Aperçu sur la mystique chrétienne

« Assurément, il est grand le mystère de notre religion : c'est le Christ ! » (1Tm 3.16)
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » lun. 03 oct. 2011, 17:17

Bonjour à tous

Pour continuer sur le thème du sacré , j'en profite pour mettre ici ces paroles lumineuses (à mon sens) que le père Henri de Lubac a prononcé lors d'une conférence en 1942 et qui sont cités dans la préface de son livre le "Surnaturel"(DDB 1991) .
Elles mettent en lumière l'extrême importance qu'il y a à correctement penser les rapports entre la nature et la grâce, ce qui fut le problème d'un certain catholicisme post médiéval qui a mal interprété St Augustin, sous peine de verser dans un dualisme triste (celui des protestants et des jansénistes) et de là, tomber dans le naturalisme et l'athéisme.


"Il y a entre la nature et la surnaturel, une distinction absolue, une hétérogénéité radicale, et il est bon d'y insister d'abord pour éviter certaines confusion meurtrières et sacrilèges ; mais cela n'empêche pas qu'il y ait dans l'une et l'autre un rapport intime, une ordination, une finalité. La nature est faite pour le surnaturel, et sans avoir aucun droit sans lui, elle ne s'explique pas sans lui.
Il en résulte que tout l'ordre naturel, non seulement dans l'homme, mais dans le monde entier qui, ainsi que St Paul nous l'enseigne, est déjà pénétré par un surnaturel qui le travail et qui l'attire lorsqu'il est en absent, cette absence est encore une sorte de présence. En d'autres termes, que nous pouvons prendre pour à peu près équivalent ici, il est bien vrai sans doute que nous devons distinguer dans l'ensemble des choses et dans la vie humaine une double zone : la zone du "profane" et la zone du "sacré" ; il est bien vrai que certaines choses que nous connaissons et que nous utilisons, que certaines activités que nous déployons sont, à les considérer en elles-mêmes, purement profanes. Mais il faut ajouter que c'est là en un sens une abstraction. Car dans la réalité rien n'est purement en "soi-même". Tout, dans une mesure et à des titres qui peuvent varier beaucoup mais qui ne sont jamais négligeables, tout est sacré par destination et doit donc commencer de l'être par participation..

Tout, c'est-à-dire d'abord, évidemment les hommes nos frères, qui ne sont pas seulement des animaux mêmes raisonnables, classés selon leur "espèce, nos collaborateurs ou nos instruments pour des tâches purement humaines, mais des êtres spirituels, faits comme nous pour Dieu seul et, si misérables, si éteints qu'ils puissent nous paraître, tout au fond de chacun d'eux brille encore, au moins, une étincelle sacrée, et toutes ces étincelles sont destinées à se rejoindre pour un salut que Dieu veut fraternel.

Tout, c'est-à-dire aussi la nature entière, qui n'est pas seulement la proie de notre raison, ou le lieu de notre action matérielle, ou le grand magasin de notre subsistance, ou l'enchantement de notre sens esthétique, mais encore et surtout le symbole infiniment vaste et divers au travers duquel reluit mystérieusement la Face de Dieu. Un homme est religieux dans la mesure même où il sait reconnaitre partout ces reflets de la face divine, c'est-à-dire où il vit dans une atmosphère sacrée.

Or, le dualisme auquel nous nous sommes, dans un passé récent, trop laissé entrainer, a eu pour résultat que les hommes, nous prenant au mot, ont écarté tout le surnaturel, c'est-à-dire en pratique tout le sacré. Car si quelques un d'entre eux parlaient encore d'une "religion naturelle", cette religion avait une allure étrangement profane. Ils ont relégué ce surnaturel dans quelque recoin éloigné où il ne pouvait que demeurer stérile. Ils l'ont exilé dans une province à part, qu'ils nous ont volontier abandonnée, le laissant peu à peu mourir sous notre garde.

Et pendant ce temps, ils se mettaient à organiser le monde, ce monde pour eux seul vraiment réel, seul vivant, le monde des choses et des hommes, le monde de la nature et le monde des affaires, le monde de la culture et celui de la cité. Ils l'exploraient où ils le bâtissaient, en dehors de toute influence chrétienne, dans un esprit tout profane ; en attendant que d'autres, dans un second temps, retrouvant au fond d'eux-mêmes cette soif du sacré qui ne peut demeurer longtemps sans se faire sentir, cherchassent à capter dans ce monde lui-même, et jusque dans ses éléments les plus grossier, le sacré comme dans sa source (et c'est contre ce nouveau danger qu'il nous faut lutter aujourd'hui, c'est de cette tentation qu'il faut quelque fois nous défendre nous-mêmes). Par un malentendu tragique, nous nous prêtions plus ou moins à ce jeu. Il y avait comme une conspiration inconsciente entre le mouvement qui conduisait au laïcisme et une certaine théologie (de la nature pure), et tandis que le surnaturel se trouvait exilé et proscrit, il arrivait qu'on pensât parmi nous que le surnaturel était mis hors d'atteinte de la nature, dans le domaine où il doit régner."

Isabelle47
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Isabelle47 » lun. 03 oct. 2011, 19:58

Bonsoir,
A quelle "théologie (de la nature pure)" le Père de Lubac fait-il référence?
J'aurais une autre question à propos de ce texte en particulier et le sens de "mystique" en général: il me semble que le danger serait, dans cette pensée, d'attribuer une place excessive à la subjectivité (je parle pour mon cas personnel, bien sûr!) dans l'interprétation, la compréhension et donc de projeter une trop grande part de soi-même. Il y aurait-il une méthode ou un moyen d'éviter cet écueil?
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » lun. 03 oct. 2011, 20:38

Il parle des théologies qui séparent radicalement nature et surnaturel, nature et grâce ou qui pensent ces deux ordres de façon conflictuelles comme dans les théologies de Baius ou de Jansénius notamment.
Cette séparation radicale amène de fait à autonomiser le monde et à créer un ordre purement naturel.
il me semble que le danger serait, dans cette pensée, d'attribuer une place excessive à la subjectivité (je parle pour mon cas personnel, bien sûr!) dans l'interprétation, la compréhension et donc de projeter une trop grande part de soi-même. Il y aurait-il une méthode ou un moyen d'éviter cet écueil?

Il faut rester dans les dogmes, dans la théologie de l'Eglise qui fournit un cadre sûr.

C'est Dieu qui est premier et pas ses propres sensations ou aspirations, c'est pourquoi chez St Jean de la Croix les "nuits" expriment la phase ascétique devant amener l'âme à aimer Dieu objectivement et non plus en fonction de ce que le sujet ressent ou des grâces qu'il reçoit. C'est une phase de déconstruction de l'égo, de destruction du vieil homme.
Chez Maitre Eckhart aussi, le détachement de toute chose et surtout de soi-même vise aussi à dissiper l'égo. Il dit d'ailleurs : "Qu'importe ! moins tu ressens et plus ta foi est profonde".
Je crois avoir parler du problème de la subjectivité précédemment qui me semble être un faux problème.

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » dim. 06 nov. 2011, 3:32

Bonjour à tous. Voici un aperçu de la théologie mystique du Pseudo Denys figure qui eut une influence considérable au Moyen Age et qui est au premier rang des auteurs cités par St Thomas d'Aquin devant St Augustin.
J'essaie de livrer un aperçu en me basant sur la prière qui débute son petit ouvrage le "traité de la théologie mystique".

[+] Texte masqué
« Trinité suressentielle qui es au-delà du divin, au-delà du Bien, Toi qui gardes les chrétiens dans la connaissance des choses divines, conduis-nous, par-delà l'inconnaissance, vers les très hautes et très lumineuses cimes des écritures mystérieuses. Là se trouvent voilés les simples, insolubles et immuables mystères de la théologie, dans la translumineuse Ténèbre du Silence, où l'on est initié aux secrets de cette radieuse et resplendissante Ténèbre, en sa totale obscurité, absolument intangible et invisible, Ténèbre qui comble d'indicibles splendeurs les intelligences qui savent clore leurs yeux. Telle est donc ma prière. »


Cette prière constitue tout un concentré de théologie mystique que je souhaite partager . J'espère ne pas trop me répéter et donner quelques nouveaux aperçus.

- La Trinité est au-delà du divin, au-delà du Bien.

Dieu est d’emblée envisagé par Denys comme étant au-delà de l’ordre de l’être. Il est au-delà même de l’Etre que l’on peut considérer comme un « positionnement», une détermination première, quand Dieu apparaît relativement à la création et qu’il semble que celle-ci soit en dehors, qu‘elle se pose face à Lui.
C’est en ce sens que Maitre Eckhart dit que Dieu ne fût pas toujours Seigneur et qu’il parle de Dieu et (Seigneur Etre) de la déité qu‘il distingue comme Denys (ND II,4).
Néanmoins, Eckhart (comme Denys) ne remet jamais en cause la Trinité et loin d’être un bouddhiste ou un vedantin, il envisage toujours la déité comme un moelle (le fond sans fond), un perpétuel bouillonnement et jaillissement « O le trésor si riche/ où commencement fait naître commencement/ le cœur du Père/ d’où à grande joie/ sans trêve flue le Verbe !  » donc comme toujours Trinitaire, l’accent étant seulement ici mis sur le cœur de l’éternel « procès » Trinitaire que seul l’union au Christ et au St Esprit donne d’atteindre. Il n’y a pas chez lui de Dieu au-delà de la Trinité que l’on peut atteindre en faisant fi des Personnes divines comme le montre son beau poème « Le grain de sénevé ».
Ces distinctions déité-Dieu , Etre-SurEtre ont surtout valeur explicative, pédagogique, en ce sens que l’idée de déité permet de dépasser l’idée de Dieu pris comme simple Cause première, idée qui domine dans la philosophie profane post médiévale et qui a contribué à donner l’idée que Dieu n’était que le premier terme d’une série, un super étant (chose) mis sur un même plan d’existence que les autres termes de la série.
Bref, je continue ces quelques réflexions sur Denys.


Dieu est donc au-delà de toutes les antinomies et dualités qui caractérisent notre monde où les choses sont soumises à la dualité. La perspective du christianisme platonisant d’un Denys fait bien comprendre que Dieu n’est pas soumis aux oppositions qui mutilent les êtres existants (droite/gauche, ici/là chaud/froid, être/non-être etc) car l’Infini Perfection est ce en quoi il n’y a aucune contradiction, aucune polarité.
Comme le dit Denys dans son Traité des Noms divins, la déité est : « avant toute unité et avant toute pluralité, qui précède les oppositions de la partie et du tout, de la définition et de l’indéfini »


La Trinité dit que Dieu est Un comme dans une perspective monothéiste classique, mais loin d’enfermer Dieu dans cette unité numérique et de le réduire au premier nombre d‘une série, et loin d’en faire une grosse pierre, la Trinité nous dit que Dieu transcende cette unité numérique. Il est, si l’on veut, Uni-Trinité. A cet égard Denys peut dire que Dieu n’est pas l’Un ni l’Unité, ce qui selon Vladimir Lossky vise l’Un des néoplatoniciens.

Ce dépassement des oppositions le christianisme nous le montre encore avec la Trinité qui est à la fois mouvement et immobilité, unité et distinction.
Le philosophe catholique Maxence Caron parle de « staticité circulatoire». 
"la vie qu'est Dieu ou l'être comme transcendant n'est pas un mouvement au sens strict mais une staticité circulatoire où l'essence s'exprime et se propage en la plénitude de son Soi, une ubiquité absolue et kaléïdoscopique, une circumincessio, une périchorèse." Maxence Caron a cette très belle phrase »
(la circumincessio -grec perichorèse- signifie la mutuelle immanence des Personnes divines, l’intériorité réciproque des Personnes divines, le fait que chaque Personne soit contenue l’une dans l’autre, en somme l’éternelle diffusion de l‘Essence divine en elle-même.)

Ce que Maitre Eckhart a aussi exprimé ce mouvement immobile dans ses vers :
« l’anneau merveilleux
est jaillissement
Son point reste immobile

Et dans un sermon :

« Plus la distinction est grande, plus grande est l’Unité, car c’est une distinction sans distinction »

Fernand Brunner dans sa belle introduction à Maitre Eckhart dit :
« les aspects dynamiques de la divinité ne laissent pas d’équilibrer ses aspects statiques : l’être se répète, mais pour affirmer son identité avec soi ; il se retourne mais pour affirmer son identité avec soi ; il bouillonne mais sans sortir de soi. Ainsi la génération du Fils et la spiration du St Esprit ont lieu dans l’unité de la nature divine, et la naissance de toutes les idées des créatures, dans l’unité du Verbe (du Fils). Telle est l’abondance, où la Parole et le Souffle de Dieu ne cesse de jaillir et d’avoir jailli et qui, dans la création, se révèle surabondance ; voilà la profusion qui précède l’effusion. C’est le schéma même de la théologie chrétienne, repensé par une imagination puissante, pour laquelle toute vie est d’abord dynamisme et interne et croissance en elle-même, avant d’être engendrement hors d’elle-même. »

(Le mystère trinitaire n’a pas quelque chose de beau, d’esthétique et d’émouvant … ? )



Dieu est encore selon Nicolas de Cues autre représentant d’un christianisme platonisant le « Non-Autre ».
Ce qui signifie qu’il ne s’oppose à rien, qu‘il n‘est pas un Etre massif laissant la création en dehors de lui. Ainsi Dieu est-il encore le « Possest » selon le néologisme latin du cusain, c’est-à-dire le "Pouvoir-Etre", ou "Pouvoir-d'Etre" ou "la possibilité de l‘être, l’Infini hors de quoi rien ne subsiste, l’Unité qui est cœur du multiple et qui empêche sa dispersion dans le néant. « Si l’on enlève Dieu de la créature, il ne reste rien ».
Une telle idée pour bien la saisir suppose de dépasser cette vision qui vient parfois spontanément à l’esprit, vision de deux blocs opposés, du monde et de Dieu qui évoluerait ailleurs dans un nuage, rassurante parce qu'on croit échapper au panthéisme mais pauvre et erronée.
Pour Dieu il n’y a pas d’ici ou de là, ni d’intérieur ni d’extérieur. Il est en vertu de son infinitité et donc de son immanence le plus intérieur à nous comme l’a dit St Augustin, et en vertu de sa transcendance le plus extérieur à nous. La transcendance absolue exige une immanence tout aussi absolue.



« Dans la translumineuse ténèbre du silence »


Denys signifie par une expression apparemment paradoxale que la Lumière divine est aveuglante, qu‘elle nous plonge dans la Ténèbre. Ce thème de la Ténèbre est tout droit tiré du psaume XVI,12 dit : « il fit des ténèbres son voile » La Ténèbre est aussi la Lumière où Dieu habite ( Tim 6,16)

St Grégoire de Nysse parle aussi de la nuit divine (theias nuktos). Bref c’est un thème traditionnel dans la théologie mystique.

De même Jean de la Croix qui connaissait Denys a parlé de « la nuit obscure » qui est devenu un poème.

Une petite parenthèse sur Jean de la Croix me semble intéressante à faire car il synthétise toute une tradition mystique.
Le carmélite explique que la nuit obscure a trois significations. Elle signifie d’abord la privation de l’âme de ses appuies sensibles, Dieu étant au-delà de toute intellection, on ne saurait s’unir à lui par la raison, par ses propres moyens, on ne saurait pas non plus entretenir avec Lui des rapports intéressés et faire dépendre sa vie spirituelle des grâces reçues. On risque de s’illusionner et de faire dépendre notre relation avec Dieu en fonction de ces sensations et donc de se centrer sur soi-même. Mais « l’expérience de la foi, telle qu’elle s’accomplit dans la prière, est sentiment d’une présence qui dépasse toute sensation : aisthêsis parousia selon l’expression de Grégoire de Nyss » A. de Libera
C’est ensuite l’extinction de l’opération humaine requise pour s’unir à Dieu. Comme il le dit ailleurs "laissez de côté votre opération propre ... Dégagez entièrement vos puissance, mettez les en liberté" Ce que St Maxime le Confesseur exprime en disant :
« un coeur qui peut être dit pur est celui qui n'a selon aucun mode aucun mouvement naturel vers quoi que ce soit. Entré en lui, comme sur une feuille que l'extrême simplicité à rendue bien lisse, Dieu écrit ses propres Lois ». C’est Dieu qui doit opérer notre nature et ainsi l’exhausser.

Enfin la nuit obscure c’est Dieu même dont la clarté est aveuglante.

« Pour trois raisons, nous pouvons appeler nuit ce passage de l'âme à l'union divine: La première, en raison de l'état d'où l'âme sort, parce que l'appétit doit être privé de toutes les choses du monde qu'il possède, en négation de toutes ; cette négation et cet abandon sont une espèce de nuit pour tous les sens de l'homme. La deuxième vient du moyen ou du chemin que l'âme doit prendre pour arriver à cette union, qui est la foi laquelle pour l'entendement est aussi obscure qu'une nuit. La troisième vient du terme où elle va, qui est Dieu, lequel ni plus ni moins est une nuit obscure en cette vie. Ces trois nuits doivent passer par l'âme, ou pour mieux dire, l'âme doit passer par elles, pour parvenir à l'union avec Dieu. » Montée au Carmel 1 ch 2

St Jean rappelle enfin que ces trois nuits ne sont qu’une seule nuit par laquelle l’âme tend à s’unir avec Dieu.

« la première, qui est celle du sens, est comparée à la première nuit, qui est quand on achève d'être privé de l'objet des choses ; la deuxième, qui est la foi, ressemble à la mi-nuit, qui est entièrement obscure; et la troisième, qui est Dieu, à l'aurore, à laquelle suit immédiatement la lumière du jour. »




Pour en revenir à Denys et au thème de la Ténèbre plus que Lumineuse.

Si le théologien mystique signifie par ce terme que Dieu est par delà la connaissance humaine,
cela ne veut pas dire que la Lumière divine est scellée sur elle-même, que Dieu est absolument inconnaissable au sens strict. C’est seulement par un mode de connaissance suréminent, la « connaissance par inconnaissance » que l’on peut s’unir à Dieu.

« c'est par le fait même qu'il ne le voit ni ne le connaît (Dieu) que celui-là s'élève en toute vérité au delà de toute vision et de toute connaissance. Ne sachant rien de lui, sinon qu'il transcende totalement le sensible et l'intelligible, il s'écrie alors avec le prophète : «Ta science est trop merveilleuse pour moi et dépasse tant mes forces que je n'y saurais teindre.» (Ps 38,6). Pseudo Denys Lettre à Dorothée


C’est alors que la question de l’utilité du concept se pose ? Que fait-on des concepts, faut-il renoncer au discours puisque les concepts sont inadéquats? Le discours sur Dieu est-il une illusion ? Clairement non, il ne s’agit pas de faire de la théologie négative facile, de jouer au « Bouddha » et de retomber paradoxalement dans un espèce d’orgueil spéculatif.

Aussi comme l’explique Jean Borella, il est contradictoire de prétendre dénoncer la parole, « d’accabler le discours de tous les maux », par la parole.

En premier lieu, on peut résumer la théologie négative comme étant un moyen de purifier notre idée de Dieu. Il s’agit de nier tous les concepts humains à propos de Dieu comme le sculpteur dégage la statue du marbre. Le but est garder à l’idée que le concept humain est inadéquat et en niant tout ce que l’on sait sur Dieu de s’élever.
Pourtant, inadéquation ne signifie pas erreur, ou fausseté.

Denys lui-même est un grand théologien qui a recours à la théologie affirmative et qui cherche à avoir une idée aussi correcte des rapports qu’entretient Dieu avec le monde. La théologie affirmative est d’abord une phase préparatoire absolument essentielle pour le mystique spéculatif ,qu’il s’agisse de St Grégoire de Nysse, de Denys l’Aréopagite, de St Bonaventure ou de Maitre Eckhart. La théologie mystique s’appuie ici sur des fondements métaphysiques solides ce qui l’enrichit considérablement.

La théologie négative en tant que façon de purifier le discours exige donc de prendre conscience de la nature du concept. Le concept n’est pas une chose close sur elle-même, un « objet » absolu. Mais il est chargé d’une signification qui l’ouvre vers cette réalité qu’il désigne. Le concept est donc un « objet ouvert », en relation, qui n’épuise pas ce qu’il désigne. Aucun concept ne peut fait le tour d’une chose et ne peut prétendre la saisir de façon absolue. Aucun dire humain ne saurait par exemple exprimer tout de la beauté d’une chose, aucun discours scientifique ne saurait totalement décrire la réalité.
Alain de Lille disait « la nature des choses en soi est plus ample et plus étendue que l’intelligence : il y a en effet plus dans la chose que ce qu’en saisit l’intelligence, et c’est pourquoi l’intelligence demeure en deçà de l’intelligence »

L’inadéquation du concept ne signifie donc pas qu‘il est faux, mais que quand « il s’agit de Dieu la pensée est plus exacte que le discours, et la réalité plus exacte que la pensée » comme le dit St Augustin.

Puisque le concept exprime bien quelque chose, aussi donc s’agit-il de prendre conscience de son rôle. Quand on parle de Dieu, le concept fait office de point de point de départ, et non de point d’arrivé. Le concept est donc, de ce point de vue, une sorte d’opérateur, un « tremplin » qui permet de remonter vers sa Source dont il est le reflet.
Il s’agira ainsi de remonter du concept à la Source, du symbole au référant ; remontée que l’on désigne par la notion d’anagogie qui suppose une continuité, un lien, une analogie entre « l’objet » Dieu et le concept.

« Ainsi, les noms « un », « vie », « être » ne sont pas niés de l’extérieur, et effacés comme de simples erreurs, des étiquettes fausses; mais ils sont dépassés de l’intérieur et dans la direction qu’eux-mêmes nous indiquent. L’Essence divine, n’est pas non-un ou non-être, parce qu’elle serait multiplicité ou néant, mais parce qu’elle est « plus qu’un » et « plus qu’être« . Et c’est là une connaissance très certaine, très précise, et rigoureusement orientée. » Jean Borella, Lumière de la théologie mystique

D’autre part, c’est cette opération anagogique qui permet à Jean Borella de réconcilier théologie affirmative et théologie négative qu’un grand théologien orthodoxe commentateur de Denys comme Vladimir Lossky oppose de façon radicale, et qui reproche aussi à St Thomas d’avoir réduit la théologie négative à un simple correctif de la théologie affirmative ignorant par là que le grand docteur n’avait pas pour but d’enseigner une « méthode » spirituelle.

En effet, si l’on a compris que le concept pointe vers un terme, alors sa négation consistera à le dépasser non pas pour le détruire purement et simplement mais pour aller du reflet au Modèle. Le concept et le recours au discours rationnel étant ainsi légitimé et justifié, Borella balaye fidéisme sentimental et théologies négatives paresseuses qui bien souvent abusent d’un Maître Eckhart pour détruire la Trinité (et pour retomber dans une conception simpliste du divin qui n'est absolument jamais celle d'Eckhart.)

« détruire la théologie affirmative ou spéculative, c’est éliminer une science juste et garantie par la Tradition (la théologie scolastique) pour lui substituer une pensée déviée et corrompue par la mentalité moderne. Le remède consiste au contraire - le concept étant admis dans sa pleine validité théologique - à l’ouvrir vers le haut, c’est-à-dire à saisir sa nature de symbole mental, donc à le dépasser, mais en s’appuyant sur lui, comme sur un tremplin, parce qu’il nous indique, par son contenu quel doit être le sens de ce dépassement. » Jean Borella.

Bref, le mérite de Jean Borella est de réconcilier pleinement la théologie négative avec la théologie affirmative qu’un V. Lossky opposait radicalement dans son « essai sur la théologie mystique de l’Eglise d’orient ». Le philosophe catholique montre aussi que l’antinomie que Lossky veut voir entre la théologie négative tel qu’un St Thomas l’envisage, c’est-à-dire comme façon d’attribuer à Dieu des perfections sur un mode éminent et qui ce faisant resterait dans la théologie affirmative, et la théologie négative Denys qui serait essentiellement une ‘méthode’ spirituelle, « une voie vers l‘union mystique » , n’est pas fondée. Force est toutefois de reconnaître que la théologie négative telle que l’orient chrétien l’envisage principalement a semble-t-il été quelque peu oubliée en occident, bien qu’elle existe sous une forme authentiquement spirituelle chez un St Jean de la Croix.


Pour conclure ce bref aperçu sur Denys, ce traité n’invite pas à effectuer une recherche rationnelle, à un procédé dialectique, mais à une expérience ; expérience qui nécessite le recours à la théologie négative comme moyen de s’acheminer de l’ombre à la Réalité.

Il s’agit donc dans le traité de la théologie mystique de Denys non plus seulement de ‘connaître’ Dieu au sens où on l‘entend, mais de s’unir à lui, donc de « co-naître » de naître à Lui, ce que la théologie occidentale désignera par la naissance de Dieu dans l‘âme.
L’union permet une connaissance accomplie où la dualité sujet-objet s‘efface.
Et dans la Bible le « connaître » des époux signifie l‘union intime, union qui scelle le mariage. C’est encore en ce sens que l’amour des époux reflète l’union à Dieu.

C’est dans ta « Lumière que nous connaîtrons ta Lumière » dit le Psaume. C’est dans la Lumière du Verbe qui est la connaissance du Père que nous connaîtrons le Père. Il est dit dans l’Evangile « Seul le Fils connaît le Père ». Et : « les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité: car ce sont là les adorateurs que le Père cherche. »
La Lumière Dieu doit venir suppléer à notre propre lumière humaine et nous permettre de Le connaître dans sa propre Lumière. Dieu lui-même doit devenir le moyen par lequel nous le connaissons. La connaissance déifiante Dieu, l’union à Dieu dans le Christ, telle est l’essence du christianisme où Dieu n'est pas une Unité exclusive mais intégrante :"Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne par grâce ce que Dieu est par nature"

Ainsi donc connaître le Fils c’est connaître le Père, connaître et s’unir au Fils c’est rentrer dans la Trinité, dans ce jeux de miroir divin ou connaître la Lumière du Fils c’est connaître la Lumière du Père etc. « ‘Dieu est lumière ’ (1jn1,5) et c’est dans la lumière de l’Esprit que nous verrons la Lumière du Verbe, et en lui, le Père des Lumières (Jc 1,17) » Ysabel de Andia Mystique d’orient et d’occident p75

Et pour cela il faut mourir à soi, se dépouiller car on ne peut pas voir Dieu sans mourir.

« Mais baptisé dans la mort du Christ, l’intellect pascal ressuscite avec lui. Ainsi se trouve accomplie la promesse la promesse qu’il avait reçue : ‘aujourd’hui tu seras avec Moi dans le Paradis’. Union au sujet divin qui seule, dit Denys, confère l’intellection suprême. L’être déifié est la perfection de la gnose ».Jean Borella


Sources :

Jean Borella "Lumière de la théologie mystique" (Pour qui veut savoir ce qu'est la théologie négative, l'anagogie etc l'auteur donne quelques clefs pour comprendre le mystère qui entoure Denys ; le propos est souvent dense)
Ysabel de Andia "Mystique d’orient et d’occident" (une grande synthèse par une auteur catholique et qui montre l’unité de la mystique tant orientale St Basile, Isaac le Syrien etc qu'occidentale avec St Jean de la Croix, Ste Thérèse d’Avila, Edith Stein)
Vladimir Lossky "Essai sur la théologie mystique de l'Eglise d'Orient" (point de vue orthodoxe sur le christianisme mais dont les remarques sur le point de vue catholique passent souvent à côté mais ça reste tout de même un très bon livre que tout chrétien devrait à mon avis lire.)
 
Dernière modification par lmx le dim. 08 avr. 2012, 16:48, modifié 3 fois.

Isabelle47
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Isabelle47 » dim. 06 nov. 2011, 20:37

lmx, merci d'avoir mis en ligne ce long et riche résumé de la mystique selon le pseudo Denys.
"La ténèbre plus que lumineuse"... quelle expression poétique et en même temps explicite!

Merci d'avoir au passage, rappelé les définitions de "ténèbres" selon saint Jean de la Croix.
En effet, on aurait tendance à comprendre le mot ténèbre comme synonyme d'ignorance et ce n'est pas de cela qu'il s'agit (toujours selon Jean de la Croix).

Selon le pseudo Denys (selon le résumé que vous faites de ses écrits, du moins) le concept humain de Dieu serait inadéquat, c'est à dire que nous ne pourrions pas, par nos seuls moyens intellectuels nous faire une idée juste de Dieu.
Cela semble un constat légitime, réaliste et surtout nous renvoie à l'humilité que nous ne devrions jamais perdre de vue dans nos réflexions et, plus simplement, notre vie terrestre.
Certes mais comment "aller du reflet au modèle" si nous avons, pour cela, des moyens insuffisants? Je relève là comme une aporie (signifiée par l'idée de réunir ou harmoniser une théologie négative avec une théologie positive).

Autre question, plus générale mais de fond:
Accepter comme présupposé que Dieu ne nous est pas "connaissable", n'est ce pas contradictoire avec la révélation ?
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » dim. 06 nov. 2011, 21:56

Bonjour Isabelle47

Certes mais comment "aller du reflet au modèle" si nous avons, pour cela, des moyens insuffisants? Je relève là comme une aporie (signifiée par l'idée de réunir ou harmoniser une théologie négative avec une théologie positive).
D'une part, parce que comme je l'ai dit et il y a analogie entre le concept et ce qu'il signifie, il y a continuité. Le concept n'est pas faux il indique un terme, Dieu n'est pas simplement bon il est la bonté même, et cela le concept en donne un reflet. Nous savons où aller et avec l'aide de Dieu nous pouvons aller jusqu'au terme indiquer.

D'autre part, la connaissance doit se parachever dans l'union au Christ, dans une connaissance assimilatrice où c'est Dieu lui même qui vient suppléer à notre lumière humaine, où c'est la Lumière de Dieu qui devient notre lumière et qui nous permet de voir sa Lumière. Dieu pallie à notre propre insuffisance.

C'est ce que Denys appelle la 'connaissance par inconnaissance' qui suppose le renoncement à sa propre connaissance (la mort mystique), pour que l'intellect ressuscite avec le Christ comme le dit J. Borella.

St Bonaventure disait aussi en commentant Denys
'On dit ténèbre, parce que l’intellect ne saisit pas, et que cependant l’âme est suprêmement illuminée.'

et en effet Denys conclut son traité avec l'union de Moïse à Dieu et dit :

par cette inconnaissance même il connaît au-delà de l'intelligence.

en d'autres termes, parvenu dans la Ténèbre, l'intellect ne saisit plus humainement, il est dans l'ignorance totale, de sorte que Dieu puisse venir l'investir totalement, le déifier, l'illuminer et ainsi devenir Lui même le Moyen par lequel il puisse le connaitre.

C'est donc que le Christ doit se substituer à nous en sorte qu'on puisse dire comme St Paul que nous ne vivons plus de notre vie mais que c'est le Christ qui vit en nous. On se dépossède de son opération naturelle pour que Dieu vienne faire opérer notre intellect à notre place.

Vous oubliez aussi la mission du Christ que la bienheureuse Elisabeth de la Trinité met en vers:
Il vient révéler le mystère,
Livrer tous les secrets du Père,
Mener de clartés en clartés
Jusqu'au sein de la Trinité.




Denys invite donc à une connaissance expérimentale, l'union conférant "l'intellection suprême". Et c'est bien à cela que vise la révélation chrétienne qui, pour reprendre encore une fois l'expression des pères, invite à "devenir par grâce ce que Dieu est par nature". C'est cela qu'il ne faut pas oublier. Dans la montée vous fermez les yeux et plus vous vous abandonnez à Dieu plus il vous fait entrer en lui et vous donne de le connaitre.

Donc il n'y a pas de contradiction. Ce que Denys appelle ici par connaissance c'est en réalité la connaissance suprême conférée par l'union et qui se parachèvera par l'union béatifique, connaissance suprême déifiante que la lumière humaine ne peut pas donner.


Au final, cette entrée dans la Ténèbre, c'est aussi l'entrée au plus profond de soi, car Dieu est au centre de l'âme comme le dit St Jean de la Croix, ou présent dans la dernière demeure de l'âme selon St Thérèse, ou encore selon un autre point de vue dans le coeur. C'est une descente dans le coeur faite sous la conduite du Christ et du St Esprit qui dans les premières étapes de la nuit dans les poèmes de St Jean de la Croix purge l'âme, la débarrasse de sa rouille, comme si elle était du fer rouillée par le péché.
Dans cette purgation, l'âme se vide de plus en plus pour se remplir de Dieu: "Elle croît et s'étend, mais d'une manière spirituelle ; elle croît aussi en gloire; elle croit pour servir de temple saint au Seigneur; elle croit enfin et s'avance jusqu'à la perfection de l'homme fait, et jusqu'à un âge capable de recevoir la plénitude de la vertu de Jésus-Christ" St Bernard
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Isabelle47
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Isabelle47 » dim. 06 nov. 2011, 23:05

Lmx, je vous remercie.
Cette démarche de descente au centre de soi et de dépouillement, d'entrée dans la ténèbre afin de la laisser investir par Dieu est le propre de toutes les vies de saint(e)s et mystiques dont j'ai pu lire les biographies.

Cette vie mystique existe aussi dans d'autres spiritualités (dépouillement, oubli de l'ego) mais le chrétien ne doit pas perdre de vue les dogmes qui fondent la religion et tout remettre dans le Christ et en suivant Sa voie.
Dans le cas contraire, il y a perdition; c'est donc un chemin ardu!

De plus, rien, dans notre éducation ne semble nous mettre sur cette voie là; si j'en crois mes impressions de lecture à propos des mystiques, il semblerait que cela soit réservé à quelques personnes...
Et l'Eglise observe une certaine prudence vis à vis du mysticisme (afin d'éviter les impostures?)
"Aussi, croyez-moi, vous pratiquerez beaucoup mieux la vertu en considérant les perfections divines, qu'en tenant le regard fixé sur votre propre limon"
(Thérèse d'Avila)

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » lun. 07 nov. 2011, 1:34

De plus, rien, dans notre éducation ne semble nous mettre sur cette voie là; si j'en crois mes impressions de lecture à propos des mystiques, il semblerait que cela soit réservé à quelques personnes...
Et l'Eglise observe une certaine prudence vis à vis du mysticisme (afin d'éviter les impostures?)
il y a mystique et mysticisme , le second terme exprimerait plutôt une déviation, quelque chose qui dégénère en recherche des phénomènes, de visions, de grâces, et alors dans ce cas l'Eglise a totalement raison de se méfier d'une telle vision de la vie spirituelle. C'est ce que j'ai depuis le début essayé d'expliquer, et bien évidemment le respect des dogmes qui sont des objet révélés dont la méditation illumine l'âme est la condition pour avancer.

La théologie mystique, la voie mystique chez un Denys c'est tout simplement l'union à Dieu dont on oublie que c'est le but du christianisme. Il n'y a pas de recherche de phénomènes, de grâces (il faut aimer Dieu pour Dieu et non pas pour ses dons) mais simplement volonté de purification intérieure, de dépouillement afin de pouvoir faire de la place pour Dieu en nous.
Dépouiller le "vieil homme" et s'unir au Christ, bref vivre son baptême à fond n'a rien d'une chose extravagante dont il faille se méfier.

Je vous laisse avec ces paroles du grand thomiste le R.P Garrigou Lagrange
La vie intérieure est pour chacun de nous l’u­nique nécessaire ; elle devrait constamment se développer en notre âme plus encore que ce que nous appelons la vie intellectuelle, scientifique, artistique ou littéraire. Elle est la vie profonde de l’âme, de l’homme tout entier, et non pas seulement de l’une ou l’autre de ses facultés. L’intellectualité elle-même gagnerait beaucoup si, au lieu de vouloir supplanter la spiritualité, elle reconnaissait sa nécessité, sa grandeur et bénéficiait de son influence, qui est celle des vertus théologales et des dons du Saint-Esprit.
http://www.salve-regina.com/salve/Les_t ... rois_voies

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Griffon » sam. 12 nov. 2011, 18:47

Bonjour à tous,
et merci encore à lmx pour ce fil essentiel.

La vie mystique à pour but l'union à Dieu.
L'union à Dieu se réalise en faisant sa volonté.

L'homme, dans sa nature blessée, s'est séparé de Dieu ;
il a pris le pli de penser ce qu'il veut, de décider seul et de défendre son "autonomie", n'obéissant plus qu'à lui-même.

Seule la prière, et plus particulièrement l'oraison permet au Seigneur de prendre la direction de notre coeur qui s'offre à lui dans cette prière intime.
Je reprends ici ce qu'en dit le disciple de saint Antoine, St Macaire l'Egyptien (+ vers 390), fondateur de la vie monastique dans le désert de Scète. C'est un extrait de la méditation proposée par le magazine Magnificat au 8 novembre.

Au lieu de discuter, ce qui serait bien, c'est de prendre 30 minutes, seul(e), et d'essayer...

Cordialement,

Griffon.
ST.Macaire a écrit :Nous ne devons pas réduire notre prière à une pratique corporelle, que ce soit celle de crier ou de garder le silence, ou de fléchir les genoux, mais prier avec sobriété, attentifs à notre pensée, en attendant que Dieu vienne et visite l'âme par toutes ses voies d'accès, tous ses sentiers et tous ses sens.
Nous pourrons alors, selon ce qui conviendra, rester silencieux, élever la voix et même crier en priant, pourvu seulement que la pensée soit solidement fixée en Dieu.
Quand le corps fait un travail, il s'y adonne tout entier, ne s'occupe que de lui, et chacun de ses membres prête son concours aux autres.
...
C'est ainsi que nous devons nous aussi disposer notre âme, de façon variée et avec ingéniosité, pour obtenir le grand et véritable gain, Dieu, qui nous apprend à prier véritablement.
Jésus, j'ai confiance en Toi,
Jésus, je m'abandonne à Toi.
Mon bonheur est de vivre,
O Jésus, pour Te suivre.

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » jeu. 15 déc. 2011, 0:01

Bonjour à tous

(Griffon je n'avais pas fait attention à votre texte, mais si vous aviez d'autres textes sur St Macaire, ce serait bien de les mettre ici)

C'est durant l'époque patristique pour faire face aux hérésies que les Pères ont introduit la notion de relation pour parler des Personnes divines. Les Personnes divines ne sont pas des "choses" concrètes comme des stylos et des êtres humains (mais la notion de personne a muté et il faudrait en refaire l'histoire).
St Thomas "parachèvera" le développement de cette théologie de la relation. C'est de cette riche théologie qui contribue à "éclairer", ou du moins, à permettre d'avoir une intuition du mystère trinitaire que j'aimerais donner un petit aperçu.
La Trinité en tant que mystère central de notre foi me parait aujourd'hui souffrir d'un déficit d'explication. Tout se passe de nous comme si on devait se contenter d'adhérer sentimentalement au dogme ...

Le dogme dit :

La Trinité = Dieu Un en Trois Personnes distinctes de même substance.
Le Père engendre éternellement le Fils, et ils spirent éternellement le St Esprit.
Père Fils et St Esprit sont rigoureusement égaux et co-substantiels. Il n’y a pas le Père avant et le Fils après. Le Fils étant la Parole éternelle, le Père prononce éternellement cette Parole.
Le Père n'est qu'en tant qu'il engendre le Fils, le Fils n'est Fils qu'en tant qu'il est éternellement engendrée, et le St Esprit n'est tel qu'en tant qu'il est spiré.
Il n'y a pas de Père s'il n'y a pas de Fils etc.

Avec la notion de relation subsistante la chose deviendra j'espère un peu plus claire.


I Bref aperçu général sur la notion de relation
[+] Texte masqué
La relation désigne un rapport d'un terme à un autre terme. Pour que ce soit plus claire, une illustration typique s’impose. Prenons la filiation entre un père et son fils.

Entre le père et le fils il y a une relation, il y a en effet paternité d'un côté et filiation de l'autre. Mais cette relation n'est pas « subsistante » car elle a un esse in, c'est-à-dire un fondement dans un terme extérieur et dont la disparition provoque la disparition de la relation. En effet, le père est différent de la paternité, il n’a pas toujours été père, et surtout il n‘est pas que père. Ce n’est qu’à un moment donné de sa vie qu’il est devenu père et qu’il c’est donc constitué une relation vers son fils. Quant au fils il n’est pas que fils, et il ne sera pas toujours fils si son père décède.

Comme le dit St Thomas « la relation réelle, dans le monde créé, fait composition avec le sujet »

La relation fait composition avec le sujet, c’est dire que la relation, dans la création, est un « accident » (du latin accidere qui signifie "ce qui vient").

On peut donc considérer la relation de deux façons.


a) la relation en tant qu’accident


La relation désigne donc dans la réalité quelque chose d’accidentel, donc de non substantiel, de non permanent.

La « filiation » entre un père et un fils a besoin de deux êtres extérieurs à elle pour que le rapport soit constitué.
C'est en ce sens qu'aucune relation n'est jamais, dans la création, subsistante. La relation dépend toujours d'un sujet extrinsèque à elle.


En tant qu‘accident, la relation tire donc son être d'un sujet qu'elle inhère.
C’est-à-dire que dans la réalité, la relation en tant qu'accident vient s'apposer du dehors. La relation a donc toujours un mode d'être accidentel.

En définitive, il est essentiel de retenir que dans la réalité qui est la notre " la relation réelle s'ajoute au sujet qui la possède et se distingue réellement de ce sujet."


Mais en Dieu qui est éternel, il n'y pas d'accident, pas de détermination qui n'advienne du dehors et qui vienne ajouter quelque chose à l'essence divine.


b) la relation prise en elle-même

On peut toutefois faire un petit effort de pensée et considérer la relation en soi.

Il faut donc déjà par commencer par sortir de l'idée que seul la substance concrète, la chose dotée d'une existence concrète, puisse être un être. Il faut donc un peu sortir de notre aristotélisme spontané.

Ici c'est la relation dans son esse ad qu'il faut considérer, c’est-à-dire en tant que pur rapport, donc indépendamment de son sujet extérieur. On peut alors parler du caractère extatique de la relation.
Considérée ainsi, elle est indifférente à ses conditions d'existence. Cela revient dans notre exemple à considérer la relation du père et d'un fils indépendamment du père et du fils, mais de façon purement abstraite.

Prise en elle-même, elle n’est pas quelque chose de saisissable, de matérielle. Il est très difficile de se "représenter" une relation de façon abstraite, de la chosifier et de la mettre dans un concept.
C'est ce qui fait, dit Jean Borella, que la relation est le plus proche de la réalité intelligible.


II Les Personnes divines en tant que relations subsistantes


On peut maintenant transposer la notion de relation aux Personnes divines. Dieu possède toute qualité sur un mode suréminent, parfait, non accidentel.

Dans la Trinité, le Père est Paternité, il est cette relation de paternité même. Il n’est pas un sujet auquel une relation vient s'ajouter du dehors comme lorsqu'une personne humaine devient un père.
Le Père est la Paternité même. Il n'y a pas le Père, sujet d’un côté, puis la paternité attribut de l’autre qui s'en ajoute. Père et paternité sont un seul être, une seule relation subsistante.

« la relation constitue la personne en vertu de sa condition même de relation » (Cajetan)

C'est ainsi qu'on peut considérer les Personnes comme des relations subsistantes. Les Personnes n’ont pas des relations, mais elles sont relations mêmes.

La Personne en tant que Relation est dite subsistante cas son esse in, c’est-à-dire son fondement, est l'essence divine, et est identique à elle-même. Puisqu'en Dieu tout est Dieu, il n'y a rien d'accidentel en Lui, aussi la relation tire-elle son être de lui-même. C’est pourquoi les Personnes sont rigoureusement égales, co-substantielles, co-éternelles.

Autrement dit, la relation a son fondement dans l'Essence divine qui n'est pas autre chose qu'elle même. La Relation est donc identique à l'essence divine. La relation n'inhère pas de l‘extérieur, elle est ce que Dieu est.
Il n’y a pas l’Essence comme sujet puis les Personnes comme accident.

Mais les Personnes/relations ne sont pas de simples attributs. En même temps qu’il y a en Dieu unité (c'est-à-dire non pas unité numérique mais simplicité), il y aussi altérité. Et c’est ce que les personnes en tant que relation permettent d’exprimer.
La distinction se prend de l’opposition. Le Père en tant que relation qui se « porte » vers le Fils n’est pas le Fils, et le Fils en tant qu’il se porte vers le Père n’est pas le Père.
Aussi, le Père est autre (aliud) que le Fils, mais il n’est pas autre chose. Le terme même de différence est impropre car il exprime une distinction de nature.

« Plus grande est l’unité plus grande est la distinction » (Maitre Eckhart)


III Dernier aperçu.

En Dieu, on peut dire que l’Essence divine constitue un rapport, entre en relation avec elle-même.

En tant que l'Essence divine Se saisit éternellement -> le Père (Donnant)
En tant que l'Essence divine Se trouve saisie par Elle-même -> Le Fils (Dieu en tant qu‘il Se donne à Lui-même et qu'Il se reçoit)

Dans cette saisie d'elle-même, en tant que l’Essence s’auto expérimente et s‘aime infiniment, ou encore, en tant qu’elle se porte vers elle-même (et que le Fils est engendré éternellement), elle revient du même coup sur elle-même.
Tout se passe comme si Dieu débordait sur lui-même. Maître Eckhart parle de Dieu comme d'un jaillissement, d'un bouillonnement.
Bref, en se saisissant, l'Essence entre en relation avec elle même (du Père au Fils) et revient sur elle-même (du Fils au Père par le St Esprit qui est le lien d‘Amour entre le Père et le Fils).
Au passage, comme le fait remarquer Jean Borella, le St Esprit, en tant que lien d’Amour, montre qu’un "lien", un rapport, une relation à, constitue une Personne/Hypostase.

(Par analogie on peut dire que notre « personne »  c’est le « lien » qui nous rattache à Dieu et que nous devons approfondir. C’est donc « l‘esprit » c’est-à-dire « la fine pointe de l’âme » de l’âme dont St Jean de la Croix dit qu‘[il] est la portion supérieure de l'âme qui regarde et communique avec Dieu.
En approfondissant notre relation à Dieu nous approfondissons notre personne, nous devenons plus réellement nous même..)

La Trinité est comme une circulation éternelle. Dans un poème Maître Eckhart parle d'une boucle terrible et profonde. On peut ainsi se représenter le Père comme le point, le Fils comme le rayon et le St Esprit comme la circonférence : l'aspect vertical du Fils représentant l'autorité, le salut qui conduit tel une chemin vers le Père (Jn 14:6), l'aspect circulaire englobant du St Esprit représentant l'aspect maternel de Dieu qui "engendre" les chrétiens et le console (Jn 14:26).
L'icône de Roublev qui représente la Trinité avec les trois anges (visitant Abraham) disposés autours de la tables et qui se regardent parait aussi exprimer ce paisible mouvement circulaire.
"la vie qu'est Dieu ou l'être comme transcendant n'est pas un mouvement au sens strict mais une staticité circulatoire où l'essence s'exprime et se propage en la plénitude de son Soi, une ubiquité absolue et kaléïdoscopique, une circumincessio, une périchorèse." (Maxence Caron)

Dieu se donne à Lui même, s'éprouve, et par là même se connaît parfaitement. Le Fils est la parfaite connaissance du Père. Sa parfaite Auto-Révélation. « C’est dans le Don (le Fils) que Dieu se fait de lui-même à lui-même qu’il se connaît comme pure connaissance » (Jean Borella)
Cette auto-épreuve donne un savoir sans distance, un pur savoir qui n’implique aucune extériorité, aucune relation vers un terme extérieur à soi. La Vie qu’est Dieu s’expérimente, s’auto-éprouve et ce qui est éprouvé par sa Vie n’est rien d’autre que sa propre Vie.
C’est pourquoi le Fils est la révélation même, il ne donne pas une révélation, il ne livre pas un message comme un simple prophète délivre un signe, mais, en tant que Connaissance même du Père, il introduit dans le sein de la Trinité.


Source :

Gilles Emery (O.P), La théologie trinitaire de St Thomas d'Aquin, cerf
Dernière modification par lmx le sam. 14 juil. 2012, 13:08, modifié 2 fois.

Isabelle47
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Isabelle47 » jeu. 15 déc. 2011, 0:19

Merci beaucoup de votre exposé sur la Trinité et la relation subsistante.
Ni accidentelle, ni purement extatique, c'est une relation d'essence divine; les "personnes" se donnent à elles-mêmes et sont, en même temps, la relation même (similitude et altérité?).
L'image de "bouillonnement" est très expressive.
En vous lisant, je me demandais quelle porte pouvait trouver l'homme pour s'introduire dans cette amour divin, infini, continu.
Je crois que vous avez répondu à cette question.
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » jeu. 15 déc. 2011, 0:50

Effectivement, les personnes sont des relations. Elles sont pour ainsi dire le rapport même qui "va" vers l'autre et qui a son fondement dans l'essence.

Difficile ici d'expliquer avec des mots car l'on aborde un domaine transcendant, trans-logique mais après avoir bien compris et ingurgité cette théologie de la relation (dont l'aperçu que je donne est extrêmement sommaire), on peut vraiment méditer dessus pour avoir une saisie intuitive du mystère de l'Etre Trinitaire.

En tout cas, Dieu est Vie au sens le plus fort du terme et c'est cela qu'il faut retenir car ce n'est pas une simple métaphore.

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Laurent L. » dim. 18 déc. 2011, 18:26

A propos de la Trinité, un traité écrit en latin ("De Deo Trino") a été traduit pour la première fois en Français et publié récemment aux éditions Artège :
http://www.editionsartege.fr/t_livre/la ... -68675.asp.

Quelqu'un en a-t-il entendu parler ?

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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par lmx » ven. 10 févr. 2012, 17:37

Bref retour sur le sens de la prière et la prière de Jésus


Le théologien catholique Louis Bouyer a jeté un éclairage la pratique des berakoth c'est-à-dire les actions de grâce qui rythmaient (ou rythment encore) la vie du juif pieux et qui permet de comprendre le sens de la vie chrétienne.
Ces berakoth se disaient en toutes circonstances. Ainsi, dès qu'un juif se réveillait il pouvait dire
"bénis es tu, ... toi qui vêts ceux qui sont nus", ensuite une fois levé, "bénis es tu, toi qui étendu la terre sur les eux"

Comme le dit Bouyer, il n'y avait donc pas un objet ou une action qui ne puisse renvoier à la pensée Dieu et qui ne soit l'occasion de se livrer à la volonté de Dieu.

Dès qu'une chose se trouve reçue avec bénédiction, elle se trouve consacrée, sanctifiée, c'est-à-dire arrachée à la sphère profane, pour être remise en lien avec Dieu. Ainsi, la chose redevient bonne comme elle l'a toujours été, car tout ce qui est sorti de la main du créateur est bon. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces; parce qu’il est sanctifié par la parole de Dieu, et par la prière. (Tim 1:4)

Et voici ce que L. Bouyer explique :

"la pratique constante des berakoth devient en effet une pratique toute enveloppante de la vie de l'homme et du monde, par laquelle toute chose sont comme ramenées à la Parole créatrice et comme restituée à la bonté originelle que celle-ci leur avait conférée.
C'est ainsi diront encore les rabbins, que toute la vie du fidèle du peuple d'Israël, jusqu'en ses occupations les plus profanes d'apparence, revêt un caractère non seulement sacré mais sacerdotal
"

"les rabbins développèrent une théologie très profonde de ces berakoth, que nous pouvons considérer comme le fondement de toute théologie eucharistique chrétienne. Ils soulignaient qu'en remplissant leur vie par l'action de grâce, les juifs pieux renouvelaient l'oeuvre d'Adam imposant son nom propre à toute chose, c'est-à-dire, reconnaissant le sens divin de toute chose : la façon dont elles découlent de la parole créatrice et n'en sont que l'expression.
C'est ainsi qu'il se révèle le prêtre de toute la création et qu'il la consacre à Dieu effectivement, - non pas qu'elle ne lui appartienne pas d'emblée, mais parce que le juif pieux, éclairé par la Parole divine et lui donnant la réponse qu'elle attend, est le seul qui, cessant de faire du monde idole, le restitue à se destination première d'être un instrument de louange
"

Et en effet, dans le christianisme, tout chrétien est un "prêtre" (cf catéchisme art 783 a 786, et 1 P2,5-9) qui doit consacrer l'univers entier et le sanctifier par la prière. Par là, le chrétien prépare l'avènement de Dieu tout en tous.
Bossuet synthétise ceci dans un sermon sur l'annonciation :

C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, industrieux abrégé du monde, petit monde dans le grand monde, ou plutôt, dit saint Grégoire de Nazianze, « grand monde dans le petit monde », parce qu'encore que selon le corps il soit renfermé dans le monde, il y a un esprit et un cœur qui est plus grand que le monde, afin que contemplant l'univers entier et le ramassant en lui-même, il l'offre, il le sanctifie, il le consacre au Dieu vivant : si bien qu'il n'est le contemplateur et le mystérieux abrégé de la nature visible, qu'afin d'être pour elle par un saint amour le prêtre et l'adorateur de la nature invisible et intellectuelle
.

Bref, la plus haute théologie catholique prend sa source même dans le judaïsme ancien.


Bouyer nous apprend encore une chose très intéressante sur le sens de la pratique des berakoth :

"les mêmes rabbins encore, qui répétaient que la Schekinah demeure invisiblement avec tout groupe de juifs réunis pour méditer la Torah, n'hésitent pas à dire que chaque juif fidèle en prononçant les berakoth sur tout ce qu'il voit ou touche de ses mains, en fait une demeure consacrée pour cette même Schekinah"

Texte intéressant car la Schekinah, la présence divine, est rapprochée du Christ dans Matthieu 18:20 et dans de nombreux autres passages. Ainsi, là où des chrétiens sont assemblés au nom du Christ, celui-ci est présent.
Matt 18:20 Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’eux."




J'avais déjà traité précédemment du rapport entre le Christ et son Nom, et l'importance du Nom de Jésus qui tient une grande place chez St Paul. En effet, une telle idée n'est pas étonnante et puise sa source dans la Bible où le Nom de Dieu comme le Tétragramme que les Juifs ne prononcent plus, la manière de le prononcer s'étant par ailleurs perdue, tend à se confondre mystérieusement avec sa présence même.
Aussi, si St Paul insiste beaucoup, ainsi que les premiers écrits chrétiens comme celui du Pasteur d'Hermas, sur le Nom de Jésus c'est que le nom divin a prononcer est désormais le Nom de Jésus (formé du nom divin Yah/Yeh).

Le catéchisme rappelle d'ailleurs à cet égard que "Son Nom est le seul qui contient la Présence qu’il signifie". (Art 2666) Et un moine orthodoxe Lev Gillet l'a judicieusement comparé à une lentille "qui reçoit et concentre la lumière blanche de Jésus". Prononcer son Nom, c'est se rendre présent à Lui, et le prononcer sur une chose, c'est la sanctifier, la ramener dans le Christ dans lequel tout sera réunie (1 Eph 10).

Bref, tout ceci pour tenter de dire que "le Nom de Jésus est un instrument, une méthode de transfiguration" propre à la réunification de toute chose en Christ, Verbe par lequel tout a été fait (Jean 1:3) et donc à l'accomplissement du sacerdoce du chrétien.


Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle ed cerf (qui met en rapport sens des berakoth et prière chrétienne)
Louis Bouyer, L'eucharistie ed cerf
Un moine de l'Eglise d'orient (Lev Gillet), La prière de Jésus (qui traite de l'idée de l'invoquer le Nom du Christ sur tout chose ou tout homme pour le sanctifier)
Dernière modification par lmx le dim. 08 avr. 2012, 16:39, modifié 1 fois.

Isabelle47
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Re: Aperçu sur la mystique chrétienne

Message non lu par Isabelle47 » mar. 14 févr. 2012, 23:43

Bonsoir,
Merci de votre exposé!
Les prières perpétuelles de louange et remerciement sont d'une grande richesse.
Elles nous mettent dans une relation permanente avec le Christ tout en nous assignant à notre humble place d'homme ("Jésus Christ, Seigneur, Fils de Dieu, ayez pitié de nous, pécheurs")
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