Difficulté avec Matthieu, ch. V

« Alors il leur ouvrit l'esprit à l'intelligence des Écritures. » (Lc 24.45)
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Jeremie-Daniel
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Jeremie-Daniel » sam. 11 févr. 2017, 21:44

Bonjour a Tous,

Je pense que l'on touche là un point central de l'étude de la bible : Étudier les deux testaments. Jésus est venu accomplir. Il était rappelons-le lui même juif et parfait observateur de la loi. La loi Mosaïque fût donné aux juifs non pour les rendre parfaits (car ils étaient tous incapables de l'observer) mais pour les convaincre de leur nature pécheresse et de la nécessité de se repentir.
Le seul qui observa parfaitement cette loi , comme juif fût notre seigneur. Au grand dam du clergé Juif qui se disait "juste".

Pour ce qui du texte de Mattieu sur le plus petit dans le royaume (pour lequel nous prions chaque jours "Que ton règne viennent") j'ai bien une explication a vous proposer mais elle n'est pas pour vous orthodoxe (Je ne suis pas catholique ;) )....Eh oui personne n'est parfait;

Je vous invite simplement a réfléchir aux choses suivantes:
-Que la bible nous enseigne que le premier prophète au sens de l'écriture fût Moise. (Noé , Abraham furent des patriarches)
-Que les prophètes ont été jusqu’à Jean (Le baptiste) et que ce dernier prophète sera le plus petit dans le royaume.
-Que par conséquent Jésus et les apôtres ne sont pas au sens biblique des prophètes et que la récompense offerte pour le sacrifice de ces personnages qui ont suivi Jésus et formé l'église ("Tu es Pierre et sur cette pierre....") et leur espérance est différente et supérieure a celle des prophètes allés jusqu’à Jean.
-Que l'engendrement de l'esprit saint n'est venu qu'avec "l'agneau" et que par conséquent les prophètes ne le reçurent pas.
-Que jésus est décrit comme étant plus grand que Moise

Souvenez-vous que jésus a dit "il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père". Ainsi les patriarches et les prophètes ne peuvent pas être au ciel avec Jésus et l'église céleste (les apôtres puis ceux qui leur ont succédé) car leur espérances sont différentes.

Souvenez-vous que le royaume ce n'est pas seulement au ciel mais aussi sur la terre. "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel"

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » dim. 12 févr. 2017, 17:07

Salut Mac,
En fait jésus ne remet pas en cause le divorce. Le divorce est permit en cas d'union illégitime cf évangile ou plus simplement en cas d'adultère. Ainsi saint joseph voulait répudier la sainte vierge car il pensait qu'elle avait commis l'adultère. Cela aurait été légal aux regards de Dieu et du bon sens le plus basic. Mais Dieu en songe avertit Saint joseph que Marie n'est pas dans un cas illégal.
Oui, probable que je me suis mal exprimé.

J'admet que le terme "congédier" pourrait être porteur d'une connotation de rupture trop forte. Et l'un pourrait s'imaginer que je suis en train de dire que Jésus est étranger à Moïse ou à son ancienne législation.

Il aurait mieux valu que j'évoque une réforme (métamorphose?) de la loi de Moïse, une modification ou un amendement. Jésus dépasse la loi de Moïse. Il va plus loin, tout en nous affranchissant d'anciennes règles mosaïques assez étroites.

Je voulais faire ressortir l'idée d'un changement quand même important. A cause du Christ, pour les chrétiens en tout cas : il n'y a plus personne qui est soumis aux 613 règles, qui doit se soucier de départager la sorte de viande qu'il mangerait, qui doit respecter le sabbat juif d'un côté; de l'autre, Jésus est plus sévère en matière de moralité sur certains plans.

Dans l'exemple que vous donnez avec saint Joseph, bien que ce dernier n'était pas chrétien naturellement, on voit quand même que son qualificatif de "juste" n'est pas usurpé en ce sens qu'il s'efforce de sauver la personne (Marie en l'occurence) en premier; c'est son premier réflexe et même quand il aurait pu s'imaginer que celle-ci eusse pu violer la loi. Il ne cherche pas à utiliser la loi afin de perdre la personne. Saint Joseph était déjà aiguillé dans la bonne direction.

Un changement

Mais le Christ dépasse la régie interne de l'Ancienne Alliance. Ce dépassement par Jésus est compris comme une violation de la loi sacrée en Israël au jugement des scribes, qui veulent s'en tenir à la lettre ou qui ne veulent pas s'en écarter d'un iota (ou presque). La Nouvelle Alliance est véritablement "autre" que l'Ancienne. On peut comprendre pourquoi les pharisiens ont voulu éliminer Jésus. Un conflit cornélien : depuis le berceau les hébreux apprenaient qu'il leur fallait aimer la loi, la tenir pour la perle de grand prix.

Mac
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Mac » dim. 12 févr. 2017, 20:10

Bonjour cinci, :)

Pour complèter ce que tu dis, on peut se rappeller aussi que Jésus dit que les pharisiens ont changé la loi de Dieu par leur tradition. Donc ils ne suivaient pas la loi divine en vérité mais des règles leur tradition qu'ils avaient inventés et qu'ils imposaient à tous comme émanant de Dieu. Ils chargeaient le peuple de lourds fardeaux mais eux même ne portaient pas ces fardeaux.

Fraternellement. :coeur:

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » lun. 13 févr. 2017, 0:43

Je trouve ce commentaire chez Marie-Noëlle Thabut, pour le 6e dimanche ordinaire soit justement notre texte de Matthieu traité dans ce fil.

Ici :
Le lent travail de conversion du coeur de l'homme a été l'oeuvre de la loi donnée par Dieu à Moïse : les premiers commandements étaient de simples balises qui disaient le minimum vital en quelque sorte, pour que la vie en société soit simplement possible : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas tromper ... Et puis, au long des siècles on avait affiné la Loi, on l'avait précisé, au fur et à mesure que les les exigences morales progressaient.

Jésus s'inscrit dans cette progression : il ne supprime pas les acquis précédents, il les affine encore : "On vous a dit ... moi je vous dis ..." Pas question de gommer les étapes précédentes, il s'agir d'en franchir une autre : "Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir." Première étape, tu ne tueras pas, deuxième étape, tu t'interdiras même la colère et tu iras jusqu'au pardon. Dans un autre domaine, première étape, tu ne commettras pas l'adultère en acte, deuxième étape, tu t'interdiras même d'y penser, et tu éduqueras ton regard à la pureté. Enfin, en matière de promesses, première étape, pas de faux serments, deuxième étape, pas de serments du tout, que tout parole de ta bouche soit vraie.

Allez plus loin, toujours plus loin dans l'amour, voilà la vraie sagesse! Mais l'humanité a bien du mal à prendre ce chemin-là! Pire encore, elle refuse bien souvent les valeurs de l'évangile et se croit sage en bâtissant sa vie sur de tout autres valeurs. Paul fustige souvent cette prétendue sagesse qui fait le malheur des hommes : "La sagesse de ceux qui dominent le monde et qui déjà se détruisent", lisons-nous dans la deuxième lecture.

Dans chacun de ces domaines, Jésus nous invite à franchir une étape pour que le royaume vienne. Curieusement, mais c'est bien conforme à toute la tradition biblique, ces commandements renouvelés de Jésus visent tous les relations avec les autres, Si on y réfléchit, ce n'est pas étonnant : si les dessein bienveillant de Dieu , comme dit saint Paul, c'est de nous réunir tous en Jésus-Christ, tout effort que nous tentons vers l'unité fraternelle contribue à l'accomplissement du projet de Dieu, c'est à dire à la venue de son Règne. Il ne suffit pas de dire "Que ton Règne vienne", Jésus vient nous dire comment, petitement, mais sûrement, on peut y contribuer.

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » lun. 13 févr. 2017, 1:10

Mac,
on peut se rappeler aussi que Jésus dit que les pharisiens ont changé la loi de Dieu par leur tradition. Donc ils ne suivaient pas la loi divine en vérité mais des règles leur tradition qu'ils avaient inventés et qu'ils imposaient à tous comme émanant de Dieu
Oui.

Toujours dans l'idée de défendre la loi de Moïse, sous le prétexte de devoir la respecter ou mieux la respecter. Le commentaire de Marie-Noëlle Thabut ne dit rien de cet aspect "abolitionniste" chez Jésus. Si ce dernier n'avait fait qu'élever (ou resserrer) les critères internes d'une bonne pratique au plan moral, mais tout en souhaitant maintenir en place l'intégralité du système légal des anciens Hébreux, les pharisiens n'auraient pu qu'applaudir.

Avec Jésus, c'est tout l'aspect de la réglementation tatillônne de la loi mosaïque et liée à la catégorie du pur et de l'impur qui disparaît.

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » lun. 13 févr. 2017, 1:55

Salut Jérémie-Daniel,
La loi Mosaïque fût donné aux juifs non pour les rendre parfaits (car ils étaient tous incapables de l'observer) mais pour les convaincre de leur nature pécheresse et de la nécessité de se repentir. Le seul qui observa parfaitement cette loi , comme juif fût notre seigneur. Au grand dam du clergé Juif qui se disait "juste".
C'est sûr que seul Jésus était en mesure de respecter réellement (en esprit et plus encore) toutes les prescriptions si nécessaire, quand il aurait lui-même voulu se soumettre strictement à la totalité des règlements.

Sauf, je pense que les Juifs considèrent depuis toujours qu'ils sont capables de respecter la loi religieuse au contraire. Ils ne croient pas que cela demande une force surhumaine. Ce serait plutôt la norme. Pour eux, la loi leur est donnée par Dieu pour qu'ils la respectent. Leur joie c'est de la respecter. Parce qu'ils en sont capables. Pas besoin du Saint Esprit pour cela. C'est la même idée que l'on retrouve chez les musulmans avec leur shari'a. Dans l'idée des musulmans, il n'est pas nécessaire non plus de s'appeler Thérèse d'Avila pour se plier au règlement.

Mais c'est la "Torah de Jésus" qui réaligne le monde dans une autre direction et beaucoup plus "spiritualiste" par-dessus le marché.

Nos Apôtres voulaient dire que la loi de Moïse ou même le fait de respecter scrupuleusement la loi antique d'Israël ne permettait pas de venir à bout du péché comme l'envie, la colère, la gloutonnerie, l'orgueil, etc. Respecter les articles de la loi de Moïse était chose insuffisante pour insuffler une véritable crainte de Dieu cf épisode du jeune homme riche ("Depuis toujours je respecte la loi ... Que me manque-t-il encore?")

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par chris-ostome » lun. 13 févr. 2017, 15:17

J'ai de nouveaux textes pour vous Cinci, j'espère que le Docteur Angélique pourra vous fournir des éléments de réponse.
[+] Texte masqué
LA LOI ANCIENNE

ARTICLE 1: La loi ancienne était-elle bonne?

Objections:

1. "Je leur ai donné, dit le Seigneur, des préceptes qui ne sont pas bons, des ordonnances selon lesquelles ils ne pourront pas vivre" (Ez 20, 25). Si une loi n'est dite bonne qu'en raison des bons préceptes qu'elle contient, la loi ancienne n'était pas bonne.

2. Suivant S. Isidore, une loi bonne doit être avantageuse à la communauté. Or la loi ancienne ne fut pas avantageuse, mais plutôt meurtrière et funeste. S. Paul l'affirme: "Sans la loi, le péché était mort tandis que moi je vivais jadis sans la loi. Mais, venu le précepte, le péché a repris vie tandis que moi je suis mort" (Rm 7, 8 s). Ou encore: "La loi est intervenue pour que la faute se multiplie" (Rm 5, 20). La loi ancienne n'était donc pas bonne.

3. Si une loi est bonne, les hommes doivent pouvoir l'observer, compte tenu de leur nature et de leurs coutumes. Ce ne fut pas le cas de la loi ancienne: "Pourquoi cherchez-vous, demande Pierre, à placer sur les épaules des disciples un joug que ni nous ni nos pères n'avons pu porter?" (Ac 15, 10). Par où l'on voit que la loi ancienne n'était pas bonne.

Cependant:

dit S. Paul, "la loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon" (Rm 7, 12).

Conclusion:

Indubitablement la loi ancienne était bonne. De même en effet qu'on montre la vérité d'une doctrine par son accord avec la raison droite, de même la bonté d'une loi quelconque se manifeste en ce qu'elle s'accorde avec la raisons. Et c'était le cas de la loi ancienne. Elle réprimait la convoitise qui s'oppose à la raison: "Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain", prescrit l'Exode (20, 17). Elle interdisait même tous les péchés, lesquels sont contraires à la raison. Sa bonté est donc manifeste et c'est bien l'avis de l'Apôtre: "Selon l'homme intérieur je me complais dans la loi de Dieu"; et encore: "je suis d'accord avec la loi, tenant qu'elle est bonne" (Rm 7, 22. 16).

Notons toutefois avec Denys que le bien comporte plusieurs degrés: il y a un bien parfait et un bien imparfait. Ce qui est ordonné à une fin est parfaitement bon si l'on y trouve tout ce qu'il faut pour mener à la fin; est imparfaitement bon ce qui contribue à l'obtention de la fin sans être cependant en mesure d'y aboutir. Ainsi le remède parfait est celui qui guérit, le remède imparfait celui qui est utile mais qui cependant ne peut guérir le malade. Or on sait que la fin de la loi humaine et celle de la loi divine ne se confondent pas. Pour la loi humaine, c'est la tranquillité de la cité dans le temps présent; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. Mais la fin de la loi divine c'est de conduire l'homme à sa fin, la félicité éternelle. Or tout péché fait obstacle à cette fin, non seulement les actes extérieurs, mais aussi les actes intérieurs. Il peut donc suffire à la perfection de la loi humaine qu'elle interdise le péché et le punisse, mais cela ne suffit pas pour la loi divine qui doit mettre l'homme pleinement en état de participer à l'éternité bienheureuse. En vérité, pareille tâche exige la grâce de l'Esprit Saint, par qui "est répandue dans nos coeurs la charité" qui accomplit la loi. "La grâce de Dieu est vie éternelle", dit en effet l'épître aux Romains (6, 23). Or cette grâce, la loi ancienne ne pouvait la conférer, cela était réservé au Christ: "La loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont le fait de jésus Christ" (Jn 1, 17). Il s'ensuit que la loi ancienne était bonne, mais imparfaite, comme l'indique l'épître aux Hébreux (7, 19): "La loi n'a rien conduit à la perfection."

Solutions:

1. Dans le texte allégué, le Seigneur parle des préceptes cérémoniels. Ils ne sont pas "bons", parce qu'ils ne conféraient pas la grâce qui eût purifié les hommes du péché, alors que dans ces rites mêmes les hommes se déclaraient pécheurs. De là cette notation: "Et des ordonnances selon lesquelles ils ne pouvaient pas vivre", c'est-à-dire obtenir la vie de la grâce. Et plus loin: "je les ai souillés par leurs offrandes" (autrement dit, j'ai manifesté leurs souillures), "tandis qu'ils m'offraient leurs premiers-nés à cause de leurs pêchés".

2. On dit que la loi "tuait". Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait. En ce sens, l'occasion ne leur avait pas été donnée, mais les hommes s'en étaient saisis. D'où le mot de l'Apôtre à l'endroit cité: "Le péché prenant occasion du précepte m'a séduit et par lui m'a donné la mort" (Rm 7, 11). On entend dans le même sens: "La loi est intervenue pour que la faute se multiplie"; "pour que" marque ici un rapport de conséquence, non un rapport de causalité; autrement dit, les hommes prenant occasion de la loi, péchèrent davantage parce que, d'une part, le péché fut plus grave lorsqu'il eut été prohibé par la loi et parce que, d'autre part, la convoitise s'accrut, s'il est vrai que nous convoitons davantage ce qui nous est interdit.

3. Le joug de la loi ne pouvait être porté sans l'aide de la grâce que la loi ne fournissait pas: "Cela ne dépend pas de celui qui veut ou de celui qui court (à savoir le fait de vouloir et de courir selon les préceptes divins), mais de Dieu qui fait miséricorde" (Rm 9, 16). Et le psalmiste avait dit: "J'ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon coeur", entendons: dilaté par le don de la grâce et de la charité (Ps 1 19, 32).

ARTICLE 2: La loi ancienne venait-elle de Dieu?

Objections:

1. "Les oeuvres de Dieu sont parfaites", dit le Deutéronome (32, 4). Puisque la loi ancienne était imparfaite, comme on vient de l'établir, elle ne pouvait venir de Dieu.

2. "J'ai appris que toutes les oeuvres de Dieu demeurent à jamais", lit-on dans l'Ecclésiaste (3, 14). Or tel n'est pas le cas de la loi ancienne, puisque S. Paul déclare: "Voici abolie la première ordonnance, en raison de son impuissance et de son inutilité" (He 7, 18). Elle n'était donc pas l'oeuvre de Dieu.

3. Une sage législation ne se contente pas d'extirper le mal, elle en écarte aussi les occasions. Or, on l'a dit, la loi ancienne était occasion de péché. Dieu "n'ayant pas d'égal parmi les législateurs" (Jb 36, 22), n'avait rien à voir avec une telle législation.

4. On vient de dire que la loi ancienne n'avait pas de quoi assurer le salut des hommes. Or, "Dieu veut que tous les hommes soient sauvés" (1 Tm 2, 4). Une telle loi ne pouvait donc venir de Dieu.

Cependant:

le Seigneur s'adresse en ces termes aux Juifs à qui avait été donnée la loi ancienne: "Au nom de vos traditions, vous avez rendu inefficace le commandement de Dieu" (Mt 15, 6). Or il s'agissait du précepte d'honorer ses père et mère, précepte qui se trouve, à n'en pas douter, dans la loi ancienne. La loi ancienne vient donc de Dieu.

Conclusion:

La loi ancienne a été donnée par le Dieu bon, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle orientait en effet les hommes vers le Christ. Et doublement: d'abord elle rendait témoignage au Christ comme il l'a déclaré lui-même: "Il faut que soit accompli tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes" (Lc 24, 44). Et encore - "Si vous aviez foi en Moïse, peut-être croiriez-vous aussi en moi, car c'est de moi qu'il a écrit" (Jn 5, 46). D'autre part, à sa façon, la loi ancienne préparait les hommes au Christ, en les arrachant à l'idolâtrie et en les tenant soumis au culte du Dieu unique qui, par le Christ, devait sauver le genre humain. Ce qui fait dire à l'Apôtre: "Avant que vînt la foi, nous étions sous la garde de la Loi, enfermés dans l'attente de la foi qui devait être révélée" (Ga 3, 23). Mais préparer les voies et mener au but, c'est le fait d'un seul et même auteur, entendez son fait personnel ou le fait de ses gens. Bref, ce n'est pas le diable, lui que le Christ allait expulser, qui aurait institué une législation propre à mener les hommes vers le Christ: "Si Satan expulse Satan, son royaume est divisé" (Mt 12, 26). Par conséquent c'est le même Dieu qui est l'auteur de la loi ancienne et qui a réalisé le salut des hommes par la grâce du Christ.

Solutions:

1. Pourquoi, sans être parfaite absolument, une réalité ne posséderait-elle pas la perfection qui lui convient à un moment donné? Ainsi dit-on d'un enfant qu'il est parfait, non absolument, mais comme son âge le comporte. De même, les préceptes que l'on fait aux enfants, s'ils ne sont pas parfaits absolument, sont parfaits cependant si l'on tient compte de ceux à qui ils s'adressent. Tel fut le cas des préceptes de la loi, celle-ci étant, selon l'expression de l'Apôtre, "notre pédagogue dans le Christ" (Ga 3, 24).

2. "Les oeuvres divines qui demeurent à jamais", ce sont celles que Dieu destine à demeurer à jamais, c'est-à-dire les oeuvres parfaites. Si la loi ancienne est repoussée au moment où la grâce est venue à sa perfection, ce n'est pas comme mauvaise, mais comme "impuissante et inutile" désormais, puisque, le texte le mentionne, "la loi n'a rien conduit à la perfection". Ce qui revient à dire avec S. Paul: "Du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus soumis au pédagogue" (Ga 3, 25).

3. On sait que Dieu permet parfois le péché pour l'humiliation du pécheur. De même aussi voulut-il donner aux hommes une loi qu'ils ne pussent observer par leurs propres forces; par là, dans leur présomption, ils se connaîtraient pécheurs, et dans leur humiliation, ils recourraient à l'aide de la grâce.

4. Certes la loi ancienne n'avait pas de quoi sauver l'homme. Mais celui-ci, en même temps que la loi, recevait de Dieu un autre secours qui pouvait le sauver: c'était la foi au médiateur, par laquelle les Pères de l'Ancien Testament étaient justifiés, comme nous le sommes aussi. Ainsi Dieu ne manquait pas de fournir aux hommes les secours nécessaires au salut.

ARTICLE 4: La loi ancienne a-t-elle été donnée à tous?

Objections:

1. Ce n'est pas seulement aux juifs, c'est à toutes les nations que devait parvenir le salut auquel disposait la loi ancienne, et que le Christ allait apporter. "C'est peu que tu me serves en réveillant les tribus de Jacob, en ramenant les restes d'Israël; je t'ai établi lumière des nations pour être mon salut jusqu'aux extrémités de la terre" (Is 49, 6). Ainsi la loi ancienne devait être donnée à toutes les nations et non à un seul peuple.

2. "Dieu ne fait pas acception des personnes" lit-on au livre des Actes (10, 34), "en toute nation celui qui le craint et vit dans la justice lui est agréable." Il ne devait donc pas ouvrir la voie du salut à un peuple particulier, de préférence aux autres.

3. Les services des anges, dont on vient de parler, ce n'est pas aux seuls juifs, c'est à toutes les nations que Dieu les a toujours assurés: "A la tête de chaque nation, affirme l'Ecclésiastique (17, 14), Dieu a placé un chef." Toutes les nations ont reçu aussi de Dieu des biens temporels, qui ont à ses yeux moins d'importance que les biens spirituels. La loi également devait donc être donnée à tous les peuples.

Cependant:

S. Paul se demandant "Quel est donc l'avantage des Juifs?" répond "Il est grand à tous égards: d'abord les oracles de Dieu leur ont été confiés" (Rm 3, 1). On lit (Ps 147): "Dieu n'a pas agi de la sorte avec toutes les nations, il ne leur a pas fait connaître ses ordonnances."

Conclusion:

Que la loi ait été donnée au peuple juif plutôt qu'aux autres, on pourrait en chercher la raison dans le fait que seul le peuple juif est resté fidèle au culte du Dieu unique, alors que les autres peuples tombant dans l'idolâtrie n'étaient pas dignes de recevoir la loi, puisque ce qui est saint ne doit pas être donné aux chiens. Mais cette explication n'est pas satisfaisante, car le peuple juif, lui aussi, tomba dans l'idolâtrie et même après l'établissement de la loi, ce qui aggrave son cas. Nous en avons la preuve soit dans l'Exode (32), soit dans Amos (5, 25 s): "M'avez-vous offert des sacrifices et des oblations dans le désert pendant quarante ans, maison d'Israël? Vous portiez la tente de votre dieu Moloch et vos images idolâtriques et l'étoile de votre dieu, que vous vous êtes fabriquées !"

En outre, il est dit expressément dans le Deutéronome (9, 6): "Sache que ce n'est pas à cause de tes oeuvres justes que le Seigneur ton Dieu t'a donné cette terre en propriété, car tu es un peuple à la nuque raide." Mais la vraie raison est fournie: "C'est pour accomplir la parole que le Seigneur a jurée à tes pères Abraham, Isaac et Jacob" (v. 5).

Quelle fut cette promesse, l'Apôtre le dit: "Les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance, non pas au pluriel: à ses descendants, mais au singulier: à sa descendance, qui est le Christ" (Ga 3, 16). Ainsi donc à ce peuple Dieu accorda la loi et d'autres bienfaits spéciaux parce qu'il avait promis à leurs pères que le Christ naîtrait d'eux. Il convenait en effet que le peuple qui devait donner le jour au Christ se distinguât par une sainteté particulière: "Soyez saints comme je suis saint" (Lv 19, 2). Ce n'est pas non plus le mérite d'Abraham qui explique la promesse qui lui fut faite, à savoir que le Christ naîtrait de sa race: il y va d'un choix et d'un appel gratuits: "Qui a suscité le juste de l'Orient et l'a appelé à sa suite?" (Is 41, 2).

D'où il ressort clairement que les Pères ont reçu la promesse, et que le peuple de leur lignage a reçu la loi en vertu seulement d'un choix gratuit: "Vous avez entendu ses paroles du milieu du feu, lisons-nous au Deutéronome (4, 36), parce qu'il a aimé vos pères et a choisi leur postérité après eux." - Si l'on insiste en demandant pourquoi Dieu a choisi ce peuple et non un autre pour donner le jour au Christ, il conviendra de répondre avec S. Augustin: "Pourquoi attire-t-il celui-ci et non celui-là, ne prétends pas en décider, si tu ne veux pas errer."

Solutions:

1. Toutes les nations devaient bien avoir accès au salut réalisé par le Christ, mais celui-ci ne pouvait naître que d'un peuple déterminé, d'où découlent pour ce peuple des prérogatives exclusives: "A eux, écrit S. Paul, c'est-à-dire aux juifs, appartient l'adoption des fils de Dieu, à eux l'alliance, à eux la loi et les patriarches; c'est d'eux que le Christ naquit selon la chair" (Rm 9, 4).

2. On peut parler d'acception des personnes quand il y a obligation de donner, mais non pas à propos de libres dispositions à titre gratuit. Donner libéralement de son bien à celui-ci plutôt qu'à celui-là, ce n'est pas faire acception des personnes; ce serait le cas si l'on avait à répartir des biens communs et qu'on ne réglât pas équitablement la distribution selon les titres de chacun. Mais le bienfait du salut, Dieu ne l'accorde au genre humain que par sa grâce; il ne fait donc pas acception des personnes s'il en gratifie les uns de préférence aux autres: "Tous ceux que Dieu instruit, c'est par miséricorde qu'il les instruit; ceux qu'il n'instruit pas, c'est par une juste sentence", nous dit encore S. Augustin; c'est là, en effet, une suite de la condamnation du genre humain pour la faute de notre premier père.

3. La faute prive l'homme des dons de la grâce, mais ne lui enlève pas ceux de la nature. Or le ministère des anges fait partie de ces derniers; c'est en effet l'ordre naturel des êtres, qui veut que les plus humbles soient gouvernés par des agents de rang intermédiaire, et que même les secours corporels ne soient pas réservés par Dieu aux hommes, mais procurés aussi aux animaux sans raison: "Seigneur, tu sauves les hommes et les bêtes" (Ps 36, 7).

ARTICLE 8: Les préceptes du décalogue souffrent-ils dispense?

Objections:

1. Les préceptes du décalogue sont du droit de nature; mais ce droit, constate Aristote, est, comme la nature même de l'homme, sujet à des changements et à des défaillances. Or quand une loi est en défaut touchant certains cas particuliers, on sait qu'il y a lieu d'en dispenser.

2. Ce que l'homme peut à l'égard de la loi humaine, Dieu le peut à l'égard de la loi divine. Puisque l'homme peut dispenser des préceptes d'une loi établie par l'homme, Dieu qui a établi les préceptes du décalogue peut en dispenser; et puisque les supérieurs tiennent sur terre la place de Dieu, selon ce mot de S. Paul (2 Co 2, 10): "Si j'ai accordé quelque chose, je l'ai fait pour vous au nom du Christ", il s'ensuit que les supérieurs peuvent aussi dispenser des préceptes du décalogue.

3. L'interdiction de l'homicide est un précepte du décalogue dont les hommes dispensent manifestement: selon les dispositions de la loi humaine il est légitime de mettre à mort certains hommes, malfaiteurs ou ennemis. C'est la preuve que l'on peut dispenser des préceptes du décalogue.

4. La célébration du sabbat, autre précepte du décalogue, a fait l'objet de dispense. Le fait est relaté dans le livre premier des Maccabées (2, 4 1): "Ils prirent en ce jour-là cette décision: Tout homme qui viendra guerroyer contre nous le jour du sabbat, nous combattrons contre lui." Donc les préceptes du décalogue sont susceptibles de dispense.

Cependant:

Isaïe (24, 5) réprimande ceux qui "ont violé les lois, rompu l'alliance éternelle", ce qui s'entend avant tout des préceptes du décalogue. Il n'est donc pas permis d'y porter atteinte par la dispense.

Conclusion:

On l'a dit, il faut dispenser d'un précepte lorsqu'il se présente un cas particulier où l'application littérale de la loi irait contre l'intention du législateur. Or l'intention de tout législateur vise en premier lieu et principalement le bien commun, secondairement un ordre de justice et de vertu qui garantit ce bien commun et qui permet d'y atteindre. Si donc il existe des préceptes impliquant précisément la sauvegarde du bien commun ou l'ordre de justice et de vertu, ces préceptes contiennent l'intention du législateur et excluent toute dispense. Supposons par exemple dans une cité le précepte interdisant de renverser l'État, ou de livrer la ville aux ennemis, ou de faire quoi que ce soit d'injuste et de mauvais: ces dispositions ne souffriraient aucune dispense. Mais s'il était porté d'autres préceptes, ordonnés aux premiers et déterminant telles conduites particulières, ici la dispense serait possible, pourvu que dans les cas considérés elle ne porte aucun préjudice aux préceptes précédents qui contiennent l'intention du législateur. Si par exemple, dans une ville assiégée, on décidait pour la sécurité publique de confier la défense à des vignes recrutés dans chaque quartier, certaines dispenses individuelles seraient admissibles en vue d'un avantage plus grand.

Or les préceptes du décalogue expriment justement l'intention de Dieu, le législateur. Ceux de la première table, relatifs à Dieu, énoncent pour lui-même l'attachement au bien commun et final qui est Dieu; ceux de la seconde table énoncent l'ordre juste qui doit régner entre les hommes, nul tort n'étant fait à personne et chacun recevant son dû. C'est en ce sens qu'il faut entendre les préceptes du décalogue, et c'est pourquoi ils

ne souffrent aucune sorte de dispense.

Solutions:

1. A cet endroit, Aristote ne parle pas de ce droit de nature qui exprime précisément l'ordre de justice; il n'y a en effet jamais d'exception au devoir d'observer la justice. Il fait allusion à telles manières déterminées d'observer la justice qui peuvent parfois être mises en échec.

2. S. Paul dit aussi (2 Tm 2, 13): "Dieu demeure fidèle et ne peut se renier." Il se renierait si l'ordre même de la justice était aboli par lui, puisqu'il est, lui, la justice même. Dieu ne peut donc dispenser l'homme ni d'être en règle avec lui ni de se soumettre à l'ordre de sa justice même dans les matières qui concernent le commerce des hommes entre eux.

3. Le décalogue interdit l'homicide en tant qu'acte indu; en ce sens le précepte inclut l'idée même de justice. Or la loi humaine ne peut permettre qu'un homme soit tué injustement. Mais il n'est pas injuste de tuer les malfaiteurs ou les ennemis de l’État, et cela ne va pas contre le précepte du décalogue. L'acte de tuer, dans ces conditions, diffère de l'homicide prohibé par le décalogue au jugement de S. Augustin. De même, dépouiller quelqu'un de ce qui était à lui, si c'est à bon droit qu'on le lui ôte, ce n'est pas vol ou rapine prohibés par le précepte du décalogue. - Par conséquent, lorsque les enfants d'Israël, sur l'ordre de Dieu, emportèrent les dépouilles des Égyptiens, ce ne fut pas un vol; elles leur étaient dues par sentence divine. - Et lorsque Abraham accepta de tuer son fils, il ne consentit pas à un homicide: Dieu, qui est maître de la vie et de la mort l'ayant ordonnée, cette mort était de droit. C'est Dieu en effet qui inflige à tous, justes et injustes, cette peine de mort, à cause du péché du premier père; et l'homme divinement mandaté pour exécuter cette sentence ne sera pas un homicide, pas plus que Dieu. - De même, les relations d'Osée avec une prostituée ou avec une famine adultère ne constituaient ni une fornication ni un adultère, parce que cette femme était sienne par l'ordre de Dieu qui a fondé l'institution du mariage.

Ainsi les préceptes du décalogue, quant à la raison de justice qu'ils impliquent, sont invariables. Mais dans l'application aux cas d'espèce, telle détermination, par exemple que tel ou tel acte soit ou non un homicide, un vol ou un adultère, cela n'est pas immuable. Tantôt le changement procède exclusivement de l'autorité de Dieu, pour ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage; tantôt intervient l'autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. A cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu'une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Mt 12, 3) qu'on n'est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.

LA LOI NOUVELLE

ARTICLE 1: La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne?


Objections:

1. L'une et l'autre loi est accordée à ceux qui ont foi en Dieu, car "sans la foi il est impossible de plaire à Dieu" (He 11, 6). Or, nous lisons dans la Glose (sur Mt 21, 9) que la foi d'aujourd'hui est identique à celle d'autrefois. Il y a donc aussi identité de loi.

2. S. Augustin a résume "en deux mots la différence entre la loi et l'Évangile: crainte et amour". Or il n'y a pas là de quoi distinguer loi nouvelle et loi ancienne, parce que celle-ci comportait également des préceptes de charité: "Tu aimeras ton prochain" (Lv 19, 18) et: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu" (Dt 6, 5); - On ne peut davantage retenir cette autre différence signalée par S. Augustin: "L'ancienne alliance comportait des promesses temporelles, et la nouvelle contient des promesses spirituelles et éternelles." En réalité, même dans le Nouveau Testament, il y a des promesses temporelles, par exemple: "Vous recevrez le centuple en ce monde, maisons, frères, etc." (Mc 10, 30); et l'Ancien Testament faisait espérer des promesses spirituelles et éternelles, puisque l'épître aux Hébreux (11, 16) dit des Pères de l'ancien temps: "C'est à une patrie meilleure qu'ils aspirent, à la patrie céleste." Ainsi, la loi nouvelle ne paraît pas différente de la loi ancienne.

3. L'Apôtre a l'air de suggérer une différence entre ces deux lois lorsqu'il appelle l'ancienne la loi des oeuvres, et la nouvelle la loi de la foi (Rm 3, 27). Mais la première aussi fut une loi de la foi: "Leur foi à tous fut louée", dit l'épître aux Hébreux (11, 39), évoquant les Pères de l'ancienne loi. Et à son tour la loi nouvelle est aussi une loi des oeuvres: "Faites du bien à ceux qui vous haïssent" (Mt 5, 44) et: "Faites cela en mémoire de moi" (Lc 22, 19). Ainsi la loi nouvelle n'est pas différente de l'ancienne.

Cependant:

l'Apôtre écrit aux Hébreux (7, 12): "Un changement de sacerdoce entraîne nécessairement un changement de loi." Comme il démontre au même endroit qu'entre l'Ancien et le Nouveau Testament il y a eu changement de sacerdoce, il s'ensuit que la loi aussi a changé.

Conclusion:

Toute loi, avons-nous dit précédemment, ordonne la conduite humaine en vue d'une fin déterminée. Or, ce qui est ordonné à une fin peut, du point de vue de la fin, se diversifier de deux manières. Ou bien cela se réfère à des fins différentes: il s'agit alors d'une diversité spécifique, surtout s'il s'agit d'une fin prochaine. Ou bien certains actes se réfèrent de près, les autres de loin, à une fin donnée. Il saute aux yeux par exemple que des mouvements ordonnés à des termes différents diffèrent spécifiquement, tandis que deux phases d'un même mouvement, dont l'une est plus proche du terme que l'autre, mettent dans ce mouvement une différence qui tient à un degré imparfait de perfection.

De là vient qu'entre deux lois une double distinction est concevable. Ou bien elles sont absolument différentes, comme relevant de fins différentes; ainsi dans la cité il y aurait une différence spécifique entre le système législatif assurant la souveraineté du peuple, et celui qui donnerait la prépondérance à l'aristocratie urbaine. - Ou bien deux législations peuvent différer en ce que les dispositions de l'une sont en relation plus étroite avec la fin, celles de l'autre en rapport plus lointain. On admet par exemple que, sous un seul et même régime politique, autre est la législation imposée aux hommes faits, dès maintenant capables de satisfaire aux exigences du bien public, autre la législation qui règle l'éducation des enfants, ceux-ci devant être préparés à l'accomplissement de leurs tâches viriles.

Donc, du premier point de vue, la loi nouvelle ne diffère pas de la loi ancienne, car toutes deux n'ont qu'une fin, la soumission des hommes à Dieu, et ce Dieu est unique, celui de la nouvelle et de l'ancienne alliance: "Unique est le Dieu qui justifie le circoncis à raison de sa foi, et l'incirconcis par le moyen de sa foi" (Rm 3, 30). - Du second point de vue, la loi nouvelle diffère de l'ancienne, car celle-ci est comparable au pédagogue, selon l'expression de S. Paul (Ga 3, 24) tandis que la loi nouvelle est une loi de perfection, étant celle de la charité, que l'Apôtre appelle le "lien de la perfection" (Col 3, 14).

Solutions:

1. Si la foi des deux alliances est identique, c'est que leur fin est unique; car nous avons vu que l'objet des vertus théologales, au nombre desquelles se trouve la foi, est la fin ultime. N'empêche que la foi n'avait pas sous la loi ancienne le même régime que sous la loi nouvelle: ce qui était à venir pour la foi d'alors est chose faite pour la nôtre.

2. Toutes les différences qu'on signale entre la loi nouvelle et l'ancienne se ramènent à une inégalité de perfection. Les préceptes légaux, en effet, portent toujours sur des actes vertueux. Or l'inclination à exercer ces actes n'est pas la même chez les imparfaits, qui ne sont pas encore en possession de la vertu, et chez ceux que la possession de la vertu rend parfaits. Ce qui pousse les premiers aux oeuvres de vertu, c'est un certain motif extrinsèque, comme la menace du châtiment ou la promesse de quelque récompense extérieure, de caractère honorifique, pécuniaire, etc. Aussi la loi ancienne, s'adressant à des hommes qui n'avaient pas encore reçu la grâce spirituelle, méritait le nom de "loi de crainte" en tant qu'elle incitait à l'observation des préceptes par la menace de peines déterminées. Et elle comportait des promesses que l'on qualifie de temporelles.

Au contraire, ceux qui possèdent la vertu, c'est par amour de la vertu qu'ils inclinent à en faire les actes, et non à cause d'une pénalité ou récompense extrinsèque. C'est pourquoi, à propos de la loi nouvelle qui pour l'essentiel consiste justement dans la grâce spirituelle imprimée dans les coeurs, on parle de "loi d'amour". Elle comporte, dit-on encore, des promesses spirituelles et éternelles: ce sont les objets de la vertu, et d'abord de la charité; en sorte que les vertueux y vont par une inclination intérieure, comme vers des biens qui ne leur sont pas étrangers et qui leur reviennent en propre. - Pour la même raison, la loi ancienne est appelée un frein pour la main, non pour le coeur: en effet, s'abstenir du péché par crainte du châtiment, ce n'est pas en détourner absolument son vouloir, comme lorsqu'on s'abstient du péché par amour de la justice; tandis que la loi nouvelle, étant une loi d'amour, est bien un frein pour le coeur.

Il y eut toutefois, sous le régime de l'ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l'Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle: pour les inciter aux oeuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l'Esprit Saint, par qui "la charité est répandue dans nos coeurs" (Rm 5, 5).

3. Nous l'avons dit, la loi de la grâce est la loi de la foi, en tant que pour l'essentiel elle consiste précisément dans le don intérieur de la grâce accordé à ceux qui croient; de là vient qu'on l'appelle "grâce de la foi". Secondairement elle comporte aussi certaines réalisations dans l'ordre des moeurs et des sacrements, mais ce n'est pas en cela que consiste principalement la loi nouvelle, à la différence de l'ancienne. Du reste, sous l'ancienne alliance, ceux qui furent agréables à Dieu à cause de leur foi appartenaient par le fait même à la nouvelle: seule en effet la foi au Christ, fondateur de la nouvelle alliance, les rendait justes. C'est pourquoi ü est écrit de Moïse que "l'approche du Christ lui parut être une richesse plus précieuse que les trésors de l'Égypte" (He 11, 26).

ARTICLE 2: La loi nouvelle réalise-t-elle l'accomplissement de l'ancienne loi?


Objections:

1. Parfaire une chose n'est pas la défaire. Or la loi nouvelle défait, ou exclut les observances de la loi ancienne: "Si vous vous faites circoncire, dit l'Apôtre, le Christ ne vous sera d'aucune utilité" (Ga 1, 2). La loi nouvelle n'est donc pas l'accomplissement de l'ancienne.

2. Rien n'est accompli par son contraire. Or le Seigneur a introduit dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de la loi ancienne "Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens "Quiconque renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation", mais moi je vous dis: "Quiconque renvoie sa femme l'expose à l'adultère"" (Mt 31, 32). La suite du passage révèle la même opposition touchant la prohibition du serment, la prohibition du talion et la haine des ennemis. De même il ressort de Mt (15, 11) que le Seigneur a rejeté les prescriptions de la loi ancienne sur la distinction des aliments: "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur." Donc la loi nouvelle ne porte pas l'ancienne à sa perfection.

3. Enfreindre la loi, comme l'a fait le Christ sur certains points, ce n'est pas l'accomplir. Il a touché le lépreux, au mépris de la loi (Mt 8, 3). Il semble avoir plusieurs fois violé le sabbat, au point que les juifs disaient de lui; "Cet homme n'est pas de Dieu, lui qui n'observe pas le sabbat" (Jn 9, 16). Le Christ n'a donc pas accompli la loi, et la loi nouvelle, qu'il a instaurée, n'est pas venue accomplir l'ancienne.

4. On sait que la loi ancienne comportait des préceptes moraux, des préceptes cérémoniels et des préceptes judiciaires. S'il ressort de Mt (5) que le Seigneur a sur certains points accompli la loi, on n'y trouve d'allusion ni aux préceptes judiciaires ni aux préceptes cérémoniels. Il s'ensuit que la loi nouvelle ne réalise pas intégralement l'accomplissement de l'ancienne.

Cependant:

on se heurte à l'affirmation du Seigneur: "Je ne suis pas venu abolir la loi mais l'accomplir... Pas un iota, pas un trait de la loi ne passera que tout ne soit arrivé" (Mt 5, 17-18).

Conclusion:

On vient de voir que loi nouvelle et loi ancienne sont dans le rapport du parfait à l'imparfait; or ce qui est parfait réalise en plénitude ce qui manque à l'imparfait; c'est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en tant qu'elle supplée à ce qui manquait à celle-ci.

On peut d'ailleurs, dans la loi ancienne, considérer deux points: la fin qu'elle poursuivait, et les préceptes qu'elle contenait. Toute loi, avons-nous dit, a pour fin de rendre les hommes justes et vertueux; aussi la fin de la loi ancienne était-elle la justification de l’homme. Or cette fin, la loi ne pouvait la réaliser, mais elle la figurait par certains actes cérémoniels, et elle la promettait par ses paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en justifiant l’homme par la vertu de la passion du Christ: "Ce que la loi ne pouvait faire, écrit S. Paul, Dieu l'a fait: en envoyant son Fils dans une chair semblable à la chair du péché, il a condamné le péché dans la chair, pour que fût complète en nous la justice de la loi" (Rm 8, 3-4).

A ce titre, la loi nouvelle procure ce que la loi ancienne promettait: "Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur oui en lui" (2 Co 1, 20); en lui, c'est-à-dire dans le Christ. - Et à ce titre encore, elle réalise ce que la loi ancienne figurait. Ainsi, selon l'Apôtre, les cérémonies étaient "l'ombre des choses à venir, mais le corps (entendez la réalité) appartient au Christ" (Col 2, 17). C'est pourquoi on désigne la loi nouvelle comme étant celle de la réalité, tandis que la loi ancienne est celle de l'ombre ou de la figure.

Mais le Christ a porté aussi à leur plein accomplissement les préceptes de la loi ancienne, tant par ses actes que par ses enseignements. Par ses actes, en acceptant de se faire circoncire et d'observer toutes les prescriptions légales qui s'imposaient alors, car il était "né sous la loi" (Ga 4, 4). - Par ses enseignements il a apporté un triple perfectionnement aux pr ère le vrai sens de la loi, comme on le constate à propos de la prohibition de l'homicide et de l'adultère, où les scribes et les pharisiens ne voyaient que l'interdiction des actes extérieurs; mais le Seigneur, menant la loi à sa perfection, a déclaré que ses prohibitions s'étendaient jusqu'aux péchés intérieurs. - En second lieu, le Seigneur a perfectionné les préceptes légaux par des dispositions propres à mieux assurer l'observation des anciennes prescriptions légales. Ainsi la loi ancienne avait établi l'interdiction du parjure, ce qu'on est plus sûr d'observer si l'on s'abstient généralement de jurer, sauf le cas de nécessité (Mt 5, 33). - Enfin le Seigneur a perfectionné les préceptes de la loi en leur adjoignant certains conseils de perfection, comme il ressort de cet épisode où, entendant quelqu'un déclarer qu'il avait pratiqué les commandements de la loi ancienne, le Seigneur lui dit: "Tu n'as plus qu'une chose à faire. Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, etc." (Mt 19, 21).

Solutions:

1. Si la loi nouvelle exclut l'observation de la loi ancienne, c'est seulement, nous l'avons dit, en matière de cérémonies. Mais celles-ci se présentaient comme des figures de l'avenir. Aussi, une fois accomplis les préceptes cérémonials par la réalisation de ce qu'ils figuraient, il n'y a plus lieu de les observer; ou bien quelque chose serait signifié encore comme futur et non advenu. Ainsi la promesse d'un don à faire ne tient plus une fois qu'elle a trouvé son accomplissement dans la réalisation du don. Il en va de même pour les cérémonies de la loi qui sont abolies du moment qu'elles sont réalisées.

2. Selon S. Augustin, il n'y a aucune contradiction entre ces préceptes du Seigneur et ceux de la loi ancienne: "Quand le Seigneur interdit le renvoi de la femme, il ne s'oppose pas aux dispositions de la loi. Car celle-ci ne dit pas que l'on peut à son gré renvoyer sa femme, et c'est à cela que s'opposerait l'interdiction du renvoi. Évidemment le législateur ne tenait pas à ce que le mari renvoyât sa femme, puisqu'il visait à retarder, à briser son élan précipité par l'exigence d'un acte écrit, et à le faire revenir sur son intention de divorce." "Et ainsi, dit ailleurs S. Augustin, pour confirmer cette règle de ne pas renvoyer sa femme à la légère, seule l'exception de fornication a été admise par le Seigneur." Touchant la prohibition du serment, nous venons d'exposer une solution analogue. - Et il en va de même pour la prohibition du talion: cette loi fixait une borne à la vengeance afin qu'on ne s'y livrât pas avec excès; inconvénient que le Seigneur a encore plus parfaitement exclu par son avertissement de renoncer absolument à la vengeance. - Quant à la haine des ennemis, il a écarté l'interprétation erronée des pharisiens en nous avertissant de haïr non la personne, mais le péché. - Reste la distinction des aliments: le Seigneur, sans abroger dès lors cette observance cérémonielle, montra que nul aliment n'était impur par sa nature, mais seulement à cause de ce qu'il figurait, nous l'avons dit plus haut.

3. Le contact des lépreux était légalement prohibé parce que, comme le contact des cadavres, il faisait encourir une souillure par manière d'irrégularité, nous l'avons dit. Mais le Seigneur, qui purifiait le lépreux ne pouvait encourir cette impureté. - Il n'a pas non plus réellement violé le sabbat par les actes qu'il a accomplis ce jour-là, et il en fournit lui-même dans l'Évangile plusieurs raisons: d'abord, s'il opérait des miracles, c'était par la vertu divine qui est toujours à l’oeuvre (Jn 5, 17); et puis, il agissait pour sauver les hommes, alors que les pharisiens, eux, le jour du sabbat, faisaient le nécessaire pour sauver même les bêtes (Mt 12, 11); enfin, quand les disciples arrachèrent des épis le jour du sabbat, il a invoqué à leur excuse la nécessité (v. 3). Mais on pouvait parler de violation, selon l'interprétation abusive des pharisiens, qui estimaient qu'on devait, le jour du sabbat, s'abstenir même des activités de sauvetage, contrairement à l'intention de la loi.

4. Le texte de Mt (5) omet les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur réalisation (au sens qu'on vient d'expliquer, sol. 1) implique qu'on cesse absolument de les observer. - Parmi les préceptes judiciaires, le Seigneur a fait mention du talion, ce qu'il en dit devant s'appliquer à tous les autres. Or il enseigne à ce propos que l'intention de la loi n'est pas qu'on requière l'application de cette peine pour assouvir un désir de vengeance. En effet, lui-même exclut pareil désir lorsqu'il avertit que l'on doit être disposé à subir encore un surcroît d'injustice, mais uniquement par amour pour la justice; or cela subsiste toujours dans la loi nouvelle.

ARTICLE 3: La loi nouvelle est-elle contenue dans l'ancienne?

Objections:

1. La loi nouvelle consiste avant tout dans la foi, si bien que S. Paul l'appelle "la loi de la foi" (Rm 3, 27), et elle nous invite à croire bien des choses qui ne figurent pas dans la loi ancienne. C'est donc qu'elle n'est pas contenue dans celle-ci.

2. Il existe sur ce passage: "Celui qui aura enfreint l'un de ces plus petits commandements" (Mt 5, 19) une glose de S. Augustin qualifiant de plus petits, les préceptes de la loi, et de plus grands ceux de l’Évangile. Le plus grand ne pouvant être contenu dans le plus petit, la loi nouvelle ne peut être contenue dans l'ancienne.

3. Qui possède le contenant possède le contenu. Si la loi nouvelle était contenue dans l'ancienne, le don de celle-ci impliquerait le don de celle-là et par conséquent, une fois reçue la loi ancienne, il eût été inutile de recevoir encore la loi nouvelle. Donc celle-ci n'est pas contenue dans celle-là.

Cependant:

S. Grégoire interprétant le verset d'Ézéchiel (1, 16): "La roue était dans la roue", en donne cette explication: "Le Nouveau Testament était dans l'Ancien."

Conclusion:

Une chose peut être contenue dans une autre de façon actuelle, comme un objet dans le lieu où il est placé; ou de façon virtuelle, comme l'effet est contenu dans la cause ou l’oeuvre achevée dans son ébauche; en ce dernier sens, le genre contient en puissance les espèces, et l'arbre tout entier est contenu dans la graine. Et c'est ainsi que la loi nouvelle est contenue dans l'ancienne, puisque nous avons dit qu'elle est, par rapport à celle-ci, comme le parfait est à l'imparfait. On attribue à S. jean Chrysostome, à propos de ce verset évangélique: "De son propre mouvement la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, puis du grain plein l'épi" (Mc 4, 28), une glose ainsi conçue: "L'herbe est produite d'abord, dans la loi naturelle . puis vient l'épi, dans la loi de Moïse; et enfin le grain solide dans l'évangile." Ainsi donc, la loi nouvelle est dans l'ancienne comme le grain est dans l'épi.

Solutions:

1. Tout ce que le Nouveau Testament propose à notre croyance d'une manière explicite et manifeste se trouve dans l'Ancien sous l'enveloppe de figures. Ainsi, de même que pour les vérités à croire, la loi nouvelle est contenue dans l'ancienne.

2. Nous disons que les préceptes de la loi nouvelle sont plus grands que ceux de la loi ancienne, du fait qu'ils sont clairement explicités. Mais les préceptes du Nouveau Testament sont tous présents en substance dans l'Ancien. S. Augustin en fait la remarque: "A peu près tous les avertissements ou commandements que fit le Seigneur sous cette clause: "Et mois je vous dis" se retrouvent dans les livres anciens." "Mais, puisqu'on ne considérait comme homicide que la destruction d'un corps humain, le Seigneur fit voir que toute injustice tendant à léser un frère se ramène à une sorte d'homicide." Compte tenu de ces développements, on admet que les préceptes de la loi nouvelle dépassent ceux de la loi ancienne. D'ailleurs rien n'empêche que le plus grand soit contenu virtuellement dans le plus petit, comme l'arbre dans la graine.

3. Ce qui a été reçu implicitement demande à être explicité. C'est pourquoi, après l'institution de la loi ancienne, il fallut encore donner la loi nouvelle.
ARTICLE 4: Laquelle est la plus pesante: la loi nouvelle ou la loi ancienne?


Objections:

1. S. Jean Chrysostome dit, à propos des "moindres commandements" mentionnés par S. Matthieu (5, 19): "Les commandements de Moïse sont d'exécution facile: "Tu ne tueras point, tu ne commettras pas d'adultère." Mais les commandements du Christ: "Ne te mets pas en colère, ne convoite pas", sont difficiles à observer." Le fardeau de la loi nouvelle est donc plus lourd que celui de la loi ancienne.

2. Il est plus facile de jouir des prospérités terrestres que de supporter le malheur. Or sous l'ancienne alliance l'observation de la loi avait pour conséquence la prospérité temporelle (Dt 28, 1-14). Au contraire, ceux qui observent la loi nouvelle subissent mille adversités, selon S. Paul (2 Co 6, 4): "Nous nous présentons comme serviteurs de Dieu, dans une grande patience, dans les épreuves, les nécessités, les angoisses, etc." La loi nouvelle est donc plus pénible que l'ancienne.

3. Quand on ajoute à un fardeau, il est évidemment plus lourd. Or la loi nouvelle ajoute à l'ancienne: à l'interdiction du parjure, elle ajoute celle du serment; la loi ancienne prohibait la répudiation de la femme à moins d'un acte écrit, la loi nouvelle dans tous les cas. C'est du moins ainsi que S. Augustin comprend le texte de Matthieu (5, 31). La loi nouvelle est donc plus pesante que l'ancienne.

Cependant:

il y a cette parole de Jésus "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui peinez sous le fardeau" (Mt 11, 23), commentée en ces termes par S. Hilaire: "Le Christ appelle à lui ceux qui sont fatigués par la difficulté de la loi et qui portent le fardeau des péchés du monde." Et la suite concerne le joug de l'Évangile: "Car mon joug est doux et mon fardeau léger" (Mt 11, 30). La loi nouvelle est donc plus légère que l'ancienne.

Conclusion:

Dans les oeuvres vertueuses qui font l'objet des préceptes de la loi, on peut rencontrer une double difficulté. Il y a la difficulté inhérente aux actes extérieurs qui par eux-mêmes ont quelque chose d'ardu et de pénible. A cet égard la loi ancienne est bien plus pesante que la nouvelle, car dans la multiplicité de ses rites elle obligeait à beaucoup plus d'actes extérieurs que la loi nouvelle. Celle-ci, telle que le Christ et les Apôtres l'ont enseignée, n'a presque rien ajouté, en fait de préceptes, à ceux de la loi naturelle. Il est vrai qu'ultérieurement survinrent quelques préceptes d'institution ecclésiastique; mais pour ceux-ci S. Augustin recommande également la modération, de peur que la vie des fidèles en devienne pénible. A l'une des questions de Januarius, il répond ainsi: "Alors que la miséricorde de Dieu a voulu que notre religion fût libre, se contentant de célébrer un petit nombre de mystères qu'il est tout à fait impossible d'ignorer, il y a des gens qui l'accablent de fardeaux asservissants, au point qu'on jugera la condition des Juifs plus supportables, vu qu'ils se soumettent, eux, aux rites de la loi, et non aux surenchères des hommes."

Mais les actes intérieurs, quand il s'agit d'activité vertueuse, offrent une autre sorte de difficulté: par exemple, celle de réaliser l’oeuvre vertueuse avec promptitude et plaisir. En cela réside la difficulté de la vertu: ce qui est très difficile à qui ne possède pas la vertu, devient cependant facile grâce à elle. Or, à cet égard, la loi nouvelle, qui condamne les désordres intérieurs de l'âme, est plus exigeante en ses préceptes que la loi ancienne; celle-ci ne les interdisait pas expressément en tous les cas; et si parfois elle le faisait, l'interdiction n'était pas assortie d'une sanction pénale. Mais cette difficulté extrême concerne celui qui ne possède pas la vertu: "Faire les actes que fait le juste, pour Aristote, est chose aisée; mais les faire de la même manière que le juste, c'est-à-dire avec plaisir et promptitude, c'est difficile pour qui ne possède pas la justice." Il est écrit encore: "Ses commandements ne sont pas difficiles" (1 Jn 5, 3), sur quoi S. Augustin remarque: "Pas difficiles si l'on aime, mais difficiles si l'on n'aime pas."

Solutions:

1. Le texte allégué montre clairement où réside la difficulté de la loi nouvelle: c'est qu'elle réprime sans équivoque les dérèglements intérieurs.

2. Les adversités dont pâtissent ceux qui observent la loi nouvelle ne sont pas infligées par la loi elle-même. Au surplus elles sont légères à porter, grâce à l'amour en quoi précisément cette loi consiste; S. Augustin le dit: "Il n'est rien de dur et de rigoureux que l'amour ne rende aisé et comme négligeable."

3. Dans l'esprit de S. Augustin, ces additions faites aux préceptes de la loi ancienne étaient destinées à rendre les prescriptions de cette loi plus faciles à observer. Elles ne prouvent donc pas que la loi nouvelle serait plus pesante, mais plutôt qu'elle est plus facile.

Cinci
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » lun. 13 févr. 2017, 17:34

Bonjour Chrisome,

La fonction "spoiler" ne fonctionne plus sur le forum depuis une dernière et récente révision. Il est impossible d'afficher le document.

chris-ostome
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par chris-ostome » mar. 14 févr. 2017, 0:45

Edit : la fonction spoiler ne fonctionne plus, je révèle donc les textes qui sont un peu longs. Quand ça fonctionnera de nouveau, je masquerai de nouveau les textes.

J'ai de nouveaux textes pour vous Cinci, j'espère que le Docteur Angélique pourra vous fournir des éléments de réponse.
chrisorne a écrit :
lun. 13 févr. 2017, 15:17
LA LOI ANCIENNE

ARTICLE 1: La loi ancienne était-elle bonne?

Objections:

1. "Je leur ai donné, dit le Seigneur, des préceptes qui ne sont pas bons, des ordonnances selon lesquelles ils ne pourront pas vivre" (Ez 20, 25). Si une loi n'est dite bonne qu'en raison des bons préceptes qu'elle contient, la loi ancienne n'était pas bonne.

2. Suivant S. Isidore, une loi bonne doit être avantageuse à la communauté. Or la loi ancienne ne fut pas avantageuse, mais plutôt meurtrière et funeste. S. Paul l'affirme: "Sans la loi, le péché était mort tandis que moi je vivais jadis sans la loi. Mais, venu le précepte, le péché a repris vie tandis que moi je suis mort" (Rm 7, 8 s). Ou encore: "La loi est intervenue pour que la faute se multiplie" (Rm 5, 20). La loi ancienne n'était donc pas bonne.

3. Si une loi est bonne, les hommes doivent pouvoir l'observer, compte tenu de leur nature et de leurs coutumes. Ce ne fut pas le cas de la loi ancienne: "Pourquoi cherchez-vous, demande Pierre, à placer sur les épaules des disciples un joug que ni nous ni nos pères n'avons pu porter?" (Ac 15, 10). Par où l'on voit que la loi ancienne n'était pas bonne.

Cependant:

dit S. Paul, "la loi est sainte, le commandement est saint, juste et bon" (Rm 7, 12).

Conclusion:

Indubitablement la loi ancienne était bonne. De même en effet qu'on montre la vérité d'une doctrine par son accord avec la raison droite, de même la bonté d'une loi quelconque se manifeste en ce qu'elle s'accorde avec la raisons. Et c'était le cas de la loi ancienne. Elle réprimait la convoitise qui s'oppose à la raison: "Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain", prescrit l'Exode (20, 17). Elle interdisait même tous les péchés, lesquels sont contraires à la raison. Sa bonté est donc manifeste et c'est bien l'avis de l'Apôtre: "Selon l'homme intérieur je me complais dans la loi de Dieu"; et encore: "je suis d'accord avec la loi, tenant qu'elle est bonne" (Rm 7, 22. 16).

Notons toutefois avec Denys que le bien comporte plusieurs degrés: il y a un bien parfait et un bien imparfait. Ce qui est ordonné à une fin est parfaitement bon si l'on y trouve tout ce qu'il faut pour mener à la fin; est imparfaitement bon ce qui contribue à l'obtention de la fin sans être cependant en mesure d'y aboutir. Ainsi le remède parfait est celui qui guérit, le remède imparfait celui qui est utile mais qui cependant ne peut guérir le malade. Or on sait que la fin de la loi humaine et celle de la loi divine ne se confondent pas. Pour la loi humaine, c'est la tranquillité de la cité dans le temps présent; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. Mais la fin de la loi divine c'est de conduire l'homme à sa fin, la félicité éternelle. Or tout péché fait obstacle à cette fin, non seulement les actes extérieurs, mais aussi les actes intérieurs. Il peut donc suffire à la perfection de la loi humaine qu'elle interdise le péché et le punisse, mais cela ne suffit pas pour la loi divine qui doit mettre l'homme pleinement en état de participer à l'éternité bienheureuse. En vérité, pareille tâche exige la grâce de l'Esprit Saint, par qui "est répandue dans nos coeurs la charité" qui accomplit la loi. "La grâce de Dieu est vie éternelle", dit en effet l'épître aux Romains (6, 23). Or cette grâce, la loi ancienne ne pouvait la conférer, cela était réservé au Christ: "La loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont le fait de jésus Christ" (Jn 1, 17). Il s'ensuit que la loi ancienne était bonne, mais imparfaite, comme l'indique l'épître aux Hébreux (7, 19): "La loi n'a rien conduit à la perfection."

Solutions:

1. Dans le texte allégué, le Seigneur parle des préceptes cérémoniels. Ils ne sont pas "bons", parce qu'ils ne conféraient pas la grâce qui eût purifié les hommes du péché, alors que dans ces rites mêmes les hommes se déclaraient pécheurs. De là cette notation: "Et des ordonnances selon lesquelles ils ne pouvaient pas vivre", c'est-à-dire obtenir la vie de la grâce. Et plus loin: "je les ai souillés par leurs offrandes" (autrement dit, j'ai manifesté leurs souillures), "tandis qu'ils m'offraient leurs premiers-nés à cause de leurs pêchés".

2. On dit que la loi "tuait". Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait. En ce sens, l'occasion ne leur avait pas été donnée, mais les hommes s'en étaient saisis. D'où le mot de l'Apôtre à l'endroit cité: "Le péché prenant occasion du précepte m'a séduit et par lui m'a donné la mort" (Rm 7, 11). On entend dans le même sens: "La loi est intervenue pour que la faute se multiplie"; "pour que" marque ici un rapport de conséquence, non un rapport de causalité; autrement dit, les hommes prenant occasion de la loi, péchèrent davantage parce que, d'une part, le péché fut plus grave lorsqu'il eut été prohibé par la loi et parce que, d'autre part, la convoitise s'accrut, s'il est vrai que nous convoitons davantage ce qui nous est interdit.

3. Le joug de la loi ne pouvait être porté sans l'aide de la grâce que la loi ne fournissait pas: "Cela ne dépend pas de celui qui veut ou de celui qui court (à savoir le fait de vouloir et de courir selon les préceptes divins), mais de Dieu qui fait miséricorde" (Rm 9, 16). Et le psalmiste avait dit: "J'ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon coeur", entendons: dilaté par le don de la grâce et de la charité (Ps 1 19, 32).

ARTICLE 2: La loi ancienne venait-elle de Dieu?

Objections:

1. "Les oeuvres de Dieu sont parfaites", dit le Deutéronome (32, 4). Puisque la loi ancienne était imparfaite, comme on vient de l'établir, elle ne pouvait venir de Dieu.

2. "J'ai appris que toutes les oeuvres de Dieu demeurent à jamais", lit-on dans l'Ecclésiaste (3, 14). Or tel n'est pas le cas de la loi ancienne, puisque S. Paul déclare: "Voici abolie la première ordonnance, en raison de son impuissance et de son inutilité" (He 7, 18). Elle n'était donc pas l'oeuvre de Dieu.

3. Une sage législation ne se contente pas d'extirper le mal, elle en écarte aussi les occasions. Or, on l'a dit, la loi ancienne était occasion de péché. Dieu "n'ayant pas d'égal parmi les législateurs" (Jb 36, 22), n'avait rien à voir avec une telle législation.

4. On vient de dire que la loi ancienne n'avait pas de quoi assurer le salut des hommes. Or, "Dieu veut que tous les hommes soient sauvés" (1 Tm 2, 4). Une telle loi ne pouvait donc venir de Dieu.

Cependant:

le Seigneur s'adresse en ces termes aux Juifs à qui avait été donnée la loi ancienne: "Au nom de vos traditions, vous avez rendu inefficace le commandement de Dieu" (Mt 15, 6). Or il s'agissait du précepte d'honorer ses père et mère, précepte qui se trouve, à n'en pas douter, dans la loi ancienne. La loi ancienne vient donc de Dieu.

Conclusion:

La loi ancienne a été donnée par le Dieu bon, Père de Notre Seigneur Jésus-Christ. Elle orientait en effet les hommes vers le Christ. Et doublement: d'abord elle rendait témoignage au Christ comme il l'a déclaré lui-même: "Il faut que soit accompli tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi, les Psaumes et les Prophètes" (Lc 24, 44). Et encore - "Si vous aviez foi en Moïse, peut-être croiriez-vous aussi en moi, car c'est de moi qu'il a écrit" (Jn 5, 46). D'autre part, à sa façon, la loi ancienne préparait les hommes au Christ, en les arrachant à l'idolâtrie et en les tenant soumis au culte du Dieu unique qui, par le Christ, devait sauver le genre humain. Ce qui fait dire à l'Apôtre: "Avant que vînt la foi, nous étions sous la garde de la Loi, enfermés dans l'attente de la foi qui devait être révélée" (Ga 3, 23). Mais préparer les voies et mener au but, c'est le fait d'un seul et même auteur, entendez son fait personnel ou le fait de ses gens. Bref, ce n'est pas le diable, lui que le Christ allait expulser, qui aurait institué une législation propre à mener les hommes vers le Christ: "Si Satan expulse Satan, son royaume est divisé" (Mt 12, 26). Par conséquent c'est le même Dieu qui est l'auteur de la loi ancienne et qui a réalisé le salut des hommes par la grâce du Christ.

Solutions:

1. Pourquoi, sans être parfaite absolument, une réalité ne posséderait-elle pas la perfection qui lui convient à un moment donné? Ainsi dit-on d'un enfant qu'il est parfait, non absolument, mais comme son âge le comporte. De même, les préceptes que l'on fait aux enfants, s'ils ne sont pas parfaits absolument, sont parfaits cependant si l'on tient compte de ceux à qui ils s'adressent. Tel fut le cas des préceptes de la loi, celle-ci étant, selon l'expression de l'Apôtre, "notre pédagogue dans le Christ" (Ga 3, 24).

2. "Les oeuvres divines qui demeurent à jamais", ce sont celles que Dieu destine à demeurer à jamais, c'est-à-dire les oeuvres parfaites. Si la loi ancienne est repoussée au moment où la grâce est venue à sa perfection, ce n'est pas comme mauvaise, mais comme "impuissante et inutile" désormais, puisque, le texte le mentionne, "la loi n'a rien conduit à la perfection". Ce qui revient à dire avec S. Paul: "Du moment que la foi est venue, nous ne sommes plus soumis au pédagogue" (Ga 3, 25).

3. On sait que Dieu permet parfois le péché pour l'humiliation du pécheur. De même aussi voulut-il donner aux hommes une loi qu'ils ne pussent observer par leurs propres forces; par là, dans leur présomption, ils se connaîtraient pécheurs, et dans leur humiliation, ils recourraient à l'aide de la grâce.

4. Certes la loi ancienne n'avait pas de quoi sauver l'homme. Mais celui-ci, en même temps que la loi, recevait de Dieu un autre secours qui pouvait le sauver: c'était la foi au médiateur, par laquelle les Pères de l'Ancien Testament étaient justifiés, comme nous le sommes aussi. Ainsi Dieu ne manquait pas de fournir aux hommes les secours nécessaires au salut.

ARTICLE 4: La loi ancienne a-t-elle été donnée à tous?

Objections:

1. Ce n'est pas seulement aux juifs, c'est à toutes les nations que devait parvenir le salut auquel disposait la loi ancienne, et que le Christ allait apporter. "C'est peu que tu me serves en réveillant les tribus de Jacob, en ramenant les restes d'Israël; je t'ai établi lumière des nations pour être mon salut jusqu'aux extrémités de la terre" (Is 49, 6). Ainsi la loi ancienne devait être donnée à toutes les nations et non à un seul peuple.

2. "Dieu ne fait pas acception des personnes" lit-on au livre des Actes (10, 34), "en toute nation celui qui le craint et vit dans la justice lui est agréable." Il ne devait donc pas ouvrir la voie du salut à un peuple particulier, de préférence aux autres.

3. Les services des anges, dont on vient de parler, ce n'est pas aux seuls juifs, c'est à toutes les nations que Dieu les a toujours assurés: "A la tête de chaque nation, affirme l'Ecclésiastique (17, 14), Dieu a placé un chef." Toutes les nations ont reçu aussi de Dieu des biens temporels, qui ont à ses yeux moins d'importance que les biens spirituels. La loi également devait donc être donnée à tous les peuples.

Cependant:

S. Paul se demandant "Quel est donc l'avantage des Juifs?" répond "Il est grand à tous égards: d'abord les oracles de Dieu leur ont été confiés" (Rm 3, 1). On lit (Ps 147): "Dieu n'a pas agi de la sorte avec toutes les nations, il ne leur a pas fait connaître ses ordonnances."

Conclusion:

Que la loi ait été donnée au peuple juif plutôt qu'aux autres, on pourrait en chercher la raison dans le fait que seul le peuple juif est resté fidèle au culte du Dieu unique, alors que les autres peuples tombant dans l'idolâtrie n'étaient pas dignes de recevoir la loi, puisque ce qui est saint ne doit pas être donné aux chiens. Mais cette explication n'est pas satisfaisante, car le peuple juif, lui aussi, tomba dans l'idolâtrie et même après l'établissement de la loi, ce qui aggrave son cas. Nous en avons la preuve soit dans l'Exode (32), soit dans Amos (5, 25 s): "M'avez-vous offert des sacrifices et des oblations dans le désert pendant quarante ans, maison d'Israël? Vous portiez la tente de votre dieu Moloch et vos images idolâtriques et l'étoile de votre dieu, que vous vous êtes fabriquées !"

En outre, il est dit expressément dans le Deutéronome (9, 6): "Sache que ce n'est pas à cause de tes oeuvres justes que le Seigneur ton Dieu t'a donné cette terre en propriété, car tu es un peuple à la nuque raide." Mais la vraie raison est fournie: "C'est pour accomplir la parole que le Seigneur a jurée à tes pères Abraham, Isaac et Jacob" (v. 5).

Quelle fut cette promesse, l'Apôtre le dit: "Les promesses ont été faites à Abraham et à sa descendance, non pas au pluriel: à ses descendants, mais au singulier: à sa descendance, qui est le Christ" (Ga 3, 16). Ainsi donc à ce peuple Dieu accorda la loi et d'autres bienfaits spéciaux parce qu'il avait promis à leurs pères que le Christ naîtrait d'eux. Il convenait en effet que le peuple qui devait donner le jour au Christ se distinguât par une sainteté particulière: "Soyez saints comme je suis saint" (Lv 19, 2). Ce n'est pas non plus le mérite d'Abraham qui explique la promesse qui lui fut faite, à savoir que le Christ naîtrait de sa race: il y va d'un choix et d'un appel gratuits: "Qui a suscité le juste de l'Orient et l'a appelé à sa suite?" (Is 41, 2).

D'où il ressort clairement que les Pères ont reçu la promesse, et que le peuple de leur lignage a reçu la loi en vertu seulement d'un choix gratuit: "Vous avez entendu ses paroles du milieu du feu, lisons-nous au Deutéronome (4, 36), parce qu'il a aimé vos pères et a choisi leur postérité après eux." - Si l'on insiste en demandant pourquoi Dieu a choisi ce peuple et non un autre pour donner le jour au Christ, il conviendra de répondre avec S. Augustin: "Pourquoi attire-t-il celui-ci et non celui-là, ne prétends pas en décider, si tu ne veux pas errer."

Solutions:

1. Toutes les nations devaient bien avoir accès au salut réalisé par le Christ, mais celui-ci ne pouvait naître que d'un peuple déterminé, d'où découlent pour ce peuple des prérogatives exclusives: "A eux, écrit S. Paul, c'est-à-dire aux juifs, appartient l'adoption des fils de Dieu, à eux l'alliance, à eux la loi et les patriarches; c'est d'eux que le Christ naquit selon la chair" (Rm 9, 4).

2. On peut parler d'acception des personnes quand il y a obligation de donner, mais non pas à propos de libres dispositions à titre gratuit. Donner libéralement de son bien à celui-ci plutôt qu'à celui-là, ce n'est pas faire acception des personnes; ce serait le cas si l'on avait à répartir des biens communs et qu'on ne réglât pas équitablement la distribution selon les titres de chacun. Mais le bienfait du salut, Dieu ne l'accorde au genre humain que par sa grâce; il ne fait donc pas acception des personnes s'il en gratifie les uns de préférence aux autres: "Tous ceux que Dieu instruit, c'est par miséricorde qu'il les instruit; ceux qu'il n'instruit pas, c'est par une juste sentence", nous dit encore S. Augustin; c'est là, en effet, une suite de la condamnation du genre humain pour la faute de notre premier père.

3. La faute prive l'homme des dons de la grâce, mais ne lui enlève pas ceux de la nature. Or le ministère des anges fait partie de ces derniers; c'est en effet l'ordre naturel des êtres, qui veut que les plus humbles soient gouvernés par des agents de rang intermédiaire, et que même les secours corporels ne soient pas réservés par Dieu aux hommes, mais procurés aussi aux animaux sans raison: "Seigneur, tu sauves les hommes et les bêtes" (Ps 36, 7).

ARTICLE 8: Les préceptes du décalogue souffrent-ils dispense?

Objections:

1. Les préceptes du décalogue sont du droit de nature; mais ce droit, constate Aristote, est, comme la nature même de l'homme, sujet à des changements et à des défaillances. Or quand une loi est en défaut touchant certains cas particuliers, on sait qu'il y a lieu d'en dispenser.

2. Ce que l'homme peut à l'égard de la loi humaine, Dieu le peut à l'égard de la loi divine. Puisque l'homme peut dispenser des préceptes d'une loi établie par l'homme, Dieu qui a établi les préceptes du décalogue peut en dispenser; et puisque les supérieurs tiennent sur terre la place de Dieu, selon ce mot de S. Paul (2 Co 2, 10): "Si j'ai accordé quelque chose, je l'ai fait pour vous au nom du Christ", il s'ensuit que les supérieurs peuvent aussi dispenser des préceptes du décalogue.

3. L'interdiction de l'homicide est un précepte du décalogue dont les hommes dispensent manifestement: selon les dispositions de la loi humaine il est légitime de mettre à mort certains hommes, malfaiteurs ou ennemis. C'est la preuve que l'on peut dispenser des préceptes du décalogue.

4. La célébration du sabbat, autre précepte du décalogue, a fait l'objet de dispense. Le fait est relaté dans le livre premier des Maccabées (2, 4 1): "Ils prirent en ce jour-là cette décision: Tout homme qui viendra guerroyer contre nous le jour du sabbat, nous combattrons contre lui." Donc les préceptes du décalogue sont susceptibles de dispense.

Cependant:

Isaïe (24, 5) réprimande ceux qui "ont violé les lois, rompu l'alliance éternelle", ce qui s'entend avant tout des préceptes du décalogue. Il n'est donc pas permis d'y porter atteinte par la dispense.

Conclusion:

On l'a dit, il faut dispenser d'un précepte lorsqu'il se présente un cas particulier où l'application littérale de la loi irait contre l'intention du législateur. Or l'intention de tout législateur vise en premier lieu et principalement le bien commun, secondairement un ordre de justice et de vertu qui garantit ce bien commun et qui permet d'y atteindre. Si donc il existe des préceptes impliquant précisément la sauvegarde du bien commun ou l'ordre de justice et de vertu, ces préceptes contiennent l'intention du législateur et excluent toute dispense. Supposons par exemple dans une cité le précepte interdisant de renverser l'État, ou de livrer la ville aux ennemis, ou de faire quoi que ce soit d'injuste et de mauvais: ces dispositions ne souffriraient aucune dispense. Mais s'il était porté d'autres préceptes, ordonnés aux premiers et déterminant telles conduites particulières, ici la dispense serait possible, pourvu que dans les cas considérés elle ne porte aucun préjudice aux préceptes précédents qui contiennent l'intention du législateur. Si par exemple, dans une ville assiégée, on décidait pour la sécurité publique de confier la défense à des vignes recrutés dans chaque quartier, certaines dispenses individuelles seraient admissibles en vue d'un avantage plus grand.

Or les préceptes du décalogue expriment justement l'intention de Dieu, le législateur. Ceux de la première table, relatifs à Dieu, énoncent pour lui-même l'attachement au bien commun et final qui est Dieu; ceux de la seconde table énoncent l'ordre juste qui doit régner entre les hommes, nul tort n'étant fait à personne et chacun recevant son dû. C'est en ce sens qu'il faut entendre les préceptes du décalogue, et c'est pourquoi ils

ne souffrent aucune sorte de dispense.

Solutions:

1. A cet endroit, Aristote ne parle pas de ce droit de nature qui exprime précisément l'ordre de justice; il n'y a en effet jamais d'exception au devoir d'observer la justice. Il fait allusion à telles manières déterminées d'observer la justice qui peuvent parfois être mises en échec.

2. S. Paul dit aussi (2 Tm 2, 13): "Dieu demeure fidèle et ne peut se renier." Il se renierait si l'ordre même de la justice était aboli par lui, puisqu'il est, lui, la justice même. Dieu ne peut donc dispenser l'homme ni d'être en règle avec lui ni de se soumettre à l'ordre de sa justice même dans les matières qui concernent le commerce des hommes entre eux.

3. Le décalogue interdit l'homicide en tant qu'acte indu; en ce sens le précepte inclut l'idée même de justice. Or la loi humaine ne peut permettre qu'un homme soit tué injustement. Mais il n'est pas injuste de tuer les malfaiteurs ou les ennemis de l’État, et cela ne va pas contre le précepte du décalogue. L'acte de tuer, dans ces conditions, diffère de l'homicide prohibé par le décalogue au jugement de S. Augustin. De même, dépouiller quelqu'un de ce qui était à lui, si c'est à bon droit qu'on le lui ôte, ce n'est pas vol ou rapine prohibés par le précepte du décalogue. - Par conséquent, lorsque les enfants d'Israël, sur l'ordre de Dieu, emportèrent les dépouilles des Égyptiens, ce ne fut pas un vol; elles leur étaient dues par sentence divine. - Et lorsque Abraham accepta de tuer son fils, il ne consentit pas à un homicide: Dieu, qui est maître de la vie et de la mort l'ayant ordonnée, cette mort était de droit. C'est Dieu en effet qui inflige à tous, justes et injustes, cette peine de mort, à cause du péché du premier père; et l'homme divinement mandaté pour exécuter cette sentence ne sera pas un homicide, pas plus que Dieu. - De même, les relations d'Osée avec une prostituée ou avec une famine adultère ne constituaient ni une fornication ni un adultère, parce que cette femme était sienne par l'ordre de Dieu qui a fondé l'institution du mariage.

Ainsi les préceptes du décalogue, quant à la raison de justice qu'ils impliquent, sont invariables. Mais dans l'application aux cas d'espèce, telle détermination, par exemple que tel ou tel acte soit ou non un homicide, un vol ou un adultère, cela n'est pas immuable. Tantôt le changement procède exclusivement de l'autorité de Dieu, pour ce qui tient à la seule institution divine, comme le mariage; tantôt intervient l'autorité humaine, dans les matières confiées à la juridiction des hommes. A cet égard, les hommes agissent au nom de Dieu, mais non dans tous les cas.

4. Cette décision fut moins une dispense qu'une interprétation du précepte. Le Christ a montré (Mt 12, 3) qu'on n'est pas coupable de violer le sabbat quand on exerce une activité indispensable à la vie humaine.

LA LOI NOUVELLE


ARTICLE 1: La loi nouvelle diffère-t-elle de la loi ancienne?


Objections:

1. L'une et l'autre loi est accordée à ceux qui ont foi en Dieu, car "sans la foi il est impossible de plaire à Dieu" (He 11, 6). Or, nous lisons dans la Glose (sur Mt 21, 9) que la foi d'aujourd'hui est identique à celle d'autrefois. Il y a donc aussi identité de loi.

2. S. Augustin a résume "en deux mots la différence entre la loi et l'Évangile: crainte et amour". Or il n'y a pas là de quoi distinguer loi nouvelle et loi ancienne, parce que celle-ci comportait également des préceptes de charité: "Tu aimeras ton prochain" (Lv 19, 18) et: "Tu aimeras le Seigneur ton Dieu" (Dt 6, 5); - On ne peut davantage retenir cette autre différence signalée par S. Augustin: "L'ancienne alliance comportait des promesses temporelles, et la nouvelle contient des promesses spirituelles et éternelles." En réalité, même dans le Nouveau Testament, il y a des promesses temporelles, par exemple: "Vous recevrez le centuple en ce monde, maisons, frères, etc." (Mc 10, 30); et l'Ancien Testament faisait espérer des promesses spirituelles et éternelles, puisque l'épître aux Hébreux (11, 16) dit des Pères de l'ancien temps: "C'est à une patrie meilleure qu'ils aspirent, à la patrie céleste." Ainsi, la loi nouvelle ne paraît pas différente de la loi ancienne.

3. L'Apôtre a l'air de suggérer une différence entre ces deux lois lorsqu'il appelle l'ancienne la loi des oeuvres, et la nouvelle la loi de la foi (Rm 3, 27). Mais la première aussi fut une loi de la foi: "Leur foi à tous fut louée", dit l'épître aux Hébreux (11, 39), évoquant les Pères de l'ancienne loi. Et à son tour la loi nouvelle est aussi une loi des oeuvres: "Faites du bien à ceux qui vous haïssent" (Mt 5, 44) et: "Faites cela en mémoire de moi" (Lc 22, 19). Ainsi la loi nouvelle n'est pas différente de l'ancienne.

Cependant:

l'Apôtre écrit aux Hébreux (7, 12): "Un changement de sacerdoce entraîne nécessairement un changement de loi." Comme il démontre au même endroit qu'entre l'Ancien et le Nouveau Testament il y a eu changement de sacerdoce, il s'ensuit que la loi aussi a changé.

Conclusion:

Toute loi, avons-nous dit précédemment, ordonne la conduite humaine en vue d'une fin déterminée. Or, ce qui est ordonné à une fin peut, du point de vue de la fin, se diversifier de deux manières. Ou bien cela se réfère à des fins différentes: il s'agit alors d'une diversité spécifique, surtout s'il s'agit d'une fin prochaine. Ou bien certains actes se réfèrent de près, les autres de loin, à une fin donnée. Il saute aux yeux par exemple que des mouvements ordonnés à des termes différents diffèrent spécifiquement, tandis que deux phases d'un même mouvement, dont l'une est plus proche du terme que l'autre, mettent dans ce mouvement une différence qui tient à un degré imparfait de perfection.

De là vient qu'entre deux lois une double distinction est concevable. Ou bien elles sont absolument différentes, comme relevant de fins différentes; ainsi dans la cité il y aurait une différence spécifique entre le système législatif assurant la souveraineté du peuple, et celui qui donnerait la prépondérance à l'aristocratie urbaine. - Ou bien deux législations peuvent différer en ce que les dispositions de l'une sont en relation plus étroite avec la fin, celles de l'autre en rapport plus lointain. On admet par exemple que, sous un seul et même régime politique, autre est la législation imposée aux hommes faits, dès maintenant capables de satisfaire aux exigences du bien public, autre la législation qui règle l'éducation des enfants, ceux-ci devant être préparés à l'accomplissement de leurs tâches viriles.

Donc, du premier point de vue, la loi nouvelle ne diffère pas de la loi ancienne, car toutes deux n'ont qu'une fin, la soumission des hommes à Dieu, et ce Dieu est unique, celui de la nouvelle et de l'ancienne alliance: "Unique est le Dieu qui justifie le circoncis à raison de sa foi, et l'incirconcis par le moyen de sa foi" (Rm 3, 30). - Du second point de vue, la loi nouvelle diffère de l'ancienne, car celle-ci est comparable au pédagogue, selon l'expression de S. Paul (Ga 3, 24) tandis que la loi nouvelle est une loi de perfection, étant celle de la charité, que l'Apôtre appelle le "lien de la perfection" (Col 3, 14).

Solutions:

1. Si la foi des deux alliances est identique, c'est que leur fin est unique; car nous avons vu que l'objet des vertus théologales, au nombre desquelles se trouve la foi, est la fin ultime. N'empêche que la foi n'avait pas sous la loi ancienne le même régime que sous la loi nouvelle: ce qui était à venir pour la foi d'alors est chose faite pour la nôtre.

2. Toutes les différences qu'on signale entre la loi nouvelle et l'ancienne se ramènent à une inégalité de perfection. Les préceptes légaux, en effet, portent toujours sur des actes vertueux. Or l'inclination à exercer ces actes n'est pas la même chez les imparfaits, qui ne sont pas encore en possession de la vertu, et chez ceux que la possession de la vertu rend parfaits. Ce qui pousse les premiers aux oeuvres de vertu, c'est un certain motif extrinsèque, comme la menace du châtiment ou la promesse de quelque récompense extérieure, de caractère honorifique, pécuniaire, etc. Aussi la loi ancienne, s'adressant à des hommes qui n'avaient pas encore reçu la grâce spirituelle, méritait le nom de "loi de crainte" en tant qu'elle incitait à l'observation des préceptes par la menace de peines déterminées. Et elle comportait des promesses que l'on qualifie de temporelles.

Au contraire, ceux qui possèdent la vertu, c'est par amour de la vertu qu'ils inclinent à en faire les actes, et non à cause d'une pénalité ou récompense extrinsèque. C'est pourquoi, à propos de la loi nouvelle qui pour l'essentiel consiste justement dans la grâce spirituelle imprimée dans les coeurs, on parle de "loi d'amour". Elle comporte, dit-on encore, des promesses spirituelles et éternelles: ce sont les objets de la vertu, et d'abord de la charité; en sorte que les vertueux y vont par une inclination intérieure, comme vers des biens qui ne leur sont pas étrangers et qui leur reviennent en propre. - Pour la même raison, la loi ancienne est appelée un frein pour la main, non pour le coeur: en effet, s'abstenir du péché par crainte du châtiment, ce n'est pas en détourner absolument son vouloir, comme lorsqu'on s'abstient du péché par amour de la justice; tandis que la loi nouvelle, étant une loi d'amour, est bien un frein pour le coeur.

Il y eut toutefois, sous le régime de l'ancienne alliance, des gens qui possédaient la charité et la grâce de l'Esprit Saint et aspiraient avant tout aux promesses spirituelles et éternelles, en quoi ils se rattachaient à la loi nouvelle. Inversement, il existe sous la nouvelle alliance des hommes charnels, encore éloignés de la perfection de la loi nouvelle: pour les inciter aux oeuvres vertueuses, la crainte du châtiment et certaines promesses temporelles ont été nécessaires, jusque sous la nouvelle alliance. En tout cas, même si la loi ancienne prescrivait la charité, elle ne donnait pas l'Esprit Saint, par qui "la charité est répandue dans nos coeurs" (Rm 5, 5).

3. Nous l'avons dit, la loi de la grâce est la loi de la foi, en tant que pour l'essentiel elle consiste précisément dans le don intérieur de la grâce accordé à ceux qui croient; de là vient qu'on l'appelle "grâce de la foi". Secondairement elle comporte aussi certaines réalisations dans l'ordre des moeurs et des sacrements, mais ce n'est pas en cela que consiste principalement la loi nouvelle, à la différence de l'ancienne. Du reste, sous l'ancienne alliance, ceux qui furent agréables à Dieu à cause de leur foi appartenaient par le fait même à la nouvelle: seule en effet la foi au Christ, fondateur de la nouvelle alliance, les rendait justes. C'est pourquoi ü est écrit de Moïse que "l'approche du Christ lui parut être une richesse plus précieuse que les trésors de l'Égypte" (He 11, 26).

ARTICLE 2: La loi nouvelle réalise-t-elle l'accomplissement de l'ancienne loi?


Objections:

1. Parfaire une chose n'est pas la défaire. Or la loi nouvelle défait, ou exclut les observances de la loi ancienne: "Si vous vous faites circoncire, dit l'Apôtre, le Christ ne vous sera d'aucune utilité" (Ga 1, 2). La loi nouvelle n'est donc pas l'accomplissement de l'ancienne.

2. Rien n'est accompli par son contraire. Or le Seigneur a introduit dans la loi nouvelle des préceptes contraires à ceux de la loi ancienne "Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens "Quiconque renvoie sa femme, qu'il lui donne un acte de répudiation", mais moi je vous dis: "Quiconque renvoie sa femme l'expose à l'adultère"" (Mt 31, 32). La suite du passage révèle la même opposition touchant la prohibition du serment, la prohibition du talion et la haine des ennemis. De même il ressort de Mt (15, 11) que le Seigneur a rejeté les prescriptions de la loi ancienne sur la distinction des aliments: "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur." Donc la loi nouvelle ne porte pas l'ancienne à sa perfection.

3. Enfreindre la loi, comme l'a fait le Christ sur certains points, ce n'est pas l'accomplir. Il a touché le lépreux, au mépris de la loi (Mt 8, 3). Il semble avoir plusieurs fois violé le sabbat, au point que les juifs disaient de lui; "Cet homme n'est pas de Dieu, lui qui n'observe pas le sabbat" (Jn 9, 16). Le Christ n'a donc pas accompli la loi, et la loi nouvelle, qu'il a instaurée, n'est pas venue accomplir l'ancienne.

4. On sait que la loi ancienne comportait des préceptes moraux, des préceptes cérémoniels et des préceptes judiciaires. S'il ressort de Mt (5) que le Seigneur a sur certains points accompli la loi, on n'y trouve d'allusion ni aux préceptes judiciaires ni aux préceptes cérémoniels. Il s'ensuit que la loi nouvelle ne réalise pas intégralement l'accomplissement de l'ancienne.

Cependant:

on se heurte à l'affirmation du Seigneur: "Je ne suis pas venu abolir la loi mais l'accomplir... Pas un iota, pas un trait de la loi ne passera que tout ne soit arrivé" (Mt 5, 17-18).

Conclusion:

On vient de voir que loi nouvelle et loi ancienne sont dans le rapport du parfait à l'imparfait; or ce qui est parfait réalise en plénitude ce qui manque à l'imparfait; c'est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en tant qu'elle supplée à ce qui manquait à celle-ci.

On peut d'ailleurs, dans la loi ancienne, considérer deux points: la fin qu'elle poursuivait, et les préceptes qu'elle contenait. Toute loi, avons-nous dit, a pour fin de rendre les hommes justes et vertueux; aussi la fin de la loi ancienne était-elle la justification de l’homme. Or cette fin, la loi ne pouvait la réaliser, mais elle la figurait par certains actes cérémoniels, et elle la promettait par ses paroles. Sous ce rapport, la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en justifiant l’homme par la vertu de la passion du Christ: "Ce que la loi ne pouvait faire, écrit S. Paul, Dieu l'a fait: en envoyant son Fils dans une chair semblable à la chair du péché, il a condamné le péché dans la chair, pour que fût complète en nous la justice de la loi" (Rm 8, 3-4).

A ce titre, la loi nouvelle procure ce que la loi ancienne promettait: "Toutes les promesses de Dieu ont trouvé leur oui en lui" (2 Co 1, 20); en lui, c'est-à-dire dans le Christ. - Et à ce titre encore, elle réalise ce que la loi ancienne figurait. Ainsi, selon l'Apôtre, les cérémonies étaient "l'ombre des choses à venir, mais le corps (entendez la réalité) appartient au Christ" (Col 2, 17). C'est pourquoi on désigne la loi nouvelle comme étant celle de la réalité, tandis que la loi ancienne est celle de l'ombre ou de la figure.

Mais le Christ a porté aussi à leur plein accomplissement les préceptes de la loi ancienne, tant par ses actes que par ses enseignements. Par ses actes, en acceptant de se faire circoncire et d'observer toutes les prescriptions légales qui s'imposaient alors, car il était "né sous la loi" (Ga 4, 4). - Par ses enseignements il a apporté un triple perfectionnement aux pr ère le vrai sens de la loi, comme on le constate à propos de la prohibition de l'homicide et de l'adultère, où les scribes et les pharisiens ne voyaient que l'interdiction des actes extérieurs; mais le Seigneur, menant la loi à sa perfection, a déclaré que ses prohibitions s'étendaient jusqu'aux péchés intérieurs. - En second lieu, le Seigneur a perfectionné les préceptes légaux par des dispositions propres à mieux assurer l'observation des anciennes prescriptions légales. Ainsi la loi ancienne avait établi l'interdiction du parjure, ce qu'on est plus sûr d'observer si l'on s'abstient généralement de jurer, sauf le cas de nécessité (Mt 5, 33). - Enfin le Seigneur a perfectionné les préceptes de la loi en leur adjoignant certains conseils de perfection, comme il ressort de cet épisode où, entendant quelqu'un déclarer qu'il avait pratiqué les commandements de la loi ancienne, le Seigneur lui dit: "Tu n'as plus qu'une chose à faire. Si tu veux être parfait, va et vends tout ce que tu possèdes, etc." (Mt 19, 21).

Solutions:

1. Si la loi nouvelle exclut l'observation de la loi ancienne, c'est seulement, nous l'avons dit, en matière de cérémonies. Mais celles-ci se présentaient comme des figures de l'avenir. Aussi, une fois accomplis les préceptes cérémonials par la réalisation de ce qu'ils figuraient, il n'y a plus lieu de les observer; ou bien quelque chose serait signifié encore comme futur et non advenu. Ainsi la promesse d'un don à faire ne tient plus une fois qu'elle a trouvé son accomplissement dans la réalisation du don. Il en va de même pour les cérémonies de la loi qui sont abolies du moment qu'elles sont réalisées.

2. Selon S. Augustin, il n'y a aucune contradiction entre ces préceptes du Seigneur et ceux de la loi ancienne: "Quand le Seigneur interdit le renvoi de la femme, il ne s'oppose pas aux dispositions de la loi. Car celle-ci ne dit pas que l'on peut à son gré renvoyer sa femme, et c'est à cela que s'opposerait l'interdiction du renvoi. Évidemment le législateur ne tenait pas à ce que le mari renvoyât sa femme, puisqu'il visait à retarder, à briser son élan précipité par l'exigence d'un acte écrit, et à le faire revenir sur son intention de divorce." "Et ainsi, dit ailleurs S. Augustin, pour confirmer cette règle de ne pas renvoyer sa femme à la légère, seule l'exception de fornication a été admise par le Seigneur." Touchant la prohibition du serment, nous venons d'exposer une solution analogue. - Et il en va de même pour la prohibition du talion: cette loi fixait une borne à la vengeance afin qu'on ne s'y livrât pas avec excès; inconvénient que le Seigneur a encore plus parfaitement exclu par son avertissement de renoncer absolument à la vengeance. - Quant à la haine des ennemis, il a écarté l'interprétation erronée des pharisiens en nous avertissant de haïr non la personne, mais le péché. - Reste la distinction des aliments: le Seigneur, sans abroger dès lors cette observance cérémonielle, montra que nul aliment n'était impur par sa nature, mais seulement à cause de ce qu'il figurait, nous l'avons dit plus haut.

3. Le contact des lépreux était légalement prohibé parce que, comme le contact des cadavres, il faisait encourir une souillure par manière d'irrégularité, nous l'avons dit. Mais le Seigneur, qui purifiait le lépreux ne pouvait encourir cette impureté. - Il n'a pas non plus réellement violé le sabbat par les actes qu'il a accomplis ce jour-là, et il en fournit lui-même dans l'Évangile plusieurs raisons: d'abord, s'il opérait des miracles, c'était par la vertu divine qui est toujours à l’oeuvre (Jn 5, 17); et puis, il agissait pour sauver les hommes, alors que les pharisiens, eux, le jour du sabbat, faisaient le nécessaire pour sauver même les bêtes (Mt 12, 11); enfin, quand les disciples arrachèrent des épis le jour du sabbat, il a invoqué à leur excuse la nécessité (v. 3). Mais on pouvait parler de violation, selon l'interprétation abusive des pharisiens, qui estimaient qu'on devait, le jour du sabbat, s'abstenir même des activités de sauvetage, contrairement à l'intention de la loi.

4. Le texte de Mt (5) omet les préceptes cérémoniels de la loi, parce que leur réalisation (au sens qu'on vient d'expliquer, sol. 1) implique qu'on cesse absolument de les observer. - Parmi les préceptes judiciaires, le Seigneur a fait mention du talion, ce qu'il en dit devant s'appliquer à tous les autres. Or il enseigne à ce propos que l'intention de la loi n'est pas qu'on requière l'application de cette peine pour assouvir un désir de vengeance. En effet, lui-même exclut pareil désir lorsqu'il avertit que l'on doit être disposé à subir encore un surcroît d'injustice, mais uniquement par amour pour la justice; or cela subsiste toujours dans la loi nouvelle.

ARTICLE 3: La loi nouvelle est-elle contenue dans l'ancienne?

Objections:

1. La loi nouvelle consiste avant tout dans la foi, si bien que S. Paul l'appelle "la loi de la foi" (Rm 3, 27), et elle nous invite à croire bien des choses qui ne figurent pas dans la loi ancienne. C'est donc qu'elle n'est pas contenue dans celle-ci.

2. Il existe sur ce passage: "Celui qui aura enfreint l'un de ces plus petits commandements" (Mt 5, 19) une glose de S. Augustin qualifiant de plus petits, les préceptes de la loi, et de plus grands ceux de l’Évangile. Le plus grand ne pouvant être contenu dans le plus petit, la loi nouvelle ne peut être contenue dans l'ancienne.

3. Qui possède le contenant possède le contenu. Si la loi nouvelle était contenue dans l'ancienne, le don de celle-ci impliquerait le don de celle-là et par conséquent, une fois reçue la loi ancienne, il eût été inutile de recevoir encore la loi nouvelle. Donc celle-ci n'est pas contenue dans celle-là.

Cependant:

S. Grégoire interprétant le verset d'Ézéchiel (1, 16): "La roue était dans la roue", en donne cette explication: "Le Nouveau Testament était dans l'Ancien."

Conclusion:

Une chose peut être contenue dans une autre de façon actuelle, comme un objet dans le lieu où il est placé; ou de façon virtuelle, comme l'effet est contenu dans la cause ou l’oeuvre achevée dans son ébauche; en ce dernier sens, le genre contient en puissance les espèces, et l'arbre tout entier est contenu dans la graine. Et c'est ainsi que la loi nouvelle est contenue dans l'ancienne, puisque nous avons dit qu'elle est, par rapport à celle-ci, comme le parfait est à l'imparfait. On attribue à S. jean Chrysostome, à propos de ce verset évangélique: "De son propre mouvement la terre produit d'abord l'herbe, puis l'épi, puis du grain plein l'épi" (Mc 4, 28), une glose ainsi conçue: "L'herbe est produite d'abord, dans la loi naturelle . puis vient l'épi, dans la loi de Moïse; et enfin le grain solide dans l'évangile." Ainsi donc, la loi nouvelle est dans l'ancienne comme le grain est dans l'épi.

Solutions:

1. Tout ce que le Nouveau Testament propose à notre croyance d'une manière explicite et manifeste se trouve dans l'Ancien sous l'enveloppe de figures. Ainsi, de même que pour les vérités à croire, la loi nouvelle est contenue dans l'ancienne.

2. Nous disons que les préceptes de la loi nouvelle sont plus grands que ceux de la loi ancienne, du fait qu'ils sont clairement explicités. Mais les préceptes du Nouveau Testament sont tous présents en substance dans l'Ancien. S. Augustin en fait la remarque: "A peu près tous les avertissements ou commandements que fit le Seigneur sous cette clause: "Et mois je vous dis" se retrouvent dans les livres anciens." "Mais, puisqu'on ne considérait comme homicide que la destruction d'un corps humain, le Seigneur fit voir que toute injustice tendant à léser un frère se ramène à une sorte d'homicide." Compte tenu de ces développements, on admet que les préceptes de la loi nouvelle dépassent ceux de la loi ancienne. D'ailleurs rien n'empêche que le plus grand soit contenu virtuellement dans le plus petit, comme l'arbre dans la graine.

3. Ce qui a été reçu implicitement demande à être explicité. C'est pourquoi, après l'institution de la loi ancienne, il fallut encore donner la loi nouvelle.
ARTICLE 4: Laquelle est la plus pesante: la loi nouvelle ou la loi ancienne?


Objections:

1. S. Jean Chrysostome dit, à propos des "moindres commandements" mentionnés par S. Matthieu (5, 19): "Les commandements de Moïse sont d'exécution facile: "Tu ne tueras point, tu ne commettras pas d'adultère." Mais les commandements du Christ: "Ne te mets pas en colère, ne convoite pas", sont difficiles à observer." Le fardeau de la loi nouvelle est donc plus lourd que celui de la loi ancienne.

2. Il est plus facile de jouir des prospérités terrestres que de supporter le malheur. Or sous l'ancienne alliance l'observation de la loi avait pour conséquence la prospérité temporelle (Dt 28, 1-14). Au contraire, ceux qui observent la loi nouvelle subissent mille adversités, selon S. Paul (2 Co 6, 4): "Nous nous présentons comme serviteurs de Dieu, dans une grande patience, dans les épreuves, les nécessités, les angoisses, etc." La loi nouvelle est donc plus pénible que l'ancienne.

3. Quand on ajoute à un fardeau, il est évidemment plus lourd. Or la loi nouvelle ajoute à l'ancienne: à l'interdiction du parjure, elle ajoute celle du serment; la loi ancienne prohibait la répudiation de la femme à moins d'un acte écrit, la loi nouvelle dans tous les cas. C'est du moins ainsi que S. Augustin comprend le texte de Matthieu (5, 31). La loi nouvelle est donc plus pesante que l'ancienne.

Cependant:

il y a cette parole de Jésus "Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et qui peinez sous le fardeau" (Mt 11, 23), commentée en ces termes par S. Hilaire: "Le Christ appelle à lui ceux qui sont fatigués par la difficulté de la loi et qui portent le fardeau des péchés du monde." Et la suite concerne le joug de l'Évangile: "Car mon joug est doux et mon fardeau léger" (Mt 11, 30). La loi nouvelle est donc plus légère que l'ancienne.

Conclusion:

Dans les oeuvres vertueuses qui font l'objet des préceptes de la loi, on peut rencontrer une double difficulté. Il y a la difficulté inhérente aux actes extérieurs qui par eux-mêmes ont quelque chose d'ardu et de pénible. A cet égard la loi ancienne est bien plus pesante que la nouvelle, car dans la multiplicité de ses rites elle obligeait à beaucoup plus d'actes extérieurs que la loi nouvelle. Celle-ci, telle que le Christ et les Apôtres l'ont enseignée, n'a presque rien ajouté, en fait de préceptes, à ceux de la loi naturelle. Il est vrai qu'ultérieurement survinrent quelques préceptes d'institution ecclésiastique; mais pour ceux-ci S. Augustin recommande également la modération, de peur que la vie des fidèles en devienne pénible. A l'une des questions de Januarius, il répond ainsi: "Alors que la miséricorde de Dieu a voulu que notre religion fût libre, se contentant de célébrer un petit nombre de mystères qu'il est tout à fait impossible d'ignorer, il y a des gens qui l'accablent de fardeaux asservissants, au point qu'on jugera la condition des Juifs plus supportables, vu qu'ils se soumettent, eux, aux rites de la loi, et non aux surenchères des hommes."

Mais les actes intérieurs, quand il s'agit d'activité vertueuse, offrent une autre sorte de difficulté: par exemple, celle de réaliser l’oeuvre vertueuse avec promptitude et plaisir. En cela réside la difficulté de la vertu: ce qui est très difficile à qui ne possède pas la vertu, devient cependant facile grâce à elle. Or, à cet égard, la loi nouvelle, qui condamne les désordres intérieurs de l'âme, est plus exigeante en ses préceptes que la loi ancienne; celle-ci ne les interdisait pas expressément en tous les cas; et si parfois elle le faisait, l'interdiction n'était pas assortie d'une sanction pénale. Mais cette difficulté extrême concerne celui qui ne possède pas la vertu: "Faire les actes que fait le juste, pour Aristote, est chose aisée; mais les faire de la même manière que le juste, c'est-à-dire avec plaisir et promptitude, c'est difficile pour qui ne possède pas la justice." Il est écrit encore: "Ses commandements ne sont pas difficiles" (1 Jn 5, 3), sur quoi S. Augustin remarque: "Pas difficiles si l'on aime, mais difficiles si l'on n'aime pas."

Solutions:

1. Le texte allégué montre clairement où réside la difficulté de la loi nouvelle: c'est qu'elle réprime sans équivoque les dérèglements intérieurs.

2. Les adversités dont pâtissent ceux qui observent la loi nouvelle ne sont pas infligées par la loi elle-même. Au surplus elles sont légères à porter, grâce à l'amour en quoi précisément cette loi consiste; S. Augustin le dit: "Il n'est rien de dur et de rigoureux que l'amour ne rende aisé et comme négligeable."

3. Dans l'esprit de S. Augustin, ces additions faites aux préceptes de la loi ancienne étaient destinées à rendre les prescriptions de cette loi plus faciles à observer. Elles ne prouvent donc pas que la loi nouvelle serait plus pesante, mais plutôt qu'elle est plus facile.

Cinci
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » mar. 14 févr. 2017, 16:28

Merci, Chrisome!

Je vais prendre le temps de regarder ça.

Cinci
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » mar. 14 févr. 2017, 17:11

Au début de la page :

Conclusion:

Indubitablement la loi ancienne était bonne. De même en effet qu'on montre la vérité d'une doctrine par son accord avec la raison droite, de même la bonté d'une loi quelconque se manifeste en ce qu'elle s'accorde avec la raisons. Et c'était le cas de la loi ancienne. Elle réprimait la convoitise qui s'oppose à la raison: "Tu ne convoiteras pas le bien de ton prochain", prescrit l'Exode (20, 17). Elle interdisait même tous les péchés, lesquels sont contraires à la raison. Sa bonté est donc manifeste et c'est bien l'avis de l'Apôtre: "Selon l'homme intérieur je me complais dans la loi de Dieu"; et encore: "je suis d'accord avec la loi, tenant qu'elle est bonne" (Rm 7, 22. 16).

Notons toutefois avec Denys que le bien comporte plusieurs degrés: il y a un bien parfait et un bien imparfait. Ce qui est ordonné à une fin est parfaitement bon si l'on y trouve tout ce qu'il faut pour mener à la fin; est imparfaitement bon ce qui contribue à l'obtention de la fin sans être cependant en mesure d'y aboutir. Ainsi le remède parfait est celui qui guérit, le remède imparfait celui qui est utile mais qui cependant ne peut guérir le malade. Or on sait que la fin de la loi humaine et celle de la loi divine ne se confondent pas. Pour la loi humaine, c'est la tranquillité de la cité dans le temps présent; la loi y parvient en refrénant les actes extérieurs, dans la mesure où leur malice peut troubler la paix de la cité. Mais la fin de la loi divine c'est de conduire l'homme à sa fin, la félicité éternelle. Or tout péché fait obstacle à cette fin, non seulement les actes extérieurs, mais aussi les actes intérieurs. Il peut donc suffire à la perfection de la loi humaine qu'elle interdise le péché et le punisse, mais cela ne suffit pas pour la loi divine qui doit mettre l'homme pleinement en état de participer à l'éternité bienheureuse. En vérité, pareille tâche exige la grâce de l'Esprit Saint, par qui "est répandue dans nos coeurs la charité" qui accomplit la loi. "La grâce de Dieu est vie éternelle", dit en effet l'épître aux Romains (6, 23). Or cette grâce, la loi ancienne ne pouvait la conférer, cela était réservé au Christ: "La loi a été donnée par Moïse; la grâce et la vérité sont le fait de jésus Christ" (Jn 1, 17). Il s'ensuit que la loi ancienne était bonne, mais imparfaite, comme l'indique l'épître aux Hébreux (7, 19): "La loi n'a rien conduit à la perfection."



Excellent!

Puis ce commentaire de Denys mis en forme par saint Thomas - incidemment - viendrait confirmer ce que je racontais moi-même plus haut. Plutôt rassurant.

:)

Si tu veux être parfait ... comme dans l'épisode du jeune homme riche : le jeune homme est capable sans la grâce de respecter la loi. Il demeure une insuffisance. - Que me manquerait-il encore?

Mac
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Mac » mar. 14 févr. 2017, 17:45

Cinci :)
Cinci a écrit :
lun. 13 févr. 2017, 1:10
Oui.
Toujours dans l'idée de défendre la loi de Moïse, sous le prétexte de devoir la respecter ou mieux la respecter. Le commentaire de Marie-Noëlle Thabut ne dit rien de cet aspect "abolitionniste" chez Jésus. Si ce dernier n'avait fait qu'élever (ou resserrer) les critères internes d'une bonne pratique au plan moral, mais tout en souhaitant maintenir en place l'intégralité du système légal des anciens Hébreux, les pharisiens n'auraient pu qu'applaudir.

Avec Jésus, c'est tout l'aspect de la réglementation tatillônne de la loi mosaïque et liée à la catégorie du pur et de l'impur qui disparaît.
Voilà à force de vouloir être tatillon ils ont fini par tomber dans des interprétations fausses de la loi de Moise reçu de Dieu.

Fratenellement :coeur:

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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Cinci » jeu. 16 févr. 2017, 7:05

2. On dit que la loi "tuait". Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait. En ce sens, l'occasion ne leur avait pas été donnée, mais les hommes s'en étaient saisis. D'où le mot de l'Apôtre à l'endroit cité: "Le péché prenant occasion du précepte m'a séduit et par lui m'a donné la mort" (Rm 7, 11). On entend dans le même sens: "La loi est intervenue pour que la faute se multiplie"; "pour que" marque ici un rapport de conséquence, non un rapport de causalité; autrement dit, les hommes prenant occasion de la loi, péchèrent davantage parce que, d'une part, le péché fut plus grave lorsqu'il eut été prohibé par la loi et parce que, d'autre part, la convoitise s'accrut, s'il est vrai que nous convoitons davantage ce qui nous est interdit.

3. Le joug de la loi ne pouvait être porté sans l'aide de la grâce que la loi ne fournissait pas: "Cela ne dépend pas de celui qui veut ou de celui qui court (à savoir le fait de vouloir et de courir selon les préceptes divins), mais de Dieu qui fait miséricorde" (Rm 9, 16). Et le psalmiste avait dit: "J'ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon coeur", entendons: dilaté par le don de la grâce et de la charité (Ps 1 19, 32).


C'est tellement bien dit. J'ai couru dans la voie de tes commandements, lorsque tu as dilaté mon coeur ... C'est tellement vrai comme parole.
Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait.
En effet, c'est bien là que la supériorité de Jésus pouvait se manifester. Pas tellement dans le fait de pouvoir observer scrupuleusement des règles extérieures (en apparence ou même réellement) comme dans le fait qu'il n'y avait bien que lui seul qui pouvait être intègre. Non seulement pour n'avoir pas couché avec la femme du voisin mais de n'y avoir jamais entretenu de rêveries à ce sujet, de ne s'y être jamais morfondu de ne pas y avoir droit, pour grommeller contre l'interdit dans le fond de lui-même. Jésus n'avait pas le coeur double. La grande pureté, c'est chez lui.

Il me semble percevoir encore mieux toute la malice derrière la fameuse scène du récit dit de "la femme adultère". On voit d'ici des sortes de talibans probablement épris d'envie de faire eux-mêmes bien pires que la femme coupable, puis rêvant aussi bien de la tuer elle que de perdre ou détruire Jésus en même temps. En aspirant après leur propre élévation. Aucune modestie. Une dynamique d'accusateurs proprement diaboliques. Des destructeurs ...

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Alexandre.
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Alexandre. » lun. 14 janv. 2019, 23:57

Cinci a écrit :
jeu. 16 févr. 2017, 7:05
2. On dit que la loi "tuait". Non certes qu'elle causât la mort effectivement, mais elle en fournissait l'occasion du fait de son imperfection, en tant qu'elle ne conférait pas la grâce qui eût permis aux hommes d'accomplir ce qu'elle prescrivait ou d'éviter ce qu'elle interdisait.
Vous omettez un élément crucial qui fausse votre jugement sur la nature de la Loi.

L'apparition de la notion de "grâce" est la conséquence d'un glissement théologique qui s'est produit tardivement, au temps de l'exil à Babylone.


Lorsque la Loi fût donnée à Israël au désert, elle avait pour rôle de sanctifier le peuple qui était destiné à vivre en Canaan dans la proximité immédiate de Dieu. En s'attachant à la suivre avec fidélité, Israël s'assurait la bénédiction de Dieu à son égard pour prospérer sur la Terre promise : fertilité des hommes et du bétail, abondance des récoltes, éloignement des maladies, longue vie, sécurité (Ex 23,25-26; Lv 25,18-19 ; Dt 7,11-15). C'est le sens de la première Alliance.

La lente décrépitude qui a suivi la conquête de Canaan, avec la scission d'Israël en deux royaumes distincts à la mort de Salomon, s'est poursuivie jusqu'à la chute du Royaume du Nord, puis de la déportation à Babylone des habitants de la Judée, événement qui marque la rupture de l'Alliance. L'affaiblissement progressif d'Israël a favorisé le développement d'un ministère prophétique ; le traumatisme de l'exil au 6ème siècle avant J.C. a vu émerger l'idée du besoin de rédemption. En effet, l'histoire chaotique d'Israël (qui ne fait que ressembler à celle des autres nations) a été interprétée comme la conséquence d'une rupture avec Dieu qui entraîne donc la nécessité du rachat à cause de ses péchés. Voilà comment est née la théologie de la grâce, appuyée il est vrai, par les différentes visions prophétiques de cette époque.

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Carolus
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Re: Difficulté avec Matthieu, ch. V

Message non lu par Carolus » mar. 15 janv. 2019, 4:35

Alexandre. a écrit :
lun. 14 janv. 2019, 23:57
Alexandre :

L'apparition de la notion de "grâce" est la conséquence d'un glissement théologique qui s'est produit tardivement, au temps de l'exil à Babylone.
Merci pour ce commentaire, cher Alexandre. :)
CEC 211 Le nom divin " Je suis " ou " Il est " exprime la fidélité de Dieu qui, malgré l’infidélité du péché des hommes et du châtiment qu’il mérite, " garde sa grâce à des milliers " (Ex 34, 7). Dieu révèle qu’Il est " riche en miséricorde " (Ep 2, 4) en allant jusqu’à donner son propre Fils. En donnant sa vie pour nous libérer du péché, Jésus révélera qu’Il porte Lui-même le nom divin : " quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que ‘Je suis’ " (Jn 8, 28).
Le Dieu qui « garde sa grâce à des milliers » est celui qui a donné la Loi à Israël au désert.
Ex 34, 5-7 Yahweh descendit dans la nuée, se tint là avec lui et prononça le nom de Yahweh. Et Yahweh passa devant lui et s'écria : " Yahweh ! Yahweh ! Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité, qui conserve sa grâce jusqu'à mille générations, qui pardonne l'iniquité, la révolte et le péché
« L'apparition de la notion de "grâce" » a eu lieu vers l’an 1500 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire à l’époque de Moïse.

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