Le mois d'octobre tire vers sa fin mais, comme à chaque mois d'octobre j'ai aussi une petite pensée pour un événement politique, qui fut majeur au Québec, j'ai pensé faire part aux intéressés (même s'ils sont très discrets) d'un petit article que j'aurai pu lire récemment. Je parle ici d'un article qui présente un ouvrage récent évoquant le souvenir de l'ancien premier ministre du Canada, sa façon de gérer le problème que représentait pour lui le nationalisme québécois.
Le caractère de nouveauté provient de ce que les auteurs auront voulu faire ressortir le point de vue de Canadiens anglais sur la question. Comment des Canadiens-anglais auront pu vivre la crise de 1970 au Québec, l'épreuve de force engagé par Trudeau à l'encontre des milieux progressistes du Québec de la fin des années 1960. Avec un pareil ouvrage, je crois qu'il y aurait moyen d'y glaner quelques informations intéressantes.
On en aura un aperçu, déjà, juste avec l'extrait de l'introduction du livre. Un extrait qui se trouve glissé dans l'article.
- Introduction
La toile de fond : l'exaspération du Canada anglais
De toutes les remises en question qui se bousculaient alors sur la place publique - rôle de l'Église, réforme de l'enseignement, épuration des moeurs politiques ... - la plus profonde et la plus étendue, celle qui, à terme, viendrait déranger le Canada tout entier, c'est celle qui tournait autour de la place du Québec dans le monde et de celle du Français au Québec. Murray Ballantine, l'historien montréalais, ne s'était donc pas trompé, qui disait en 1961 que ce qui se passait à l'autre bout du monde - le mouvement de décolonisation - finirait par rejoindre nos rives :"Les vents de l'affirmation des identités nationales soufflent de nos jours d'un bout du monde à l'autre : ils ne se sont pas arrêtés à la frontière du Québec",
Cette revendication québécoise s'exprimait à plusieurs voix : "Maîtres chez nous", chez les libéraux en 1962, "Égalité ou indépendance" à l'Union nationale en 1965, "Droit à l'autodétermination" aux États généraux du Canada français en 1967, "Français, langue du travail", aux élections de 1970. Chacun de ces thèmes avait sa valeur propre; ensemble, ils formaient un courant qui ne cessait de gagner en puissance, se cristallisant autour de l'idée de l'indépendance du Québec et de celle de l'unilinguisme français, deux idées fortes, mais absolument inédites et inattendues au coeur de l'Amérique du nord anglophone. Assez rapidement, cette revendication s'organisa, se donna un parti et un chef, marqua des point sur le plan électoral [...] De plus, elle attira l'attention et l'intérêt de la France, qui y répondit de manière active, et dont le chef de l'État viendra dire, ici même en 1967, toute la sollicitude qu'il lui porte.
Si bien qu'en marquant des points et rapidement, en se découvrant un allié à l'extérieur, et non des moindres, en étant de surcroît ponctué d'actes de violence dont le sens demeurait facile à comprendre depuis les premiers moments où le FLQ choisit pour cible le monument Wolfe à Québec (jeté à bas dans la nuit du 29 mars 1963) et diverse autres marques de la domination britannique sur le Québec, ces idées ne cesseraient de déplaire au Canada anglais.
Le français langue du travail? Une aberration et une menace à notre identité nationale, plaidera Frank Scott, l'Anglo-Québécois, membre de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme [lancée en 1964], qui s'opposera à ce que l'État canadien vienne donner un coup de pouce à la langue française comme languie de travail dans les entreprises. Scott était, en effet, si hostile à cette idée qu'il enregistra sa dissidence. Selon lui, tout progrès enregistré par le français comme langue de travail au sein des entreprises serait un encouragement à l'émancipation politique du Québec. Rapport, livre 3B, p. 621. Le soutien de la France? "Le plus sérieux point de désaccord avec le Québec", écrira Lester B. Pearson dans ses Mémoires, et un élément si nouveau dans le paysage politique nord-américain qu'il provoqua une véritable hystérie francophobe au sein de l'État fédéral (voir document Mackenzie), une "maladie de l'esprit", et pire encore, un "crime contre l'humanité" , renchérira Trudeau. Deux formules chères à Trudeau, la première dont il se servit dans son discours des "Finies les folies", d'octobre 1969, et la seconde beaucoup plus tard, en février 1977, devant les élus des deux chambres du Congrès américain à Washington.
Le 19 octobre 1969, devant les militants libéraux, le premier ministre (élu le 25 juin 1968) fit un discours tonitruant, son plus important peut-être. Sur le ton comminatoire, il dénonça les "séparatistes" de Radio-Canada, les menaçant même de la pire sanction, la perte de leur travail. Puis à tous les autres, fonctionnaires de l'État du Québec, ministres provinciaux de l'Union nationale, diplomate français de passage (Jean de Lipkowsky) : "On ne laissera pas diviser ce pays, ni de l'intérieur, ni de l'extérieur". Au journaliste de la télé qui, le lendemain, le 20, s'émut de la brutalité de ses propos, Trudeau lâcha - en anglais, pour mieux exprimer sa hargne :"You haven't seen anything yet", "Vous n'avez encore rien vu!". Le ton était violent, annonçait même, pensa Vincent Prince l'éditorialiste du Devoir, "Le recours à la force pour mater tous ceux qui, démocratiquement, s'opposent au maintien du statu quo".
Vincent Prince, "Une colère mal avisée de M. Trudeau", Le Devoir, 21 octobre 1969.
Propos à rapprocher de la description du discours de Trudeau que fit Lucien Langlois du Montréal Matin :"Il avait le visage dur : celui d'un boxeur qui entend user de ses poings. Il parlait les dents serrées, les mâchoires contractées, les yeux en amande. Image même de la colère rentrée. Il sifflait ses mots. Le cobra est sur le point de frapper". Puis, après avoir rappelé les grandes lignes de cette harangue, le directeur du Montréal Matin conclut son éditorial ainsi : Pour imposer ses vues, son pouvoir, son fédéralisme, il est prêt à recourir à la manière forte. Voilà un dictateur qui s'ignore." (Montréal Matin, 21 octobre 1969)
Le ton était donné. Il ne restait plus qu'à franchir l'ultime étape, celle du "Just watch me". Ce sera chose faite, un an plus tard, dans la nuit du 16 octobre 1970.
La crise d'octobre [...] c'est aussi, c'est surtout l'exaspération du Canada anglais qui n'aimait pas ce qu'il voyait et entendait au Québec depuis dix ans, et qui trouva un politicien issu du Québec pour l'exprimer. "Ils avaient pour mandat de s'occuper de ces gens-là", dira Hugh Segal de Trudeau et de ses compagnons d'armes, et si cela signifiait de faire appel à l'armée, eh bien, soit!" (document Segal)
(à suivre)