Lot, un personnage méconnu ?

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Cinci
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Lot, un personnage méconnu ?

Message non lu par Cinci » lun. 30 avr. 2018, 23:16

Bonjour,

Un simple prétexte (vous vous en doutez bien) pour partager un texte que je trouve intéressant. C'est écrit par feu Jean Daniélou. En souvenir aussi de Mike.Adoo.

Ça va comme suit :


LOT

Lorsque Abraham après avoir pérégriné de Chaldée en Aram, d'Aram en Égypte vint enfin se fixer dans le pays de Canaan, il dut se séparer de son neveu Lot, "car leurs biens étaient trop considérables pour qu'ils puissent demeurer ensemble" (Gen, XIII, 6).

Abraham demeura dans les collines de Judée, Lot descendit dans la vallée du Jourdain : "C'était avant que Yahweh eût détruit Sodome et Gomorrhe, comme le paradis de Yahweh" (XIII, 10) . C'est dans cette région aujourd'hui désertique, dans les collines de Moab qui dominent à l'Orient la Mer Morte, que Lot a été chez les chrétiens l'objet d'un culte. On a retrouvé à Madaba une église qui lui est consacrée, avec des inscriptions adressées à "Saint Lot".

Ce culte est justifié par l'Écriture et la Tradition. Déjà le Livre de la Sagesse parle du "juste" Lot (X, 6). Jésus le présente comme un modèle de la foi (Luc XVII, 32-33) et la Seconde Épitre de Pierre le célèbre (II,7). Irénée va même jusqu'à voir en lui une figure du Christ. Et si Origène trouve cela excessif, il n'en rend pas moins hommage au vieux patriarche. L'Église inscrit saint Lot au martyrologue et sa fête est célébrée le 10 octobre.

Or Lot est étranger à la descendance d'Abraham. Il est l'ancêtre des Moabites. C'est bien pourquoi les Juifs l'ont rabaissé (Jubilés, XVI, 8), tandis que les chrétiens l'ont exalté. Il manifestait en effet l'universalité de l'appel à la foi. Il fait partie des précurseurs du Christ dans le monde païen. Justin le nomme à ce titre, à côté d'Adam, d'Abel, d'Hénoch, de Noé, de Melchisédech, parmi ceux "qui n'ont pas observé le sabbat et cependant ont plut à Dieu" (Dial., XIX, 4-5). Il témoigne ainsi de ce que, dans l'ordre naturel, certains hommes ont pu connaître le vrai Dieu et le servir. Il est ainsi un des saints de la religion cosmique, de la première alliance.

[...]

Lot accueille les deux anges qu'il prend pour des voyageurs. Il leur lave les pieds. Il leur offre des pains azymes. Or l'hospitalité est une des vertus fondamentales de l'ordre naturel. Elle veut dire en effet que tout homme, en tant qu'homme, doit être respecté. Elle signifie que le monde biologique des races et des nations est dépassé. Cette hospitalité Lot la pratique jusqu'à l'héroïsme. Il est persécuté à cause d'elle. Il est le saint de l'hospitalité. C'est pourquoi c'est cette vertu que les Pères ont voulu célébrer en lui.

Lot est aussi un modèle de pureté. Et ici son exemple a valeur exemplaire. Car Sodome et Gomorrhe sont devenus synonymes de la perversion sexuelle. Lot atteste que déjà, selon l'ordre nature, les réalités de l'amour sont soumises à la loi de Dieu. Saint Paul d'ailleurs a enseigné dans L'Épitre aux Romains que la perversion de l'amour était la conséquence de l'abandon de Dieu. La pureté de Lot au milieu d'un monde impur est ainsi un témoignage de sa fidélité à Dieu. Et dans un monde comme le nôtre où une sensualité insidieuse ronge une certaine intégrité spirituelle, son exemple rappelle que même avant toute loi positive, la vraie religion s'est toujours manifestée par la pureté.

Mais ce qui fait la grandeur de Lot, ce n'est pas seulement qu'il soit un juste, mais qu'il vive au milieu d'un monde pécheur. C'est là ce qu'a remarquablement souligné la Seconde Épitre de Pierre :
"Si Dieu a condamné à une totale destruction les villes de Sodome et Gomorrhe et s'il a délivré le juste Lot, affligé de la conduite de ces scélérats - car, à cause de ce qu'il voyait et de ce qu'il entendait, ce juste, continuant à habiter au milieu d'eux, avait chaque jour son âme vertueuse tourmentée de leurs oeuvres iniques, - c'est que le Seigneur sait délivrer de l'épreuve les hommes pieux et réserver pour être punis au jour du jugement ceux qui s'abandonnent aux impures convoitises et méprisent sa souveraineté" (II Petr. II, 7-8).
Ce qui apparaît ici en Lot c'est d'abord sa souffrance devant le péché. Attaché à Dieu et à sa Loi, la vue d'un péché l'afflige. Cette souffrance est la souffrance des saints. Trop souvent nous prenons notre partie du péché du monde, tout en essayant de nous en garder. Mais Lot ne s'y résigne pas.

Cette déplaisance du péché est la marque d'un coeur qui aime Dieu, car Dieu déteste le péché. Et pourtant Lot veut habiter au milieu des pécheurs. Et il atteste en ce sens de l'impuissance de la sainteté naturelle devant le péché du monde. Mais du moins il peut souffrir. Et telle sera souvent l'attitude du juste, acceptant sa solitude, dans un monde submergé par le matérialisme et l'impureté.

(à suivre)

Cinci
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Re: Lot, un personnage méconnu ?

Message non lu par Cinci » lun. 30 avr. 2018, 23:41

Mais cette fidélité de Lot n'est pas simplement fidélité à soi-même et "martyr sans la foi". Elle est au contraire affirmation que la vertu conduit seule à la vie, même contre l'opinion de tous. Il peut n'y avoir qu'un seul juste et que ce juste ait raison. Le suffrage universel n'est pas valable en ce domaine. Le monde qui l'entoure condamne Lot. Mais Lot sait que le monde se trompe. Il vit dans la lumière du jugement de Dieu, "qui sait délivrer les hommes pieux et réserver pour être punis ceux qui méprisent sa souveraineté." Il témoigne de la vérité de l'avenir contre le mensonge du présent.

Il refuse obstinément de laisser séparer la fidélité et le bonheur, la conscience et la rétribution, la justice et le salut. Et c'est précisément pour cela que sa justice est une vraie justice, s'il est vrai, comme le disait L'Épitre aux Hébreux à propos d'Hénoch, que, pour être justifié, il faut croire que Dieu est "le rémunérateur de ceux qui le cherchent" (Hébr. XI, 6).

Et ceci conduit à un dernier trait de Lot, qui est sa confiance en Dieu. Nous avons vu l'Écriture et les Pères parler de sa piété. Quand l'ange lui apparaît et l'invite à se lever et à quitter Sodome avec les siens, il obéit aussitôt, malgré l'incrédulité de ses gendres. Il se met en route sans un regard en arrière, les yeux fixés sur la volonté de Dieu. Sa femme au contraire ne peut s'arracher à sa vie ancienne. Elle se tourne en arrière. Et c'est pourquoi elle est changée en statue de sel.

Ici c'est le Christ lui-même qui donne à l'épisode toute sa signification : "Que celui qui sera sur la terrasse et dont les affaires sont dans la maison ne descende pas pour les prendre. Souvenez-vous de la femme de Lot. Celui qui cherchera à conserver sa vie la perdra et celui qui la perdra la gardera vivante" (Luc, XVII, 31-33) .

Lot est celui qui consent sur l'appel de Dieu, à quitter le domaine des choses familières pour s'avancer vers des pays inconnus. Il ne s'enferme pas dans le monde de son expérience, mais il se laisse guider vers ces terres étrangères dont nous ne pouvons rien savoir par notre expérience antérieure, car c'est seulement dans la mesure où nous nous confions à Dieu qu'il nous y conduit. Il peut sortir ainsi de la prison de lui-même, du cycle perpétuel de la vie biologique, de l'alternance des désirs et des satiétés où vivent enfermés les hommes de Sodome. Il sort de Sodome, c'est à dire de l'esclavage des sens. Il débouche sur la liberté de l'esprit.

(à suivre)

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Re: Lot, un personnage méconnu ?

Message non lu par Cinci » mar. 01 mai 2018, 23:45

(... et fin)

Seul celui qui part ainsi sans espoir de retour, sans regard en arrière, en brûlant ses vaisseaux, seul celui qui perd ainsi sa vie, a trouvé en réalité la voie de la vie, la route vivante, sur laquelle il ne cessera jamais d'avancer. Mais celui qui tourne son visage en arrière, qui n'accepte pas de se laisser déposséder, qui retient avidement ses richesses, celui-là, comme la femme de Lot, se fige dans l'immobilité de la mort spirituelle et, croyant sauver sa vie, il la perd et lui-même avec elle.

Ce qui fait le prix de la figure de Lot, c'est qu'il ne s'agit pas ici, comme pour Melchisédech ou Hénoch, de personnages éminents, prêtres ou sages des époques antiques. Lot apparaît comme un homme simple, comme un représentant de la vie commune. Il résume ainsi en lui toutes les vertus dont sont tissés les vies ordinaires, celles de ces hommes et de ces femmes innombrables qui n'ont connu que la lumière intérieure de la conscience, mais qui lui ont obéi, parce qu'il y ont reconnu une révélation de Dieu. En lui l'Écriture reconnaît l'authenticité des vertus des paîens et le salut auquel elles les introduisent.

source : Jean Daniélou, Les saints païens de l'Ancien Testament, p. 146

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