Cher Cinci,
Le boulot des fidèles ne consiste pas à dresser un tribunal public pour juger le pape, pour coincer l'évêque ou se substituer à la conscience personnelle des intéressés et encore moins pour les condamner. Le boulot consisterait plutôt à montrer de la bienveillance envers ceux qui se trouvent dans une situation difficile, à garder espoir, à les bénir et à prier pour eux.
Vous avez amplement raison, nous ne sommes pas les juges de nos papes, nous n'en avons pas le droit ni ne devrions en avoir l'envie. C'est d'alleurs toujours une petite souffrance que de ne pas recevoir avec paix certaines paroles de nos supérieurs. Si jugement il y a il appartient au Magistère qui, par la suite, peut décider que telle ou telle exhortation n'était finalement pas utile ou valide ou que sais-je. Nous avons eu nombre de papes dont par la suite il s'est avéré qu'ils n'avaient pas tiré l'Église vers le haut si j'ose dire, mais ce ne sont pas des fidèles de base comme vous et moi qui ont opéré ces jugements. Je me garderai bien de critiquer notre Saint Père François devant des paroissiens ou ma famille ou des amis, fussent-ils incroyants, me contentant d'observer les conséquences de son enseignement actuel.
Les conséquences dans ma paroisse sont :
"Avant je communiais avec un petit sentiment de malaise (sous entendu : "car je suis divorcée et mariée civilement avec mon ancien amant"), depuis Amoris Lætitia je peux y aller franchement et faire comme tout le monde en recevant le corps du Christ avec bonheur et j'en remercie François".
Je vous cite assez fidèlement la substance de ce que j'entends aujourd'hui. Je suis d'accord avec vous pour dire que la gentillesse et le bonheur de voir les gens heureux selon des normes à courte vue, (le "ici et maintenant"), c'est très beau, et qu'il est naturel que nous nous réjouissions pour ceux qui peuvent prélever ainsi un peu de bonheur terrestre, mais si des gens se convertissent au catholicisme c'est peut-être aussi pour un bonheur unitif plus grand, intense et éternel, qui ne nie pas les difficultés et petitesses que nous avons en nous. Je suis d'accord avec vous pour trouver de très belles intensions et un grand cœur aimant à notre pape, mais est-ce que cette gentillesse pastorale va nourrir le petit troupeau de brebis ? Je n'affirme rien, mais je m'inquiète, je n'accuse pas, mais je m'interroge. Quels fruits ? A long terme, à la toute fin dernière ? Quel sel ?
Mais ne confondons pas la grande Tradition de l'Église (avec un T majuscule) avec toutes les petites traditionnettes qui partent en général de la fin du XIXe siècle. Beaucoup de gens s'abusent sur ce point. Ils se veulent traditionnels, ils sont traditionalistes au plus mauvais sens du mot. Ils veulent conserver à tout prix les petites habitudes qu'on leur a enseignées quand ils étaient enfants et qu'ils confondent avec la grande Tradition.
Merci pour cette citation que j'aime particulièrement et qui permet de ne pas se raidir sur une supposée tradition. Je suis quand même bien obligée de répondre qu'en tant qu'ex protestante, anti-chrétienne et néo-païenne (Wicca etc), je n'ai jamais été formatée par aucune pseudo-tradition à dentelles. J'ai appris la tradition dans le
Catéchisme de l'Église Catholique et je n'y ai jamais rien vu de méchant, même quand les plus hautes exigences y étaient énoncées. C'est de lire que je suis capable par l'ouverture à la grâce de devenir une sainte qui m'a enfoncée dans le catholicisme - et si moi, fragile et pesante, je suis appelée à devenir sainte avec Dieu, pourquoi ces personnes dont il est question dans AL ne le pourraient-elles pas ? Faut-il oublier le catéchisme alors ? Ai-je été une imbécile rigide par avance d'avoir été convertie aussi par cettte lecture et par celle des saints ?
"Tant que tu t'en tiens à rendre avec justice, tu ne sortiras pas de l'injustice."Autrement dit : si je ne vise pas plus haut que la justice, ma justice ne sera pas une justice. Pour atteindre simplement la justice, je dois viser plus haut que la justice. Il faut que j'aie en moi toute l'énergie de l'amour pour faire simplement ce qui est juste."
Cette phrase est difficile mais magnifique. Vous la lisez avec tout votre amour en pensant à ces personnes qui souffrent de ne pouvoir avaler le corps du Christ, et quand je pense à elles à moi aussi ça fait de la peine, pour les mêmes raisons que vous. Mais pour d'autres en plus. Je comprends que l'on puisse convoquer le mot d'injustice dans certains cas et que l'on veuille réparer en leur accordant l'absolution et donc la communion, c'est un calcul normal, humain, bienveillant, pressé, empressé, beau. Mais la justice doit-elle toujours être un calcul humain ? Ne peut-elle aussi et surtout émaner d'un cœur surnaturel aimant tellement qu'il peut consentir à tous les sacrifices pour mieux attendre le jour du l'Union avec le Christ, quand nous serons tellement en lui et lui en nous dans la plénitude ? Les saints ont souvent renoncé pour eux à la justice terrestre et humaine - à leurs dépens ici-bas - pour embrasser celle de l'amour qui transcende toute chose, c'est peut-être de cette aspiration dont parle Guardini, plus que d'une sorte de visée temporelle ?
Je serais désolée que vous et Pathos voyiez en ceux qui sont dubitatifs quant aux fruits réels d'AL des personnes aigries et rabougries, méchantes et jalouses, c'est souvent ce qui se profile dans les lointains de certains propos, et je comprends que c'est le risque, l'image qu'on peut avoir de nous dans un monde cool comme le nôtre. N'y a-t-il pas un certain confort à entretenir cette opinion ? Croyez bien que ce n'est pas notre confort personnel ni un combat de plus que nous cherchons ; occupons-nous chacun de notre sanctification sans aller chercher des poux aux autres ; mais laisser croire que le combat spirituel est finalement plus cool que ce que l'Église a toujours dit, ça, j'aurais beaucoup de mal à le laisser penser à mon prochain, car j'aurais l'impression de lui rendre un mauvais service.
Bien à vous, frères.