Elle est publiée en espagnol sur le site du Vatican :
https://www.vaticannews.va/es/papa/news ... na-fe.html
avec une traduction française proposée par le site Zénith :
https://fr.zenit.org/2023/07/03/lettre- ... de-la-foi/
J’en reproduis cette traduction ci-dessous en soulignant quelques passages qui me semblent particulièrement remarquables.
Cette lettre contient de précieux enseignements sur ce qui fait l’objet même de notre forum : « l’intelligence de la foi », et les orientations de cette lettre, concernant la manière de « garder la foi » qui constitue la mission principale du dicastère « pour la Doctrine de la Foi », montrent aussi, à tous ceux qui s’intéressent à la promotion et au développement de l’intelligence de la Foi Catholique, les besoins prioritaires auxquels chacun est invité à être attentif à notre époque.À Son Excellence Révérendissime Archevêque Víctor Manuel Fernández
Cité du Vatican, 1er juillet 2023
Cher frère,
En tant que nouveau préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, je vous confie une tâche que je considère très précieuse. Son objectif central est de veiller sur l’enseignement qui découle de la foi afin de « donner des raisons à notre espérance, mais pas comme un ennemi qui critique et condamne » (1).
Le Dicastère, que vous allez présider, a connu d’autres époques où il a utilisé des méthodes immorales. Ce que j’attends de vous est certainement très différent.
Vous avez été doyen de la Faculté de théologie de Buenos Aires, président de la Société argentine de théologie et président de la Commission Foi et Culture de l’épiscopat argentin, dans tous les cas, élu par vos pairs qui ont ainsi apprécié votre charisme théologique. En tant que recteur de l’Université catholique pontificale d’Argentine, vous avez encouragé une saine intégration des connaissances. D’autre part, vous avez été curé de « Santa Teresita » et jusqu’à présent archevêque de La Plata, où vous avez su faire dialoguer les connaissances théologiques avec la vie du saint peuple de Dieu.
Étant donné que pour les questions disciplinaires – en particulier celles liées à l’abus de mineurs – une section spécifique a été récemment créée avec des professionnels très compétents, je vous demande, en tant que préfet, de consacrer votre engagement personnel plus directement à l’objectif principal du Dicastère, qui est de « garder la foi » (2).
Pour ne pas limiter la portée de cette tâche, il convient d’ajouter qu’il s’agit « d’accroître l’intelligence et la transmission de la foi au service de l’évangélisation, afin que sa lumière soit un critère pour comprendre le sens de l’existence, surtout face aux questions que posent le progrès des sciences et l’évolution de la société » (3). Ces questions, intégrées dans le cadre d’un renouveau du Dicastère, ont été abordées dans le cadre d’une réflexion sur l’avenir de la foi. Et alors, ces questions, intégrées dans une annonce renouvelée du message évangélique, « deviennent des instruments d’évangélisation » (4) parce qu’elles nous permettent d’entrer en dialogue avec « notre situation actuelle, qui est à bien des égards sans précédent dans l’histoire de l’humanité » (5).
De plus, vous savez que l’Église « grandit dans son interprétation de la parole révélée et dans sa compréhension de la vérité » (6) sans que cela implique l’imposition d’une manière unique de l’exprimer. En effet, « des courants de pensée différents en philosophie, en théologie et dans la pratique pastorale, s’ils sont ouverts à la réconciliation par l’Esprit dans le respect et l’amour, peuvent permettre à l’Église de grandir » (7). Cette croissance harmonieuse préservera la doctrine chrétienne plus efficacement que n’importe quel mécanisme de contrôle.
Il est bon que votre tâche exprime que l’Église « encourage le charisme des théologiens et leurs efforts d’érudition » à condition qu’ils ne se « contentent pas d’une théologie de bureau » (8), d’une « logique froide et dure qui cherche à tout dominer » (9). Il sera toujours vrai que la réalité est supérieure à l’idée.
En ce sens, nous avons besoin que la théologie soit attentive à un critère fondamental : considérer que « toutes les notions théologiques qui remettent en cause la toute-puissance même de Dieu, et sa miséricorde en particulier, sont inadéquates » (10). Nous avons besoin d’une pensée capable de présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne, qui sauve, qui libère, qui promeut les personnes et les appelle au service fraternel.
Cela se produit si « le message doit se concentrer sur l’essentiel, sur ce qui est le plus beau, le plus grand, le plus attirant et en même temps le plus nécessaire » (11). Vous savez bien qu’il existe un ordre harmonieux entre les vérités de notre message, et que le plus grand danger survient lorsque des questions secondaires finissent par éclipser les questions centrales.
Dans l’horizon de cette richesse, votre tâche implique aussi un soin particulier pour vérifier que les documents de votre Dicastère et des autres ont un support théologique adéquat, sont cohérents avec le riche humus de l’enseignement pérenne de l’Église et en même temps prennent en compte le Magistère récent.
Que la Sainte Vierge vous protège et veille sur vous dans cette nouvelle mission. Ne cessez pas de prier pour moi.
Fraternellement,
François
[1] Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 271.
[2] Motu proprio Fidem servare (11 février 2022), Introduction.
[3] Ibid. 2.
[4] Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 132.
[5] Lettre encyclique Laudato si’ (24 mai 2015), 17.
[6] Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 40.
[7] Ibid.
[8] Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 133.
[9] Exhortation apostolique Gaudete et exsultate (19 mars 2018), 39.
[10] Commission théologique internationale, L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans avoir été baptisés (19 avril 2007), 2.
[11] Exhortation apostolique Evangelii gaudium (24 novembre 2013), 35.
Traduit de l’anglais par Zenit
Garder la foi, c’est, bien sûr, d’abord et inconditionnellement, garder précieusement le trésor des Saintes Écritures et de la Tradition qui en éclaire le sens et la portée depuis déjà près de deux mille ans dans la communion de l’Église, rassemblée par les Papes successifs depuis Saint Pierre. La foi ne change pas.
Mais, cette conservation qui assure une transmission authentique de la Foi, n’implique pas un immobilisme dans des mots figés exprimés dans un contexte particulier alors que le langage évolue dans un contexte culturel lui-même évolutif, ce qui exige, sans cesse, de réactualiser les mots pour chaque génération, en tenant compte de l’accroissement des connaissances.
La Tradition est toujours vivante et demande toujours d’actualiser l’annonce de la foi car la Parole de Dieu écrite ne suffit pas aux individus que nous sommes et qui avons toujours besoin de la comprendre à notre époque et dans notre contexte, en communion avec l’Église.
Cette communion implique une fidélité aux enseignements solides du passé mais aussi au Magistère actuel de l’Église qui est le corps du Christ.
Au cœur de sa lettre à Mgr Fernandez, le Pape François nous rappelle une évidence trop négligée à notre époque : « Il sera toujours vrai que la réalité est supérieure à l’idée. ».
À cet égard, parce que Dieu est infiniment autre et au-delà de ce que nos mots peuvent en dire, les idées (y compris les dogmes) qui sont exprimées par des mots humains ne sont jamais des absolus dans la manière dont elles sont formulées, mais sont toujours des points de vue sur la réalité avec des mots humains qui sont eux-mêmes imparfaits et imprécis de sorte qu’ils ne cessent jamais de devoir être réactualisés par le Magistère actuel de l’Église.
À notre époque, au nom de la science et de la technologie, se développe de plus en plus, dans tous les domaines (on le voit fort dans les positions sur la vaccination Covid ou sur la guerre en Ukraine) une tendance à considérer le réel par une pensée unique qui serait « la » vérité de « la science » attestée par les « experts qui savent », alors que la réalité, dans son infinie complexité, permet des points de vue parfois très différents et parfois des choix opposés. À cet égard, la lettre du Pape peut aider à rappeler que c’est le dialogue et l’écoute des points de vue différents qui permet au mieux d’approcher ce qui est vrai.
Certes, cette lettre, comme chaque parole humaine exprimant une idée, peut toujours être interprétée d’une manière mettant en évidence une lecture négative d’un élément qui peut donner un sens négatif à la parole toute entière. Toute parole humaine est toujours susceptible de compréhensions diverses dues aux imprécisions du langage lui-même et aux compréhensions très variables des humains qui l’utilisent.
Ce fut le cas dès la première parole de Dieu exprimée avec des mots humains à Adam et Ève. Au lieu de regarder la bénédiction qu’étaient pour eux tous les arbres du jardin d’Eden et même l’arbre qui contenait une limite qui devait protéger leur vie, il a suffi d’un peu de méfiance, d’un regard négatif sur le sens de cet arbre de la connaissance pour détruire la parole reçue et la vie même qu’elle portait.
Ici encore, il est possible de regarder cette très belle lettre du Pape François en lui donnant un sens négatif par lequel certains perçoivent un manque de fidélité à la foi de l’Église exprimée jadis ou en mettant en avant des dangers possibles. Mais, s’il est légitime et utile d’être attentifs aux dangers que tout point de vue particulier peut présenter, soyons certains que l’Esprit Saint veillera toujours sur l’Église qui est le corps du Christ.
Un surplus d’attention aux points de vue différents et au dialogue entre eux est un grand besoin à notre époque. Cela ne condamne pas les priorités différentes du passé, ni la nécessité toujours plus grande d’une stricte attention à la Doctrine de la Foi Catholique dont chaque Pape n’est qu’un humble serviteur.
Le fidèle catholique veille soigneusement à respecter, les Écritures, les enseignements des Pères de l’Église, et les dogmes définis tout au long de l’histoire de l’Église, non par une lecture personnelle, mais par une lecture en église, en communion avec le Pape et les évêques.
En pratique, nous pouvons cependant tous ressentir des contradictions, des incohérences, des désaccords, entre des paroles du Magistère d’hier ou d’aujourd’hui, ou entre des évêques de notre temps.
Parce que nous sommes tous des humains qui parfois se trompent, parfois s’égarent, mais parfois aussi se différencient seulement par des regards et des langages différents regardant autrement ou de points de vue différents une même réalité.
Mais, le Pape François termine sa lettre avec une indication qui vaut pour tous et qui définit ce que doit être notre examen de tout écrit concernant la foi catholique : il s’agit toujours de « vérifier » si, dans ce qui est dit ou écrit, il y a un « support théologique adéquat » et le Pape de préciser aussitôt en quoi il convient de juger ce caractère adéquat. Il s’agit de vérifier si les écrits en cause « sont cohérents avec le riche humus de l’enseignement pérenne de l’Église et en même temps prennent en compte le Magistère récent. ».
C’est toujours une double référence qui évalue ainsi la conformité d’un écrit à la foi catholique qui se transmet depuis deux mille ans. C’est, « en même temps », une fidélité sans discontinuité aux enseignements infaillibles du passé qui ne changent pas et une compréhension sans cesse renouvelée de ces mêmes enseignements en communion avec le Magistère actuel.
Il est vain, et même nécessairement erroné (car cela supposerait des contradictions dans l’action de l’Esprit Saint au cours de l’Histoire de l’Église), de prétendre opposer l’un et l’autre. Nous sommes sans cesse invités à comprendre ce que dit le Magistère récent ou actuel en cohérence avec l’enseignement de la Foi qui l’a précédé avec la même autorité.
Mais, à notre époque où les partages de savoirs et de points de vue n’ont jamais été si nombreux, le Pape François exprime une inquiétude particulière devant une attitude qui se répand de plus en plus : celle de caricaturer et de rejeter un point de vue « autre » sans avoir suffisamment cherché à le comprendre dans un dialogue attentif à discerner le sens donné par celui qui exprime ce point de vue.
Avant d’affirmer qu’un point de vue est « faux » ou le condamner, dans un contexte où les humains échangent dans des centaines de langages dont le sens est parfois très peu maîtrisé et dans des contextes culturels très différents, ne faut-il pas en tenir compte ?
Lorsque les pensées théologiques ne dépassaient guère le cercle d’une petite élite où le latin était la langue de tous, il était peut-être plus aisé de s’accorder avec précision sur les mots adéquats à admettre ou non.
Aujourd’hui, le Pape François revient à l’essentiel qui est de « présenter de manière convaincante un Dieu qui aime, qui pardonne, qui sauve, qui libère, qui promeut les personnes et les appelle au service fraternel ». Ce ne sont pas les mots et les idées qui sont premiers.
Il commence sa lettre en rappelant que l’enseignement « découle de la foi ». Oui, c’est la foi, celle qui nous convertit et nous tourne vers le Christ, qui est la source de l’enseignement, même si, à son tour, l’enseignement fait naître la foi chez d’autres. Mais, en premier, c’est la foi. Foi en l’amour infini de Dieu, Foi en Dieu créateur du Ciel et de la terre, Foi en Dieu qui se révèle et se fait homme en Jésus-Christ, Foi en l’Esprit Saint qui ne cesse jamais de veiller à la transmission de la Foi par le corps du Christ qu’est l’Église rassemblée par Pierre et ses successeurs.
Aussi, pour le Dicastère confié à Mgr Fernandez, comme pour nos dialogues sur l’intelligence de la foi dans notre forum, ce qui importe, selon la première indication de la lettre du Pape, c’est de chercher à « donner des raisons à notre espérance, mais pas comme un ennemi qui critique et condamne ».
Essayons sans cesse de comprendre chaque point de vue différent en dépassant ce qu’il peut avoir parfois de maladroit, d’imprécis ou d’imparfait pour y rechercher par priorité ce que chacun cherche à dire de vrai pour augmenter la vérité pour tous.
La lettre du Pape François n’apparaît pas, dès lors, comme une rupture avec le passé, mais comme un prolongement réactualisé pour notre temps.
Comme dans le passé, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi dirigé par le futur cardinal Fernandez continuera parfois, et peut-être souvent, de rejeter et de condamner certains écrits, mais il est aujourd’hui encouragé et stimulé à œuvrer avec davantage d’attention à tout ce que des points de vue nouveaux peuvent avoir de vrai, à l’approfondissement de la vérité par le dialogue.
En cela, il rejoint une des grandes convictions du Concile Vatican II qui a fortement invité l’Église toute entière à être attentifs à la vérité qui peut exister chez des « autres », y compris dans les autres religions et ailleurs.