prodigal a écrit :Pardonnez-moi si je m’incruste un peu sommairement dans votre discussion, mais je voudrais poser une question.
Y a-t-il contradiction à ce que Dieu invente un jeu de hasard ? Je veux dire, que Dieu crée une structure qui fonctionne de manière aléatoire ?
Il me semble que non, ou du moins je ne la vois pas.
En effet, il n’est pas dit que la nécessité pure et dure, l’absence totale de contingence par conséquent, soit meilleure que la présence d’aléas. Or, il n’y aurait contradiction que si l’on disait que Dieu a préféré créé le moins bon plutôt que le meilleur, ce qui n’est, me semble-t-il, pas le cas dans l’hypothèse considérée selon laquelle il y aurait un hasard objectif, voulu par Dieu.
Je verrais les choses plutôt ainsi :
Dieu créé et les choses sont ensuite lâchées « librement », c’est-à-dire que Dieu laisse les choses advenir d’elles-mêmes. Sauf qu’à la base, Dieu est l’alpha et l’oméga, il est le Tout, il est le principe de toute chose, le Créateur. C’est-à-dire que Dieu a créé chaque atome si l’on peut dire, chaque parcelle de notre être, de notre âme, chaque loi physique, etc. Par conséquent, s’il connaît toute chose avant qu’elle ne se produise, ce n’est pas en raison d’un don de voyance ou simplement parce qu’il serait hors du temps mais c’est surtout parce qu’il est la base de toute chose, l’alpha et connaissant chaque chose, tout mais absolument tout, il sait par conséquent comment chacune va évoluer, progresser. La création suit ensuite sa logique même, ce qu’elle est.
Si un jour je me retrouve à faire telle choix, telle action, cela ne vient pas de nulle part mais cela provient logiquement de moi, de ce que je suis mais aussi de la création en ce qu’elle me présente comme expérience, comme circonstances. Si un événement se produit un jour, c’est suite à une
succession d’événements préalables, de données préalables, qui ont pour point de départ
l’origine de la création. [Dire le contraire, c’est me semble-t-il comme défendre l’absurde, vider toute chose de son sens. C’est aussi comme poser une autre origine que celui qui est l’origine. Penser Dieu créer le hasard, une structure aléatoire me paraît tel que penser Dieu comme irresponsable (surtout lorsque l’on pense damnation éternelle), comme laisser aller un train sans conducteur. C'est aussi comme retirer toute origine aux choses, aux événements, comme retirer la cause à la conséquence ?!]
Comme dirait notre ami cité précédemment, Thierry-Dominique Humbrecht, « sa vision immédiate de ce qui en moi est
successif ne rend pas ma décision moins libre ». En effet, ce n’est pas parce que ce que je suis à l’origine de par l’acte créateur de Dieu et ce qu’est la création à l’origine suivent ensuite leur « logique » qu’ils ne le font pas
librement. Ils expriment malgré tout ce qu’ils sont, leur logique, même si celle-ci a une origine, l’alpha. La création n’est pas Dieu pour être sa propre origine, incréée, pour être son propre créateur.
On pourrait alors penser au péché mais même le péché (que l’on pourrait considérer quelque part comme une sorte de hasard car hors de la création voulue par Dieu) s’il ne vient pas de Dieu, en tire entre guillemets sa source de par sa déchéance, de ce qu’il en est l’absence. Le péché ne peut se produire de lui-même, ne peut se manifester sans Dieu alors que Dieu peut être sans le péché. Et le péché ne peut se manifester en Dieu mais à travers ce qui n’est pas Dieu, à savoir le
créé.
Julienne de Norwich disait que le Seigneur lui avait affirmé que le péché était inéluctable. Cela semble effectivement suivre une certaine logique. Car comment ce qui n’est pas l’incréé, l’infini, la plénitude, l’amour, la bonté, etc. pouvait-il de lui-même et donc
librement exprimer continuellement ce qu’est l’incréé, donc ce que n’est pas le créé ? Le péché découle si l’on peut dire de la « logique » du créé, de ce qu’il est. Mais cette étape, cette condition est incontournable, c’est-à-dire que le créé en tant que créé ne peut pas être l’incréé. On ne peut pas créer l’incréé, c’est antinomique. Dieu n’aurait-il pas dû alors créer sachant ce que cela impliquait ? On pourrait le penser si Dieu, connaissant toute chose et son devenir, n’avait pas prévu le péché et
La réponse à celui-ci, à savoir l’incarnation, ou comment unir le créé à l’incréé.
Dieu veut la création comme elle est et cette création implique le péché, péché qu’il prévoit (car il sait comment va évoluer la création, étant l’architecte) et qu’il tourne en surabondance de bien. Le péché ne le surprend pas, il n’apparaît pas par hasard. Dieu n’a pas voulue le péché mais le caractère de ce qui est créé le rendait inéluctable.