des hommes d'un certain âge ayant vécu suffisamment longtemps dans le mariage, et ça pourrait être là l'occasion de rétablir une certaine discipline, si ceux qui y sont attachés savaient profiter de l'occasion plutôt que de rester dans un conservatisme trop strict qui ne se voudrait pas fidèle aux données les plus sûres de la Révélation, mais simplement au statu quo (quel qu'il soit).
Après, on peut débattre d'une continence temporaire plutôt que perpétuelle. On sortirait de la tradition occidentale, et cela supposerait une autre organisation ecclésiale où ces nouveaux prêtres ne célébreraient pas quotidiennement, contrairement à la coutume occidentale (qui n'est vraiment apparue qu'au XVe Siècle). En même temps, ça serait peut-être l'occasion de remettre la plénitude de la tradition liturgique - c'est-à-dire, l'Office Divin chanté en commun, tellement oublié dans une grande partie de l'Eglise - au goût du jour.
In Xto,
archi.