La question du vêtement de peau dont Dieu revêt les humains est fort intéressante. Elle a déjà été évoquée indirectement dans plusieurs sujets. cf., notamment :
viewtopic.php?f=27&t=11186&p=109151&hil ... nt#p109151
Le corps d’Adam et Eve avait déjà nécessairement une peau corporelle, matérielle, comme tous les animaux.
Il me semble difficile d’imaginer que Dieu lui-même aurait tué des animaux pour en retirer la peau et fabriquer un vêtement. Adam et Eve auraient pu aisément le faire eux-mêmes, après avoir utilisé des végétaux.
Il me semble donc utile de chercher s’il n’y a pas un autre sens possible.
En hébreu, le mot « peau », dans le texte de Gn 3, 21 qui indique que Dieu revêt Adam et Eve d’un vêtement de « peau », est exactement le même mot que celui qui, avec une autre ponctuation, se traduit par « aveugle » dans d'autres passages bibliques (Le 19, 14 et 21, 18; Dt 15, 21 ; 27, 18 ; 2 Sam 5, 8 ; 2 R 25, 7 ; Is 42, 19 et 43, 8, ...etc). Le vêtement, c’est ce qui nous protège de l'extérieur, de l'autre, et ainsi il exprime aussi ce qui nous en sépare, des menaces ou de dangers dont il sert à protéger.
Je suis d'ailleurs étonné qu'à l'inverse c'est quasi le même mot qui indique qu'Adam et Eve sont "sans vêtement" (Gn 2, 25) puis qui est utilisé ensuite dans la phrase suivante pour dire que le Serpent est "avisé", "subtil", "rusé" (Gn 3, 1), ce qui pourrait correspondre à un lien entre l'absence de vêtement et la perception intelligente du réel.
Le serpent est, en effet, décrit comme la plus intelligente des créatures (Gn 3, 1) par un mot qui est, en réalité, quasi le même que celui qui décrit Adam et Eve immédiatement avant (Gn 2,25). Il semble qu’on pourrait traduire que Adam et Eve étaient « sans vêtements » (en hébreu : orumim) mais que le serpent était « le plus sans vêtement » (en hébreu : orum m kl). Aucun n’avait besoin d’une protection contre l’extérieur. Ils vivaient en harmonie dans le monde tant matériel que spirituel. Peut-être que le serpent, en qui la Tradition reconnaît le premier ange déchu, était encore plus en harmonie du fait qu’il ne devait pas subir les limites particulières d’un corps matériel comme Adam et Eve. Les anges aussi ont été créés, mais ils n’ont pas le privilège d’un corps terrestre.
Adam et Eve n'avaient pas besoin d'une protection contre l'extérieur, ni pour l'extérieur physique, ni pour l'extérieur spirituel où ils pouvaient vivre en parfaite intelligence avec Dieu.
A l’origine, il nous est dit qu’Adam et Eve sont sans vêtement. Cela peut viser les deux réalités (corporelle et spirituelle). Ils sont parfaitement en harmonie avec leur environnement. Ils dominent la créature matérielle qui ne les menace en rien. Ils ne craignent ni le froid, ni la chaleur, ni le vent, ni la pluie, ni les autres créatures. Ils sont en communion avec Dieu, ils partagent sa vie spirituelle, ils ont une parfaite connaissance de tout leur environnement spirituel, du monde spirituel. Rien ne les gêne, ni ne les menace. Ils ont reçu le pouvoir de dominer toute la création.
Ils vivent pleinement tant dans la réalité matérielle que dans la réalité spirituelle. Ils voient aussi bien avec les yeux de leur cœur qu’avec les yeux de leur corps. Ils sont unis à Dieu. C’est ainsi qu’ils peuvent dominer toute la création, comme le chante le psaume 8 ou comme nous le montrent tous les signes puissants de Jésus, le nouvel Adam, qui nous montrent la vraie humanité créée par Dieu sans le péché.
Adam et Eve sont créés immortels. Rien ne peut leur faire du mal. Tout leur est soumis. Ils n’ont besoin d’aucune protection contre un risque extérieur quelconque, d’aucun vêtement, ni pour leurs corps, ni pour leur âme, ni pour leur esprit. L’harmonie est totale.
Harmonie avec la réalité terrestre. Harmonie aussi avec la réalité spirituelle. Harmonie avec Dieu.
Ils voient la réalité corporelle avec les yeux de leur corps, ils perçoivent les réalités immatérielles du monde terrestre avec le cerveau et la sensibilité de leur chair. Ils voient et perçoivent aussi la réalité spirituelle dans laquelle ils vivent et dialoguent avec Dieu.
Lorsque nous lisons la Genèse, nous devons prendre garde de ne pas ramener tout à la seule réalité matérielle que nous sommes encore capables de percevoir. Le récit nous parle de réalités concrètes, mais aussi de réalités spirituelles.
Il ne s’agit pas ici de considérer deux réalités distinctes, comme s’il y avait d’un côté, la réalité terrestre que nous percevons dans une certaine mesure et, d’un autre côté, une réalité spirituelle.
Omega3 a longuement présenté et défendu l’idée d’une objectivation, comme si ce monde était issu d’un autre monde prime, comme si ce monde présent n’était pas le monde créé, mais seulement un autre monde rendu apparent par le péché.
Il est vrai que le péché ne nous permet plus de voir toute la réalité du monde créé, mais il me semble important de relever qu’il n’y a qu’une seule réalité créée dans laquelle la réalité corporelle est unie à la réalité spirituelle, même si au delà des limites de la réalité corporelle, un « vêtement » nous sépare actuellement d’une claire vision, nous aveugle. Il nous sépare de l’harmonie avec Dieu.
Le vêtement de peau est donné à Adam et Eve à la fin du récit du péché originel dans lequel seules des images peuvent nous relater le drame spirituel qui s’est produit. A ce stade du récit, le langage reste inévitablement imagé bien qu’il nous parle d’une réalité historique, de faits qui se sont produits à un moment et à un endroit bien précis de l’histoire de notre monde, mais de faits principalement spirituels d’une rupture avec Dieu.
La difficulté vient de ce que nous ne pouvons parler de réalités spirituelles qu’avec des mots de la réalité terrestre. Lorsque le récit nous parle de leur chute spirituelle, de leurs dialogues avec Dieu et avec Satan, de la connaissance du bien et du mal, seules des images peuvent nous en parler.
Après la chute, nous qui sommes faits de corps et d'esprit, nous avons tellement difficile à percevoir la réalité de l'esprit. Nous ne voyons qu'à travers un voile...
Ce n'est qu'après la chute que l'humain ressent le besoin d'une protection à l'égard de l'extérieur (Gn 3, 7 et 10) et qu'un voile (le vêtement de « peau » qui le rend « aveugle ») va exister entre lui et Dieu, entre lui et le monde de l'esprit.
Désormais, une peau de chair nous recouvre, nous a rendu aveugle à la réalité du monde spirituel dans lequel on ne peut vivre qu’en communion avec Dieu. Mais, ce monde spirituel subsiste et sa présence se manifeste encore.
Le monde spirituel peut avoir des manifestations matériellement visibles, comme celles du Christ ressuscité qui vient manger avec les siens, se laisser toucher, qui apparaît et disparaît à la vue des yeux de chair de ses amis. Mais, la réalité spirituelle est bien davantage que ce que nos moyens terrestres nous permettent de percevoir.
Le jardin d’Eden, dans lequel il n’y a pas de séparation entre la vie corporelle et la vie spirituelle, mais la possibilité de vivre en communion avec Dieu, n’a pas disparu. Il est toujours présent, mais nous ne pouvons plus le voir.
Nous sommes appelés à être sauvés, à retrouver pleinement notre humanité faite de chair et d'esprit.
Notre situation est bien décrite par Saint Paul, lorsqu’il nous parle de la connaissance humaine :
« En effet, notre connaissance est partielle…
Quand viendra l’achèvement, ce qui est partiel disparaîtra. Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je raisonnais en enfant, ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. Car nous voyons à présent dans un miroir, en énigme, … A présent, je connais d’une manière partielle » (1 Co 13, 8-12).
Les miroirs de l’époque ne renvoyait qu’une image troublée, « comme à travers un voile » selon certaines traductions.
Une exploration terrestre approfondie avec nos moyens de chair ne peut pas nous permettre de retrouver ou de voir le jardin d'Eden dont la réalité était cependant bien présente et perceptible pour Adam et Eve avant la chute. Aujourd'hui, ce jardin n'a pas disparu dans la réalité spirituelle, mais sa perception nous est barrée parce qu’un vêtement « de chair » nous recouvre et réduit notre vue.
A travers le Christ sans péché, nous pouvons retrouver en lui et par lui cette perception voilée.