L'écriture des Évangiles

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Epsilon
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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » jeu. 13 oct. 2011, 21:12

Cher Libremax

J’ai fait un topo sur Edesse en général et le Syriaque en particulier … je vous le livre tel quel sur un fil séparé.

On pourrait aussi (si cela vous intéresse) se pencher sur l’émergence du christianisme à Edesse … car encore une fois il n'y a écrit/copie que s'il y a usage … car dans l’antiquité ce n’était pas aussi facile que de nos jours.

Ceci dit je vous rejoint sur l’étude des langues … un mot en Syriaque (qui n’est qu’une forme d’araméen) a un « rendu » plus vrai (dans certains cas) que le grec … mais il n’empêche, sauf preuve du contraire, que les premières versions du NT sont en grec.


Cordialement, Epsilon

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » ven. 14 oct. 2011, 7:26

Cher Pneumatis

Je ne peux que souscrire globalement à ce que vous écrivez … mais pouvez-vous être plus « concret » sans, vous aussi, adopter la « prudence » proverbiale de notre ami Raistin.

J’ai ouïe dire que vous connaissez/appréciez bien P. Perrier … aussi pouvez-vous nous dire comment il est convaincu de l’existence d’un Mt Araméen … en admettant bien sûr que cette « conviction » de Perrier ait entraîné la votre.

nb: Quand je dis un "Mt Araméen" cela signifie qu'il soit bien sûr en langue araméenne ... mais SURTOUT que la version grecque que nous avons en soit l'exacte copie/traduction.



Au plaisir, Epsilon

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Fée Violine » ven. 14 oct. 2011, 12:14

Epsilon a écrit :
Fée Violine a écrit :La vérité historique est à connaître en elle-même, pas forcément dans un but polémique ou autre.
Donc ... c'est quoi pour vous cette "vérité historique" concernant un Mt araméen ???
Mais je n'en sais rien, je ne suis pas historienne. Et d'ailleurs, même les historiens n'en savent rien.
La seule info que nous ayons sur ce sujet, c'est la phrase de st Irénée, et je ne vois pas pourquoi il aurait raconté des salades.
Mais je voulais dire que d'une manière générale, la recherche de la vérité n'a pas à être mélangée d'idéologie ou d'arrière-pensées quelconques.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par yehoshua716 » ven. 14 oct. 2011, 12:54

Merci pour toute vos réponses!

Par hasard le 5 octobre, l'émission "À quoi sa sert l'Église" diffusé sur Radio Notre-Dame (que j'écoute via podcast Itunes) parlait justement de "Quels crédits accorder aux écrits Bibliques" qui parle de l'écriture des évangiles et la tradition oral dans le passé.

Disponible sur le podcast Itunes:http://itunes.apple.com/ca/podcast/id29 ... 98105&l=fr
Et sur leur site: http://www.radionotredame.net/rnd_playe ... 0l'Eglise?


Bonne journée!



Yehoshua
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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Libremax » ven. 14 oct. 2011, 15:33

Bonjour Epsilon,

j'ai lu avec intérêt votre topo sur Edesse et le syriaque.
J'y réagis ici. Votre exposé indique que le grec s'est imposé à Edesse comme langue officielle de l'administration. J'aimerais faire observer que l'idée d'un évangile araméen, entre autres à Edesse, concerne un usage tout populaire, et non académique. L'évangélisation apostolique se fait dans les communautés juives de la diaspora et d'Israël, ce qui, en Asie, concerne avant tout des commerçants, des petites gens, et non une élite. Nous sommes bien donc dans le cadre linguistique de l'araméen dialectal dont vous parlez.
Par ailleurs, vous ne parlez pas de l'araméen comme langue, certes dialectale, mais néanmoins communément pratiquée depuis le bassin méditerranéen jusqu'aux abords de la Chine, et notamment en Israël. C'est la langue des juifs depuis l'Exil. C'est une donnée capitale, sans laquelle on peut difficilement rendre compte de l'essor précoce d'une prédication évangélique dans des régions aussi étrangères au Grec que l'Inde, pour ne prendre qu'un exemple.

Il s'agit bien de garder à l'esprit que la prédication dont on parle ici est "orale". Ce qui ne veut pas dire "destructurée" ni désorganisée, bien au contraire. Vous avez raison, il n'y a écrit que s'il y a usage. Encore faut-il se transposer quelque peu dans l'usage que l'on faisait de l'écrit à l'époque, et surtout dans les sociétés juives populaires. L'écrit est le fait des gens de lettres, qui ne sont pas forcément les gens de l'administration, mais des gens de religion. Je vous renvoie à ce que j'évoquais plus haut, à savoir l'utilisation des textes sacrés comme aide-mémoire plutôt que de supports de lecture. En simplifiant, il semblerait très probable que les juifs récitaient la Torah, plutôt que de la lire. Et il s'est passé la même chose pour les Evangiles dans les communautés d'origine juive.

Il n'y a pas de preuve que le Nouveau Testament ait été araméen. C'est la vérité. Mais en l'état, il n'y en a aucune qui démontre qu'il ait été rédigé en premier lieu en grec. Or, ce que j'observe, c'est que, tout comme vous dans votre message, la quasi totalité des biblistes continue à affirmer " il n’empêche que les premières versions du NT sont en grec ". La question à se poser, d'urgence ! c'est : pourquoi y tenons-nous tant que ça ?



Si je peux me permettre de devancer quelque peu la réponse de Pneumatis : Les "pionniers" de l'oralité évangélique, qui ne se limitent pas à Pierre Perrier, affirment qu'il n'y a pas eu que Matthieu qui ait été diffusé en araméen avant le grec. Pour eux en effet, Jean était avant tout araméen, même si certains éléments n'y ont été intégrés que dans sa version grecque, Marc rend compte d'une catéchèse araméenne, et Luc a connu une édition bilingue.

Les faisceaux d'indices attestant la préexistence de ces évangiles araméens viennent des textes de la Tradition, (occidentale ET orientale) qui transmettent les périodes (et les lieux) durant lesquelles les évangélistes ont mis par écrit l'enseignement oral des Apôtres.
Entre en jeu aussi l'analyse textuelle, qui démontre que la Peshitta (il faut entendre par là le texte araméen qu'utilisent les chrétiens chaldéens et maronites aujourd'hui encore) est une version originale par rapport à nos manuscrits grecs, autant de par sa linguistique que par sa structure rythmique, qui dévoilent une organisation thématique qu'on désigne aujourd'hui par le terme de "colliers".

Nos manuscrits grecs seraient donc une traduction aussi fidèle que possible à l'araméen. Ils diffèrent dans leur rythmique, mais transposent encore dans de nombreux passages une formulation mot à mot (je sais par ailleurs que ces formulations hébraïsantes ne sont pas considérées par les exégètes comme signe probant de l'araméen des Evangiles), ils rajoutent des gloses explicatives, circonscrivent le sens des mots dans un langage plus précis mais plus réducteur que l'araméen, mais suivent très fidèlement l'ordonnancement des prédications orales d'origine.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Cinci » ven. 14 oct. 2011, 15:38

Pneumatis écrit :
J'avais pour ma part l'impression que la réponse était assez évidente : inculturation (comme l'a indiqué, je crois, Raistlin). les judéo-chrétiens étaient baignés dans une culture orale, mais ce n'était pas le cas des grecs et des romains.
Une petite observation d'un homme de Cro-Magon ci-présent sur l'inculturation tout de même : les juifs du Ier siècle participent pourtant de la même culture que les gréco-romains, leurs contemporains. Les juifs ne sont pas des Dogons isolés d'Afrique. Ils connaissent parfaitement l'écriture et autant que les autres. Inversement, l'oralité est archi-importante pour la majorité de tous les citoyens de l'empire romain et qui est certainement illetrée à cette époque. Je veux dire : il n'y a pas de différence notable sur le plan civilisationnel entre le romain ou le juif d'époque.

La théorie des colliers est sans doute intéressante. Oui. Mais on peut se demander pourquoi il aurait fallu que seuls des juifs du temps d'Auguste utilisent cette technique. En d'autres termes : pourquoi aurait-il fallu que ce mode d'apprentissage oral si efficace s'en soit évanoui dans la nature aussi rapidement ? ou pourquoi ce mode de transmission oral aurait dû récolter la défaveur dans les milieux chrétiens hors de Judée ?

Le chrétien de l'an 250 vit exactement dans la même culture que le chrétien de l'an 50. Qui plus est : il se trouve toujours des juifs ou des judéo-chrétiens dans les siècles ultérieurs à l'an 250. C'est surprenant que la méthode soit demeurée aussi discrète à la fin ou aurait été comme délaissée aussi rapidement, disons à une époque charnière qui ne correspond à rien en terme de différentiel de culture, avec le passage du 1er siècle. Rappel : les juifs christianisés de l'an 40 ou 95 ne sont pas des nomades qui vivent isolés dans la brousse avec trois chèvres, mais bien des citadins qui logent en ville, et soit exactement comme les juifs et les romains de la ville de Rome. Le christianisme est beaucoup un phénomène urbain dès le départ.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Libremax » ven. 14 oct. 2011, 17:01

Cinci a écrit :Inversement, l'oralité est archi-importante pour la majorité de tous les citoyens de l'empire romain et qui est certainement illetrée à cette époque. Je veux dire : il n'y a pas de différence notable sur le plan civilisationnel entre le romain ou le juif d'époque.
Bonjour cinci,
L'oralité dont il est question ici n'est pas liée à l'illétrisme. La société juive du temps de Jésus connaît l'écrit tout comme les romains, c'est un fait. La spécificité juive est d'avoir traversé une épreuve qui, pour des raisons qui restent à éclaircir, les a poussés à développer de manière très originale la pratique de l'oralité dans le partage et la transmission de sa culture religieuse, notamment dans son enseignement et sa méditation : cette épreuve, c'est l'Exil.

Les règles à laquelle répond cette oralité, d'un point de vue anthropologique, sont communes avec celle qui est pratiquée en Afrique et dans toutes les civilisations orales. D'un point de vue ethnologique, toutefois, l'essor et la complexité de la pratique est sans commune mesure.
Paradoxalement, c'est grâce à l'écrit qu'on peut saisir l'ampleur de l'usage de l'oralité hébraïque : L'ancien Testament révèle lui aussi ses propres "colliers". Il se trouve que les juifs ont, à un moment donné, décidé de conserver par écrit leurs enseignements oraux, et c'est une décision qui s'est reporté, de la même manière plus tardivement, avec la Mishna et le Talmud. A contrario, une civilisation orale comme celle des celtes décidera de ne jamais rien transcrire...

Les romains et les grecs n'ont pas le même rapport à l'oralité. La communication écrite est plus systématique, et à cette époque, le témoignage oral n'a ni la même valeur, ni la même pratique.
La théorie des colliers est sans doute intéressante. Oui. Mais on peut se demander pourquoi il aurait fallu que seuls des juifs du temps d'Auguste utilisent cette technique. En d'autres termes : pourquoi aurait-il fallu que ce mode d'apprentissage oral si efficace s'en soit évanoui dans la nature aussi rapidement ? ou pourquoi ce mode de transmission oral aurait dû récolter la défaveur dans les milieux chrétiens hors de Judée ?
Ce mode de transmission oral qui , répétons le, n'est pas le seul fait des juifs du temps d'Auguste, mais aussi bien avant et bien après, ne s'est pas éteint tout de suite hors de Judée. Il a longtemps perduré en Orient. Cette pratique s'est éteinte parce qu'elle était propre aux judéo-chrétiens, et nul n'ignore le clivage culturel qui a vite séparé les chrétiens issus de la gentilité des judéo-chrétiens, clivage qui n'a cessé de se creuser (voir comment Ignace d'Antioche fustigeait déjà les "judaïsants").
C'est surprenant que la méthode soit demeurée aussi discrète à la fin ou aurait été comme délaissée aussi rapidement, disons à une époque charnière qui ne correspond à rien en terme de différentiel de culture, avec le passage du 1er siècle.
C'est inexact : Peu après le début de notre ère, la souveraineté de la nation juive a implosé, les persécutions se sont amplifiées, tant chez les juifs que chez les judéo-chrétiens. En Palestine, les églises sont peu à peu dirrigées par des prélats de culture grecque. L'église judéo-chrétienne se fera progressivement de plus en plus sous-terraine et va disparaître. Les seuls témoins pendant longtemps de sa pratique orale et traditionnelle seront les chrétiens d'Orient, qui ne pourront hélas plus communiquer avec leurs frères d'occident parce que les conflits entre empire byzantin et empire perse vont s'intensifier.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » ven. 14 oct. 2011, 21:55

Cher Libremax

Vous dites :
« J'aimerais faire observer que l'idée d'un évangile araméen, entre autres à Edesse, concerne un usage tout populaire, et non académique ».

Tout à fait d’accord … il n’empêche qu’à Edesse cet « évangile » n’a été mis en forme qu’à partir du IV/V siècle … excepté une version Syriaque du Diatessaron de Tatien vers 280.

Il est a noté que le plus ancien manuscrit de la Bible (toutes langues confondues) est un manuscrit de la Peshitta qui contient le Pentateuque (sauf Lévitique) … et qui est daté de 464 … cette version syriaque est traduite de l’hébreu sauf les deutérocanoniques qui proviennent de la LXX.

Tout à fait d’accord avec le fait que concernant l’araméen : « C'est la langue des juifs depuis l'Exil » … mon topo ne concernait qu’Edesse … et ceci a double titre d’une part « l’hébreu carré » dérive de l’araméen et d’autre part par l’usage même de l’araméen déjà dans la Bible au niveau de Daniel et d’Esdras mais aussi dans les divers Talmuds/Targums.

On trouve d’ailleurs dans les synagogues un mode de lecture en deux temps … lecture à voix basse du texte en hébreu et le traducteur (metourgman) proclame à voix haute la traduction araméenne.

Vous dites à propos de ma phrase : il n'y a écrit que s'il y a usage :
« Encore faut-il se transposer quelque peu dans l'usage que l'on faisait de l'écrit à l'époque, et surtout dans les sociétés juives populaires ».

Je complète mon Topo sur Edesse … pour voir cet « usage » au niveau de l’émergence du Christianisme dans cette région (nb : il restera plus qu’un chapitre sur l’histoire d’Edesse que je complèterais demain).

Vous dites :
« Il n'y a pas de preuve que le Nouveau Testament ait été araméen. C'est la vérité. Mais en l'état, il n'y en a aucune qui démontre qu'il ait été rédigé en premier lieu en grec ».

J’aurais dit « presque » la même chose à savoir : Il n'y a pas de preuve que le Nouveau Testament ait été araméen. C'est la vérité. Et en l'état, il n'y en a aucune qui démontre qu'il n’ait pas été rédigé en premier lieu en grec.

Vous dites :
« affirmer " il n’empêche que les premières versions du NT sont en grec ". La question à se poser, d'urgence ! c'est : pourquoi y tenons-nous tant que ça ? ».

La question pourrait être la même au sujet de la recherche éperdue d’une première version en araméen dont le grec ne serait une traduction ???

Vous dites :
« Les faisceaux d'indices attestant la préexistence de ces évangiles araméens viennent des textes de la Tradition, (occidentale ET orientale) qui transmettent les périodes (et les lieux) durant lesquelles les évangélistes ont mis par écrit l'enseignement oral des Apôtres. »

Pouvez-vous détailler … limitons-nous dans un premier temps au seul Matthieu ???

Vous dites :
« Nos manuscrits grecs seraient donc une traduction aussi fidèle que possible à l'araméen. »

Votre phrase m’a l’air mal formulée … au lieu de « à » faut’il lire « de » ???

Ce n’est pas parce que nous trouvons des « hébraïsants » et encore plus de nombreux « aramaïsmes » … qu’il faut franchir allègrement le pas de l’existence d’un évangile araméen dont le grec serait une traduction !!!


Cordialement, Epsilon

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » sam. 15 oct. 2011, 9:26

Bonjour à tous

Pouvons nous nous entendre sur cette formulation (sauf preuve du contraire) :

Avant les Epitres de Paul (donc avant 50) la Tradition orale devait avoir un « fond documentaires » véhiculant principalement les « dires » de Jésus … cette « version » (en araméen bien sûr) était-elle orale ou écrite nous n’en savons rien … mais en aucun cas ce « fond » peut-être qualifié « d’évangile » et encore moins d’un « Mt Araméen » dont la version grecque que nous avons en serait la traduction ???


Cordialement, Epsilon

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Libremax » dim. 16 oct. 2011, 0:09

Bonjour Epsilon!

C'est très précisément le postulat selon lequel l'Evangile araméen d'Edesse n'aurait connu sa mise en forme qu'au IVe-Ve siècle qui est remis en cause par les découvertes sur l'oralité évangélique. Le diatessaron peut ainsi être lui-même envisagé comme une synopse traditionnelle, composée à partir des textes définitifs des évangiles en araméen, dont Tatien a la connaissance et l'usage puisqu'il est oriental. La question est sujette à vive polémique et il ne faut pas s'en cacher.
Vous dites :
« Il n'y a pas de preuve que le Nouveau Testament ait été araméen. C'est la vérité. Mais en l'état, il n'y en a aucune qui démontre qu'il ait été rédigé en premier lieu en grec ».
J’aurais dit « presque » la même chose à savoir : Il n'y a pas de preuve que le Nouveau Testament ait été araméen. C'est la vérité. Et en l'état, il n'y en a aucune qui démontre qu'il n’ait pas été rédigé en premier lieu en grec.
Vous dites :
« affirmer " il n’empêche que les premières versions du NT sont en grec ". La question à se poser, d'urgence ! c'est : pourquoi y tenons-nous tant que ça ? ».
La question pourrait être la même au sujet de la recherche éperdue d’une première version en araméen dont le grec ne serait une traduction ???
Vous jouez un peu à "c'est celui qui dit qu'y est". Bon ; ça ne me laisse pas grand chose à rajouter ici! ...Je me refuse de parler de "preuve", mais la question de la rythmique du texte araméen est cependant très, très convaincante. Les textes de la Peshitta sont composés en versets qui se répondent les uns à la suite des autres à la syllabe près, comme dans un poème, sans jamais tomber dans l'esthétisme. C'est à partir de cette rythmique araméenne qu'on s'aperçoit que les versions grecques sont des traductions-décalques qui traduisent en premier lieu le mot à mot, en tentant de ne pas trop s'éloigner de la rythmique de base, ce qui n'est jamais tout à fait possible. Comme lorsqu'on traduit un chant anglais en français : si on veut privilégier le sens exact, on est obligé de casser le rythme du texte original. Il existe un texte araméen qui, non seulement est très improbablement une traduction, mais ne laisse aucunement deviner quelle version serait celle qu'il traduit.

Il ne s'agit pas d'une recherche éperdue. C'est un domaine largement inexploré par les exégètes. L'écriture des évangiles définitifs en grec pose des questions problématiques (Ce sont les questions que je posais dans l'un de mes premiers posts sur ce fil.) auxquelles l'exégèse ne veut pas répondre -et c'est normal : ce n'est pas son travail. Elle en est venue aujourd'hui à ne fixer ses pré-supposés que sur les manuscrits grecs en éludant totalement la question d'une culture judéo-chrétienne préexistante, quitte à s'appuyer sur des théories totalement fictives comme celle de la source Q, et à ignorer toute information éventuelle provenant de la tradition.
Nous assistons donc à un refus d'accepter que les Evangiles soient issus de la culture du Christ. Ce refus est argumenté, mais il laisse des zones d'ombres qu'il est bon d'éclairer.

Vous dites :
« Les faisceaux d'indices attestant la préexistence de ces évangiles araméens viennent des textes de la Tradition, (occidentale ET orientale) qui transmettent les périodes (et les lieux) durant lesquelles les évangélistes ont mis par écrit l'enseignement oral des Apôtres. »

Pouvez-vous détailler … limitons-nous dans un premier temps au seul Matthieu ???
Non, je ne peux pas détailler. C'est une démonstration longue et rigoureuse, qui nécessite de mettre en lumière des malentendus, des mauvaises traductions, des incompréhensions dûes aux incompatibilités culturelles entre pères orientaux et occidentaux (par exemple, quand Eusèbe cite Hégésippe...), des relectures des épisodes semi-légendaires comme les actes de tel ou tel apôtre ou de la légende d'Abgar à la lumière de la sociologie religieuse juive, ainsi que le déploiement de plusieurs dizaines d'extraits de textes de traditions indépendantes qui attestent, de part et d'autre des deux empires, les mêmes informations sur les dates de composition des évangiles.
Je vous renvoie aux ouvrages de Pierre Perrier, "Karozoutha" et "Les colliers évangéliques" tome 2.
Ce n’est pas parce que nous trouvons des « hébraïsants » et encore plus de nombreux « aramaïsmes » … qu’il faut franchir allègrement le pas de l’existence d’un évangile araméen dont le grec serait une traduction !!!
Tout à fait. J'ai tenté de faire comprendre qu'il ne s'agissait pas uniquement de cela dans toute cette affaire, mais d'une structure de texte qui révèle une organisation répondant à des observations anthropologiques bien établies dans le domaine de l'oralité, et décrivant une pédagogie propre à la culture traditionnelle juive. Ces structures sont émoussées dans les versions grecques.

Pouvons nous nous entendre sur cette formulation (sauf preuve du contraire) :

Avant les Epitres de Paul (donc avant 50) la Tradition orale devait avoir un « fond documentaires » véhiculant principalement les « dires » de Jésus … cette « version » (en araméen bien sûr) était-elle orale ou écrite nous n’en savons rien … mais en aucun cas ce « fond » peut-être qualifié « d’évangile » et encore moins d’un « Mt Araméen » dont la version grecque que nous avons en serait la traduction ???
Votre question pose le débat avec clarté et simplicité.
Cette formulation, en effet, n'est plus envisageable si l'on tient compte de l'oralité évangélique. La Tradition orale, au contraire, y est entendue comme un Evangile structuré, fidèle à un enseignement définitivement fixé par les premiers témoins du Christ sur les dires et les faits de ce dernier. Cet "Evangile" est sujet à des variations midrashiques, c'est à dire alternant des témoignages complémentaires ou parallèles, mais respectant toujours la même trame, qu'on ressent aisément à travers les synoptiques et, quoique plus obscurément, l'évangile de Jean.
L'idée de fond "documentaire" est très étrangère à la culture de l'époque, mais reflète bien la nôtre. Pour ne donner qu'une illustration du problème, il faut se rappeler de la nature de tout témoignage en milieu juif (d'où vient Paul) : il est à donner à deux, au moins. Il se doit d'être donné avec clarté et force références allusives et structurelles à la Torah et aux Prophètes. Un témoignage missionnaire comme celui de Paul (comme de tout autre apôtre ou évangélisateur) ne pouvait pas être laissé à l'improvisation, ni à la personnalisation. Toute les lettres de Paul crient cette réalité, mais nous passons à côté.
Imaginer Paul prêchant en s'aidant de connaissances délivrées au gré du public, de la sensibilité de celui-ci ou de ses propres dispositions , n'est pas imaginable dans un contexte de prédication et d'enseignement JUIFS.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » dim. 16 oct. 2011, 12:05

Cher Libremax

Il me semble pour le moins « hasardeux » d’extrapoler le fait que Tatien soit d’origine Syrienne … et retournera d’ailleurs en Syrie pour « fonder » (ce qui n’est pas certain) la secte des Encratites … pour laisser entendre que son Diatessaronun à partir de quatre ») écrit en grec vers 177 serait « composé à partir des textes définitifs des évangiles en araméen » … et pour ensuite franchir le pas en disant : « C'est très précisément le postulat selon lequel l'Evangile araméen d'Edesse n'aurait connu sa mise en forme qu'au IVe-Ve siècle qui est remis en cause par les découvertes sur l'oralité évangélique ».

Donc pour arriver à votre « preuve » de l’existence préalable des quatre évangiles dans une version araméenne (dont le grec serait une traduction) vous franchissez allègrement les barrières suivantes :

a) que Tatien connaissait l’araméen à la rigueur pourquoi pas … mais pourquoi ne pas aller jusqu’au fait qu’il connaissait aussi le syriaque ???

nb : nous ne pouvons pas parler de « l'Evangile araméen d'Edesse » … mais de « l'Evangile syriaque d'Edesse » … ce n’est pas la même chose même si le syriaque est un dialecte araméen … je vous ferais remarquer qu’en Syrie/Palestine des dialectes araméens il y en avait en pagaille notamment le Palmyrénien et l’Araméen Palestinien et/ou l’Araméen Christo-Palestinien (qui lui-même se divise en plusieurs sous-dialectes).

b) à partir de l’acceptation du §a on pourrait se demander pourquoi Tatien n’a pas écrit d’emblée son Diatessaron en syriaque … ou à la rigueur pourquoi ne l’avoir pas traduit dans la foulée … or la version syriaque n’apparaît dans l’histoire qu’en 280 soit quasiment 100 ans après la version grecque.

c) de plus vous faites « indirectement » un rapprochement entre Tatien et Edesse … or si la secte des Encratites est bien localisée en Syrie … nous ne savons absolument pas si c’était à Edesse voire même dans la région d’Edesse.

d) le nombre « quatre » des Evangiles canoniques est reconnues dans leurs versions Grecque (voire latine) et non Araméenne pratiquement au moment ou Tatien écrit son « harmonisation » … bon qu’à la rigueur un « Mt araméen » ait disparu pourquoi pas mais les « quatre » !!!

Moralité : J’en reste que la version syriaque du NT est une traduction issue des versions grecques … tout en acceptant un « corpus » araméens de faits/dires de Jésus antérieur aux Evangiles … sans pour autant être certain que ce « corpus » soit véhiculé sous une forme écrite et non orale.

Et si nous prenons saint Procope (vers 300) qui était lecteur à Bethlan (Scythopolis) … il lisait bien l’Evangile en grec pour faire une traduction/interprétation en araméen.

Vous dites :
« La Tradition orale, au contraire, y est entendue comme un Evangile structuré, fidèle à un enseignement définitivement fixé par les premiers témoins du Christ sur les dires et les faits de ce dernier. Cet "Evangile" est sujet à des variations midrashiques, c'est à dire alternant des témoignages complémentaires ou parallèles, mais respectant toujours la même trame, qu'on ressent aisément à travers les synoptiques et, quoique plus obscurément, l'évangile de Jean ».

Bon là … soit on parle, à mon avis, de « tradition orale » donc de transmission d’un « savoir » oralement de générations en générations … soit on parle « d’un Evangile structuré » au sens de la transmission de ce même « savoir » sous une forme écrite … il me semble là qu’il y a abus de langage … nous ne pouvons invoquer la « tradition orale » pour justifié l’existence d’un « écrit » … puisque le but de cet « écrit » est justement de figer une fois pour toutes les spéculations de « l’oral » !!!

Pour le reste on « tourne en rond » … effectivement les Synoptiques trouve une « explication » à partir d’un « fond/corpus » commun … mais qualifier cela en tant qu’Evangile abouti dont la version grecque en serait une traduction … c’est justement ce pas là que je ne franchis pas … contrairement à vous.

Vous dites :
« Je vous renvoie aux ouvrages de Pierre Perrier, "Karozoutha" et "Les colliers évangéliques" tome 2. ».

J’ai ces deux ouvrages depuis qcq années … mais ils sont absolument INDIGESTES je n’arrive ABSOLUMENT pas à les lire malgré plusieurs tentatives … bon je ne désespère pas mais, à mon avis, si Perrier avait voulu noyer son poisson il n’aurait pas fait autrement !!!


Cordialement, Epsilon

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Libremax
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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Libremax » dim. 16 oct. 2011, 23:08

Bonjour epsilon,

Certainement, des ouvrages comme ceux de Pierre Perrier n'ont rien de petits romans, et ce pan de la recherche manque sans doute de vulgarisateurs. Néanmoins je les ai lus, et ne pensez pas que je vous livre des conclusions toutes personnelles ou basées sur de simples impressions : Quand j'évoque l'oralité évangélique dans cette discussion, je ne fais que relayer les conclusions de ces chercheurs dont Perrier fait partie.

Ainsi, je ne me permettrais certainement pas de vouloir vous prouver la préexistence araméenne des Evangiles uniquement par l'origine syrienne de Tatien. Dans mon précédent post, je me contentais uniquement de vous livrer l'interprétation des données selon l'analyse orale des Evangiles et de ses implications.

Par ailleurs, ce n'est pas parce que Tatien, qui est allé étudier chez les grecs, a écrit un diatessaron en grec, qu'il ne l'a pas pensé, voire composé à l'origine en araméen (une citation d'Epiphane permet de le penser). Toujours est-il qu'on connaît le succès durable de son travail, et pas seulement à Edesse mais plus généralement dans les églises d'Orient, le commentaire qu'en fait Ephrem, et sa version en arabe : ces éléments se rapprochent de très près de la version Peshitta. Tout cela ne constitue pas des preuves, mais atteste de la cohérence de la thèse d'une préexistence d'évangiles en araméen.
Et, encore une fois, il ne faut pas tomber dans le piège de vouloir dater un texte par rapport à la seule datation de leurs plus anciens manuscrits.


Pour ce qui est de la reconnaissance officielle de textes grecs, il ne faut pas oublier non plus que de telles déclarations nous sont données par des Pères grecs, qui se sont déjà coupés de la culture chrétienne orientale. Les textes de références du clergé grec n'étant évidemment pas araméens, rien ne se dit chez eux de la canonicité de ceux-ci. Les premiers conciles étant à l'initiative de la chrétienté byzantine, l'araméen ne s'y imposait pas.
Votre exemple à propos de Procope est typique de l'écrasement de la culture judéo-chrétienne par la hiérarchie d'origine grecque. Natif de Palestine, il traduit en araméen le texte grec qui a pris droit de cité dans les célébrations après les persécutions et la progressive relève helléniste dans l'Eglise locale privée de son élite. Cela ne prouve pas l'antériorité du texte grec en Palestine. Cela prouve qu'encore au IVe siècle, les couches populaires chrétiennes de Palestine ne comprennent pas le grec et qu'on se refuse à utiliser un texte liturgique de langue locale, qui existe pourtant par ailleurs.
Vous dites :
« La Tradition orale, au contraire, y est entendue comme un Evangile structuré, fidèle à un enseignement définitivement fixé par les premiers témoins du Christ sur les dires et les faits de ce dernier. Cet "Evangile" est sujet à des variations midrashiques, c'est à dire alternant des témoignages complémentaires ou parallèles, mais respectant toujours la même trame, qu'on ressent aisément à travers les synoptiques et, quoique plus obscurément, l'évangile de Jean ».

Bon là … soit on parle, à mon avis, de « tradition orale » donc de transmission d’un « savoir » oralement de générations en générations … soit on parle « d’un Evangile structuré » au sens de la transmission de ce même « savoir » sous une forme écrite … il me semble là qu’il y a abus de langage … nous ne pouvons invoquer la « tradition orale » pour justifié l’existence d’un « écrit » … puisque le but de cet « écrit » est justement de figer une fois pour toutes les spéculations de « l’oral » !!!
Le problème ici clairement visible, c'est que nous refusons (un blocage de plus) qu'une tradition orale puisse être structurée, précise, fiable et stable. De nombreux peuples ont longtemps été capables de transmettre des savoir-faire techniques, des traditions immuables, sans avoir besoin de l'écrit. Les juifs connaissaient leur Torah par coeur, et le texte (araméen, donc,) de l'Evangile dévoile les structures traditionnelles propres à la mémorisation comme elle était pratiquée chez les juifs.
Aussi, il ne s'agit pas d'un abus de langage lorsqu'on parle d'Evangile oral structuré et organisé. Il s'agit au contraire de mots choisis en connaissance de cause, qui ne se permettent aucune fantaisie, mais impliquent un regard quelque peu nouveau sur l'Eglise primitive. La mémorisation des traditions évangéliques nécessitaient en effet un contrôle rigoureux, et donc une organisation stricte, qui reprend exactement celle des communautés hébraïques.

Le but de l'écrit, à cette époque, n'est pas de figer une fois pour toutes les spéculations de l'oral, puisque l'oral est tout, sauf spéculatif! La fixation des traditions se fait bien avant l'écrit : elle est avant tout communautaire, elle est le fait de la famille, ou du clan, ou bien du rabbi. L'écrit se fait bien plus tard, soit comme outil de sécurité, soit comme "testament" laissé par le maître à ses disciples lorsqu'il doit les quitter.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Epsilon » lun. 17 oct. 2011, 9:12

Cher Libremax

Je pense que nous avons fait le tour du sujet.


Au plaisir, Epsilon

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Libremax » lun. 17 oct. 2011, 9:20

Cher Epsilon,

A votre service, et merci pour cet échange.

Votre serviteur,
Libremax.

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Re: L'écriture des Évangiles

Message non lu par Pneumatis » lun. 17 oct. 2011, 12:10

Bonjour,

Désolé, je reviens un peu après la bataille...

Deux choses dont il a été peu question, je crois, dans la discussion, c'est la catéchèse et la liturgie. Pas tant pour un historien que pour un chrétien, il paraît assez évident que les premiers chrétiens n'ont pas attendu 50 ans pour avoir leurs premières célébrations liturgiques. Et donc pour se remémorer les paroles ou les actes du Seigneur. En particulier sa passion, bien évidemment. Concevoir et réfléchir à la mise en place de la catéchèse, pour les futurs et nouveaux baptisés, et de la liturgie pour les célébrations, permet de remettre largement en question le préjugé selon lequel il n'y aurait pas eu de structure ou d'élément fixés, dans les tous premiers mois qui ont suivi la pentecôte.

Après, tout cela est évidemment relatif, car on peut parler d'une catéchèse et d'une liturgie fixée très tôt, en admettant pourtant qu'elle va continuer d'évoluer. Ce sera d'ailleurs le cas pendant les 20 siècles (et qu'on cesse de parler de "la messe de toujours").

L'Eglise naissante, on peut s'en douter, a très vite mesuré l'étendue de sa mission, pour ce qu'il s'agissait de baptiser et de faire de toutes les nations des disciples, ou encore de répondre au "faites ceci en mémoire de moi" institué par le Seigneur au moment de sa passion. Il fallait enseigner, et il fallait célébrer. Pour l'enseignement, la base des apôtres est à regarder tout à la fois dans la tradition juive de leur temps, et dans l'exemple donné par Jésus. Il en ressort que les apôtres ont nécessairement mis rapidement en place des cycles de catéchèse triennale : c'était ainsi qu'étaient structurées les formations halakhiques, par exemple. Jésus a lui-même enseigné pendant 3 ans. Et Saint Paul, après sa conversion, ira lui-même passer 3 ans dans le désert arabe, très probablement pour y recevoir cet enseignement. Nous avons conservé cette structure triennale encore aujourd'hui dans le cycle des lectures de la liturgie.

Autre chose : il faut bien voir que le Seigneur a distingué des "fonctions" parmi ses disciples. Des 500 environ qui le suivaient pendant son enseignement, il a choisi 12 apôtres. Et parmi eux, les 3 colonnes ont eu encore une fonction bien particulière. Cette hiérarchisation des disciples concerne précisément l'enseignement de Jésus et sa pédagogie. Pour reprendre quelque chose que j'ai déjà dit souvent ici, une chose est d'apprendre les mathématiques, autre chose est d'apprendre à les enseigner ou encore plus loin, de faire de la recherche fondamentale. Conscient de cette hiérarchie, mais aussi après la pentecôte, du fait que l'évangile était destiné à toutes les nations, dans toutes les langues, on conçoit que n'importe qui ne pouvait pas s'exercer de son propre chef à la traduction des enseignements de Jésus. Il fallait bien un charisme particulier, le secours de l'Esprit Saint, pour conserver l'authenticité des enseignements à travers les diverses langues. Là encore, mémoire+intelligence+charisme pour passer d'un enseignement natif très probablement en judéo-araméen, vers un enseignement en grec ou encore en latin. Et non seulement on ne traduit pas à la légère, mais on ne traduit pas non plus des rumeurs ou de vagues souvenirs. On traduit un enseignement (toujours oral) structuré.

Enfin, si Perrier a beaucoup insisté sur le rôle des femmes dans la mémorisation fidèle des enseignements, et leur rôle dans la validation de cette fidélité à la source (comme il était de tradition là encore dans la qoubala juive), je voudrais citer un exemple qui me semble relever du bon sens : celui du Magnificat.

Le bon sens nous dit, si du moins on croit dans l'authenticité des évangiles, que l'auteur du Magnificat n'est autre que la Sainte Vierge, Marie. Saint Luc aurait donc, dans son "enquête minutieuse" bien pris soin de recueillir le témoignage de Marie (en même temps, ça parait assez évident). Ce cantique s'inscrit dans une tradition de la culture de Judée à l'époque, là encore, qui consistait pour les grands événements d'une famille, à composer un cantique en prenant des éléments des Saintes Ecritures, comme aujourd'hui on fait un album photos ou un petit film pour la naissance d'un enfant. C'est véritablement un "souvenir" que l'on créé à cette occasion. En cela, le Magnificat n'a rien de culturellement original. Mais il est à noter que ce Magnificat de Marie est extrêmement riche des références aux Saintes Ecritures (une cinquantaine) et extrêmement bien structuré. Or ce chant, dont on ne peut saisir toute l'esthétique, il me semble, qu'en araméen, date nécessairement d'un peu avant la naissance de Jésus. Il est pourtant à l'honneur dans un évangile dont on tient à dater la composition dans la deuxième moitié du premier siècle.

Je sais bien, le Magnificat ne fait pas à lui tout seul un évangile. Mais puisqu'il est du domaine du bon sens de considérer que les rédacteurs des évangiles n'ont pas "inventé" ce qu'ils ont mis dedans, et qu'ils ont reçu leurs enseignements en araméen, pourquoi considérer qu'ils auraient attendu de passer au grec pour "fixer" et "structurer" ces enseignements. Ca n'a tout bonnement pas de sens. A la limite, qu'on croit que Jésus ait enseigné en grec, et que tout ce petit monde communiquait habituellement en grec, je pourrais comprendre dans ce cas qu'on considère l'évangile grec comme première source fixe. Mais manifestement ce n'est pas le cas, historiquement pas cohérent. Alors il faut aller au bout du raisonnement : les apôtres ne se sont pas baladés pendant un demi-siècle avec des bribes anarchiques d'enseignements à transmettre, qu'ils auraient passé plus de temps à traduire qu'à fixer.

Pour aller dans le sens de Libremax, c'est vrai que rien de tout ça ne constitue des preuves, mais l'ensemble est parfaitement cohérent (et extrêmement signifiant par bien des aspects - notamment pour ce qui est des témoignages à deux voies, ou pour les structures en colliers), et il n'y a de toute façon aucune preuve du contraire.
Site : http://www.pneumatis.net/
Auteur : Notre Père, cet inconnu, éd. Grégoriennes, 2013

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