Souffrance physique et redemption ??

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Khalil_Gibran
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Re: souffrance physique et redemption ??

Message non lu par Khalil_Gibran » lun. 13 juin 2005, 9:23

guy1 a écrit :J ' aimerais savoir si qqn sur ce site peut éclairer cette question dont on n' entend peu parler et qui est pourtant importante à mes yeux : la souffrance est -elle tolérée par Dieu pour sauver d' autres âmes ? C'est un pb de fond du christianisme , non ? Qu'en est-il . Merci de votre réponse . ( Connaissant des personnes jeunes qui risquent de mourir , ça m' a poussé à m' interroger sur ce sujet grave s'il en est )
Eh bien, le Christ n'est-il pas mort en souffrant sur la croix, pour le pardon de nos péchés ? La notion de souffrance est très vaste, certes il ne nous appartient pas de mourir pour les péchés de l'humanité, car cela le Christ l'a déjà accompli, mais ayez à l'esprit que la soffrance n'est pas que physique, on peut souffrir dans son âme, pour celles qui se perdent. Moi-même, j'ai le vif sentiment que mon coeur saigne, quand je songe à l'égarement dans lequel vivent nos "frères séparés" (le terme "hérétiques" n'est plus "politiquement correct", depuis le dernier concile il me semble, pourtant dans la prière du soir nous disons "convertissez les hérétiques et éclairez les infidèles"...)

La Paix du Christ. :heart:

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Le sacrifice a-t-il un sens?

Message non lu par Christian » jeu. 23 juin 2005, 17:19

Je décale le sens de ce fil pour poser une question qui me tarabuste depuis longtemps. Le Père souhaite l’abondance et une vie de délices, pour ses enfants. Naturellement. Quel père voudrait leur souffrance ? Nos premiers géniteurs, cependant, n’ont pas eu confiance qu’Il avait donné absolument tout ce qui pouvait contribuer à leur félicité, sans rien retenir. Adam & Eve ont perdu la vie douce qu’Il nous avait préparée. Et, plouf, nous voilà au plus profond d’une vallée de larmes.

Ma question est : pourquoi en rajouter ? Certains chrétiens, surtout les catholiques, s’imposent des peines au-delà de celles que la vie nous réserve. Quel peut être le sens de ce sacrifice ? Le Père prend-il plaisir à nous voir souffrir ? En termes humains, ce serait malsain, voire abject. Existerait-il une quantité incompressible de souffrances allouée à l’humanité et ceux qui prennent plus que leur part allègent le poids des autres ? D’autres religions professent cette balance cosmique, mais je ne pense pas que ce karma soit très catholique.

Y aurait-il beauté ou grandeur dans la souffrance en elle-même ? Ce dolorisme relève pour moi d’une vision maso de l’humanité toute aussi perverse que le sadisme d’un père voyeur de l’auto flagellation de ses enfants.

Je ne vois qu’un seul cas qui justifie la souffrance auto infligée : si elle est le moyen présent d’améliorer et embellir ma vie future (ou celle d’êtres aimés). M’imposer un régime a du sens pour améliorer ma condition physique, ou si je pense que ce jeûne élèvera mon seuil de conscience, aiguisera le sentiment de solidarité avec les plus pauvres, etc. Si un tel but n’est pas clairement défini, la privation me semble inutile ; et elle doit être abandonnée si le but n’est pas atteint ou si un autre moyen moins onéreux de l’atteindre est identifié.

Je ne vois donc pas ce que ‘sacrifice’ veut dire. Je donnerais ma vie pour sauver celle de ma fille, parce que ma vie sans ma fille, sachant que je pouvais la sauver, me paraîtrait intolérable (c’est le sens que je donne au sacrifice de la Croix). Je ne ‘sacrifie’ donc rien du tout, je gagne au change. Et c’est bien ainsi que ce doit être, me semble-t-il.

Suis-je à côté de la plaque ? J’avoue n’avoir rien lu de convaincant sur la valeur du ‘sacrifice’.

Votre perplexe,
Christian

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Message non lu par zefdebruz » jeu. 23 juin 2005, 22:25

Bonsoir Christian,

c'est le grand mystère de la communion des saints qui livre la clé de la réponse à votre question :
- "quand un membre souffre, c'est le corps entier qui souffre".
-" Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis"
- "je ( Saint Paul) complète dans ma chair ce qu'il manque au sacrifice de notre Seigneur"

A partir de ces actes d'amour pur, de don désintéressé de soi, d'amour parfait du Seigneur, d'oblation (offrande de soi), le Seigneur opére des merveilles dans les coeurs par des voies que Lui seul connaît par une mystérieuse communion d'amour.
Cet amour pour Dieu peut être si fort que le but d'une vie consacrée peut consister à Lui "amener" des âmes pour leur salut , quitte non seulement à renoncer au monde mais à ne rien rechercher pour soi dans l'Au Delà. C'est ainsi que Thérèse de Lisieux était prête à aller jusqu'en Enfer juste pour en fermer les portes à d'autres âmes !!

Cordialement
" Or c'est ici la vie éternelle, qu'ils te connaissent , Toi, le seul vrai Dieu et celui que Tu as envoyé, Jésus Christ" Jean 17,3

Christian
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Message non lu par Christian » sam. 25 juin 2005, 13:49

Bonjour Zefdebruz,

Merci de cette réponse. Je l’apprécie beaucoup, mais je ne suis pas sûr de la bien comprendre.
- "quand un membre souffre, c'est le corps entier qui souffre".
-" Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis"
- "je ( Saint Paul) complète dans ma chair ce qu'il manque au sacrifice de notre Seigneur"
J’accepte volontiers les deux premières propositions. La troisième, même si signée Saint Paul, me laisse coi. Je ne la connaissais pas. Se peut-il que le Père ait sacrifié Son Fils et que ce prix ne soit pas suffisant ? Le Rédempteur ne le serait qu’à moitié ? Vous m’ouvrez là une perspective assez vertigineuse.
C'est ainsi que Thérèse de Lisieux était prête à aller jusqu'en Enfer juste pour en fermer les portes à d'autres âmes !!
Je suis fort aise d’apprendre qu’il n’y aura pas de places en Enfer pour tout le monde ! J’avais rencontré un jour un couple d’Américains qui m’avaient tenu un discours enflammé sur les méfaits du tabac. Le lendemain, je les retrouve par hasard à l’aéroport devant moi dans la file du guichet d’enregistrement et, à ma grande surprise, je les entends demander deux places dans la section Fumeurs. « L’avion est plein, m’ont-ils expliqué, et en prenant ces places, nous empêcherons deux passagers de fumer pendant le vol’. N’est-ce pas du dévouement ?

Trêve de plaisanteries. Vous écrivez Cet amour pour Dieu peut être si fort que le but d'une vie consacrée peut consister à Lui "amener" des âmes pour leur salut , quitte non seulement à renoncer au monde mais à ne rien rechercher pour soi dans l'Au Delà. D’accord, mais il s’agit là d’un sacrifice pour obtenir un gain auquel on accorde plus de valeur que sa vie même. Loin d’être une souffrance gratuite, on ne l’accepte que dans la mesure où l’on sait que ce sacrifice va amener le résultat désiré (récolter des âmes).

Ce n’est donc pas un « don désintéressé de soi », « une oblation (offrande de soi) » sans but. Il me semble d’ailleurs qu’il ne peut exister d’acte gratuit, et que même si cela se pouvait, ce serait immoral.

Bien à vous :)
Christian

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Message non lu par VexillumRegis » sam. 25 juin 2005, 15:09

[align=justify]Bonjour Christian,
Christian a écrit :Je ne la connaissais pas. Se peut-il que le Père ait sacrifié Son Fils et que ce prix ne soit pas suffisant ? Le Rédempteur ne le serait qu’à moitié ? Vous m’ouvrez là une perspective assez vertigineuse.
Colossiens I, 24 : "Maintenant je suis plein de joie dans mes souffrances pour vous, et ce qui manque aux souffrances du Christ en ma propre chair, je l'achève pour son corps, qui est l'Eglise."

Il est vrai que ce verset peut prêter à confusion. J'ai trouvé deux commentaires qui, à mon avis, l'éclairent bien et dissipent toute ambiguïté.

S. Thomas d'Aquin, Commentaire de la lettre de saint Paul aux Colossiens :

Un autre fruit de ces labeurs est que ce qui manque aux souffrances du Christ, je l’achève en ma propre chair pour son corps qui est l'Église. Ces paroles, entendues superficiellement, pourraient recevoir ce mauvais sens que la Passion du Christ ne suffirait pas pour la rédemption et qu’il a fallu la compléter par les souffrances des saints. Ce serait hérétique : le sang du Christ suffit au salut même d’un grand nombre de mondes. Il est lui-même une victime de propitiation pour nos péchés, dit saint Jean, non seulement pour les nôtres, mais pour ceux du monde entier (I Jean, X 2). Il faut comprendre la pensée de l’Apôtre : le Christ, et l’Eglise forment une seule personne mystique, dont la tête est le Christ, et le corps tous les justes. Chacun des justes est comme un membre pour ce chef. Vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part (I Corinthiens XII, 27). Dieu donc a déterminé, dans son décret de prédestination, la somme de mérites que doit acquérir l’Eglise entière, chefs et membres; de même qu’il a prédestiné le nombre des élus. Les souffrances des saints martyrs sont parmi les principaux de ces mérites, Les mérites de la tête, le Christ, sont infinis; mais les saints apportent une portion limitée, chacun selon sa mesure. Ainsi s’expliquent les paroles de l’Apôtre ce qui manque à la Passion du Christ, c’est-à-dire de l’Eglise entière dont le Christ est la tête, je l’achève, j’ajoute ma mesure, dans ma chair, en souffrant moi-même, ou encore en passant par les souffrances qui manquent à ma chair. Il manquait au Christ, comme il avait souffert dans son propre corps, de souffrir en Paul, l’un de ses membres, et en tous les autres... je l’achève pour son corps l’Église qui devait être rachetée par le Christ. Le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître devant lui, cette Eglise, glorieuse, sans tache, sans ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée (Ephésiens V, 26). Tous les saints souffrent ainsi pour l’Eglise qui reçoit de leur vie une nouvelle force. La Glose fait ce commentaire : il manque des souffrances parce que le trésor de l’Église n’est pas encore plein; il ne le sera qu’à la fin des temps. Ce trésor, c’est comme un vase ou une maison où l’on accumule les richesses.[/align]

[align=center]____________________[/align]

[align=justify]Annotations d'une traduction de la Septante disponibles ici :

que signifient ici les afflictions de Christ ? Par ses souffrances, Christ a vaincu le péché, le monde, la mort ; par ses souffrances, il a été consommé, il a atteint la perfection (Hébreux 2.10 ; 5.9) pour lui-même, comme homme, et pour tous ses rachetés, auxquels il a frayé le chemin de la gloire.

Maintenant ceux-ci le suivent dans la voie où il a marché ; (Romains 8.17 ; 2Corinthiens 1.5) mais cette communion de ses souffrances (Philippiens 3.10) n'est plus une imitation extérieure ; il demeure, et vit en eux ; ils sont son corps, dont il est la tête ; et comme son Esprit lutte, prie, soupire, s'attriste en eux, (Romains 8.25,26 ; Ephésiens 4.30) lui-même souffre en son corps qui est sur la terre, il est persécuté dans ses membres ; (Actes 9.4,5) ceux-ci portent son opprobre ; (Hébreux 11.26) ils sont participants de l'affliction et de la patience du Christ (Apocalypse 1.9) ; bien plus, ils sont faits une même plante avec lui dans sa mort, ils meurent avec lui (Romains 6.5-8 ; 2 Corinthiens 5.14,15) , ils portent toujours, partout, en leur corps la mort du Seigneur Jésus. (2 Corinthiens 4.10) Ainsi les souffrances des fidèles sont bien les afflictions de Christ, mais ses afflictions dans son corps, qui est l'Eglise.

Dans ce sens, mais dans ce sens seul, il reste, il manque aux afflictions de Christ quelque chose qui peut être accompli, achevé ; c'est tout ce que l'Eglise doit souffrir jusqu'à ce qu'elle soit consommée avec son Chef : et voilà les souffrances auxquelles Paul eut, durant tout son ministère, une si large part. (1 Corinthiens 4.9 et suivants) Mais :

comment un chrétien peut-il souffrir pour l'Eglise ou pour le corps de Christ ? Cela ne signifie point qu'il souffre à sa place, dans un sens d'expiation ; car Christ, et Christ seul a tout accompli ; nul ne peut racheter son frère de la mort. Mais il n'en est pas moins vrai que les souffrances, les renoncements, les victoires de chaque membre de l'Eglise contribuent puissamment au bien de tout le corps, par la communion qui existe entre les membres. Quel affermissement pour la foi de tous dans la constance d'un seul martyr ! Les triomphes que ces généreux confesseurs ont remportés en défendant la vérité profitent encore à l'Eglise après des siècles. Il en est de même de l'influence bénie du membre le plus obscur de l'Eglise, souffrant en vrai chrétien. Combien plus de l'œuvre d'un saint Paul ! (Comparer 2 Corinthiens 1.6, note.)

Aussi comprenons-nous qu'il se réjouisse de ses souffrances pour ses frères, d'abord parce qu'il aimait ces frères, et ensuite parce qu'il avait le sentiment qu'il souffrait avec son Sauveur, portant les afflictions de Christ, lui étant rendu semblable.


Le CEC explique très brièvement ce verset aux paragraphes 307, 618 et 1508.

En espérant vous avoir été utile...

Fraternellement en Jésus-Christ,

- VR -[/align]

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Message non lu par zefdebruz » sam. 25 juin 2005, 17:48

Christian a écrit :
Merci de cette réponse. Je l’apprécie beaucoup, mais je ne suis pas sûr de la bien comprendre.
Je dois vous avouer que pendant des années, je ne comprenais strictement rien à cette notion de sacrifice, sur laquelle j'essayais de raisonner intellectuellement en m'arrêtant comme vous sur l'utilité. Mais le Seigneur nous appelle à être des serviteurs inutiles : cela ne se comprends pas, mais se vit dans sa chair ,et se ressent au fond de l'être, je suppose que c'est de l'ordre de la grâce. C'est en voyant vivre et prier mon épouse au quotidien, que j'ai commencé à approcher ce mystère de la communion des saints...Je suis un peu gêné d'en parler car je ne fait guère d'efforts, mais les lectures des vies de saints, particulièrement des mystiques sont édifiantes pour la perception de ce mystère.
Il y a encore peu la littérature mystique était du chinois pour moi, impossible de lire plus de deux ou trois pages, et je sombrais dans un ennui profond !
C'est un un peu handicapant d'être intellectuel, le fait de vouloir tout maîtriser et comprendre empêche la grâce du Seigneur de se déployer pleinement en nous .
Bien à vous. :)
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Message non lu par zefdebruz » sam. 25 juin 2005, 18:12

Christian a écrit : Ce n’est donc pas un « don désintéressé de soi », « une oblation (offrande de soi) » sans but. Il me semble d’ailleurs qu’il ne peut exister d’acte gratuit, et que même si cela se pouvait, ce serait immoral.
Vous vous trompez lourdement, il y a des personnes qui posent des actes gratuits, et ce faisant ils entrent dans la joie de leur Maître, sans rechercher cette joie comme un but mais simplement parce qu'ils aiment en esprit et en vérité !
La gratuité, le don, l'offrande sont autant de signes manifestes de l'amour ! Il n'y a pas de véritable amour si l'on attend quelque chose en retour, et cette vertu théologale est elle même un don. Admirable échange !
Je vous invite à méditer plus profondément sur le mystère de La Trinité : la vie en Dieu est une vie pleine, entièrement vécue dans le don, le Père engendrant éternellement son Fils, qui se reçoit totalement du Père dans la communion de L'Esprit Saint. Pourtant cette plénitude absolue, n'a pas empéché Dieu de créer avec une TOTALE GRATUITE ! Il serait insensé de chercher dans l'acte créteur une utilité pour Dieu qui n'a pas BESOIN de la création, mais qui dans son débordement d'amour a appellé des créatures LIBRES à partager Sa propre vie, Sa propre gloire.
"Dieu s'est fait Homme, pour que l'Homme devienne Dieu", " La gloire de Dieu c'est l'Homme vivant et la vie de l'Homme c'est la vision de Dieu " ( Saint Irénée).
Cordialement.
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Message non lu par Christian » sam. 25 juin 2005, 22:36

zefdebruz a écrit
cette plénitude absolue, n'a pas empéché Dieu de créer avec une TOTALE GRATUITE
Je ne suis pas sûr d’être entièrement d’accord. Mais de toutes façons, en affirmant qu’il n’existe pas d’acte gratuit, je me référais aux mortels que nous sommes, pas à Dieu. Et en ajoutant que pour les êtres humains, un acte gratuit serait immoral, je faisais allusion à l’altruisme kantien.

Kant soutient comme vous qu’un acte n’est pas vertueux si son auteur y trouve une utilité, un plaisir ou un intérêt. Faire le bien est un devoir, mais ce n’est plus faire le bien si c’est pour mon bien.

Cette position morale m’a toujours répugnée. Illustration : Je m’imagine grabataire ou en prison. Tartemolle vient me voir. « Tu sais, me confie-t-il, je ne prends aucun plaisir à cette visite. Je suis ici par devoir, pour accomplir un acte de pure gratuité, et je t’assure, je ne reçois rien en retour ».

Que puis-je répondre à ce pignouf ? qu’il rentre chez lui ; qu’il cesse de m’insulter ; même grabataire, je veux avoir encore des échanges capitalistes avec autrui, mesure pour mesure, donnant-donnant. Car n’est-il pas humiliant d’être celui qui reçoit et à qui on ne permet pas de rendre ? N’est-ce pas le comble de l’arrogance, de la prise de pouvoir, d’être celui qui donne, parce qu’il attache une grande valeur au don, et qui refuse à l’autre l’occasion de donner aussi ?

L’échange ne se pratique jamais pour des biens identiques. On échange une tablette de chocolat contre un jus d’orange ou contre 2 euros, mais pas 2 euros contre 2 euros ni une tablette contre une tablette. Et de même, je repaye le déplacement de Tartemolle par le plaisir que je lui apporte. Mais s’il ne trouve pas ce plaisir, s’il veut que sa visite soit une offrande, une gratuité, un don, alors qu’il reste chez lui.
Il n'y a pas de véritable amour si l'on attend quelque chose en retour
Je crois exactement le contraire. Il n’y a de l’amour que si l’on attend (au moins secrètement, lointainement, désespérément) d’être aimé en retour. Il faut à l’amour cette vulnérabilité. Pour moi, la création ne se comprend que parce que Dieu est amour et l’amour a besoin d’un objet d’amour. Si Dieu était complet, autosatisfait, n’éprouvait pas de besoin, Il n’aurait pas pris le risque insensé de créer des objets dignes de Son amour, c'est-à-dire des sujets libres (libres de Lui tourner le dos, libres de tuer Son Fils), et la perfection de Son amour ne se mesure pas au fait qu’Il n’attend rien, mais qu’Il continue d’aimer en dépit de Sa souffrance de n'être pas aimé en retour.

Je vous souhaite un bon dimanche.

Christian

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Message non lu par sola » lun. 27 juin 2005, 14:39

léon bloy parlait ainsi de la communion dans laquelle nous sommes tous: quand quelqu'un est heureux, quelqu'un d'autre est en train de se sacrifier pour lui, même sans le savoir bien sûr (et vice-versa, ce ne sont pas tjs les mêmes qui souffrent et qui ne souffrent pas). à méditer p-ê...? :?:

ce sujet donne de l'urticaire en tout cas aux incroyants: le sens de la souffrance pour eux, comme questionnement, c'est un comble. la souffrance ne devrait pas exister, Dieu est un nul ou un sadique, point, tout est dit.
*sola*
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Re: Souffrance physique et redemption ??

Message non lu par Hélène » ven. 01 juil. 2005, 21:09

guy1 a écrit :la souffrance est -elle tolérée par Dieu pour sauver d' autres âmes ? C'est un pb de fond du christianisme , non ?
Ce n'est pas la souffrance qui sauve mais l'Amour. Hélas, cet Amour ne peut apparaître clair que dans la logique du don, jusqu'à la souffrance ultime de la mort, séparation de l'âme et du corps. Georgette Blaquière disait : "l'Amour naît d'une blessure"; la femme tirée du côté le plus intime de l'homme, càd son coeur (et non sa côtelette ! :kissing: ) et l'Église, épouse du Christ, née de son Coeur transpercé. L'Amour livré attire, malheureusement depuis que l'Homme ne reconnaît plus qu'il est sorti des mains d'un Père plein de tendresse et d'amour, les conséquences dramatiques du Golgotha...

Faute de pouvoir expliquer la souffrance, notre Dieu est venu la prendre sur Lui afin que nous comprenions un plus grand mystère encore que celui de la souffrance : l'Amour qu'Il a pour chacun de nous. Mais "ne fallait-il pas que le Fils souffrit tout cela pour entrer dans sa gloire ?" Demande Jésus aux disciples d'Emmaüs.

Pour ce qui est d'un Dieu vampire qui tolérerait la souffrance de son Fils ou de ses enfants, Il suffit d'entendre les Paroles de Jésus dans son discours d'adieu dans Jean "qui me voit, voit le père" et "le Père et moi sommes un" pour percevoir que sur la Croix, c'est toute la Trinité qui souffre, le Verbe dans sa chair et dans son âme et le Père, en tant qu'engendrant celui-ci éternellement, dans son Coeur de Père dans un élan de Charité sans borne que l'on nomme l'Esprit Saint.

Les saints se livrent à l'amour, qui a hélas des conséquences dramatiques et engendre la souffrance (non comme un désir masochiste ou qu'ils la rechercheraient...mais ils acceptent leur part sans se révolter), parce qu'ils ont reconnu l'Amour inouï de Dieu pour eux et pour leurs frères. Ce n'est pas un spectacle que Jésus donne à regarder sur la Croix, c'est d'oser pénétrer dans le mystère. C'est dans sa Mort que nous sommes baptisés et dans sa résurrection que nous sommes relevés. Cette Paroles doit s'intégrer, s'actualiser dans chacune de nos vies. Et ça...ça peut être crucifiant... mais aussi, si libérateur et vivifiant.

Parce qu'au bout de tout cela et à chaque petite mort ou souffrance, il y a la Résurrection qui triomphe ! :clap:
"Le Père n'a dit qu'une seule Parole, c'est son Fils et, dans un éternel silence, il la prononce toujours". (Saint Jean de la Croix)

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Sacrifice

Message non lu par Christian » dim. 03 juil. 2005, 10:59

Bon dimanche Sola
léon bloy parlait ainsi de la communion dans laquelle nous sommes tous: quand quelqu'un est heureux, quelqu'un d'autre est en train de se sacrifier pour lui, même sans le savoir bien sûr (et vice-versa, ce ne sont pas tjs les mêmes qui souffrent et qui ne souffrent pas).
Le peu que j’ai lu de Léon Bloy (La Femme pauvre, Le Salut par les Juifs, l’Exégèse des lieux communs) ne m’inspire absolument pas. En fait, son propos que vous rappelez illustre ce dolorisme malsain que je critiquais dans ma première intervention, théologiquement incompatible avec la bonté du Père, psychologiquement générateur de culpabilité (« Si j’ai des beaux enfants, c’est qu’il y a des enfants malades quelque part »), empiriquement faux (le bonheur rayonne, est communicatif, et c’est lui, plutôt que le sacrifice, qui fait d’autres heureux).

Bien à vous
Christian

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Sacrifice

Message non lu par Christian » dim. 03 juil. 2005, 11:01

Hélène Bourgeois
Les saints se livrent à l'amour, qui a hélas des conséquences dramatiques et engendre la souffrance (non comme un désir masochiste ou qu'ils la rechercheraient...mais ils acceptent leur part sans se révolter), parce qu'ils ont reconnu l'Amour inouï de Dieu pour eux et pour leurs frères.
Merci Hélène. Cette vision j’aime bien, elle aide à vivre, elle est ‘positive’ (pour être vulgaire, le terme n’en est pas moins juste). La notion que je retiens de ma superficielle lecture de Nietzsche, et je crois qu’elle s’applique ici, est celle d’Amor Fati, aimer son destin (non pas être béni-oui-oui d’une fatalité aveugle, mais, pour un chrétien, tomber amoureux du réel que Dieu me donne, le seul possible, au sein duquel ma vie trouve sa cohérence et cherche son accomplissement).

On est heureusement loin du sacrifice à la Léon Bloy.

:)

Christian

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Message non lu par Christian » dim. 03 juil. 2005, 11:12

Cher Charles,
Zefdebruz
je ( Saint Paul) complète dans ma chair ce qu'il manque au sacrifice de notre Seigneur"
Christian
La [proposition], même si signée Saint Paul, me laisse coi. Je ne la connaissais pas. Se peut-il que le Père ait sacrifié Son Fils et que ce prix ne soit pas suffisant ? Le Rédempteur ne le serait qu’à moitié ?
CharlesC'est merveilleux comme vous arrivez à une parfaite inversion du sens de l'Incarnation. […] C'est justement parce que le sacrifice du Christ est le seul suffisant que nous pouvons, à chaque instant et en toutes circonstances, nous unir à lui.
Si les points d’interrogation ont un sens, je ne souscrivais nullement au propos que vous critiquez. Je vous laisse régler vos comptes avec Saint Paul ;-)
Dieu est auto-satisfait, dans sa solitude rien ne lui manque, il n'a besoin de rien. Vous soumettez la création à une nécessité quelconque : vous en retirer la grâce et vous interdisez de comprendre l'amour que le Christ nous enseigne et qui est grâce, nouveauté, inattendu, non nécessaire, démesure, injustice par excès...
Là, je vous rejoins volontiers. J’ai sans doute une vision trop anthropomorphique de l’amour divin.

Cela dit, j’aimerais beaucoup vous lire sur la notion de sacrifice. Pensez-vous comme Léon Bloy, qu’il existe une sorte de balance karmique entre les mains de Dieu, et qu’Il transformerait les souffrances volontaires, sacrificielles, des uns en faveurs qu’Il accorderait aux autres ? ou, pire encore, que nos sacrifices présents nous vaudraient des bons points pour l’avenir ?

Dieu ne nous envoie-t-il pas notre juste compte d’épreuves sans que nous ayons besoin de faire du zèle ?

J'ai bien aimé la remarque de Zefdebruz sur les "serviteurs inutiles", mais l'inutilité n'appelle pas un surcroît de souffrance.

Christian

Charles
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Message non lu par Charles » dim. 10 juil. 2005, 17:44

Bonjour cher Christian,
Christian a écrit : Pensez-vous comme Léon Bloy, qu’il existe une sorte de balance karmique entre les mains de Dieu, et qu’Il transformerait les souffrances volontaires, sacrificielles, des uns en faveurs qu’Il accorderait aux autres ? ou, pire encore, que nos sacrifices présents nous vaudraient des bons points pour l’avenir ?

Dieu ne nous envoie-t-il pas notre juste compte d’épreuves sans que nous ayons besoin de faire du zèle ?
[align=justify]Je ne connais pas Léon Bloy, son style décourageant mes tentatives de le lire.

Mais il me semble qu'il peut y avoir dans la souffrance, tout comme dans le travail, quelque chose qui ressemble beaucoup à l'amour. Dans le travail, on s'oublie et se donne, un peu comme dans l'amour. Dans la souffrance, c'est différent, on est arraché à soi-même ; cet arrachement est involontaire mais, brusquement, il y a comme une ouverture en nous et la découverte que nous ne nous suffisons pas à nous même. Notre vulnérabilité nous apprend qu'il nous est impossible d'exister comme un microcosme, que nous ne pouvons demeurer en nous-mêmes et avec nous-mêmes dans une béatitude que rien du dehors ne viendrait menacer. La mystique parle ainsi de "blessure d'amour" ou de "brûlure d'amour" pour dire l'irruption de la grâce, de cette venue d'un Dieu inattendu, d'un être infini s'invitant dans dans sa créature dont la nature est finie, déterminée et semblant se suffire à elle-même. La nature humaine est blessée par le péché, mais la blessure que Dieu lui inflige est différente, ce n'est pas une déformation mais une plaie, une blessure qui est ouverture.

"L'une de ses têtes paraissait blessée à mort, et sa plaie mortelle fut guérie" (Apocalypse 13, 3-12). C'était une blessure faite par un glaive (13, 14) qui avait atteint son nerf vital, mais dont la guérison n'avait laissé aucune cicatrice. La ressemblance et le contraste avec le Fils de Dieu sont évidents. Le Christ est blessé à mort par le péché et son corps transfiguré porte des plaies éternellement ouvertes ; même au jour du jugement les peuples devront regarder Celui qu'ils ont transpercé (1, 7). Le fils du Dragon, par contre, ne porte aucune cicatrice, ce qui veut dire que son sang n'a aucun pouvoir de guérison, que sa blessure n'était pas et ne demeure pas une blessure d'amour. L'Eglise et le monde sont sans cesse lavés dans le sang du Christ qui coule éternellement (7, 14 ; 22, 14). Seul celui qui est est blessé avec le Christ pour ses semblables, et qui peut donner son sang avec lui, participe à la purification du monde. L'Antéchrist se caractérise par une santé égoïste qui est pure stérilité. (Hans-Urs von Balthasar, L'Apocalypse , p 60, Editions du Serviteur)

Il peut y avoir une blessure et une souffrance qui sont vie, ouverture, effusion, fécondité et une santé qui est égoïsme, rétention, stérilité. Le sang, c'est-à-dire la vie, peut être "fleuve d'eau vive" ou bien une eau morte. La "santé égoïste" qui est "pure stérilité" est peut-être aussi la "grande santé" nietzschéenne, où l'homme oublierait et refoulerait la mort en une sorte d'ivresse un peu animale de vivre sans peur, sans angoisse, sans menace de mourir. La souffrance est un arrachement parce qu'elle est involontaire mais elle peut, plus que toute autre chose, se confondre avec l'amour à partir du moment où l'homme y consent librement. Car il est peu vraisemblable que la vocation d'une liberté soit de se conserver. Le domaine de la liberté et de la grâce est celui du don, du gaspillage, de la profusion, de la surabondance, de la nouveauté... par définition. Ce doit être le domaine de l'inattendu et de la surabondance. Etre libre c'est commencer, non pas se conserver dans le même état, non pas être avare de son être mais le prodiguer. La parole que Dieu nous adresse dans le tréfonds de notre être, elle aussi, est toujours nouvelle. On pourrait concevoir la vie en elle-même comme souffrance en tant qu'elle est sans cesse l'abandon de ce qui est pour ce qui vient, et ainsi aussi arrachement. Mais c'est que nous ne pouvons dire tout ce que nous avons à dire ni être tout ce que nous avons à être en un seul mot et un seul instant. Nous sommes trop pauvre pour subsister entièrement en un acte unique et définitif mais trop riche pour tenir entier dans un instant.

Il y a aussi un refus de la souffrance qui est l'endurcissement mais l'homme endurci ne se soustrait pas qu'à elle, il échappe aussi au plaisir, à la joie, au bonheur de la rencontre et l'amour. Ne souffre et ne se réjouit que le doux, celui qui prend le risque de la vulnérabilité de la douceur, c'est-à-dire de la disponibilité pour la vie.[/align]
Dernière modification par Charles le dim. 10 juil. 2005, 21:21, modifié 2 fois.

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