J'aimerais communiquer ici un autre élément du puzzle que constitue le texte de l'Apocalypse. Au départ, toujours dans le but d'affiner la compréhension que l'on pourrait avoir du chapitre 12 entre autres. Je ne sais pas si cet article pourrait directement aider à une meilleure compréhension des choses. Mais, d'une manière ou d'une autre, il s'y trouvera quand même des informations qui ne seront pas négligeables pour aider à la compréhension générale du livre.
Il s'agit d'un article de Christian Grappe, du Groupe de Recherche intertestamentaire, à la Faculté de théologie protestante, Strasbourg.
Pour résumer : Dans l'Apocalypse, la présence de martyrs devant le trône ou sous l'autel est conçu notamment comme le résultat de leur participation à la grande épreuve (6,9; 7,14-15) On peut retrouver à l'arrière-plan d'un tel mode de représentation des spéculations juives plus anciennes sur la destinée des martyrs, cette destinée étant comprise simultanément dans les catégories du sacrifice et de l'accès auprès de Dieu.
Voici :
- «En Apocalypse 7,9-12, le voyant découvre la foule immense des élus de toutes origines qui se tiennent, vêtus de blanc et des palmes à la main, devant le Trône et devant l'Agneau et qui participent avec les anges, à la liturgie céleste. C'est alors qu'il est interpellé par l'un des anciens qui lui demande qui sont ces gens vêtus d'une robe blanche et d'où ils sont venus (7,13) Le voyant renvoie la question à cet ancien qui s'adresse à lui en ces termes : Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve; ils ont lavé leurs robes et les ont blanchies dans le sang de l'Agneau . C'est pourquoi ils sont devant le trône de Dieu et le célèbrent nuit et jour dans son Temple [....]» (7,14-15).
Ces élus vêtus de blanc avaient déjà fait une première apparition plus tôt dans la narration, lors de l'ouverture du cinquième sceau (6,9-10) : «Quand il ouvrit le cinquième sceau, je vis sous l'autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de Dieu et du témoignage qu'ils avaient (porté). Et ils criaient d'une voix forte : Jusqu'à quand, maître saint et véritable, tardes-tu à juger et à venger notre sang des habitants de la terre? Et il leur faut donné à chacun une robe blanche et il leur fut dit de se reposer encore un peu de temps jusqu'à ce que soit complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères qui doivent être mis à mort comme eux-mêmes».
Ces élus vêtus de blanc sont donc présentés comme des martyrs dont le sang a été versé, qui ont partagé le sort de l'Agneau et qui ont blanchi leur robe dans son propre sang. Ce qui nous intéressera d'abord ici, c'est le lien de cause à effet qui est établi en 7,15, entre leur destinée terrestre et leur participation à la liturgie céleste, lien auquel n'est en général pas accordée une grande attention. De fait, on se contente habituellement de dire que «si les martyrs sont en mesure de se tenir debout devant Dieu c'est uniquement à cause de leur pureté, fondée sur la mort expiatrice du Christ ». Cette observation tout à fait pertinente, gagne, nous semble-t-il , à être quelque peu nuancée, par une prise en compte des spéculations relatives aux martyrs, attestée dans la littérature intertestamentaire. [...]
La présence de l'âme des martyrs sous l'autel en Apocalypse 6,9 est souvent rapprochée du fait que, dans le rituel sacrificiel, «le sang des victimes était répandu sur la base de l'autel (Lévitique 4,7), d'autant que le sang est assimilé , dans le même livre du Lévitique, à l'âme (Lév 17,11) . Cela peut, à soi seul, conduire, comme le reconnaît Pierre Prigent, à lire leur mort dans une perspective sacrificielle. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point.
Mais une autre piste d'Interprétation a été envisagée, qui a d'ailleurs la préférence de P. Prigent, et qui consiste à comprendre la présence des âmes de ces martyrs sous l'autel (6,9) ou devant le Trône (7,15) en fonction de la croyance juive en le séjour céleste de l'âme des justes et des martyrs dans l'immédiate proximité de Dieu.