De Profundis

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Cinci
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De Profundis

Message non lu par Cinci » jeu. 22 août 2019, 3:24

Texte d'Oscar Wilde


"... je vois dans le Christ non seulement les éléments essentiels du type romantique suprême, mais aussi tous les accidents, toute l'opiniâtreté du caractère romantique. Il est le premier qui ait jamais dit aux hommes de "vivre comme des fleurs". Il a consacré cette phrase. Il a pris les enfants pour modèles de ce que les adultes devraient tenter de devenir. Dante a dépeint l'âme de l'homme comme venant de la main de Dieu , "pleurant et riant comme un petit enfant" [...] Il voyait que les hommes ne doivent pas prendre trop au sérieux les intérêts matériels et quotidiens, que n'avoir pas l'esprit pratique serait une grande chose, et qu'il ne fallait pas trop se préoccuper des choses de ce monde. Les oiseaux ne s'en soucient pas. Pourquoi l'homme le ferait-il ?

Sa morale est toute sympathie, exactement ce que devrait être la morale. S'Il n'avait jamais dit que ces mots : "Ses péchés lui sont pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé", il eût valu la peine de mourir pour les avoir prononcés. Sa justice est toute poétique, exactement ce que devrait être la justice. Le mendiant va au ciel parce qu'il a été malheureux. Je ne puis concevoir meilleure raison pour l'y envoyer. Ceux qui ont travaillé pendant une heure dans la vigne dans la fraîcheurde la soirée reçoivent exactement le même salaire que ceux qui ont peiné tout le jour sous un soleil torride. Et pourquoi pas ? Il est probable que personne ne méritait rien. Ou peut-être s'agissait-il de créaturs de nature différente. Le Christ était sans indulgence pour les mornes systèmes figés qui traitent automatiquement les gens comme s'ils étaient des objets et, par conséquent, de façon identique. Pour lui les règles n'existaient point, il n'y avait que des exceptions.

C'est surtout aux philistins qu'il livra bataille. C'est la guerre que devrait engager tout enfant de lumière. Le philistinisme était le signe de l'époque et de la communauté dans laquelle vivait le Christ. Avec leur lourdeur d'esprit, leur terne respectabilité, leur fastidieuse orthodoxie, leur culte du succès vulgaire, leurs préoccupations entièrement tournées vers le grossier matérialisme de la vie et leur ridicule idée d'eux-mêmes et de leur importance, les Juifs de Jérusalem, du temps du Christ, étaient le pendant exact du philistinisme britannique de nos jours. Le Christ railla les sépulcres blanchis de la respectabilité et cette expression fut à jamais consacrée. Il tenait le succès matériel pour une chose absolument méprisable. Il n'y voyait rien d'intéressant.

La froide philanthropie, la charité publique ostentatoire, l'ennuyeux formalisme si cher aux esprits moyens, il les condamna avec un impitoyable mépris. Pour nous, ce qu'on appelle orthodoxie n'est qu'un acquiescement facile et peu intelligent; mais pour eux, c'était le moyen d'exercer une terrible et paralysante tyrannie.

C'est dans sa façon de traiter le pécheur que le Christ est le plus romantique, au sens vraiment réel du terme. Le monde a toujours aimé le saint comme étant le plus proche de la perfection de Dieu. Le Christ, doué de quelque instinct divin, semble avoir toujours aimé le pécheur comme étant le plus proche de la perfection de l'homme. Son désir primordial n'était pas de réformer les gens, pas plus que de soulager la souffrance. Transformer un voleur intéressant en un honnête homme ennuyeux n'était pas son but. Il n'eût pas fait grand cas de l'Association d'aide aux prisonniers et autres mouvements modernes de ce genre. La conversion d'un publicain en un pharisien ne lui eût pas paru un grand accomplissement. Mais, d'une manière encore incomprise du monde, il regardait le péché et la souffrance comme étant en soi et des choses belles et saintes et des moyens de perfection.

C'est là, semble-t-il, une idée très dangereuse. Elle l'est : toutes les grandes idées sont dangereuses. Que ce fut là la croyance du Christ ne fait aucun doute. Que ce soit là la vraie croyance, je n'en doute pas moi-même.

Assurément, le pécheur doit se repentir. Mais pourquoi ? Tout simplement parce que, s'il en était autrement, il serait incapable de se rendre compte de ce qu'il a fait. Le moment du repentir est celui de l'initiation. Mieux encore, c'est le moyen par lequel on modifie son passé. Les Grecs trouvaient la chose impossible. Ils disdaient souvent dans leurs aphorismes gnomiques : "Les dieux eux-mêmes ne peuvent pas modifier le passé".

Le Christ démontra que le plus ordinaire des pécheurs pouvait le faire, que c'était l'unique chose qu'il put faire.

p. 585

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apatride
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Re: De Profundis

Message non lu par apatride » jeu. 22 août 2019, 3:57

Un petit air de Chesterton dans ce très beau texte. Merci cher Cinci pour le partage.

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