Mulitplication(s) des pains

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Mulitplication(s) des pains

Message non lu par Pneumatis » mar. 04 janv. 2011, 17:22

Bonjour,

Certaines discussions sur ce forum m'ont conduit à m'intéresser un peu à une question que je ne m'étais jamais posée avant : y a-t-il au cours du ministère publique de Jésus relaté dans les évangiles, une ou deux multiplications des pains ? A la lecture des évangiles, de prime abord, la réponse est simple : il y en a bien deux différentes, relatées distinctement dans Mathieu comme dans Marc, avec un contexte différent, des détails (notamment numérique) différents, etc... D'autant qu'en Mathieu 16, 9-10, toute confusion semble bien écartée : "Vous ne voyez pas encore ? Ne vous rappelez-vous pas les cinq pains pour cinq mille hommes, et le nombre de paniers que vous avez emportés ? Les sept pains pour quatre mille hommes, et le nombre de corbeilles que vous avez emportées ?". C'est pourquoi, si vous êtes comme moi, vous ne vous êtes jamais posé cette question.

Oui mais voilà :
- Ce sont quand même deux miracles qui se ressemblent beaucoup (on les confond facilement)
- Luc et Jean n'en rapportent qu'un seul (le premier)

Un message qui a été supprimé (et donc que je ne remettrais pas à moins que lui et l'administration ne le suggèrent expressément), propose un exemple d'exégèse sur la multiplication des pains, selon la méthode des 4 couches, dans lequel il retranscrit la thèse de l'école biblique de Jérusalem et de certains exégètes : les deux récits différents correspondent à un seul et unique événement (couche événementielle), mais composés selon deux traditions différentes de rédaction. Mathieu et Marc auraient conservé les deux récits car ils nous disent tous les deux des choses importantes sur Jésus (couche rédactionnelle). Concernant la lecture sur le mode de la couche Tradition, elle prend forcément deux chemins distincts, puisqu'il y a deux récits. Et il est en effet convenu par la plupart des exégètes que le premier récit rapporté par les 4 évangélistes est plutôt un enseignement concernant les juifs tandis que le second rapporté seulement par Mathieu et Marc concernerait les Nations.

Cependant, il est évident que pour que l'exégèse soit correcte et cohérente, les différentes couches de lectures doivent se vérifier. Enfin, les différentes couches ne sauraient conduire à des conclusions antagonistes.

Je vais ici, et cela n'étonnera personne, me ranger à l'hypothèse de deux événements distincts et m'en expliquer un peu.

Le noeud du problème concernant le nombre de multiplication des pains c'est cette question : pourquoi Marc et Matthieu ont-ils deux récits de multiplication des pains alors que Luc et Jean n'en ont qu'un ? Sans quoi, comme je le disais plus haut, on ne se serait sans doute jamais posé la question du nombre d'événements réels associés à ces récits. A cette question il y a deux réponses possibles :
- soit il s'agit d'un seul événement rapporté par deux traditions différentes que Luc et Jean ont harmonisé, et que Mathieu et Marc ont conservé toutes les deux. C'est la thèse de l'école biblique de Jérusalem et d'un certain nombre d'exégètes.
- soit il s'agit de deux événements distincts, et Luc et Jean n'ont choisi de n'en rapporter qu'un seul, ou n'avaient pas connaissance du second (ce qui, concernant l'ignorance du fait, est assez peu probable).

S'il semble que les exégètes de l'école biblique de Jérusalem ont choisi la première hypothèse, je prends, pour ma part, le parti de Saint Augustin, lui-même repris par Saint Thomas d'Aquin dans sa Catena Aurea :
Il n'est pas inutile de remarquer que si l'un des Évangélistes avait raconté ce miracle sans avoir rapporté, celui de la multiplication des cinq pains, on pourrait le supposer en contradiction avec les autres. Mais comme ce sont les mêmes qui ont raconté à la fois le miracle des cinq et celui des sept pains, il n'y a plus de difficulté et il faut admettre la vérité de ces deux miracles. Nous faisons cette remarque afin que lorsque l'on trouve dans un Évangéliste un fait de la vie de Notre-Seigneur qui paraît contredire dans une de ses circonstances un fait semblable raconté par un autre Évangéliste, sans qu'on puisse les concilier, on en conclue que ces deux faits distincts ont eu lieu et que l'un a été raconté par un Évangéliste et l'autre par un autre.
A cela vient évidemment s'ajouter les versets 9 et 10 du chapitre 16 de Mathieu qui font faire la distinction des deux miracles par la bouche même de Jésus. Aussi j'ai bien du mal à comprendre comment on peut expliquer cela en défendant l'hypothèse d'un seul récit. J'ajouterai qu'à moins de ne plus rendre un compte fidèle du texte, il y a une impossibilité que les deux récits ne relatent qu'un seul événement, du fait même de certains détails qui s'y opposent. Impossibilité que voici :

Concernant le premier miracle, un élément déterminant pour confirmer le contexte de l'événement est signalé dans le récit de Jean. Les pains sont des pains d'orge. Or dans la tradition de l'ancienne alliance, il y a trois types de pains que l'on peut consommer :
- le pain levé (froment) consommé habituellement. Rituellement, il pouvait être utilisé pour les oblations de communion, pour réparer les offenses faites à Dieu
- le pain sans levain (froment) est un pain de voyage (sans levain donc conservable plus longtemps), très fortement signifiant de l'Exode et symbole également de pureté.
- le pain grissé, est un pain d'orge sans levain, comme le précédent, mais plus particulièrement consommé pour les repas de deuil

Le fait que Jean nous précise qu'il s'agit de pains d'orge vient confirmer le contexte de ce miracle. Nous sommes juste après la mort de Jean le Baptiste, et Jésus offre un repas de deuil pour son cousin. C'est à cette occasion que les foules le rejoignent. D'après le Lévitique ce type d'offrande pour un défunt est le plus sacré de la tradition hébraïque, et il est a priori exclu que des païens y participent. Ca c'est pour l'aspect événement. Pour la couche tradition, on est pour dans le rappel de l'Exode avec le pain sans levain emporté par les hébreux et/ou la manne au désert, les 5 pains et les 2 poissons qui rappellent le Pentateuque (les 5 pains), Les Psaumes et les Prophètes (les 2 poissons) et les 12 corbeilles évoquant immanquablement les 12 tribus d'Israël. Le récit de l'événement a tout d'un midrash sur l'Exode et donc la libération. L'enseignement qui suit, dans Jean, Marc et Mathieu, poursuit d'ailleurs sur la même évocation puisqu'il s'agit de la traversée du Lac avec la tempête, évoquant la traversée de la Mer rouge lors de l'Exode.

Dans le second récit, le contexte est tout différent puisque le miracle s'opère après trois jours d'enseignement de Jésus (la nourriture arrivant au bout de trois jours évoque évidemment la résurrection et l'eucharistie). On apprend que ceux qui l'ont suivi pour entendre leur enseignement arrivent pour certains de très loin, nous sommes sur les rives du Lac de Galilée au "carrefour des nations", et on est en droit de supposer que juifs et païens se mêlent parmi ceux qui sont là au moment du miracle. Il suffit par exemple de revenir quelques versets en arrières dans l'évangile de Marc pour remarquer l'épisode de la païenne et des miettes de pain qui tombent de la table pour les chiens. Nous sommes juste avant la seconde multiplication des pains, et on peut largement supposer que cette païenne, comme d'autres, a continué de suivre Jésus ensuite pour partager les 7 pains de la deuxième multiplication. Les 4000 personnes est une indication d'universalité, là encore, et évoque la multitude parvenu des 4 coins de la terre (4 * 1000).

Il y a donc de fortes probabilité pour qu'il y ait une impossibilité événementielle à ce que les deux récits ne concernent qu'un seul et même événement. Quant au niveau du sens, si le premier récit fait de la multiplication des pains un midrash sur l'Exode (ancienne alliance), et le second un enseignement sur l'eucharistie (nouvelle alliance) il faut s'interroger sur la possibilité d'un seul événement qui puisse être la source de deux enseignements si distincts. La probabilité est faible, et rassembler les deux récits sous un seul fait historique, m'apparait un peu comme ces exégètes qui considèrent la vie de Jésus (nouvelle alliance) comme un mythe venu commenter ou développer l'événement fondateur de la religion monothéiste dans l'ancienne alliance. Le Seigneur s'est révélé par étapes, et a bien distingué historiquement dans sa révélation l'ancienne de la nouvelle alliance. La distinction des deux événements est donc signifiante à cet égard.

L'autre hypothèse dont il faut je crois se garder, c'est de penser que le miracle de la multiplication des pains fut juste un événement comportant une quantité indéterminée de nourriture et de personnes, par "charité" pour nourrir les gens, et que les symboles numériques et autres petits détails aient été ajoutés uniquement par les disciples pour "enrichir" le sens de l'événement. La source de la révélation est La Parole, et tout l'enseignement de la tradition prend sa source dans la Parole. Il n'y a pas d'invention ou d'improvisation des disciples. Il y a en revanche de la composition, celle qui permet notamment une pédagogie ou une inculturation, mais rien qui ne vienne "ajouter" du sens : simplement le mettre en lumière. En Jésus la révélation est achevée. Or on le voit, nous avons dans ces deux récits des sens différents liés au contexte même qui est décrit. Il faudrait donc que le sens de cet enseignement ne prenne plus sa source dans le Christ mais dans l'improvisation des disciples, et alors une partie conséquente de ces récits deviendrait de pures mythes.

En passant, je crois que l'erreur (de considérer deux traditions rapportant un seul événement) vient de ce que l'on occulte le caractère signifiant du miracle, d'une part, et d'autre part que l'on confond la tradition de ceux qui rapportent l'événement et la tradition de ceux qui l'ont reçu du Christ. Autant il est bon de noter que le premier récit a un caractère qu'on dira plus tard "judéo-chrétien" et contrairement au second "pagano-chrétien", comme on le dit plus généralement en comparant l'évangile de Mathieu (plus hébraïsant) et l'évangile de Luc (plus hellénisant). Autant il est maladroit de considérer que ce sont les sensibilités distinctes des disciples qui ont donné à un seul événement ces deux couleurs.

Car au niveau rédactionnel, le problème est qu'on considère la transmission comme soumise à tous les aléas. On préfère donc considérer que les différences sont le produit d'un subjectivisme identitaire plutôt que des enseignements différents, peut-être pour des publics différents, donc des pédagogies différentes. Ceci dit, ici nous avons même encore plus que cela, puisque nous avons dans ces deux miracles de Jésus deux "chapitres" bien différents du "grand livre" de la Parole. Non pas un doublon, mais bien deux enseignements différents de Jésus, donc incarnés distinctement l'un de l'autre, puisant leur source dans le Verbe incarné et non dans la subjectivité des rédacteurs.
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Re: Mulitplication(s) des pains

Message non lu par Epsilon » mar. 04 janv. 2011, 20:03

Je vous rejoins … il y a bien DEUX « multiplication des pains » car nous ne pouvons, sans dommages, mettre en doute la parole même de Jésus en Mt (16,9-10) ou Mc (8,19-20).

Concernant Luc et Jean s’ils font silence sur le deuxième événement … c’est qu’ils ne l’ont pas jugé important au regard de leur tradition respective.

Par contre vous avez qcq « extrapolations » que je ne partage … mais bon le principal est acquis.


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Re: Mulitplication(s) des pains

Message non lu par Bip1 » mar. 04 janv. 2011, 20:29

Bonsoir Pneumatis et merci pour cette analyse au cours de laquelle vous ne négligez aucune piste .

Si je me souviens bien , Jésus n'a rien écrit ( sinon quelques traits sur le sol ...) . Il est donc clair qu'il faisait confiance à ses disciples pour faire connaitre ses paroles et ses actes .
Il ne faut donc pas s'étonner si l'on découvre ça et là des curiosités , voire des contradictions .
Si on observe attentivement les guérisons , on rencontre le plus souvent des éclopés de toute nature qui supplient Jésus de les guérir , ce qui a lieu ; Puis , certains disent "merci" et d'autres non , selon ce que veut démontrer l'évangéliste ...
Parfois , cependant , c'est Jésus qui prend l'initiative et soigne des malades qui ne lui demandaient rien !
La plupart du temps , lorsque des récits se ressemblent , avec des différences notables ou même infimes ou bien lorsqu'un récit sort des schémas habituels , on peut être sûr qu'il y a un sens midrashique à découvrir .
Comme vous le signalez , c'est vrai pour la multiplication des pains .
A ce sujet Jean ajoute , dans sa version , deux " détails " qui vont dans le même sens :
- La foule s'assoit sur l'herbe . C'est déjà un indice .
- C'est d'un jeune garçon que vient la nourriture . ( ça a l'air de rien , mais ...)

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Re: Mulitplication(s) des pains

Message non lu par Nuage d'inco » mer. 27 avr. 2011, 21:59

Une question que je me pose depuis vingt ans en lisant de loin en loin la bible par ses traducteurs. Y a t-'il eu seulement multiplication ou même miracle ? ces mots sont-ils du Christ ?

Par quelle pensée magique sommes-nous arrivé à une telle - folle - conclusion ?

Si les mots sont ceux de la bible, il en va autrement mais il me semble que l'on ne puisse pas entendre autre chose que partage dans cette division de pains et de poissons. Voilà le miracle, le partage.

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