Il faut souligner un point, et s'y tenir: nous ne savons pas comment ont été écrits les Évangiles.
Ils sont attestés comme reçus par l'Église au IIe siècle, et le texte grec que nous avons aujourd'hui n'a apparemment pas varié depuis (Cette certitude est déjà exceptionnelle pour des textes antiques. La plupart des textes païens ne nous sont connus que par des manuscrits médiévaux)
La première description que nous en ayons est, dans la deuxième moitié du IIe siècle, de saint Irénée, Contre les hérésies, III
après que notre Seigneur fut ressuscité d'entre les morts et que les apôtres eurent été, par la venue de l'Esprit Saint, revêtus de la force d'en haut, ils furent remplis de certitude au sujet de tout et ils possédèrent la connaissance parfaite ; et c'est alors qu'ils s'en allèrent jusqu'aux extrémités de la terre, proclamant la bonne nouvelle des biens qui nous viennent de Dieu et annonçant aux hommes la paix céleste : ils avaient, tous ensemble et chacun pour son compte, l'« Évangile de Dieu».
Ainsi Matthieu publia-t-il chez les Hébreux, dans leur propre langue, une forme écrite d'Évangile, à l'époque où Pierre et Paul évangélisaient Rome et y fondaient l'Église . Après la mort de ces derniers, Marc, le disciple et l'interprète de Pierre, nous transmit lui aussi par écrit ce que prêchait Pierre. De son côté, Luc, le compagnon de Paul, consigna en un livre l'Évangile que prêchait celui-ci. Puis Jean, le disciple du Seigneur, celui-là même qui avait reposé sur sa poitrine, publia lui aussi l'Évangile, tandis qu'il séjournait à Éphèse, en Asie.
Tout ce qui est dit ou écrit d'autre à ce sujet n'est qu'hypothèses. Cela ne signifie pas que tout soit inintéressant. La recherche peut être utile et féconde… si on ne perd pas de vue qu'il ne s'agit que d'hypothèses. Le défaut majeur de beaucoup d'exégètes est de prétendre tirer des certitudes d'une accumulation d'hypothèses. Il est parfaitement vain de dire que l'évangile de Matthieu a été écrit en 45, ou en 65, ou en 75: nous n'en savons rien.
Un point est établi: il n'est pas question des évangiles dans les épîtres du Nouveau testament. Ils n'apparaissent pas non plus dans les récits des Actes (juste dans la préface). Il semble clair que, comme le dit Irénée, l'enseignement des Apôtres a d'abord été oral, puis mis par écrit. Quand ? Mystère. Y a-t-il eu des versions successives avant celles que nous connaissons ? Mystère.
Les trois évangiles dits synoptiques se présentent (hors les deux récits de l'enfance) selon le même schéma: baptême par Jean, mission en Galilée, montée à Jérusalem, mort et résurrection. Le récit de la mission comprend des miracles et des discours, qui sont à peu près les mêmes, mais dont l'ordre est totalement différent. Cela semble confirmer qu'il s'agit de recueils faits à partir de l'enseignement oral des Apôtres.
L'évangile de Jean est le seul qui se présente comme le récit d'un témoin. Il est beaucoup plus précis. Il raconte plusieurs séjours à Jérusalem, et ses allusions aux fêtes juives permettent de voir que la mission de Jésus dure trois ans (ce qui n'apparaît pas dans les synoptiques). Hors la Passion, il n'a presque rien de commun avec les synoptiques. On a généralement considéré que c'était parce qu'il les connaissait, et écrivait pour les compléter, non pour les répéter. L'exégèse moderne trouve sans doute cette explication trop simple puisqu'elle préfère, pour chaque fait mentionné par les synoptiques, se demander gravement pourquoi Jean n'en parle pas.
Quant à l'exactitude des paroles de Jésus rapportées, il semble évident, en effet, que les auteurs (ou leurs inspirateurs) ne pouvaient se souvenir des mots mêmes du Seigneur (les divergences de détail entre évangélistes le confirment). Il faut savoir que tous les historiens antiques procèdent de la même manière: ils reconstituent, à partir de ce qu'il savent, des discours directs. Sur ce point, les évangélistes sont incontestablement des historiens (mais non des historiens modernes). Il est donc vain de croire que nous avons là les paroles du Christ, et encore plus vain de prétendre sélectionner ce qui aurait été vraiment dit par le Christ (les fameuses ipsissima uerba) et éliminer le reste.
Une seule chose est sûre: l'Église, dépositaire de la Révélation, a reconnu ces quatre textes, tels qu'ils nous sont parvenus, comme le fondement principal de sa foi. La forme importe peu.
Une remarque sur la datation. Beaucoup de savants affirment péremptoirement que les évangiles ne peuvent dater que d'après 70. Il faut savoir que cette conviction repose sur un seul élément: Jésus y annonce la chute de Jérusalem. Il est évident que si on le retient, il n'y a plus de prédictions possibles. De quand faut-il alors dater le Chant du Serviteur d'Isaïe ? Ça ne vaut pas seulement pour les textes inspirés, d'ailleurs: même sans être Fils de Dieu, on peut faire, par hasard, une prédiction juste (Foch a dit en prenant connaissance du traité de Versailles, en 1919, "Je sais maintenant que nous aurons la guerre dans vingt ans". L'application de la science exégétique à cette phrase conduira à conclure qu'elle ne peut avoir été prononcée en fait avant septembre 1939, et donc que Foch n'est pas mort en 29)