En fait cette langue était très importante déjà depuis plusieurs siècles. A bien y réfléchir je crois que nous parlons un peu de la même chose. Dans un certain sens, il faut distinguer l'hébreu biblique, qu'on appelle souvent par simplification
l'hébreu tout court (enfin moi c'est ce que je fais en tout cas), et le dialecte hébreu parlé du temps de Jésus, qui est une langue araméenne : le terme
araméen désigne alors la langue vernaculaire de toute la région Syriaque (territoire d'Aram). C'est en cela que le syriaque d'aujourd'hui est de l'araméen, même si ce n'est pas le même araméen qu'à l'époque de Jésus (il y a quand même assez peu de différence, dit-on, principalement sur la vocalisation des syllabes en "a" et en "o" selon l'époque et les migrations).
C'est pour ça qu'il est très important de distinguer l'oral de l'écrit, car cela fait faire des confusions. Je suis d'accord si vous préférez, de ne pas opposer
hébreu et
araméen, ou de dire que les évangiles sont hébreux. Mais ce n'est pas l'
hébreu de la Torah. C'est l'hébreu vivant (que j'appelle comme d'autres, par simplification,
araméen) de la Syrie à l'époque de Jésus, la langue vernaculaire. Ce n'est pas l'
hébreu biblique. C'est ce que je voulais dire quand j'opposais une langue à vocation écrite, sacrée en tant qu'écrit, et une langue vivante araméenne, comme l'était le dialecte hébreu parlé à l'époque de Jésus.
La différence est de taille : pour l'écrit c'est la lettre qui compte, jusqu'à la graphie qui est importante. Pour une langue orale, c'est le rythme, les sons, les rimes, ... De notre point de vue ça pourrait être insignifiant comme différence, mais en réalité la langue est aussi différente qu'entre un dictionnaire imprimé et un chant d'opéra.
Vous le dites vous-même pour le paraclet : l'hébreu biblique avait déjà un mot de vocabulaire pour désigner cela. Nul besoin d'en reprendre un autre. C'est donc dans une langue vivante, distincte de l'hébreu biblique, que le mot grec a été repris et est devenu
paraqlita. Ces mots d'emprunt montre donc tout SAUF que les évangiles ont été "rédigés" en
hébreu biblique. Ils ont été prêchés dans un dialecte hébreu vivant, qu'on appelle couramment
araméen, mais n'avaient pas vocation, comme le fut la Torah, à être un support écrit, surtout pas dans un
hébreu biblique qu'on ne savait déjà plus vocaliser depuis bien longtemps. L'hébreu biblique n'aurait d'ailleurs pas eu besoin d'emprunter du vocabulaire à qui que ce soit. C'est ce qui fait de l'hébreu biblique, en tant que langue écrite, une langue sacrée : autant que je sache la Torah n'a rien emprunté de son vocabulaire (pour les Prophètes c'est beaucoup moins évident et j'avoue que je n'en sais rien) : elle est entièrement dédiée à ce qu'elle sert, c'est-à-dire la Parole de Dieu.
Fée Violine a écrit :Je suis bien d'accord sur la transmission orale (voir le remarquable livre de Marcel Jousse "Le style oral") mais pourquoi certains n'auraient-ils pas aussi pris des notes ?
Je dirais juste, parce que c'était inutile. Après, peut-être que certains s'amusaient à prendre des notes, je n'en sais rien, mais c'était pour eux aussi inutile que pour moi de dire tout cela à voix haute devant mon ordinateur en même temps que je le tape sur mon clavier. Justement si on reprend ce qu'enseigne Marcel Jousse, et à sa suite Pierre Perrier, l'enseignement avait une topographie, pour ne pas dire une géographie. On enseignait dans des lieux bien précis des choses bien précises. Et on refaisait les chemins pour se les remémorer. Il y avait des rythmes bien précis, comme en poésie, avec des rimes et des "pieds", des gestes précis qui leur étaient associés. Prit par écrit, l'araméen (ou l'hébreu courant si vous préférez) est une langue très pauvre. Sans les gestes et les intonations on perd au moins la moitié du sens des paroles.
C'est d'ailleurs ce qui fait que les traducteurs grecs, comme Etienne, Philippe, ou encore Luc, ne traduisaient pas à partir d'un texte écrit, comme un copiste qui retranscrirait dans sa langue. Sinon imaginez les erreurs !!! Ils connaissaient par coeur, dans la langue originale de l'enseignement, comme tous les disciples, les enseignements composés par les apôtres, eux-même enseignés par Jésus, et les traduisaient ensuite, sous l'inspiration de l'Esprit, dans leur propre langue : le grec. Ce qui a eu pour conséquence, heureuse ou fâcheuse (selon les appréciations de chacun), d'en obtenir une version écrite, le grec étant d'égal usage à l'oral et l'écrit. Heureuse, car sans ça nous n'aurions pas notre canon écrit (sans compter que les nations n'auraient pu recevoir cet enseignement). Fâcheuse, parce qu'en passant à l'écrit nous avons perdu petit à petit l'enseignement oral et la structure initiale des colliers évangéliques des apôtres - et nous avons aussi perdu l'habitude d'apprendre par cœur. S'en suit des grosses difficultés de compréhension, quand nos traductions ont elles-même pris de l'âge et que leur langue a aussi un peu évolué.
Si vous êtes intéressé par Marce Jousse, je recommande encore une fois (je fais de la vente forcée !!!) les travaux de Pierre Perrier qui en est le digne disciple et prolongateur. Il a joint à la maitrise de l'oralité un travail d'une minutie extraordinaire, digne d'un grand scientifique, sur l'étude des Ecritures pour justement reconstituer ces enseignements dans leur forme primitive. Et il s'est associé pour cela de très grands spécialistes des traditions judaïques primitives et des langues bibliques.