Jeu : le diagnostic littéraire à l'aveugle

[Fée Violine]

Bon, ce n'est donc pas Troyat.
Mais c'est peut-être un Henri ou Henry.
Montherlant peut-être ?
Oui finalement je vois bien ce texte comme un extrait des Jeunes filles.

[prodigal]

Voilà, vous avez trouvé!
Henry (et non Henri) de Montherlant (et non de Montherland). Vous avez bon aussi à la question subsidiaire, c'est au début des Jeunes Filles, pas le tout début mais presque, et comme durant tout le cycle (qui comprend quatre ouvrages) la misogynie affichée cache une misanthropie plus profonde. C'est assez transparent dans l'extrait choisi.
Il semblerait qu'on ne lise plus beaucoup, sauf, et encore, quelques pièces de théâtre (surtout le Maître de Santiago ou la Reine morte). Sa synthèse de "culte du moi", comme dirait son maître Maurice Barrès, et de stoïcisme, n'est plus très à la mode. Son projet de consacrer six mois de l'année à la débauche sexuelle et les six autres mois à la retraite et à la méditation n'est, que je sache, guère pratiqué! Mais j'invite ceux qui ne le connaissent pas à découvrir quel grand écrivain c'était.

[Fée Violine]

J'ai beaucoup aimé Les Bestiaires et La petite infante de Castille, et naturellement La reine morte, moins La ville dont le prince est un enfant. J'ai dû lire aussi quelques bribes d'autres oeuvres, notamment des Jeunes filles.
Je dois dire que sa mauvaise réputation me le rend sympathique. Plus exactement, ce que j'apprécie c'est qu'il ne cherche pas à plaire ou à être à la mode. Et aussi, bien sûr, je l'apprécie comme écrivain.

Je vais donc chercher un texte à proposer.

[Fée Violine]

Les bûcherons avançaient toujours, soufflant vigoureusement sur leurs doigts et frappant de leurs gros souliers ferrés la neige durcie. Une fois, ils enfoncèrent dans une crevasse profonde et en ressortirent aussi blancs que des meuniers, quand les meules broient le blé ; une autre fois, ils glissèrent sur la glace lisse et dure d'une mare gelée, et leurs fagots se défirent de leurs liens, ils eurent à les ramasser et à les refaire ; une autre fois encore, ils crurent avoir perdu leur chemin et une grande frayeur les envahit, car ils savaient que la neige est cruelle envers ceux qui dorment dans ses bras. Mais ils mirent leur confiance dans le bon saint Martin et, revenant sur leurs traces, ils marchèrent avec précautions ; enfin ils atteignirent la lisière de la forêt et aperçurent, au loin dans la vallée, au-dessous d'eux, les lumières du village où ils habitaient.
Ils étaient si ravis d'être au bout de leurs peines qu'ils se mirent à rire tout haut, et la terre leur parut une fleur d'argent et la lune une fleur d'or.

[prodigal]

C'est un texte un peu étouffant, je trouve, mais plein de force, comme certains textes de Flaubert (mais je ne crois pas que ce soit lui).
L'utilisation des temps passés en est sans doute la cause : bien serrés entre deux imparfaits, toute une batterie de passés simples, qui renvoient cependant à une action qui dure, puisqu'il est question d'une fois, puis d'une autre fois. A ceci s'ajoute l'absence de sujet humain individuel, ce ne sont que "les bûcherons", et tout est écrit à la troisième personne du pluriel.
Manifestement ces hommes effectuent des travaux d'envergure, et dangereux. Apparemment, cela se passe en montagne. Pour cette dernière raison, et aussi parce que c'est un écrivain que j'apprécie beaucoup, je propose Ramuz.

[Fée Violine]

Non, ce n'est ni Flaubert ni Ramuz.

Regardez la dernière phrase. N'a-t-elle pas une couleur un peu différente du reste ?

[Riou]

Bonjour,

Il y a quelque chose d'enfantin dans le style (le bon Saint Martin, dormir dans les bras de la neige, etc.). Le rythme un peu lent, les images simples me font songer à une confiance enfantine. Bref, j'ai l'impression qu'on nous raconte une histoire pour enfants, et la dernière phrase suscite bien l'émerveillement qu'on trouve dans les contes devant une perception un peu surréaliste (avec ce renversement entre terre et lune à travers les couleurs qui leurs sont assignées -notamment la lune).
Je pense à Oscar Wilde pour ce mélange de conte et de poésie très fine dans ses images. J'ai lu Le Rossignol et la Rose, le Géant égoïste et le Prince heureux. Je ne me souviens pas d'avoir vu ce passage, mais il aurait pu y être par son style.

[Jean-Mic]

Le sujet m'a fait pensé à Bernard Clavel, et à sa saga franc-comtoise. Mais, si mes souvenirs sont bons, il n'a pas l'habitude d'utiliser le passé simple.

[Fée Violine]

Désolée, Jean-Mic, ce n'est pas Bernard Clavel.

Bravo, Riou ! C'est bien un conte d'Oscar Wilde : L'enfant étoile.
Ces deux bûcherons voient tomber du ciel une étoile et quand ils s'approchent, ils trouvent un bébé enveloppé d'un manteau en fil d'or. C'est cet enfant qui sera le héros de l'histoire.

À vous !

[Riou]

Très bien! C'est le seul conteur que je connaisse vraiment, donc quand le style m'a fait penser à un conte, l'association d'idées m'a immédiatement mené vers Wilde. Je lirai ce conte.

Voici le texte, qui sera peut-être très facile à trouver, je ne sais pas :

Au bois il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir.
Il y a une horloge qui ne sonne pas.
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches.
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte.
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis, ou qui descend le sentier en courant, enrubannée.
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur la route à travers la lisière du bois.
Il y a enfin, quand l'on a faim et soif, quelqu'un qui vous chasse.

[Fée Violine]

Euh...non, ce n'est pas tellement facile.
Visiblement c'est de la poésie moderne, XXe siècle.
Ça commence comme une chanson populaire (genre "Derrière chez mon père" ou "En descendant dans mon jardin").

[Riou]

Ce n'est pas une chanson populaire, mais c'est bien de la poésie moderne (mais je ne me prononcerai pas sur le siècle...).

[prodigal]

Si c'est facile, c'est peut-être du Jacques Prévert?

[Riou]

Non plus, pas Prévert. C'est peut-être pas si facile que ça, en effet. Pour poursuivre le jeu des indices, et en faisant référence au message de Fée violine qui disait que c'est un poète moderne, je préciserai que c'est un poète "absolument moderne"...

[Fée Violine]

Absolument moderne, c'est à dire vivant actuellement ? Du XXe siècle, donc ?


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