Il me semble que le sujet s’est fort dispersé dans la contradiction et que le dialogue avec notre visiteur Michel Thys s’est fort embourbé dans une discussion orientée davantage vers son incroyance que vers le sujet lui-même alors que la réflexion sur le créationnisme et l’évolutionnisme ne me semble pas épuisée.
Le sujet ici n’est pas l’incroyance. Plusieurs l’ont relevé. Nous sommes ici dans un débat qui concerne d’abord les croyants. La question n’est pas, dans un forum catholique, de savoir si Dieu existe et s’il a créé le monde, ni davantage si le monde a évolué depuis son commencement, mais une réflexion sur le mode d’action de Dieu.
Sur ce point, un incroyant peut nous interpeller sur nos propres questions.
La plus ancienne demeure posée : l’homme a-t-il été créé instantanément ou a-t-il surgi naturellement d’une longue évolution ?
Les croyants de jadis, de toute religion, partageaient les pensées préscientifiques de leur époque. Les auteurs des textes de la Bible aussi.
La science nous a appris à observer les choses dans la durée, à en dégager des lois de fonctionnement.
La première interpellation adressée aux croyants leur demande s’ils n’ont pas parfois confondu ce qui est révélé par l’Ecriture Sainte avec de simples pensées humaines préscientifiques.
Nous pouvons affirmer fermement aujourd’hui, pour des motifs scientifiques, que le soleil ne tourne pas autour de la terre.
Ne devons-nous pas affirmer tout aussi fermement aujourd’hui, pour des motifs scientifiques, que, dans la réalité biologique, l’homme n’a pas été créé instantanément mais qu’en ce qui concerne son corps, il provient d’une évolution dans la nature ?
Pour répondre à cette question, nous devons nous tourner vers l’enseignement du Pape, les écrits du Magistère et des Pères de l’Eglise, à la lumière de la Bible, pour effectuer une réflexion théologique qui s’appuie sur la foi de l’Eglise et non, de manière souvent non consciente, sur des savoirs humains préscientifiques qui ne sont pas vrais du seul fait qu'ils ont été partagés pendant longtemps par les croyants, y compris par les auteurs des textes bibliques et par la plupart des autres hommes du passé.
Ce que nous pouvons croire fermement, c’est qu’à travers les pensées des hommes exprimées selon leur culture, leurs objectifs et sous des influences diverses, Dieu a inspiré une parole vraie bien plus vraie que ce que les auteurs humains de la Bible ont eu conscience d’écrire et cette parole est assez forte pour accompagner les humains à toutes les époques de leurs connaissances scientifiques.
L’Eglise a examiné les découvertes scientifiques, comme tout le monde, et a déjà constaté, comme tout le monde, que certains savoirs préscientifiques étaient actuellement démentis.
L’infaillibilité de l’enseignement de l’Eglise ne porte pas sur tous les détails d’ordre scientifique qu’elle a pris en compte tout au long de l’histoire.
Aujourd’hui, l’enseignement de l’Eglise constate que l’évolution est « plus qu’une hypothèse », non pour exprimer un doute sur l’évolution constatée par la science, mais pour indiquer surtout clairement que la foi de l’Eglise ne dépend pas des savoirs préscientifiques qui ont pu considérer jadis que l’humain et les autres éléments de la création, ont pu surgir soudainement dans l’histoire.
L’Eglise n’enseigne pas que l’être humain biologique ait surgi soudainement dans l’histoire par une transformation soudaine et instantanée de la poussière du sol en un corps humain. Ce n’est pas comme cela que l’Eglise nous dit de croire en la création.
La réalité de la création ne dépend pas des découvertes scientifiques sur la manière dont les choses se sont produites concrètement dans l’histoire.
Que Michel Theys se rassure : c’est bien la science et la science seule qui effectue des recherches détaillées sur les réalités concrètes du passé. Croyants et non croyants sont soumis à cet égard aux mêmes exigences d’objectivité et de raison.
Aujourd’hui encore, avant de reconnaître un miracle, l’Eglise procède à un examen des faits avec une rigueur scientifique illimitée.
L’incroyant doit cependant constater que rien ne lui permet d’éliminer la foi en un Dieu actif dans l’histoire dans les deux seuls cas possibles au cours de l’histoire du monde.
Il faut considérer que pour chaque fait passé de l’histoire du monde, il y avait soit une contingence (plusieurs faits différents étaient possibles), soit une nécessité (un seul fait devait nécessairement se produire dans l’ensemble des circonstances concrètes).
Même si la science découvre parfois une nécessité là où l’on croyait qu’il existait une contingence ou, au contraire, une contingence là où l’on croyait qu’il existait une nécessité, l’incroyant doit admettre que, sans aucune contradiction avec les lois de la nature, le croyant peut considérer que Dieu a pu agir pour influencer la direction d’une contingence ou être la cause initiale d’une nécessité.
La foi a toujours admis une évolution dans l’histoire du monde. Non seulement par les six « jours » de la création, mais surtout en affirmant que le monde est dans les douleurs de l’enfantement. Notre monde est comme un enfant dans le sein de sa mère : une croissance avec de nombreuses et profondes modifications pendant neuf « mois » qui nous fera un jour naître dans une réalité tout autre.
Mais, là où l’interpellation de l’incroyant doit être entendue à notre époque, c’est sur nos pensées d’ordre scientifique. Notre foi est-elle en concordance avec la science en ce qui concerne la création et l’évolution ?
Il ne s’agit pas ici de croire ou non aux miracles. L’incroyant doit constater que les connaissances de la science sont encore remplies d’inconnues et que la science doit constater souvent des faits extraordinaires inexpliqués et actuellement inexplicables. Les lois de la nature que nous connaissons sont loin d’être complètes et de nous éclairer sur tout le réel.
Il est évident, notamment, que les influences spirituelles dans le concret sont largement inconnues.
Croyants et incroyants savent aussi aujourd’hui que la sélection et l’adaptation naturelles ne sont pas les éléments les plus importants de l’évolution du monde, mais que celle-ci résulte surtout de mutations génétiques et d’accidents dans la reproduction à l’identique qui caractérise tous les êtres vivants de notre monde. Dans le vivant, la moindre cellule végétale, animale ou humaine se reproduit sans cesse à l’identique, mais pas toujours.
Pour des causes diverses, des mutations se produisent et se transmettent, avec pour effet une évolution, des changements. Ici, il y a un large accord.
En concordance avec cet accord, il y a des affirmations de notre foi qui sont très fermes. L’âme humaine est créée instantanément dès la conception de chaque humain. Elle a aussi été créée instantanément dès la création des premiers humains. Mais, qu’en est-il de leur corps ? Là se trouve la question et les incroyants ont raison de nous interpeller sur ce point.
Beaucoup de croyants déclarent accepter l’évolution, mais hésitent aussitôt à considérer ses aspects concrets.
Si le corps d’Adam vient de l’évolution biologique, qui est sa mère naturelle, son père ?
Si le corps d’Eve vient de l’évolution biologique, que signifie la côte dont elle est tirée, qui est sa mère naturelle et son père ?
Qui sont les êtres de l’espèce dont sont issus les premiers humains ? Que sont devenus leurs grands-parents, leurs cousins, leurs voisins ?
Quelles ont été les relations, et notamment les relations sexuelles, des premiers descendants d’Adam et Eve avec les êtres de l’espèce dont ils sont issus ? Y a-t-il eu une interfécondité ?
Quels sont les liens entre les premiers humains et les autres espèces animales dont, notamment, les singes ?
Les parents d’Adam et Eve étaient-ils des singes ? Avons-nous des ancêtres communs avec certains singes ?
Sur ce point, Michel Thys a évoqué de manière très pertinente, que, malgré l’évolution par sélection et adaptation qu’il a présentée comme explication des ressemblances constatées dans la nature (par exemple, entre les singes et les humains), il n’y a pas nécessairement « récapitulation ancestrale ».
Voilà une importante affirmation qui nuance de manière fondamentale les théories de l’évolution et qui rejoint une révélation de la Genèse.
La science n’affirme pas l’existence d’un chainon manquant entre les animaux et les humains, même si l’hypothèse n’est pas scientifiquement exclue.
Au contraire. Beaucoup d’athées doutent facilement d’un couple originel dont provient toute l’humanité sans exception. C’est notre foi. Mais, c’est aussi une des hypothèses implicites des théories de l’évolution lorsqu’elles suggèrent que notre ressemblance avec les primates impliquerait une origine commune. On met en doute un couple humain originel en alléguant par contre, de manière contradictoire, un couple de singes originel.
La science n’exclut pas des lignées distinctes.
C’est une question que l’évolution pose aux croyants : provenons-nous d’une lignée spécifique dont les branches collatérales ont disparu ou provenons-nous d’une branche d’une lignée dont descendraient aussi des animaux actuels (par exemples, des singes) ?
Les actes créateurs de Dieu ont-ils agi au cours des contingences de l’histoire du monde, apparues selon les lois de la nature créées par Dieu, pour faire surgir, par des mutations qui ont fait évoluer les êtres, des branches, puis des sous-branches avec des changements successifs jusqu’à en faire surgir un être corporel dans lequel Dieu a créé une âme immortelle ?
Ou faut-il considérer, au contraire, l’évolution en considérant que de nombreuses variétés viennent d’une même lignée, mais qu’il y a cependant eu plusieurs lignées dont les ressemblances résultaient de conditions identiques de l’environnement et des causes extérieures, mais qui sont apparues à diverses époques de manière distincte ?
Lorsque les conditions ont été remplies, diverses espèces végétales sont apparues. Avec de multiples sous-variétés résultant au fil du temps de mutations transmissibles affectant certains végétaux au sein d’une espèce. Il n’y a pas un « ancêtre » végétal commun à tous les végétaux.
Lorsque les conditions ont été remplies, diverses espèces végétales ont pu vivre dans l’eau et dans l’air sans être rattachées au sol.
Certaines combinaisons complexes ont pu commencer à disposer d’une certaine mobilité propre, d’une capacité de saisir et d’assimiler des éléments extérieurs nourrissants par des mouvements autonomes.
Diverses espèces animales avec diverses variétés ont pu apparaître à leur tour. Il n’y a pas un « ancêtre » animal commun à tous les animaux.
C’est une intuition de la Genèse dont la vérité est aujourd’hui admise. Des espèces végétales et animales ont surgi distinctement. Il n’y a pas un ancêtre biologique commun à tous les végétaux, ni à tous les animaux, même si leur corps est formé d’éléments chimiques de la même nature, même s’il existe des ressemblances.
Il n’y a pas nécessairement de récapitulation ancestrale nous a dit avec raison Michel Thys.
Il est donc possible que l’humanité provienne d’une lignée spécifique. Parmi les espèces végétales, il y en a peut-être eu une bien particulière. Une sous-variété, après mutation, a pu se détacher du sol et vivre dans l’eau. Il a pu en résulter une sous-sous-variété qui a pu acquérir une certaine autonomie de mouvement et d’alimentation. Elle a pu engendrer un jour, un être se déplaçant sur le sol sec. Et, après beaucoup de mutations avec des branches collatérales éteintes, elle a pu aboutir aux corps des premiers humains.
Dans ce cas, il faut bien admettre qu’il n’y a pas nécessairement d’ancêtres communs avec un animal quelconque.
Création et évolution d’une lignée humaine spécifique ou création d’une branche humaine spécifique dans une lignée animale avec un ancêtre biologique commun à certains animaux actuels, c’est une question qui reste scientifiquement ouverte dans la réflexion sur le créationnisme et l’évolutionnisme, indépendamment de la conviction des croyants concernant la création instantanée des premières âmes humaines à un moment de l’histoire du monde.
Merci à Michel Thys de l’avoir introduite en présentant lui-même le doute scientifique qui subsiste par rapport à ce qu’il a adéquatement nommé une éventuelle récapitulation ancestrale.
[14 janvier 2012 : L’ensemble de mes messages de ce fil ont été revus et intégrés dans un ensemble de réflexions sur l’évolution, la création et l’incarnation intitulé « Adam et Eve : quelle réalité concrète ? » dont le document de travail actuel est disponible dans le sous-forum de l’Ecriture Sainte :
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