Gaudens a écrit : ↑dim. 25 févr. 2024, 20:24
La triste actualité de ces derniers mois […] amène à réfléchir sur la vocation du vieil Israël et à la façon dont l’Église, nouvel Israël peut et doit le considérer à la lumière d’une très longue histoire, presque jamais et quasiment nulle part harmonieuse.
Gaudens a écrit : ↑mer. 28 févr. 2024, 18:27
La discussion met momentanément un point d'arrêt sur la question du règne terrestre du Christ lors de la Parousie, question annexe à celle que je posais sur l'Ancien et le Viel Israël (le Vieil étant en effet "mis de côté" et non carrément substitué puisque les deux ont vocation à fusionner, sans doute à la fin des temps, ce qui n'empêche pas de désirer la reconnaissance du Messie par le Vieil Israël avant cela).
Cette question initiale de ce fil reste cependant d’un grand intérêt surtout à notre période de relance de l’antisémitisme.
Mais, je suis perplexe devant les expressions «
ancien » ou «
vieil » Israël et, tout autant, avec la désignation de l’Église comme «
nouvel » Israël.
Il me semble que ces expressions sont évitées par le Magistère qui ne confond pas le peuple élu des bénédictions et des patriarches, le peuple de l’alliance promise à Abraham, qui est et reste le peuple juif, avec ce peuple nouveau qu’est l’Église.
Olivier JC a écrit : ↑lun. 26 févr. 2024, 14:18
la thèse de la substitution est inexacte et erronée. Il entre manifestement dans les desseins de la Providence divine que subsistent des juifs refusant de reconnaître Notre Seigneur comme étant le Messie annoncé, ce que S. Paul laisse d'ailleurs entendre en qualifiant l'endurcissement d'Israël comme un mystère finalisé par la conversion de la totalité des païens. Comment, d'ailleurs, la reconnaissance par tout Israël de Jésus comme le Messie pourra-t-elle intervenir à la fin des temps s'il ne reste aucun juif ? S. Paul n'écrit-il pas si la mise à l'écart a entraîné la réconciliation du monde, leur réintégration aura pour effet la résurrection des morts, c'est-à-dire l'achèvement de la mission messianique de Notre Seigneur ?
En effet, et il est bon d’y être attentif.
Tant les chrétiens que les musulmans reconnaissent la spécificité du peuple juif formé parmi les nations avec lesquelles il ne se confond pas. Au contraire des Juifs qui forment un peuple «
parmi les nations », tant l’Église que l’Islam sont universels et s’ouvrent à toute l’humanité.
L’Église est un peuple de toute nation et de toute langue. L’Islam a la même vocation universelle.
Le peuple juif est et reste le peuple de l’alliance avec Abraham. Une alliance qui est le creuset et la mère du Christ qui accomplit la finalité de cette alliance, mais de même qu’une mère ne cesse pas d’être une mère après la naissance de son enfant, Israël et l’alliance qui en est le fondement n’ont pas disparu avec l’incarnation du Christ et son alliance nouvelle.
Israël reste un signe et le témoin d’une alliance «
irrévocable », selon Saint Paul (cf. Rm 11, 28).
À cet égard, le peuple juif est fondé sur une alliance spécifique sur une terre spécifique, celle de Canaan (Gn 17, 7-8) et la circoncision des mâles en est le signe (Gn 17, 10-11). C’est une alliance avec «
Abraham, Isaac et Jacob » (cf. Ex 3, 6-15-16 ; Ex 4, 7, etc.) Au cours de l’histoire des patriarches bibliques, Dieu a précisé la postérité avec laquelle l’alliance spécifique s’est prolongée. Abraham a plusieurs fils, dont Ismaël, Isaac et les fils de Ketoura, mais c’est avec Isaac seul que l’alliance va se poursuivre. Isaac a deux fils Esaü et Jacob, mais c’est avec Jacob seul que l’alliance va se poursuivre à travers ses douze fils. Plus tard, le peuple formé des douze tribus issues de Jacob, va se développer en Égypte où Moïse va recevoir les paroles, l’enseignement, la Torah et le Seigneur dit encore à Moïse : «
Mets par écrit ces paroles car, sur la base de celles-ci, je conclus une alliance avec toi et avec Israël. » (Ex 34, 27).
Plus tard, plusieurs siècles après s’être installés en Canaan, seules les tribus de Juda et Benjamin prolongeront l’alliance dans le royaume de Juda pour former un peuple de judéens (mot traduit en français par «
juifs »).
C’est cette même alliance, fondée sur la circoncision et la Torah de Moïse, qui se prolonge sans cesse jusqu’à ce jour.
Mais, la foi juive n’est pas vécue comme un chemin exclusif de salut qui serait le seul possible pour tous les hommes. Cela donne aux Juifs une ouverture théologique particulière tant par rapport aux chrétiens qui annoncent Jésus comme le «
seul » par qui les hommes peuvent être sauvés ou par rapport aux musulmans qui considèrent le Coran comme la vérité reçue du prophète Mahomet que tous sont invités à croire.
Le Juif est, à cet égard, moins prosélyte que le chrétien ou le musulman.
Olivier JC a écrit : ↑lun. 26 févr. 2024, 14:18
assimiler le judaïsme à la religion hébraïque existant à l'époque de Notre Seigneur est clairement une erreur d'analyse dans la mesure où le judaïsme tel qu'il existe aujourd'hui ne s'est constitué qu'après la chute du Temple et de Jérusalem, et qu'il se situe dans la continuité du courant pharisien. Pour reprendre les termes pauliniens, la religion hébraïque est le tronc sur lequel sont greffés le christianisme et le judaïsme rabbinique. […]
Ce qui différencie ces deux courants est un seul et unique point, qui a cependant des implications particulièrement étendues, à savoir la reconnaissance de Jésus comme le Messie annoncé par Dieu. Le judaïsme rabbinique est constitué des juifs qui ont refusé de reconnaître Jésus comme le Messie, et le christianisme est constitué des juifs qui ont reconnu Jésus comme le Messie.
Dire que nous sommes tous des juifs me semble cacher la spécificité juive qui demeure.
À cet égard, il ne me semble pas pertinent de considérer que le judaïsme actuel et le christianisme ne seraient que deux branches issues de la religion hébraïque du temps de Jésus qui en serait le tronc commun. Le judaïsme a certes autant évolué, surtout après la destruction du temple, tout comme le christianisme. Mais, le judaïsme a toujours conservé la religion hébraïque venant de Moïse (qui, comme toute autre religion, est faite de prescrits, de rites et de célébrations) alors que l’Église s’en est écartée et a développé une religion différente.
Les Juifs admettent eux-mêmes que la pratique de la religion de Moïse n’est pas le seul chemin de salut pour toute l’humanité mais cette religion juive demeure un signe parmi les nations et une révélation pour tous dans un peuple particulier qui est le peuple juif.
Israël (le peuple juif) reste un témoin et un acteur irremplaçable dans l’histoire de Dieu avec les hommes. Il y a un seul Dieu pour tous et c’est le Dieu d’Israël. Ce Dieu Un et Unique noue une alliance avec un petit nombre, mais pour le salut de tous.
Pour nous chrétiens, le Christ accomplit et réalise pleinement la promesse faite à Abraham et Moïse, mais pas un iota, pas un seul mot, ni une seule lettre de la Torah n’est abolie. La foi chrétienne n’a pas remplacé Israël ou la religion judaïque. À cet égard, l’Église n’est pas un nouvel Israël, pas plus qu’un enfant ne remplace sa propre mère.
Israël demeure. L’Ancien Testament demeure. L’Église ne remplace pas Israël. Le Nouveau Testament ne remplace pas l’Ancien Testament. La nouvelle alliance ne remplace pas l’ancienne. Le baptême ne remplace pas la circoncision.
L’Église est le corps du Christ. C’est une présence de Dieu parmi tous les hommes. C’est une alliance nouvelle qui, au contraire de l’alliance particulière de Dieu avec Israël, est universelle. Elle n’est pas réservée à ceux qui adhèrent à l’alliance particulière de la circoncision et de la religion mosaïque.
Ce fut le point décisif de la discussion des apôtres avec saint Paul sur la question de la circoncision aux débuts de l’Église. L’Église n’est pas un rassemblement fondé sur des rites et des prescrits, même si la religion chrétienne a les siens, mais sur l’adhésion au salut universel par Jésus-Christ selon la foi transmise par ses apôtres.
L’expression «
nouvel Israël » peut certes avoir du sens, mais elle est trompeuse en ce qu’elle suggère que l’alliance qui forme le peuple juif ne serait plus que celle d’un «
ancien » ou d’un «
vieil » Israël qui serait, en fait, devenu sans valeur et remplacé, ce qui n’est pas le cas. Il y a certes une alliance nouvelle, mais Israël, le peuple de la première alliance, demeure ce qu’il est et n’est pas remplacé.
Certes, on peut donner aux mots un sens correct en faisant symboliquement de l’Église un nouvel Israël en ce sens que Jésus est le médiateur d’une «
nouvelle alliance » (Héb. 12, 24) et que, de ce point de vue, «
En parlant d’Alliance nouvelle, Dieu a rendu ancienne la première ; or ce qui devient ancien et qui vieillit est près de disparaître. » (Héb. 8, 13).
Mais, il s’agit bien ici d’une nouvelle alliance avec Israël et non d’un remplacement d’Israël par l’Église car il est précisé que «
Voici venir des jours, dit le Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle…Mais voici quelle sera l’Alliance que j’établirai avec la maison d’Israël quand ces jours-là seront passés, dit le Seigneur. Quand je leur donnerai mes lois, je les inscrirai dans leur pensée et sur leurs cœurs. Je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple. Ils n’auront plus à instruire chacun son concitoyen ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaître le Seigneur ! » Car tous me connaîtront, des plus petits jusqu’aux plus grands. Je serai indulgent pour leurs fautes, je ne me rappellerai plus leurs péchés. » (Hb 8, 8-12).
Israël reste le peuple élu, de peuple de l’alliance irrévocable de Dieu avec Abraham, Isaac, Jacob et Moïse. Il n’est pas remplacé, ni anéanti.
Il garde une place et une mission irrévocables, même pour les chrétiens, même pour l’Église, peuple de la nouvelle alliance.
Mais, il nous reste beaucoup à découvrir de la vocation actuelle et future du peuple d’Israël, du peuple juif.
Notre Dieu est le Dieu d’Israël ! Il n’y en a pas d’autre.
En 2000 ans, l’Église a affiné et précisé son enseignement dans un langage extrêmement détaillé et dans des milliers de textes d’une grande richesse nuancée mais aussi d’une extrême complexité.
Pendant ce temps, Israël a cependant aussi poursuivi ses propres études, développant aussi diverses nuances et précisions théologiques.
Que sera la conversion des Juifs ou la reconnaissance du Messie par les Juifs, à la fin des temps ? La compréhension de la révélation par le Christ a progressé en deux mille ans et il nous est impossible d’imaginer comment cette compréhension pourra, un jour, être rejointe par celle du peuple juif.
Il y a deux mille ans que Jésus de Nazareth a cessé d’être physiquement visible dans sa forme humaine terrestre.
Plus personne aujourd’hui n’en a une connaissance physique semblable à celle qu’ont eue les apôtres. Notre connaissance est aujourd’hui spirituelle et sacramentelle, mais aussi intellectuelle dans un langage qui a beaucoup évolué en 2000 ans.
S’il nous était possible de nous retrouver soudainement, comme Jean Reno dans
Les Visiteurs, en présence de Jésus de Nazareth, combien de catholiques seraient-ils capables de reconnaître sa divinité dans les mots actuels ? Et de nombreux de juifs n’en seraient-ils pas aussi capables que les disciples juifs du premier siècle ?
Notre compréhension de Jésus de Nazareth a beaucoup évolué en 2000 ans et l’incompréhension de notre langage chrétien actuel par les Juifs ne peut pas nous faire penser trop rapidement que c’est le Christ et l’Évangile qui sont nécessairement réellement rejetés.
Au-delà des langages et des difficultés intellectuelles que les mots génèrent, que savons-nous de l’amour réel dans le cœur des Juifs ? Qu’en sera-t-il à l’heure de la rencontre avec le Christ au-delà de la mort ?
Que savons-nous d’ailleurs davantage de l’amour réel dans le cœur de nombreux baptisés ?
Le jugement dernier (le vrai jugement ultime de chacun) s’annonce plein de surprises, selon l’enseignement du Christ lui-même.
La conversion du peuple juif à la fin de l’histoire humaine reste largement un mystère, mais, ce qui demeure, c’est l’élection et la vocation irrévocables d’un petit nombre qui continue, à travers les siècles, à adorer Dieu selon les paroles de l’alliance enseignées par Moïse.
Aujourd’hui, nous proclamons certes une alliance nouvelle fondée sur la mort et la résurrection du Christ qui noue un lien nouveau entre Dieu et les hommes, mais il nous reste encore à découvrir tout ce que Dieu peut encore nous apporter et nous donner par le peuple d’Israël qui n’a pas fini de nous enrichir des bénédictions que Dieu déverse par ce peuple si cher à son cœur.
Israël n’est pas «
ancien » ou «
remplacé ». Il reste aujourd’hui comme hier, le peuple béni et vivant par une alliance éternelle, irrévocable.