La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

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La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » jeu. 17 mars 2016, 1:49

Je veux signaler ici une discussion intéressante sur le site de la Nef. Les invités : Jean Madiran et Émile Poulat. On y évoque la crise moderniste en lien avec la crise de la pensée dans l'Église issue de Vatican II.
Aujourd’hui on ne veut plus parler du modernisme. Seule en parle encore l’école contre-révolutionnaire. On subit une sorte de tabou officiel qui fait que les héritiers du modernisme ne veulent pas qu’on en parle sous ce nom.
La différence entre le modernisme historique, dont vous êtes l’historien éminent, et le modernisme d’aujourd’hui, c’est que celui de la fin du XIXe, début XXe, n’atteint absolument pas les catholiques. Ce sont des contestations entre gens très savants dont la science formera peu à peu des professeurs et toute une culture, mais l’ensemble de la culture chrétienne, la vie des paroisses ou celle des séminaires ne sont guère concernés par le modernisme.

Aujourd’hui la maladie s’est répandue partout ; tous les débats supposés ou réellement théologiques ou scientifiques sont à la portée de tous, tout le monde en parle. Maritain, à la sortie du Concile, pour ne citer que lui, a parlé du modernisme originel pour dire, dans une formule un peu exagérée, que ce modernisme était un léger rhume des foins en comparaison de celui de la seconde moitié du XXe siècle.

http://www.lanef.net/t_article/du-moder ... asp?page=0
Jacques Maritain disant que la crise moderniste du temps de Pie X était un rhume des foins comparativement à la situation dans l'Église dans l'ère post-conciliaire. Et c'est Maritain qui dit ça.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Fée Violine » jeu. 17 mars 2016, 11:12

Vous semblez sous-entendre, ou du moins le débat que vous citez semble sous-entendre que d'après Maritain, cette crise actuelle serait due au Concile. Ne voulait-il pas dire plutôt que les modernistes du début du siècle, à force de répandre leurs idées parmi les théologiens, ont fini par contaminer l'ensemble des catholiques? Parce que ça m'étonnerait bien que Maritain ait voulu jeter la suspicion sur le Concile.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Héraclius » jeu. 17 mars 2016, 11:40

Fée Violine a écrit :Vous semblez sous-entendre, ou du moins le débat que vous citez semble sous-entendre que d'après Maritain, cette crise actuelle serait due au Concile. Ne voulait-il pas dire plutôt que les modernistes du début du siècle, à force de répandre leurs idées parmi les théologiens, ont fini par contaminer l'ensemble des catholiques? Parce que ça m'étonnerait bien que Maritain ait voulu jeter la suspicion sur le Concile.
Non, je pense que le débat met plutôt en cause certain aspects de la crise post-conciliaire, et non le Concile lui-même. Il s'agit de dire qu'il a existé, et existe toujours, un second modernisme, c'est à dire une volonté d'adaptation de la doctrine à l'esprit du temps (en caricaturant un peu) dans la seconde moitié du 20ème, et qu'on devrait pouvoir reconnaître ce fait même si l'on n'est pas un traditionnaliste contre-révolutionnaire rejetant le Concile lui-même.

Bien sûr, il y a une critique particulièrement violente (AMHA, beaucoup trop !) de l'interpréation du Concile, et de la difficulté de saisir la juste interprétation due à un certain "flou", voir même de ceux qui ont fait le Concile, mais je ne vois nul part de strict rejet du Concile lui-même, dans ses textes.
''Christus Iesus, cum in forma Dei esset, non rapínam arbitrátus est esse se æquálem Deo, sed semetípsum exinanívit formam servi accípiens, in similitúdinem hóminum factus ; et hábitu invéntus ut homo, humiliávit semetípsum factus oboediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus illum exaltávit et donávit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nómine Iesu omne genu flectátur cæléstium et terréstrium et infernórum.'' (Epître de Saint Paul aux Philippiens, 2, 7-10)

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Fée Violine » jeu. 17 mars 2016, 14:16

il a existé, et existe toujours, un second modernisme, c'est à dire une volonté d'adaptation de la doctrine à l'esprit du temps (en caricaturant un peu) dans la seconde moitié du 20ème, et qu'on devrait pouvoir reconnaître ce fait même si l'on n'est pas un traditionaliste contre-révolutionnaire rejetant le Concile lui-même.
C'est certain.
Il faudrait connaître le contexte exact de la phrase de Maritain. Parce que "à la sortie du Concile", ça peut être juste une référence temporelle, ne mettant pas en cause le Concile lui-même. Mais probablement, comme vous le dites, les interprétations farfelues qui ont pu le suivre.

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prodigal
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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par prodigal » ven. 18 mars 2016, 11:28

J'ai lu rapidement ce débat effectivement très intéressant.
Comme Héraclius, je pense que l'objet premier du débat n'est pas le concile lui-même, mais le modernisme. La question qui se pose à propos du concile en dérive. Elle est de savoir s'il faut l'interpréter comme une rupture révolutionnaire, consacrant la victoire du modernisme sur la tradition, ou bien s'il s'agit d'une nouvelle formulation, attentive aux temps présents, de la foi de toujours.
Il me semble que Jean Madiran n'a jamais rien dit d'autre.
Mais la question est-elle ainsi vraiment bien posée? J'en doute.
Tout d'abord, il faut bien reconnaître que la réponse a été donnée fréquemment par le magistère, toujours la même : le concile a exprimé la foi catholique, et non une autre. Si malgré la connaissance de la réponse on repose la question c'est qu'il y a quelque chose qui ne va pas, qui n'est pas clair.
Et il me semble que c'est l'idée d'un dialogue avec le monde qui n'a pas été bien comprise, qui a été vue comme une sorte de trahison, comme si essayer de comprendre l'autre c'était trahir ses propres idées.
En ce qui concerne Maritain, j'ai lu Le paysan de la Garonne il y a bien longtemps, et si ma mémoire ne me joue pas trop de tours il me semble évident que ce n'est pas le concile lui-même qu'il dénonce, mais tout ce qui a pu être fait sans discernement au nom de l'esprit du concile.
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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » sam. 19 mars 2016, 3:28

Bonjour,

Fée Violine :
Parce que ça m'étonnerait bien que Maritain ait voulu jeter la suspicion sur le Concile.
Oui, je serais étonné également.

Mais Jean Madiran n'a pas développé sur le contexte le plus immédiat et ayant pu amené Jacques Maritain à laissé tomber une pareille réflexion à l'époque. On devine que la citation devrait être comprise au moins par Madiran comme reflétant un état de dégradation dans l'Église. Là-dessus, si c'est bien ce qu'un Maritain aurait pu penser dans les années 1960, il faut dire qu'il n'aurait pas été le seul à le penser.

Je pense à un Père Louis Bouyer, entre autres, qui avait même produit un petit ouvrage de réflexion La décomposition du catholicisme. Ici l'ouvrage témoignerait bien de la pensée d'un Père en 1968 soit l'année même de l'édition de son livre.

Des exemples :
  • «... malgré tout ce qu'on dit et écrit là-dessus, on peut se demander si l'Église a jamais été, dans le passé, aussi peu missionnaire de fait qu'elle l'est aujourd'hui. Bloquée sur le conflit absurde, qui, encore une fois, n'est qu'un pseudo-conflit, entre intégristes et progressistes, sa mission en est bloquée et le restera tant qu'on ne sera pas sorti de ce cercle mortel. Comment les intégristes, tournant le dos au monde, pourraient-ils être missionnaires? Et comment les progressistes, ouverts au monde mais n'ayant plus conscience d'avoir rien à lui apporter, pourraient-ils l'être davantage? » (p. 136)
ou
  • «Pour que le monde soit sauvé, au sens évangélique, il faut d'abord croire qu'il a besoin de l'être. Il faut ensuite croire, je ne dis pas que nous en avons les moyens, mais que Dieu les a, qu'il nous les a révélés, sans que nous y avons aucun mérite, et qu'il nous les a confiés. Nous ne croyons plus rien de tout cela [...] Le christianisme désacralisé dont nous rêvons est un christianisme où Dieu ne se manifeste plus; un christianisme qui ne veut plus être une religion est un christianisme que Dieu a déserté; un christianisme sans Dieu n'est plus un christianisme.» (p. 137)
ou
  • «Le christianisme, répétons-le une fois encore, est une vérité de vie, et la culture n'est pas autre chose que la pensée informant la vie humaine tout entière, ou cette vie devenant consciente d'elle-même, par tous les moyens de méditation et de réflexion qui sont à la portée de l'homme. Un christianisme qui ne se pense pas, ou qui voudrait se penser en-dehors de la vie, de la vie tout entière, n'est pas viable.

    La pensée proprement chrétienne n'est pas seulement l'affaire de spécialistes auxquels on pourrait la laisser, comme leur affaire propre. Elle intéresse, elle doit intéresser tous les chrétiens, à la mesure de leur capacité. Mais elle intéresse au premier chef les clercs, qui ont la tâche de former et d'entretenir la vie de leurs frères. Saint François de Sales disait rondement que, dans sa jeunesse, «prêtre» était devenu un synonyme d'ignorant et de débauché. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous y courons. Le clergé est en train de perdre le sens des exigences ascétiques, et tout simplement morales, de sa vocation. Il y a beau temps, un demi-siècle au moins, qu'il a commencé à perdre le sens de ses exigences intellectuelles. » (p. 141)

    Source : P. Louis Bouyer, La décomposition du christianisme, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1968, 155 p.
Ce demi-siècle auquel renvoyait le Père Bouyer nous indiquerait bien, rétrospectivement, une date butoir qui correspond, comme par hasard, au temps de la crise moderniste ou celui du fameux ralliement de Léon XIII, celui de la séparation de l'Église et de l'État grosso modo. Pour moi, j'y trouverais un puissant incitatif à étudier un peu cette période. Il est fort possible qu'il y ait un lien entre la crise moderniste proprement dite et la situation actuelle de l'Église.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » sam. 19 mars 2016, 3:38

Héraclius :
[...] je pense que le débat met plutôt en cause certain aspects de la crise post-conciliaire, et non le Concile lui-même. Il s'agit de dire qu'il a existé, et existe toujours, un second modernisme, c'est à dire une volonté d'adaptation de la doctrine à l'esprit du temps (en caricaturant un peu) dans la seconde moitié du 20ème, et qu'on devrait pouvoir reconnaître ce fait même si l'on n'est pas un traditionnaliste contre-révolutionnaire rejetant le Concile lui-même.
Il me semble qu'il y entre ce que vous venez de dire. Peut-on parler de second modernisme? a priori, l'image me paraîtrait bonne.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » sam. 19 mars 2016, 3:42

Prodigal :
En ce qui concerne Maritain, j'ai lu Le paysan de la Garonne il y a bien longtemps, et si ma mémoire ne me joue pas trop de tours il me semble évident que ce n'est pas le concile lui-même qu'il dénonce, mais tout ce qui a pu être fait sans discernement au nom de l'esprit du concile.
C'est très possible.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » sam. 19 mars 2016, 4:22

Des réflexions de Daniel-Rops pour aider chacun à mieux situer la chose :

  • La crise du modernisme eut donc essentiellement pour pôle ces deux points de dispute : la question des Écritures et celle de la valeur des dogmes. Cependant, ce qui devait déterminer Pie X à parler ex cathedra et à lancer une condamnation systématique et décisive, ce fut la publication retentissante, en 1905, d'un roman, signé d'un nom très connu et respecté dans l'Église : Il Santo, le saint, de Fogazzaro.

    [...]

    ... le héros, Piero Maironi, qu'on avait connu dans Le petit monde d'aujourd'hui, devenu jardinier du couvent de Subiaco, y menait une vie si exemplaire que la communauté et même tout le voisinage le considéraient comme un saint. Mais aux lèvres de son personnage, Fogazzaro mettait des déclarations sur toutes sortes de sujets, allant toutes dans le même sens.

    Il annonçait, par exemple, que l'enseignement de l'Église devrait s'adapter aux doctrines de l'évolution et notamment au darwinisme, que les dogmes avaient à se transformer pour répondre aux exigences du temps, que la foi n'a de sens que si elle est vécue. On y reconnaissait l'influence de Tyrrell, ami de l'auteur. Mais à cette manière de somme des erreurs en cours, cette «Divine comédie du modernisme» comme on dit, le romancier avait ajouté des éléments nouveaux, bien connus du reste en Italie depuis le Moyen Age, depuis les Spirituels à la Joachim de Flore et les fidèles de Savonarole, ceux d'un réquisitoire portant sur la morale du christianisme et le comportement de l'Église.

    Piero Maironi, ayant réussi à joindre le Pape par des voies mystérieuses, presque miraculeuses, se dresse devant lui et dénonce les quatre esprits du Mal qui ont envahi l'Église : l'esprit de mensonge, qui ferme les yeux à la lumière des sciences modernes et met en accusation les meilleurs défenseurs de la vérité; l'esprit de domination, qui transforme l'autorité paternelle en exercice d'une affreuse dictature; l'esprit d'avarice, qui insulte la pauvreté évangélique et emplit les puissants de l'Église d'une insatiable faim de l'or; l'esprit d'immobilise enfin qui fait redouter tout progrès, ce même esprit d'immobilisme qui - la comparaison venait de Georges Tyrrell - a poussé les rabbis juifs a refuser Jésus et à le condamner.

    Dans le roman, un autre personnage n'expliquait-il pas que l'action sociale et l'oeuvre d'apostolat valaient beaucoup mieux que la foi dans les dogmes et l'obéissance aveugle à la discipline? Jamais cet «anarchisme spontané» en quoi Monseigneur Baudrillart devait caractériser le modernisme, ne s'était manifesté de plus flagrante façon.

    Source : Daniel-Rops, L'Église des révolutions. Un combat pour Dieu 1870-1939, Paris, Fayard, 1963, p. 358

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » dim. 20 mars 2016, 0:54

Jean Madiran s'exprime à la page 2 (site de la Nef)
  • «Pour la foi de l’Église, le modernisme est un phénomène absolument scandaleux qui explique très bien que le pape Pie X ait pris des mesures extrêmement combatives et fait une encyclique très sévère, entourée, préparée et suivie de diverses mesures disciplinaires, parce qu’il y va de l’essentiel. S’il ne peut rester de la religion chrétienne que ce que les sciences de la matière admettent, alors il ne reste rien, puisque les sciences de la matière ne connaissent que la matière : le modernisme est ce scandale.»
Un phénomène «scandaleux» à certains égards, selon Madiran. Aussi, Daniel-Rops disait de son côté :
«La crise qui agita l'Église, vingt ans durant, fut une des plus sévères qu'elle ait traversée au cours de son histoire. On a comparé, quant à l'intensité, à la bataille théologique dont le modernisme fut l'occasion, à celle du jansénisme : de bien des façons, elle fut plus sérieuse; elle engagea davantage l'essentiel de la foi. Plus sérieuse, en tout cas, que les conflits politiques, même quand ils aboutirent à des persécutions; il est plus grave pour l'Église de voir tels de ses fils dépouiller le Christ de sa divinité ou dénier à Dieu ses attributs que de subir contre ses structures humaines les rigueurs d'un président du Conseil franc-maçon. La crise du modernisme parut un moment ébranler les bases mêmes du catholicisme. Elle est au coeur du drame du temps qui en vit se dérouler les épisodes. Il n'est pas sûr qu'elle ne pèse pas encore sur nous.» (Daniel-Rops, p. 330)
Et Jacques Maritain aurait dit que cette crise serait un «rhume des foins» à côté de ce que nous devrions vivre de nos jours. Quelqu'un a t-il dit qu'il serait plus facile de vivre sa foi catholique dans notre Occident de l'an 2000?

- Oui, mais c'est parce qu'il n'y a pas de persécutions.
- C'est la pensée qui serait attaquée.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » dim. 20 mars 2016, 1:07

Prodigal, pour reprendre votre remarque :
La question qui se pose à propos du concile en dérive. Elle est de savoir s'il faut l'interpréter comme une rupture révolutionnaire, consacrant la victoire du modernisme sur la tradition, ou bien s'il s'agit d'une nouvelle formulation, attentive aux temps présents, de la foi de toujours. Il me semble que Jean Madiran n'a jamais rien dit d'autre. 
Bonne question.

Après une première lecture, je suis sous l'étrange sentiment que Jean Madiran opte pour le concile «comme s'il devait s'agir d' une rupture révolutionnaire». Peut-être que je me trompe. A un endroit dans les échanges avec Émile Poulat, il évoquait le pape Paul VI. Or il me semblait qu'il disait qu'il nous faudrait retenir l'interprétation du concile qui eût été celle du pape Montini.

Je cherche dans la discussion. Tenez, ici :
Jean Madiran – Si l’on prend le Concile tel que le présente Paul VI, c’est bien une rupture. Quand Paul VI dit que ce Concile a autant d’autorité, et plus d’importance que le concile de Nicée, c’est la rupture.

La Nef – Et si vous laissez de côté les propos de Paul VI, le Concile en lui-même, dans ses textes, vous semble-t-il marquer une rupture ?

Jean Madiran – Je ne peux prendre le Concile que tel que Paul VI l’a promulgué. Ce Concile s’est déroulé de manière tellement atypique que je n’arrive pas à faire la différence entre « l’esprit du Concile » et le Concile en lui-même.

http://www.lanef.net/t_article/du-moder ... asp?page=7
J'ignore si quelqu'un dans ce forum connaîtrait la pensée de Jean Madiran sur le concile.

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » dim. 20 mars 2016, 1:43

Un mot ici à propos de Jean Madiran :
[+] Texte masqué
«... le deuxième cas est celui de Jean Madiran, le fondateur de la revue Itinéraires. Il est très proche de Mgr Lefebvre, qui publie parfois quelques articles dans Itinéraires, mais Madiran ne suit pas Mgr Lefevbre jusqu'au schisme, qu'il refuse. Proche de Dom Gérard Calvet, de l'abbaye du Barroux, il est une des voix intellectuelles du monde catholique traditionaliste, et il est un authentique maurrassien.

[...]

En 1966, Madiran a écrit un hommage éloquent intitulé Pius Maurras; il s'agit d'une longue lettre qui commence ainsi :«Cher Maurras, cher vieux maître endormi [...] Vous savez que je fus intégralement maurrassien à vingt ans, et même avant, et même après. [...] Je vous devais à peu près tout de la vie de l'esprit, avant d'avoir été conduit au docteur commun [...] Vous m'avez intellectuellement sauvé la vie.»

Dans une lettre au Père Congar, Madiran essayait de réfuter le petit opuscule du dominicain sur La crise dans l'Église, dont la parution avait été suivie par un échange plutôt vif entre les deux hommes, publié sous le titre Le Concile en accusation :«Assurément, écrit Madiran à Congar qui lui en avait fait reproche, je suis maurrassien et cette étiquette à mes yeux n'est nullement dépréciative [...] Je ne suis pas seulement maurrassien. Maurras? Je ne renie certes pas ce maître, mais je ne renie pas les autres.» Madiran d'évoquer alors Boèce, saint Thomas, Bossuet, Péguy, les frères Charlier et Chesterton. On retrouve chez Madiran , au fond le même attachement à la figure paternelle de Maurras; et le même refus d'être estampillé «pur maurrassien» (cf. Jean Madiran, Le concile en question, Bouère, Dominique-Martin Morin, 1985, p.79-80)

Source : Florian Michel, P. Bernard Sesboüé, De Mgr Lefevbre à Mgr Williamson. Anatomie d'un schisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2009, p.55

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Cinci » dim. 20 mars 2016, 3:39

Une des sources du modernisme selon Claude Tresmontant :

«... les philosophies allemandes, Kant bien entendu en ce qui concerne la théorie de la connaissance, la valeur de la raison et sa puissance, ou son impuissance, mais aussi les grands systèmes de l'Idéalisme allemand, qui ont au moins ceci de commun qu'ils s'opposent tous, et violemment, à la théologie, à la métaphysique, juives et chrétiennes, de la création.

La doctrine de la création, c'est ce que rejettent absolument et Fichte, et Schopenhauer et Hegel, qui la remplace par une théorie de l'aliénation. Si on rejette la doctrine hébraïque, juive et chrétienne de la création, alors on rejette la distinction ontologique entre Dieu et l'Univers. C'est ce rejet que nous avons coutume d'appeler panthéisme.

Nous disons une «poussée de panthéisme» comme nous disons une «poussée de fièvre». Nous l'avons déjà remarqué chez Renan comme chez Loisy, la tentation constante c'est le monisme. «... la raison veut le monisme», écrivait Alfred Loisy . Le monisme leur paraissait plus rationnel, plus satisfaisant pour la raison, que la métaphysique issue des Hébreux, qui distingue l'Absolu et le monde.

[...]

A la fin du XIXe siècle, et au début du XXe siècle, ce monisme évolutionniste, ce spinozisme revu et corrigé à travers Darwin, séduit nombre d'esprits, peu portés sur l'analyse logique.

L'un de ceux-là est l'abbé Marcel Hébert.

«La construction théologique qui paraissait si vivante à nos ancêtres, avec sa durée bornée pour le monde, sa création tirée du néant, sa moralité, son eschatologie juridique, son goût pour les récompenses et les punitions et sa manière de présenter Dieu comme un organisateur extérieur, un gouverneur «moral et intelligent», tout cela est aussi étrange, pour les oreilles de la plupart d'entre nous, que si c'était la religion d'une peuplade sauvage en quelque région lointaine. Les vues plus vastes que l'évolutionnisme scientifique a ouvertes et la marée montante de l'idéal social démocratique ont changé le type de notre imagination, si bien que l'ancien théisme monarchique est vieilli ou en train de vieillir. La place du divin dans le monde doit être plus organique et plus intérieure.

Un créateur extérieur à l'univers et à ses institutions, cela peut encore s'enseigner à l'Église, grâce à des formules que leur inertie même empêche de disparaître; mais la vie s'en est retirée, nous évitons de nous y appesantir; la vie véritable de notre coeur n'est plus là, mais autre part ...Les seules opinions vraiment dignes d'attirer notre attention appartiennent au même ordre d'idées que ce que l'on peut appeler en gros la vision panthéiste, c'est à dire la vision d'un Dieu considéré comme immanent à l'Univers.» (W, James, Philosophie de l'expérience, p.28)

[...]

En 1902, dans le numéro de juillet de la Revue de métaphysique et de morale, l'abbé Marcel Hébert publie un article intitulé :«La dernière idole. Étude sur la personnalité divine».

L'article commence en ces termes :
  • «Le problème angoissant qui se pose aujourd'hui pour bien des consciences est celui-ci : l'antique croyance au Dieu transcendant doit-elle céder la place à l'affirmation du Divin immanent? Le Tout-puissant (le «Roi des rois»), n'est-ce pas une de ces métaphores chaldéennes que le christianisme nous a transmises avec sa doctrine si élevée moralement, mais si mélangée, si encombrée de conceptions et comparaisons archaïques? Cette image, la métaphysique l'a retouchée de son mieux, elle l'a de plus en plus idéalisée, mais elle y a conservé la notion de personnalité, de telle sorte que cette construction imaginative, faite non plus à la ressemblance de notre corps, mais de notre âme, n'en reste pas moins, malgré certains avantages d'ordre pratique, la dernière idole contre laquelle proteste notre esprit averti par tant de réflexions et d'expériences. Or, il importe de le remarquer, beaucoup n'arrivent à conclure à un Dieu personnel que parce qu'ils le désirent, ils veulent a priori que Dieu soit personnel. Inconsciemment, ils remplacent leur raison par leur foi.»
Plus loin dans le même article :
  • «Les preuves de saint Thomas perdent-elles toute valeur? demande l'abbé Hébert. Et il répond : en tant qu'arguments syllogistiques, elles n'en conservent aucune. Ce sont d'inconscients sophismes. Si nous les envisageons non plus au point de vue logique, mais au point de vue vital, comme une expression de la vie de son époque, nous ne dirons plus de même ... »
Albert Houtin, l'ami et le biographe de Marcel Hébert, écrit dans l'ouvrage qu'il a consacré à ce dernier, Un prêtre symboliste : Marcel Hébert (1925) :«Depuis 1882, sa croyance au Dieu orthodoxe chrétien avait été peu à peu ébranlée. L'existence du mal lui paraissait inconciliable avec celle d'un Dieu créateur, parfait, infiniment bon et infiniment conscient ... D'autre part, les dissertations de Kant contre la possibilité de démontrer l'existence de Dieu avaient produit en lui une grande impression ... Le Kantisme et l'évolutionnisme lui fournirent la direction qu'il cherchait : un substitut au Dieu traditionnel chrétien, Avec le Kant de la raison pratique, il identifia Dieu et «la loi morale»; avec l'évolutionnisme, il fit de cette loi «La grande Loi», «L'orientation de l'activité universelle», maintenant ainsi les deux termes qu'il voulait concilier: une réalité profonde qui est la raison d'être de l'évolution, de la tendance du monde vers la perfection.»

Dans une lettre adressée le 6 juin 1914 à un pasteur, Marcel Hébert exprime clairement le fond de sa pensée. L'Absolu, je le suis et tu l'es toi aussi : c'est la vieille doctrine formulée déjà il y a bientôt trente siècles dans la théosophie brahmanique. Hébert ajoute ceci, qui ne provient plus de l'Inde, mais de la théosophie germanique : l'Absolu est en régime d'évolution et notre existence singulière, apparemment distincte de l'Absolu, mais qui en réalité n'en constitue qu'une modification provisoire, apporte à la vie et donc à la genèse de l'Absolu une certaine détermination.

[...]

Voilà donc ce qu'était devenu la philosophie allemande dans la tete d'un abbé des premières années du XXe siècle. Ce n'est qu'un exemple. Nous avons vu par Renan, Loisy et Turmel que c'était là une tendance générale. L'idéalisme allemand était, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle pour les ecclésiastiques, ce que le marxisme sera au milieu du XXe siècle : la philosophie tentante.

Source : C. Tresmontant, La crise moderniste, Paris, Éditions du Seuil, 1979, pp.184-192

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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par prodigal » dim. 20 mars 2016, 12:11

Cher Cinci,
un mot d'abord sur Jean Madiran, un homme qui a compté et pesé dans les débats autour du concile et de la FSPX. Il me paraît certain que vous avez raison, que pour lui le concile est la manifestation d'un esprit révolutionnaire malfaisant, inspiré par le modernisme. Mais Madiran a toujours voulu demeurer dans l'Eglise, et a préféré s'opposer à Mgr Lefebvre (lorsque celui-ci a cru bon de consacrer des évêques contre l'avis de Rome) à devenir schismatique. Il a toujours été sur la même ligne que ses amis du Barroux.
Mais le plus intéressant dans ce fil de discussion que vous avez ouvert concerne bien entendu le modernisme.
Personnellement, je définirai le modernisme comme la tentative de concilier le christianisme avec la perte de la foi traditionnelle.
Vous me direz, peut-être, que c'est impossible, par définition. C'est vrai, si et seulement si on considère que le contenu de la foi est immuable (ce que, je crois, l'Eglise a toujours dit). Mais si l'on considère que le contenu de la foi est tributaire de sa réception (car il n'est pas fait de formules creuses, mais de paroles destinées à germer dans la bonne terre de certaines âmes), et que celle-ci présuppose une culture particulière, alors la foi telle qu'elle s'exprime aujourd'hui ne reprendra pas les formulations qui sont liées à des civilisations aujourd'hui disparues. Dieu parle à chaque homme selon sa propre langue.
D'où l'importance de la question que j'ai attribuée à Madiran, et dont vous dites qu'elle est une bonne question. Le concile est-il la mise en oeuvre du modernisme, auquel cas il annoncerait une foi nouvelle (même si elle serait l'héritière du catholicisme passé) ou bien n'est-il que l'annonce en de nouveaux termes de la foi de toujours?
Le problème avec les traditionalistes est qu'ils ne semblent pas envisager la possibilité de la deuxième hypothèse. Ils ne semblent pas envisager (du moins ceux que j'ai entendus) qu'il puisse être légitime, voire indispensable, de dialoguer, c'est-à-dire, sans renoncer en rien à la vérité que l'on a à annoncer, de s'enrichir de ce que peut penser l'autre.
"Dieu n'a pas besoin de nos mensonges" (Léon XIII)

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Toto
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Re: La crise moderniste n'était qu'un rhume des foins …

Message non lu par Toto » dim. 20 mars 2016, 22:14

Bonsoir,

Je ne suis évidemment pas hostile au dialogue entre les catholiques et les autres. Mais pour dialoguer :
-il faut savoir de quoi l'on va parler
-avec qui
-dans quel but
Et quelle différence entre un Saint Dominique convertissant par sa parole les cathares, et je ne sais quel progressiste faisant l'apologie du dialogue oecuménique, dont le but n'est absolument pas de convertir l'autre (horreur!), mais bien de finalement relativiser les différences et d'encourir plus ou moins sciemment le danger de se laisser contaminer par l'hérésie ou à tout le moins par le relativisme, du style : "discutons, cherchons la vérité ensemble" comme si le but était de mener une quête philosophique en oubliant que les catholiques sont les seuls à posséder pleinement la Vérité, et à mettre en doute cette vérité pour mieux la placer à la même hauteur que l'erreur, comme si n'importe quelle thèse valait.

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