Pour ZETRE à propos des saints :
LE CURE D'ARS
Sur le culte des Saints et des saintes Images
Mirabilis Deus in sanctis suis. Dieu est admirable dans ses saints. (Ps. LXVII, 36)
Quand le saint roi David contemplait le ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment, il s'écriait avec des transports d'admiration : « Oh ! que Dieu est admirable dans ses oeuvres ![1] » Mais quand il considérait ce que Dieu a fait pour l'homme, le chef-d’œuvre de sa puissance, de sa sagesse et de sa miséricorde, il s'écriait : « Oh ! qu'il est bon le Dieu d'Israël[2] ! »
Oui, M.F., Dieu est si bon pour les hommes, qu'il a donné son Fils pour nous sauver, et il a retracé dans les saints, toutes les vertus que Jésus-Christ a pratiquées pendant sa vie.
Les saints sont comme autant de petits miroirs dans lesquels Jésus-Christ se contemple. Dans ses apôtres, il contemple son zèle et son amour pour le salut des âmes ; dans les martyrs, il contemple sa patience, ses souffrances et sa mort douloureuse ; dans les solitaires, il voit sa vie obscure et cachée ; dans les vierges, il admire sa pureté sans tache, et dans tous les saints sa charité sans borne ; de sorte, M.F., qu'en admirant les vertus des saints, nous ne faisons qu'admirer les vertus de Jésus-Christ, vertus dont il nous a donné lui-même l'exemple pendant sa vie mortelle. Quel bonheur pour nous, M.F., d'avoir devant les yeux des modèles, et des protecteurs en la personne des saints du ciel ! Ils sont toujours prêts à venir à notre secours quand nous les invoquons ; mais pour mériter ce bonheur, nous devons :
- 1° avoir une grande confiance en leur protection ;
- 2° respecter ce qui leur appartient, bien convaincus que l'honneur que nous leur rendons se rapporte tout à Dieu.
I. – Le culte que nous rendons à Dieu est bien différent de celui que nous rendons aux saints ; c'est un culte d'adoration, de dépendance ; nous honorons le bon Dieu par la foi (détail...), par l'espérance (détail) et par la charité (histoires édifiantes, p.170)[3]. Nous honorons Dieu par un profond abaissement de notre âme devant sa majesté suprême, comme étant notre créateur et notre fin dernière ; mais le culte que nous rendons aux saints, est un sentiment de respect et de vénération pour les grâces que le bon Dieu leur a faites, pour les vertus qu'ils ont pratiquées, et pour la gloire dont Dieu les a couronnés dans le ciel. Nous nous recommandons à leurs prières, parce que Dieu leur a donné un grand pouvoir auprès de lui.
Lorsque nous honorons les saints, nous ne faisons qu'adorer Jésus-Christ, c'est-à-dire que nous remercions le bon Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant leur vie, et qu'il leur fait pendant toute l'éternité ; nous les reconnaissons pour les amis de Dieu et pour nos protecteurs. Nous pouvons dire que c'est pour les saints que Dieu a fait tout ce qu'il a fait. C'est pour eux que Dieu a créé le monde, qu'il le gouverne et le conserve, c'est pour eux qu'il a sacrifié sa vie en mourant sur la croix, c'est pour eux qu'il a opéré tant de miracles, c'est pour eux qu'il a établi cette belle religion, par laquelle il nous prodigue tant de grâces. Mais pour mieux comprendre l'amour que le bon Dieu a pour eux, voyons le degré de gloire et d'honneur qu'il leur a donné dans le ciel. Jésus-Christ les associe à la compagnie des anges, il les choisit pour ses enfants, ses frères et ses amis,
il les établit les cohéritiers de son royaume éternel, il les affranchit de l'esclavage du démon, il les purifie de toutes leurs souillures dans son Sang adorable, il les enrichit de sa grâce et les orne de sa gloire.
Voilà bien, M.F., de quoi nous ravir d'admiration, en voyant le degré de gloire où Jésus-Christ les élève. Consolons-nous cependant, nous sommes destinés au même bonheur, si nous voulons imiter ce qu'ils ont fait sur la terre. Le bon Dieu veut nous sauver aussi, il nous aime autant que ses saints. Ils ont souffert quelque temps, il est vrai, mais maintenant tout est fini pour eux ; ils ont été calomniés, humiliés, mis en prison, ils se sont privés des plaisirs, ils ont renoncé à leur propre volonté, ils sont morts à eux-mêmes ; les uns ont passé leur vie dans les déserts, d'autres dans les monastères ; mais, encore une fois, qu'est-ce que tout cela en comparaison du bonheur et de la gloire dont ils jouissent dans le ciel ?...
Ce qui est pour nous une grâce bien précieuse, c'est que Dieu a voulu qu'ils fussent nos protecteurs et nos amis. Saint Bernard nous dit que le culte que nous leur rendons, est moins glorieux pour eux qu'il n'est avantageux pour nous, et que nous pouvons les invoquer avec une grande confiance, parce qu'ils savent combien nous sommes exposés à nous perdre sur la terre, se rappelant les dangers qu'ils ont courus eux-mêmes pendant leur vie. Pour avoir le bonheur de mériter leur protection,
il faut bien remercier le bon Dieu des grâces qu'il leur a faites pendant leur vie, et s'efforcer de pratiquer leurs vertus.
Nous devons honorer les patriarches et les prophètes, dans leur simplicité et leur ardent amour pour Dieu ; les apôtres, en imitant leur zèle pour la gloire de Dieu et le salut des âmes ; nous devons honorer les martyrs en imitant leur patience dans les souffrances ; nous devons honorer les vierges en imitant leur pureté si agréable à Dieu ; nous devons faire tout ce que nous pouvons pour mériter leur amitié et leur protection.
Nous voyons qu'un grand nombre de pécheurs se sont convertis par la liaison qu'ils ont eue avec les saints ; voyez ce jeune homme que saint Jean confia à l'évêque... sans lui il était perdu selon toute apparence[4].
Voyez le changement qui se fit en saint Augustin, par la liaison qu'il eut avec saint Ambroise[5] ! Voyez encore combien sainte Marie, nièce de saint Abraham, fut heureuse d'avoir pour ami un si saint oncle[6] !... Que nous sommes heureux d'avoir pour amis des saints qui nous aiment ; qui, espérant sauver nos âmes, se font un devoir de nous faire connaître nos fautes pour avoir le bonheur de nous en corriger ; en voici un exemple admirable :
Une jeune fille, nommée Apolline, fréquentait un jeune homme, sans penser au danger auquel elle s'exposait. Une pieuse compagne, qui voulait la ramener à Dieu, vint un jour l'avertir charitablement du mal qu'elle faisait par ses manières trop libres avec ce jeune homme : « Croyez-moi, ma chère amie, dit-elle, étant plus âgée que vous, je connais mieux votre fragilité. Dans les entretiens et les libertés familières avec des personnes d'un autre sexe, le démon gagne toujours plus qu'on ne peut le connaître ; l'on ne sort jamais de ces sortes de compagnie, sans qu'il ne laisse dans notre âme certaines impressions pernicieuses ; la pudeur peu à peu s'affaiblit, et dès que cette vertu s'est affaiblie dans une fille, elle perd bientôt la crainte de Dieu. Le goût de la vertu ne se fait plus sentir, tout ce que la religion avait de doux et de consolant pour nous, devient gênant et pénible. Les sacrements n'ont plus d'attraits, et, si nous les recevons. c'est sans fruit, quelquefois même avec sacrilège. » Apolline se montra d'abord insensible à ce discours, mais touchée par la grâce de Dieu, elle prit le parti d'aller consulter son confesseur. Celui-ci découvrit à la jeune fille tout le mal qu'elle avait fait, et le danger qu'elle avait couru. « Vous avez fait plus de mal que vous ne pensez, dit le confesseur. L'amitié de ce jeune homme pour vous, et celle que vous avez eue pour lui, vous a été plus funeste que si l'on vous avait plongé un poignard dans le cœur ; au moins on ne vous aurait fait perdre que la vie du corps, tandis que cette amitié vous a fait perdre la vie de votre âme, qui a tant coûté de souffrances à Jésus-Christ ! Il est bien temps de vous retirer de cet abîme où vous vous êtes précipitée. Apolline, touchée du regret d'avoir offensé Dieu, fondit en larmes, remercia son amie des avis charitables qu'elle lui avait donnés, et lui demanda pardon de ses scandales. Elle passa tout le reste de sa vie dans les regrets et la pénitence.
Vous voyez, M.F., que si cette jeune fille n'avait pas eu le bonheur d'avoir pour amie une sainte compagne, peut-être n'eût-elle jamais ouvert les yeux sur son état, tant elle s'était aveuglée. Mais si les saints qui sont sur la terre sont déjà si charitables, quelle charité n'ont-ils pas dans le ciel où cette vertu est parfaite ?
Je dis que nous devons invoquer les saints avec une grande confiance ;
ces invocations sont une suite de la communion qui unit les fidèles de la terre et les saints qui règnent dans le ciel.
Le saint concile de Trente nous dit que, par la prière, nous faisons un saint commerce avec le ciel. Pour nous, qui sommes sur la terre, nous devons invoquer les saints d'une manière suppliante ; afin qu'ils emploient leur pouvoir auprès de Dieu, et qu'ils obtiennent toutes les grâces qui nous sont nécessaires pour vivre saintement sur la terre.
Les saints, dans le ciel, règnent avec Jésus-Christ, et lui offrent nos prières quand nous avons recours à eux.
Vous voyez donc ; M.F., que nous avons le bonheur de faire un saint commerce avec le ciel, quoique nous soyons encore sur la terre. Oui ! aimons les saints et nous mériterons leur protection. Ils nous aiment encore plus que nous ne pouvons les aimer ; la charité des saints est bien plus parfaite dans le ciel, que celle que nous pouvons avoir sur la terre. Saint Cyprien nous dit que les saints trouvent leur bonheur à prier pour nous et à nous aider à nous sauver, parce qu'étant assurés de leur gloire, ils se rappellent combien ils ont couru de dangers pendant leur vie. Ils ont reçu de Jésus-Christ un plein pouvoir ; aussi, demandons-leur tout ce que nous voudrons. Soyons-en bien sûrs, M.F., les saints que nous invoquons ont sans cesse les yeux sur nous : nous en avons un bel exemple dans la vie de saint Louis de Gonzague.
Un jeune homme, nommé Wolfgang, devenu aveugle, avait recouvré la vue par l'intercession de saint Louis de Gonzague. Il voulut aller à Rome pour visiter son sépulcre, et, passant dans un lieu désert, il fut attaqué par des hommes qui le dépouillèrent de tout ce qu'il avait, et qui allaient lui ôter la vie. Le pèlerin, avant d'entrer dans ce chemin tout couvert de bois, avait imploré le secours de saint Louis de Gonzague, son saint de prédilection ; il entendit une voix qui lui dit : « Soyez tranquille, ne craignez rien. » Voyant ensuite qu'on allait le maltraiter, il eut recours à son protecteur. Tout aussitôt, il entendit une voix qui lui dit de ne point craindre, et qu'il ne lui serait fait aucun mal. Au même moment apparut un jeune homme, vêtu en ecclésiastique ; qui lui dit « Mon ami, avez-vous besoin de quelque chose ?... Où allez-vous ? » – « Je vais à Rome, répond Wolfgang, je vais vénérer les précieux restes de saint Louis de Gonzague, qui m'a fait recouvrer la vue. » – « Et moi aussi, je vais à Rome, dit l'inconnu. » Puis, se tournant vers les malfaiteurs, d'une seule parole, il les mit en fuite. Wolfgang ne douta plus que cet inconnu ne fût un envoyé du ciel, et n'osa pas lui demander s'il était un ange, ou même saint Louis de Gonzague. Ils se mirent en marche. Arrivés à Florence, Wolfgang vit entrer dans l'appartement où il reposait, un personnage d'une figure extrêmement belle, et qui se mit à chanter. Notre pèlerin fut si ravi, qu'il aurait volontiers passé la nuit sans dormir. La vision disparut bientôt après, mais en lui laissant un cœur brûlant d'amour de Dieu. A Rome, l'envoyé céleste conduisit Wolfgang au tombeau même de saint Louis de Gonzague, puis se sépara de lui, en lui promettant d'autres services pour l'avenir. De retour dans son pays, il raconta les grâces qu'il avait reçues par la protection de saint Louis, afin d'inspirer une tendre dévotion envers ce bon saint[7]. Voyez-vous, M.F., combien les saints sont attentifs à nous secourir, quand nous avons le bonheur d'avoir recours à eux avec une grande confiance ?