Bon dimanche, Christophe,
Lors de discussions précédantes vous avez été contraint d'admettre - même à demi-mots - la nécessité d'un Etat minimal ( police, justice, peut-être armée ) pour garantir à tous les citoyens, sans égard à leur solvabilité, le respect de leur droit fondamental à la sécurité de leur personne et au respect de leur propriété.
Parce que les policiers, les juges et les militaires ne sont pas des travailleurs bénévoles, ces politiques nécessitent un financement. Si vous rejettez le principe de l'impôt, quelle autre forme de financement prévoyez-vous ? La création monétaire, en application des thèses du Crédit social ? Ou bien faut-il encore compter, comme pour l'éducation des pauvres, sur la générosité des plus riches ?
Je reprends ici la discussion entamée en février dernier et que vous relancez avec votre question ci-dessus. Pour la clarté de mon propos, je réitère les règles auxquelles les membres d’une société libérale doivent se plier. Ces règles appartiennent à trois domaines différents : la morale, les contrats et le Droit.
La morale
Personne ne peut physiquement nous contraindre à être tempérant, courageux, généreux, attentif aux autres, bon ami…. On peut nous forcer à faire les gestes, mais pas à avoir l’intention. Seule ma conscience, guidée par les conseils des sages et l’enseignement de mon Eglise, est comptable légitime de ma vie morale.
Les contrats
Mais bien sûr, nombre de mes engagements ne sont pas qu’envers ma conscience. De la promesse faite à un ami de venir le voir jusqu’aux vœux de mon mariage, de mon contrat de bail à mon contrat d’emploi, de mon adhésion au cercle d’échecs au renouvellement des promesses de mon baptême, je suis lié par un grand nombre de contrats et de règlements. Ils s’imposent à moi parce que le les ai voulus. Je les ai signés. Je suis redevable de leur exécution à tous les cocontractants, et à eux seuls.
Le Droit
Un élément de nature que je suis le premier à avoir découvert ou travaillé, ou que j’ai reçu dans un échange ou un don, devient ma propriété. Chaque être humain est propriétaire d’au moins d’une chose, son corps, et il y ajoute tout ce qu’il peut acquérir par son travail. Le droit de propriété est universel. Si mon corps ne peut être légitimement mutilé, détruit, violé, ni mes biens volés ou confisqués, c’est que je peux opposer mon droit de propriété à tout autre être humain. Réciproquement, je dois à tous les autres de ne jamais user de leur propriété sans leur consentement.
Ainsi se trouvent régulées toutes les relations humaines : la morale (y compris amour, amitié, charité) nous guide ; les promesses et les contrats permettent la coopération sans violence ; le Droit pose une limite claire et objective à la légitimité de nos actions.
La législation est inutile.
La législation n’est que l’instrument des plus puissants ou des plus nombreux pour imposer à d’autres leurs préjugés et leurs petits et grands intérêts.
La résolution des conflits
Dans une société d’hommes libres qui ignore toute législation, deux types de conflit peuvent surgir :
- soit quelqu’un a sciemment violé une promesse ou un contrat, ou la propriété d’autrui sur son corps ou ses biens
- soit deux parties se disputent de bonne foi à propos d’un manquement allégué à une promesse ou un contrat, ou d’une transgression de propriété (querelle de bornage, par exemple)
Dans les deux cas, il existe une victime.
Sans victime, pas de délit. Ce principe est absolument essentiel à notre protection. Seule la présence d’une victime d'agression bien identifiable peut nous éviter d’être déclarés coupables de crimes imaginaires selon le bon plaisir des gouvernants : raison d’Etat, contrebande, trafic de drogues, bigamie, pornographie, immigration/émigration illégale, délit d’opinion, fraude fiscale, abus de biens sociaux alors qu’aucun actionnaire ne se plaint, travail au noir alors qu’aucun client ou employé ne se plaint, port d’armes, construction sans permis, émissions de radio/télévision sans licence, etc. etc. etc. etc.
Lorsqu’une transgression de propriété est alléguée, la victime (ou ses ayants-droit en cas de meurtre/incapacité) saisissent une instance de justice (‘agence judiciaire’). Cette dernière a pour seule fonction de répondre à 4 questions :
• Une personne se plaint-elle d’une violation de son droit de propriété sur son corps et sur ses biens ? (Sans cette plainte d’une victime déclarée ou de ses ayants-droit, aucune procédure ne peut commencer).
• Cette violation du droit de propriété est-elle réelle (par exemple, la mort n’est-elle pas accidentelle) ?
• Qui en est l’auteur ? Quelle démarche peut nous assurer qu’un innocent ne sera pas condamné à tort ?
• Le bien peut-il être rendu à son légitime propriétaire ? Sinon, à quelle réparation la victime atteinte dans son corps ou ses biens a-t-elle droit (et, sinon elle, ses ayants-droits) ?
La procédure
N’importe qui peut être juge. Il suffit que les parties acceptent de se soumettre au verdict. La plupart cependant feront appel à des professionnels dont la réputation d’impartialité est reconnue. Les parties habitant une même région connaîtront un juge local qui aura leur confiance, mais on verra surement apparaître quelques grandes firmes internationales. L’analogie ici est celle des cabinets d’audit. Si je connais Tartemolle au coin de la rue, je ne doute pas des comptes qu’il a vérifiés ; sinon, je préfère voir le sceau de PriceWaterhouse ou Deloitte.
Pour que le jugement soit accepté par les parties, il convient qu’une procédure rigoureuse et équitable soit respectée. Les juges feront leur publicité autour de la leur. Depuis les Lumières, des grands principes ont été validés par la réflexion et l’expérience et serviront certainement de base à tte future procédure : débats contradictoires, représentation par des professionnels (avocats) si souhaitée par les parties, validation des preuves, audition de tous les témoins, etc.
Tout jugement est rendu au nom des parties, victime et transgresseur. C’est à eux que la justice est due (certainement pas ‘au peuple français’ qui n’a rien à faire là-dedans). Une fois la culpabilité de l’accusé reconnue, la procédure consistera à déterminer entre les parties la réparation que le coupable doit à la victime. Cette dernière réclamera sa tête au bout d’une pique, le coupable estimera qu’une remontrance suffirait.
La gravité de l’agression, la situation personnelle et sociale des parties, les risques de récidive, l’avenir possible du coupable, seront des éléments d’appréciation éclairés par les exemples de jugements précédents. Excuses publiques, paiement à la victime, travail à son profit ou en faveur d’une institution qu’elle désignera, soit librement, soit dans un lieu fermé à cet effet, relégation à l’autre bout du monde, engagement à suivre des études ou une désintoxication, la gamme des réparations possibles s’enrichira en fonction des expériences ‘qui marchent’. Encore une fois, le but de la procédure n’est pas de punir, mais de ramener la paix entre les parties.
Voilà pour la philosophie.
Quelques questions pratiques
Si les parties ne se mettent pas d’accord spontanément sur une agence judiciaire, elles désigneront chacune la leur et celles-ci ensemble s’accorderont sur un tiers qui conduira la procédure. Cette pratique est habituelle dans les arbitrages.
Les parties peuvent décider à l’avance que le premier jugement sera final ou qu’elles retiendront la faculté de demander un second jugement si le premier ne convient pas à l’une d’elles (‘appel’), et soit accepter d’avance ce second jugement, soit trouver entre elles un compromis entre les deux, etc.
Chaque être humain aujourd’hui doit exciper de son identité et des agences judiciaire et policière auxquelles il est soumis (autrement dit, sa nationalité). Dans un monde libéral, la notion de nationalité est purement culturelle (comme être breton ou occitan). En revanche, entre hommes libres, chacun s’assurera que les personnes avec lesquelles nous traitons peuvent assumer leur responsabilité pour les torts qu’elles pourraient causer. En prenant un emploi, en signant un bail, en louant une voiture, chacun sera invité à montrer, non pas une ‘carte nationale’ d’identité, mais une police d’assurance couvrant les frais d’une éventuelle procédure judiciaire et un certificat d’adhésion à une agence de protection. Ceux qui ne rempliraient pas ces conditions seraient ostracisés. Comment en effet s’assurer qu’ils sont solvables et justiciables en cas de conflit ?
Réciproquement, un individu serait bien vulnérable sans cette assurance ni agence de protection. La pression sera donc forte pour s’affilier et le choix assez large selon son style de vie et le coût très bas (car sans les dizaines de milliers de textes législatifs liberticides, tatillons et humiliants, les risques de litige sont infimes).
Le monde connaît aujourd’hui plus de 200 agences judiciaire et policière, dont les ¾ sont notoires pour leur incompétence, leur partialité et leur vénalité. Les malheureux justiciables n’ont pas le choix. Ces agences, appelées ‘Etats’, s’arrogent un monopole. Personne ne fait confiance à la justice russe, nigériane, cubaine, syrienne et une bonne centaine d’autres, mais le coût de les éviter pour ceux qui y sont soumis est immense : émigrer à condition de trouver une bonne juridiction d’accueil. Les juridictions sont réparties géographiquement ; or dans un monde globalisé, il est bien plus expédient que chacun choisisse ses juges et sa police. Et pour la même raison que personne ne voudra traiter avec des policiers et des juges zimbabwéens, tout le monde choisira une agence policière et une agence judiciaire qui auront bâti une réputation de compétence et d’intégrité.
Des agences judiciaires et policières privées ont deux avantages sur un Etat. D’abord, elles ne peuvent contraindre personne à les choisir. Elles dépendent de leur réputation. Ensuite, elles ne poursuivent aucun but autre que la défense de leurs clients dans le respect du Droit. Là réside leur intérêt, c’est pour cette seule mission qu’elles sont payées. Elles ne connaissent aucune de ces passions mortifères nationaliste, religieuse, impériale, culturelle, idéologique, qui rendent si difficile la résolution des conflits.
Voilà, cher Christophe, à grands traits et rédigés trop rapidement, les prolégomènes à une nouvelle administration de la justice.
;-)
Fraternellement
Christian
PS. Je publie cet article tard, mon serveur était HS tte la journée.