Pour ma mère Léa

[etienne lorant]

Au décès de mon père, ma mère était déjà si courbée, elle avait déjà tant de difficultés qu'elle-même a tenu a entrer en maison de repos. J'avais pensé qu'elle demanderait vite à rentrer (il n'y a d'ailleurs qu'une cinquantaine de mètres à parcourir !), mais je fus tout surpris de constater qu'elle s'était liée d'amitié avec des personnes qu'elles avaient rencontrées auparavant. Mais à présent, son retour nécessiterait pratiquement l'intervention d'un architecte d'intérieur, afin de tout adapter à son handicap. Ensuite, il faudrait engager du personnel: pour ses soins, pour la mettre aux toilettes, pour préparer le repas. Il faudrait une rampe d'accès par la porte d'entrée (je suis parti voir les prix: on commence à cinq cents euros.)

Au début de l'année dernière, ma tante, très âgée aussi, qui habite seule, a fait une chute chez elle. Elle est demeurée près de deux mois en gériatrie à l'hôpital, dans un demi coma. Puis elle s'est réveillée et est rentrée chez elle.
Malgré son tempérament volontaire et toutes les aides (infirmière, pédicure, femme d'ouvrage, etc.), elle s'est retrouvée seule, tombée de son lit, et c'est la police qui m'a appelé pour que j'ouvre. Retour en clinique, puis retour chez elle. Deux nouvelles chutes (toujours de nuit), la dernière avec le nez cassé, et c'est elle qui, malgré son caractère, a demandé d'entrer en maison de repos et de soin.

Je sais bien ce que l'on pense souvent (puisque je l'ai pensé, moi aussi) : "la maison de repos, c'est la dernière étape !"...
Mais je vis désormais dans cette maison vide et à 57 ans, je commence à trouver que c'est vraiment très lourd à porter d'y demeurer... un petit studio me conviendrait plus. Finalement, dans une maison de repos, ce qui fait souffrir les résidents, ce n'est pas leur dépendance, mais c'est : les visites des proches parents. La première année, tout le monde vient ! La seconde année, la fréquence des visites a diminué de moitié et à partir, de la troisième année... il n'en reste qu'un seul et je suis celui-là... Toute abîmée qu'elle est, ma mère ne se plaint jamais: je crois qu'elle craint que je finisse par ne plus venir, moi non plus... Bref, le vrai malheur de l'existence, c'est toujours le manque d'amour, à donner et à recevoir. Je reçois en donnant.

[Ben1306]

Effectivement la situation est plus compliquée que je ne le pensais. Le principal étant que vous êtes à ses côtés.

[astre]

Tant qu'il y a possibilité de maintenir les personnes âgées à domicile, ou au domicile d'un membre de la famille, c'est beaucoup mieux que la maison de retraite ... mais lorsque l'on ne peut plus faire autrement, il y a cette possibilité, il suffit (comme le fait si bien notre ami Etienne Lorant) de leur rendre visite régulièrement pour briser cette solitude, et d'être au petit soin en leur apportant "un rayon de soleil" le plus souvent possible

Courage Etienne ... Tout ce que vous faites ici bas, Dieu vous le rendra au centuple ...

Amicalement

[etienne lorant]

Courage Etienne ... Tout ce que vous faites ici bas, Dieu vous le rendra au centuple ...

Puissiez-vous dire vrai... car j'ai souvent le sentiment, quand je repars, que j'en ai fait le moins possible. Il faut dire que j'entends parfois des commérages comme celui-ci, qui m'a blessé : "Tu l'as vu, celui-là, avec sa mère. C'est typique d'un problème de maturité chez les vieux célibataires...". La femme qui a dit cela, étant fort sourde, s'exprimait à haute voix alors qu'elle pensait murmurer une confidence !

Ce sont des petits jugements dont il ne faut pas tenir compte, qu'il faut accepter, mais je grrrr ince des dents tout de même !

[astre]

car j'ai souvent le sentiment, quand je repars, que j'en ai fait le moins possible

NON, vous n'avez pas fait le moins possible !!! C'est énorme, aux yeux de votre mère, de vous avoir à ses côtés ... vos visites quotidiennes, les petits moments passés avec elle, c'est important pour une personne âgée ...

Le quatrième commandement rappelle aux enfants devenus grands, leurs responsabilités envers les parents. Autant qu'ils le peuvent, ils doivent leur donner l'aide matérielle et morale, dans les années de vieillesse et durant le temps de la maladie, de solitude ou de détresse.

Je suis certaine : Tout ce que vous faites ici bas, Dieu vous le rendra au centuple ...

Courage

[etienne lorant]

La fatigue d'aujourd'hui a été presque "trop". Je suis un peu inquiet pour mon "palpitant", après trois aller-retours aujourd'hui, à grande cadence. Auparavant, c'était en voiture, pas trop dur, mais à présent que je marche, cela devient épuisant: douze kilomètres au minimum, mais dix-huit au maximum, tranchons à quinze. Je me demande si je ne devrais pas prendre congé demain et me faire à l'idée de me reposer. Il m'est difficile de décider de prendre congé; je ne l'ai plus fait qu'au cours de la grosse fièvre de l'hiver 2008/2009. J'ai noté le numéro d'appel d'urgence, au cas où je me sentirais vraiment mal.

Tout à l'heure, ma mère a éclaté en sanglots au téléphone et c'est ce qui m'a décidé: j'ai replié tout l'étalage et je me suis mis en route, vers 16h00 . La mère a toujours eu un courage hors du commun. Opérée d'urgence quelques mois à peine après le décès de mon père, elle a dû accepter la péridurale, car l'anesthésie générale était trop risquée. Eh bien, quel ne fut pas mon étonnement d'écouter les éloges de sa voisine de chambre, beaucoup plus jeune - qui tenait à nous inviter tous à un repas chez elle quand tout serait fini ! Bref, ma mère n'est pas du genre à pleurer au téléphone et je me suis mis en route en vitesse.

Je tire un petit pain biblique comme je le fais en certaines circonstances:

http://www.adlumen.com/pains/‎

"Retourne chez toi et raconte tout ce que Dieu a fait pour toi" (Luc 8:39)

Je crois que çà ira... j'aurai à dire merci, car tout ira bien !

[etienne lorant]

La voisine de ma mère se nomme Simone. Elle est née en 1913... et a survécu à tous les siens, y compris son fils Robert, décédé il y a deux ans des suites d'un cancer de la prostate. Mais maintenant, Simone est sur sa fin, elle aussi. Comme je songeais à cela aujourd'hui, j'ai pensé que le Seigneur a bien fait les choses en rassemblant dans une même chambre deux catholiques ... qui sont très rares dans cette maison de repos.

Toujours est-il que maman Léa, qui a toujours l'esprit clair, est bien au courant de la fin prochaine de sa voisine de chambrée. Elle s'est plainte plusieurs fois de ne plus pouvoir que la veiller, tout en feuilletant de vieilles lettres et un carnet d'adresses de personnes de son âge qu'on ne sait plus contacter... Que d'ennui à supporter ! Ma mère est bloquée dans son fauteuil par son arthrose des genoux et chaque fois qu'elle a voulu en sortir, on l'a retrouvée étendue sur le sol, pleurant de douleur et appelant à l'aide...

Je prends avec ma mère chaque repas de midi, ce qui m'oblige à fermer dès 11h15 pour arriver à l'heure du repas (midi) et être de retour au travail pour 14h00. Mais visiblement, cela ne suffisait plus. Ayant constaté que la personne responsable a fait enlever l'écran de télévision de Simone (un vieil écran à tube, devenu quasi inutilisable), j'ai procédé ce matin à son remplacement: j'ai acheté un écran plat qui sera installé dès demain - la télédistribution ne coûtera que cinq euros par mois.

Je ne me plains pas mais je me dis seulement : que pourrais-je faire de plus ? J'ai déjà à dos l'entretien de l'ancienne maison familiale et la comptabilité (en plus des comptes de ma boutique). Ma soeur cadette est désormais impliquée elle aussi, en plus de ses heures de travail, dans le même type de service, mais auprès de ma tante Bernadette ...

Que le Seigneur remplisse nos coeurs d'un courage plein d'amour !

[Peccator]

Courage Etienne. Soyez assuré de nos prières pour vous et votre Maman Léa.

Je prierai aussi pour sa voisine Simone, qu'elle puisse partir dans la paix. Et que votre maman soit elle aussi dans la paix pendant qu'elle l'accompagnera au long du temps qu'il lui reste à vivre avec nous.

[etienne lorant]

Ma mère a réceptionné dans sa chambre sa télévision couleurs à écran plat ... Ses commentaires sont extraordinaires à entendre: comme tu as dû payer cher !, tu m'as offert le cinéma en couleurs ! etc. Bref, elle est toute enthousiasmée comme je l'ai été quand j'étais gamin en regardant le feuilleton "Zorro" en noir et blanc, pour la première fois:




Au fond de moi, je suis sans doute encore un peu "Zorro" ? A l'époque, nous n'avions pas de mobylettes, mais simplement nos vélos et avec le voisin nous avions Zorro pour héro.

Mais en tout cela, je remercie le Seigneur, car ce que j'ai reçu autrefois, j'ai eu la grâce d'en rendre le bienfait - moi qui ai banni la télévision de ma vie, car elle prend trop de place sur la prière. J'ai seulement gardé le gros écran à tube, non connecté nulle part, et je ne regarde que des films DVD, distraitement le soir.

La joie de ma mère a suscité la mienne aujourd'hui - je lui ai promis de regarder avec elle un feuilleton ce prochain dimanche. Ma mère n'a pas oublié sa voisine pour autant. Elle me dit : "On aurait dû faire cela plus tôt !" ... mais Simone elle-même y était opposée: c'était "sa" télévision et pas question d'y toucher !

Merci, Seigneur, pour les inspirations de ton coeur très miséricordieux ...

[etienne lorant]

Une page est bientôt tournée. Ma mère a été placée dans une autre chambre, tandis que sa voisine Simone est désormais "en isolement" jusqu'à son décès. Pour maman Léa comme pour moi, la nouvelle est plus lourde à porter que nous l'avions pensé. Ce midi, ma mère, d'habitude si accommodante, a laissé voir sa contrariété. Il faut dire que le changement de chambre s'est fait en l'espace d'une demie heure à peine, y compris le déplacement de la télévision, du fauteuil 'relax', des photos de son défunt mari et le grand tableau qui ornait jadis une pièce de la maison. Bref, nous nous sommes dit au fond de nous-mêmes, sans le dire à haute voix : "On n'est vraiment peu de choses..."

Chère Simone, née en 1913, je prie pour toi, car tu as compté beaucoup. Et aussi parce que tu es catholique, comme en témoignait le grand crucifix au-dessus de ton lit.

Cette journée a été sombre, sans clients. J'ai eu tout l'après-midi, dans le couloir, l'habituelle bande de rappeurs et fumeurs de cannabis. J'ai dit à tous ceux et toutes celles venus pour me vendre divers articles... la stricte vérité... dans l'ambiance qui règne ici depuis ce matin, je n'ai pas gagné vingt euros de ma journée.

Je me prépare à rentrer mes affaires, et à me rentrer chez moi. Je vais prier tout le long du chemin, comme d'habitude. Une solitude extraordinaire a envahi ma vie depuis deux ou trois ans. Toujours plus de solitude et plus d'angoisse. Je veux les supporter toutes deux, car c'est le sort de tant de mes frères et soeurs en Jésus-Christ...

[etienne lorant]

Les couloirs des maisons de repos ressemblent de plus en plus à des antichambres de la mort. C'est sinistre à dire, mais c'est ainsi. En dehors des repas, trois fois par jour, il n'y a plus d'activités.

Et ma mère, désormais devant sa télévision personnelle - que je lui ai offerte en début d'année - continue à imaginer des rencontres qui n'ont pas lieu. Cet après-midi, lors de mon coup de fil de 16 h, elle m'a inventé : "Anne-Marie est ici !"
Anne-Marie, c'est la soeur cadette de ma mère: elle réside dans une autre maison de repos, à plus de trente kilomètres. Et Anne-Marie n'a plus donné de nouvelles depuis trois ans car elle est atteinte d'Alzheimer. Les derniers messages échangés entre elles, l'ont été grâce à l'intervention d'un assistant social qui a, en quelque sorte, résumé pour ma mère ce que vit Anne-Marie. C'était il y a deux ans, mais depuis lors, plus aucune nouvelle.

Donc, tout à l'heure, quand j'entends dire : "Anne-Marie est ici"... j'ai "soufflé" en moi-même, et puis, çà m'a échappé du mauvais fond de moi-même, j'ai répondu : "Anne-Marie est là ? Quelle bonne nouvelle ! Passe-la moi, je voudrais lui dire un mot !"... Bien sûr, toute confuse, ma mère n'a su quoi répondre et s'est mise à parler d'autre chose.

Après coup, je me suis senti vraiment coupable de méchanceté gratuite... Me sentant mal en moi-même, j'ai décidé de fermer boutique et de me remettre à marcher à travers la ville, afin de rejoindre ma mère. Il fallait essayer de remédier à cette "pulsion de cynisme" qui m'a saisi je ne sais comment. Je ne l'ai quittée que lorsque son souper lui a été servi. A ce moment, ma mère avait rétabli "la réalité des choses" et m'a dit: "Ne refais pas tout ton trajet de retour à pieds, prends un taxi, je te le paierai !". J'ai dit d'accord, mais je suis rentré à pieds à la boutique et je rentrerai une fois de plus jusqu'à l'extérieur des boulevards en marchant mes derniers kilomètres pour aujourd'hui.

Conclusion de cette épisode : je vous l'ai rapporté afin que vous ne fassiez pas comme moi. Allez rendre visite à vos parents âgés, songez qu'ils ne cessent de penser à vous et qu'ils vous espèrent chaque jour. S'ils ne le disent pas au téléphone, c'est de peur que vous renonciez à venir les voir. Tout ce qu'ils espèrent c'est vous embrasser et vous sourire. Je vous demande donc la miséricorde pour eux...

Merci.

[astre]

Allez rendre visite à vos parents âgés, songez qu'ils ne cessent de penser à vous et qu'ils vous espèrent chaque jour. S'ils ne le disent pas au téléphone, c'est de peur que vous renonciez à venir les voir. Tout ce qu'ils espèrent c'est vous embrasser et vous sourire

Tout à fait d'accord Etienne !

La mienne m'attendait avec impatience hier... Elle croyait tout simplement que je n'allais pas venir... Elle avait les larmes aux yeux et on a fini par s'embrasser !

[etienne lorant]

A présent, avec le décès de la voisine - qui s'appelait Simone et avait atteint presque cent et une année - c'est ma propre mère qui est perturbée, et quui me perturbe de plus en plus. Elle me parle, mais désormais elle me confond souvent avec mon père; ou bien, elle demande de rentrer à la maison. Ou encore : elle se souvient qu'elle fut un jour institutrice et me dit qu'elle est fatiguée d'enseigner. Ou encore : elle confond toute réunion avec une messe - etc. Depuis une semaine, j'ai très difficile parce que je ne sais plus dire vraiment à quel moment elle voit son fils ou un assistant-social, ou mon père défunt, ou bien un membre du personnel. Je ne sais plus quoi lui répondre. Mais aussi : je ne me sens presque plus en relation avec celle qui fut (?) mais qui est encore ma mère.

Merci, merci, trois fois merci pour vos prières !

P.S POUR UN PRËTRE : puis-je continuer à lui apporter une hostie dans cet état qui conduit, hélas, à une fin prochaine ?


Etienne

[etienne lorant]

J'ai prié, comme je le fais parfois, en marchant sur le parking. Il s'avère que c'est à moi de "prendre le dessus", c'est-à-dire de passer au-dessus de moi-même, exactement comme je le ferais enver une autre personne confuse. Ce sera difficile, mais je ne suis pas obligé de réussir du premier coup. Il faut que je devienne, pour elle, un autre que moi-même. Non, ce ne sera pas lui jouer une comédie, ce sera moi-même dans un vêtement de Miséricorde à endosser. Je n'ai pas d'illusion : ce ne sera pas facile, mais plaise au Seigneur de m'envoyer son Esprit saint.

Bonne soirée à toutes et à tous


Etienne

[Héraclius]

Union de prière.

Nul n'est Juste, mais si il y en avait vous en seriez, sans le moindre doute.