Quelques éléments de doctrine orthodoxe, à ce sujet, venant de Saint Grégoire Palamas, Nicolas Cabasilas et Philarète de Moscou:
Saint Grégoire Palamas dit : « la nature divine doit être dite en même temps imparticipable et dans un certain sens participable ». Le rôle des énergies, de la grâce, est de nous faire participer à la nature, qui est en même temps imparticipable. « Nous arrivons à la participation de la nature de Dieu et cependant elle reste totalement inaccessible. Il faut que nous affirmions les deux choses à la fois et que nous gardions leur antinomie comme critère de la piété ». Grâce déifiante, énergie incréée ou lumière divine sont la même réalité.
La Transfiguration est le moment où l’humanité du Christ s’est montrée absolument diaphane, irradiante non d’une lumière humaine, cosmique, créée, mais de la lumière divine qui procède de la nature qui est en lui, divine. C’est cette nature divine qui irradie de Son Corps, de Son Humanité. Cela rend compte de l’union de l’humain et du divin. L’humain et le divin ne sont pas juxtaposés comme deux parties. L’humanité du Christ irradie la divinité du Christ. Le signe de leur union est cette irradiation du divin.
L’expérience spirituelle à laquelle font allusion saint Grégoire Palamas et Nicolas Cabasilas serait une expérience de l’irradiation de la lumière divine dans le cœur de l’homme. Expérience de l’illumination du « noùs », du « cœur », distinctement ou conjointement. C’est une même lumière, qui peut irradier de l’un ou de l’autre, soit à l’intérieur de l’être soit à l’extérieur. « L’illumination et la grâce divine déifiante n’est pas l’essence mais l’énergie de Dieu ».
La lumière du Mont Thabor, ce n’est pas l’essence, la nature divine qui apparaît comme telle, mais c’est l’énergie de Dieu procédant de Sa nature qui apparaît. Cette énergie divine vient avec la communication des personnes divines. « Elle vient par l’opération commune de la Trinité ». Le Père est présent et l’Esprit est Celui qui communique ces énergies. L’évangile de la Transfiguration est très fortement trinitaire comme l’évangile de la Théophanie.
Les énergies divines qui procèdent de la nature divine sont communiquées à l’homme, elles transfigurent l’humain, mais le Père est présent et l’Esprit communique ses énergies. C’est une opération commune de la Trinité. Cette doctrine là est la base pour l’expérience spirituelle et pour la doctrine des sacrements.
Philarète de Moscou : « Sa gloire se manifeste dans les puissances célestes, se reflète dans l’homme, revêt la magnificence du monde visible. Il la donne, ceux qu’il en fait participant, la reçoivent elle retourne à Lui et dans cette circonvolution perpétuelle pour ainsi parler, de la gloire divine, consiste la vie bienheureuse, la félicité des créatures »
Cette grâce retourne à Dieu. Philarète parle « d’une circonvolution perpétuelle » : la grâce qui vient de Dieu, qui pénètre les créatures, qui les illumine, les sanctifie, les déifie, lui revient. Il y a donc une circulation de grâce entre Dieu qui est source et nous. Cette grâce ne s’arrêtera pas. Dieu donne et cela lui revient. C’est la base de la vie sacramentelle chrétienne.
Ces énergies ne sont pas un rapport entre le Créateur et la créature. Ce n’est pas entre Dieu et nous, une médiation, une distance. Les énergies de Dieu sont en nous, Dieu est en nous. Elle reste incréées, nous déifient, mais il n’y a pas de confusion.
Dans la théologie médiévale, on a conçu la grâce comme un lien. Cela introduit une distance entre Dieu et nous.
Quant à Saint Basile (4° siècle), Saint Maxime (7° siècle), saint Grégoire Palamas (14° siècle), le Métropolite de Moscou (19° siècle), enseignent la même chose : une grâce défiante, et nous donne la même espérance, un but pour notre vie : être participants de la nature divine.
C’est sur cette base là que l’on peut comprendre la théologie sacramentelle de Nicolas Cabasilas : les sacrements sont les moyens de sanctification et de déification de l’homme, car ils sont les canaux de la grâce. Quand nous communions au Sang et Corps du Christ, nous recevons ces énergies défiantes, dans la mesure où nous nous y préparons.
L’ensemble des créatures participe de la grâce. La bénédiction de Dieu est sur tout le monde, sur les « méchants » et les « bons ». Il ne faut pas que l’homme refuse cette bénédiction. Il y a ceux qui l’acceptent parce que Dieu les choisit pour servir. Les énergies divines viennent de la nature divine, mais ne se promènent pas comme cela dans la nature : portée par l’Esprit, elles sont portées à l’intérieur du Corps du Christ, Corps du Logos, le Verbe incarné. Mais dans la mesure où le monde est créé par Dieu, il n’est pas anarchique, absurde coupé de Dieu.
Même la déchéance ne le coupe pas de Dieu : la création est déchue, mais pas coupé de Dieu. Par conséquent les énergies divines circulent dans un monde qui est en relation avec Dieu, même s’il est profondément déchu. Même déchu il ne perd pas son support, son fondement, qui est le Verbe de Dieu. Le monde est porté par le Verbe de Dieu depuis le Principe, puisque dans le Principe le monde est créé comme cela, avec comme support le Verbe divin et comme dynamisation, vivification, l’Esprit divin. Par conséquent, il faut toujours considérer que nous recevons l’énergie divine par la communication que nous en fait l’Esprit Saint, dans le Christ.
Même l’homme le plus déchu, le plus éloigné de Dieu, n’est jamais abandonné de la grâce, de ses énergies. Il n’est jamais en dehors du Christ, c’est impossible. C’est la folie de l’homme de penser qu’il puisse être en dehors du Christ. C’est impossible ontologiquement. On ne peut être séparé. La question de l’enfer est terrible car l’homme peut indéfiniment et éternellement se situer loin de Dieu. Mais Dieu sera indéfiniment et éternellement proche de lui. L’enfer, c’est ce tenir loin de quelqu’un qui est proche. C’est ce paradoxe qui engendre la souffrance.
Les énergies divines nous parviennent constamment. Peut-être nous les refusons, nous ne les acceptons pas, ou nous les ignorons. Mais constamment Dieu émet cette énergie, comme le soleil brille. C’est cela la base de la spiritualité de Nicolas Cabasilas : la vie en Christ. Cela signifie, que la Personne du Christ est au cœur de la création, de la vie de toute créature, animaux, plantes,…
L’humanité est au centre du Christ et l’ensemble de la création est au centre du Christ. L’ensemble du monde créé est dans le cœur du Christ, est la préoccupation, le souci de Dieu incarné. Vivre en Christ, c’est vivre avec cette double conscience que le Christ est au centre de ma vie et que je suis au centre du christ.
Dans l’eucharistie nous « rendons grâce », c'est-à-dire nous entrons dans ce mouvement de « circonvolution perpétuelle ». La grâce vient du Père, elle nous atteint extérieurement et intérieurement (si nous l’acceptons), elle nous pénètre, et nous la renvoyons : nous rendons grâce.
Le Christ est constamment Celui qui est plein de la grâce du Père mais qui la renvoie : en irradiant autour de Lui vers les hommes, et vers Son Père dans Sa prière. Quand il expire, c’est l’action de grâce par excellence. Cette grâce qui est en Lui, retourne : « Père, entre tes mains, je remets Mon Esprit ». Il ne cesse pas d’être Dieu pour autant, mais il est dans cette circulation de la grâce, qui probablement est une circulation intérieure à la vie trinitaire, cette circulation de la grâce entre personnes divines nous est communiquée, et nous pouvons aussi être des personnes entre qui et par qui cette grâce circule, et retourne toujours à sa source. Il y a une réception, assimilation et restitution.
A l'époque de Saint Grégoire Palamas a existé une polémique consistant à dire dans l'Occident chrétien que la grâce était créée ! Toute la Tradition orthodoxe s'exprime à travers Saint Grégoire Palamas pour affirmer que si la grâce est créée, alors la sanctification, la déification de l'homme n'est pas réalisable.