Donc expliquez-moi les raisons qui font que quelqu’un finisse foncièrement mauvais ? Il ne le devient pas par magie.
Soit vous pensez que ce sont les expériences de la vie qui le « transforme », ce qui semble alors rendre compliqué la réduction de l’individu à son péché, soit vous pensez que l’individu fait ses choix de son propre fond et ce, quelque soit l’influence extérieur ou même l’influence de sa condition.
Par conséquent, cela revient à dire que l’aboutissement en tant qu’irrémédiablement mauvais résulte des choix de l’individu, de sa volonté, de son propre fond. Et si cela résulte de son for intérieur alors cela signifie qu’il est foncièrement mauvais dès l’origine. Car c’est ce qu’il est de son for intérieur qui s’exprime à travers l’existence pour aboutir à sa fin « logique », expression de ses choix issues de son for intérieur, de sa base, de ce qu’il est.
Précisément, non, non, non ! Le libre-arbitre sacré de l'amour absolu est une liberté radicale. Elle n'exprime pas un "fond" de l'être, elle n'est conditionnée par nulle détermination antérieure.
Vous faites le procès d'une caricature de liberté, une liberté qui ne fait qu'exprimer dans l'espace visible une réalité invisible, un "fond", un "for intérieur" pré-conditionné. Mais c'est bien là l'antithèse de la liberté ! Adam et Ève sont créés bon, mais choisissent de se rebeller, ils change radicalement de chemin en créant une rupture avec leur état orgininel, créationnel. Nulle pré-condition : juste la radicalité du libre-arbitre.
Car si vous ne pensez pas que de son for intérieur, dès la base, il soit mauvais alors cela signifie qu’il y a quelque chose qui a conduit la base bonne dans le « trou ». Mais vous confondez l’individu et son péché pour justifier la perdition éternelle. Or, confondre l’individu et son péché à terme c’est le confondre dès l’origine.
Mais seulement si il n'y a pas de liberté véritable, cher Didyme (cher Thomas ?
), et c'est là le coeur de la chose.
Moi, je pense que toute créature est créée bonne et ne saurait être réduite, identifiée au péché.
Mais quelle est cette bonté pré-conditionnée, cher Didyme ? Qu'est-ce que cette bonté qui s'impose, cette bonté robotique, déterminée, inéductable ? Peut-on créer, même lorsqu'on est Dieu, un être qui
aime sans que cet amour il le choisisse ?
Je veux bien que ce soit le discours traditionnel mais j’avoue ne pas parvenir à comprendre comment on peut aboutir à cette conclusion.
D’une, ça me donne la désagréable impression d’un Dieu joueur « voilà, je vous place là, avec un temps imparti, que le meilleur gagne ! ». Ça fait du salut un jeu.
Encore une fois, seulement si vous refusez l'idée de la liberté chrétienne radicale. Si vous partez avec votre doctrine a-priori (où Dieu attend patiamment que chaque créature se convertisse à l'inéductable Bien absolu qu'Il est lui-même), alors oui, c'est un scandale, une limitation atroce. Mais si chaque vie prend la forme d'un choix authentique, fondamental et non-inéductable, alors cela n'a rien d'un jeu.
On serait alors choqué d’en voir mourir plus tôt que d’autres, certains très jeunes avec peu de temps, d’expérience pour se décider (en même temps peu importe, me direz-vous, vu qu’ils sont de toute façon mauvais de leur for intérieur. Pourquoi perdre du temps pour quelqu’un d’irrécupérable !). Ou d'en voir d’autres mourir au mauvais moment de leur vie alors que plus tôt, ils seraient morts en bon croyant.
Même chose qu'au-dessus.
Ça fait de la vie une plate-forme pour un jeu alors que la vie est l’étape incontournable du créé en vue de l’union au divin. Ce n’est pas un jeu, c’est une étape. Et cette étape est placée sous le signe de la corruptibilité, de la faillibilité du créé qui n’a pas (encore) les qualités de l’incréé.
Même chose. Cela ne peut être qu'un jeu pour vous
parce que vous refusez l'idée d'une liberté véritable. Dans votre conception de la mort, ce serait un jeu ; oui. Mais c'est tout l'enjeu de la question du libre-arbitre.
D’autre part, je ne comprends toujours pas l’idée d’immuabilité dans la mort, surtout en état de péché ?! L’immuabilité est ce qui a trait au divin, à la perfection, à la plénitude mais en aucun cas ce n’est en rapport au péché, à l’imperfection, à l’inabouti.
"L'immuabilité dans la mort" est une vérité de foi, elle est
de fide, doctrinale et dogmatique.
1035 L’enseignement de l’Église affirme l’existence de l’enfer et son éternité. Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l’enfer, " le feu éternel " (cf. DS 76 ; 409 ; 411 ; 801 ; 858 ; 1002 ; 1351 ; 1575 ; SPF 12). La peine principale de l’enfer consiste en la séparation éternelle d’avec Dieu en qui seul l’homme peut avoir la vie et le bonheur pour lesquels il a été crée et auxquels il aspire.
1021 La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ
Elle n'est encore une foi logique que si l'on tient une conception de la liberté comme authentique, véritable et radicale. Le damné use de cette liberté pour s'autoexclure du ciel comme reddition totale à la souveraine volonté d'amour de l'Autre divin. Le Ciel n'est pas un lieu de béatitude et de Bien abstraits. C'est le "lieu" de l'abandon total, du don absolu de soi, de l'annihilation du désir personnel dans la Communion d'amour Trinitaire. C'est l'humilté absolue devant le Trône de l'Humilité Absolue.
Rien à voir avec le "Bien" abstrait des néo-platoniciens d'antan. C'est un Bien qui divise, un bien radical, qui met l'homme face à un choix radical "avec moi ou contre moi". Qui veut-tu servir : toi-même, ou l'
autre ?
Pour finir, je n’ai pas dans l’idée que la créature n’ait plus de volonté, de pensée dans la mort. D’ailleurs, les défenseurs d’une perdition éternelle aiment à utiliser la fameuse parabole de Lazare et de l’homme riche. Et bien, dans cette parabole je lis « Il (l’homme riche) s’écria : Père Abraham, aie pitié de moi, et envoie Lazare, pour qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et me rafraîchisse la langue ; car je souffre cruellement dans cette flamme. » et " Le riche dit : Je te prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j’ai cinq frères. C’est pour qu’il leur atteste ces choses, afin qu’ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments. " (Luc 16)
Il me semble voir tout ici sauf une volonté figée, et encore moins une volonté de demeurer ainsi, sinon il ne demanderait ni à être rafraîchi, apaisé et encore moins à empêcher sa famille d’aboutir dans ce lieu. Cela témoigne plutôt d’une conscience de sa condition et d’une non-satisfaction de cet état que l’idée de fixité dans la mort contredit pourtant.
Vous oubliez que l'homme riche n'est pas en enfer (la Géhenne, le Lac de Feu), mais aux enfers (le Shéol, l'Hadès, le Sein d'Abraham). C'est le séjour des morts de l'Ancien Testament, dans lequel Jésus est allé préché au Samedi Saint. Ce lieu n'existe plus depuis la Réssurection.
Héraclius a écrit :Pour obtenir la grâce de la persévérance finale, il faut passer par la sanctification, laquelle passe à la fois par la gratia operans, grâce opérative qui agit par pure causalité sans mérité, et la gratia cooperans, la grâce coopérative qui utilise notre libre-arbitre comme cause instrumentale et qui donc est résistible.
La grâce est résistible, et si on lui résiste jusqu’à la mort (la persévérance dans le mal), c’est fini : on a fait le choix de soi contre l’Autre.
Pourquoi la grâce devrait être limitée par la mort, rendue impuissante par celle-ci ?
Est-ce la mort qui vainc Dieu ou Dieu qui vainc la mort ?
Or, ici on a l’impression qu’elle reste toute-puissante et pose une limite à Dieu.
Pas si l'homme est libre et si ses jours constituent un choix radical. La limitation de la mort est temporelle, mais la grâce ne l'est pas. En 80 ans ou en 15, l'homme reçoit une grâce
infinie. Mais jamais une grâce irrésistible.
Héraclius a écrit :Nous savons que résister est possible et qu’il existe une barrière temporelle – la mort – au salut. Non pas qu’elle soit une barrière temporelle au sens de « limitation » d’ailleurs. La grâce est infinie. Mais cet infini d’infini s’écrase sur nous comme un ouragan pendant la seule période de grâce de notre vie ; à la mort, c’est finie.
Le péché résiste, et cela plus ou moins violemment. La créature en soi, ce qui est créé par Dieu ne résiste pas lui. Sinon, c’est comme si Dieu créait son contraire. On me parlera de liberté mais la liberté créée par Dieu ne peut être une liberté qui a commerce avec le péché. Le péché est la défaillance de la liberté donnée par Dieu, mais n’est pas ce que Dieu a créé. Dieu ne créé pas le péché ou quelque chose dont ce soit un
principe.
Mais voyez ! Vous ne voyez l'histoire d'une âme que comme celle d'une irréductible causalité. L'homme n'est pas mauvais, il doit juste est lentement purifié d'un certain nombre de malheureuses imperfections. L'homme est spectateur de sa propre purification.
Le problème c,est que votre vision comporte un problème terrible : elle ne permet pas l'amour. Il n'y a pas d'amour dans votre système, parce que l'amour ne peut être que libre.
Vous posez l'homme comme cela (grossièrement) :
[ HUMANITÉ CRÉÉE (BONNE) ] -> [ACTIVITÉE MAUVAISE
DISTINCTE] -> Tendant vers : la destruction de l'activité mauvaise pour le recouvrement de l'humanité créée orginelle dans sa plénitude.
On voit que le péché n'est qu'une addition distincte à la nature humaine, condamnée à la destruction à plus ou moins long terme.
Le coeur du Bien dans votre système, ce vers quoi il tend, c'est cette "humanité créee", originelle, ce socle parfait.
Moi je dis :
[ HUMANITÉ CRÉÉE (BONNE] -> [CHOIX RADICAL - DAMNATION / SAINTETÉ ] -> Tendant vers [HUMANITÉ AGISSANTE - DAMNÉE / SAINTE]
Pour moi, l'humanité créée est bonne, aussi, mais dans le même sens que l'être est toujours un Bien. Ainsi, un cailloux est un bien. Un arbre est un bien. La liberté potentielle est bien bien. Mais ce bien, ce n'est pas cela ne peut pas être la Sainteté. La Sainteté, c'est une liberté agissante dans l'amour. Cet amour est la fin de l'homme et de la création ; c'est quelque chose d'analogiquement semblable au "bien de l'être", au bien du cailloux, au bien de la bonne nourriture ou de la béatitude. Mais c'est autre chose. C'est ce qui nous rend véritablement divin dans la theosis : c'est l'inneffable splendeur du Don absolu.
Pour moi l'[HUMANITÉ CRÉÉE] c'est très bien, mais cela ne peut pas être qualifié de "SAINTE". La Sainteté est agissante, elle ne peut être un simple donné, un état originel. On ne peut qu'acquérir la Sainteté dans l'ordre créé ; on ne peut pas l'être par défaut.
Par ailleurs, vous faites ici de cette grâce infinie quelque chose de bien finie pourtant en la faisant se heurter au finie de la créature. Ce qui est infini bute, ne dépasse pas ce qui est fini ?! Je pourrais comprendre si nous avions des propriétés aussi absolues que ce qui est de l’ordre du divin. Peut-on s’écraser sur soi de façon infinie, sans fin ? L’infini peut-il être barré, empêché par le fini, c’est une vraie question.
Cette grâce est une proposition infinie, mais en chacun de ses points elle n'est toujours que cela : proposition.
Héraclius a écrit :Votre théologie suppose que, alors même que la grâce est résistible, il est nécessaire que tous ne lui résistent pas jusqu’à la mort. Vous voulez conserver la persévérance finale (la grâce des grâces) comme ne s’imposant pas, mais comme nécessaire pour tous. Vous voulez que contempler l’amour reste contingente mais qu’à l’heure de la mort elle soit nécessaire.
Si la grâce est contingente, alors la persévérance finale l’est aussi. Si la persévérance finale est nécessaire, alors la grâce est nécessaire.
La grâce est contingente si on considère la créature sans rapport, sans lien avec le créateur.
Je ne sais pas si on peut parler de nécessité comme quelque chose qui s’imposerait, presque violerait alors qu’il s’agit plutôt de l’ordre des choses, cohérente et harmonieuse. La grandeur et la beauté de l’acte créateur divin.
Et puis, ce n’est pas spécialement ce que je veux mais plutôt ce qui m’apparaît logique et cohérent (à moi évidemment).
Mais cet ordre me semble plus être le bel arragement de l'Un de Plotin que le lieu de la folie amoureuse du Dieu d'Israël.
Dans le premier on parle du Bien synomyme d'Être ; dans le second, on parle de la Sainteté comme violence, comme radicalité agissante.
En tout cas c'est un plaisir de discuttailler avec vous !
Dieu vous garde,
Héraclius -