Ce débat me pousse immanquablement à citer Vassili Grossman:
Si je ne suis en définitive pas végétarien, je ne vois en revanche aucun mal à l’être et j’avoue m’interroger sur les critères manifestement culturels nous poussant à manger tel animal plutôt qu’un autre. Je trouve d'ailleurs plutôt bonne la pratique orthodoxe qui consiste à se limiter à un strict régime végétalien durant le Carême.Vassili Grossman, La Paix soit avec vous a écrit :Le traducteur [Vassili Grossman, il s’agit ici d’un récit autobiographique -Franck] marchait le long des maisons et pensait aux moutons.
Le mouton a des yeux clairs, un peu comme des grains de raisin, vitreux. Le mouton a un profil humain, juif, arménien, secret, indifférent, bête. Des millénaires durant les berges ont regardé les moutons. Ils sont devenus semblables. Les yeux d’un mouton regardent l’homme d’une manière bien particulière -ils sont aliénés, vitreux; un cheval, un chien, un chat n’ont pas ces yeux-là pour regarder l’homme.
C’est probablement avec des yeux pareillement dégoûtés et aliénés que les habitants du ghetto auraient considéré leurs geôliers gestapistes si le ghetto avait existé 5000 ans durant, et que tous les jours de ces millénaires des gestapistes étaient venus chercher des vieilles femmes et des enfants pour les anéantir dans les chambres à gaz.
Mon Dieu, combien de temps l’homme devra-t-il implorer le mouton pour qu’il lui pardonne, pour qu’il ne le considère pas de cet oeil-là! Quel doux et fier mépris dans ce regard vitreux, quelle divine supériorité que celle de l’herbivore innocent sur les meurtriers auteurs de livres et créateurs d’ordinateurs! Le traducteur battait sa coulpe devant le mouton, tout en sachant que demain il mangerait sa viande.
En Christ,
Franck