En hommage à la loi Macron

« Par moi les rois règnent, et les souverains décrètent la justice ! » (Pr 8.15)
Cinci
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En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » mer. 10 août 2016, 16:29

Le titre est ironique. On le comprendra.

En fouillant dans le grenier, voici que je tombe sur de vieux textes d'intellectuels des années 1960 et 1970. Des nationalistes du Canada-français analysant leur société de l'époque. Faut voir le contenu ... Les textes auraient pu être écrit la semaine dernière.


  • Une perversion de la démocratie

    Il y a ce qu'il faut bien appeler une crise de la démocratie occidentale. Comment la décrire en peu de mots? Le régime est relativement stable et cependant la société est agitée.

    C'est que le pouvoir gouverne carrément contre la fraction la plus consciente et à la fois la plus démocratique, au sens fort de ce mot. Il gouverne, en somme, contre une large minorité démocratiquement active porteuse des revendications populaires; il refuse de l'écouter et finalement la réprime. Cela fait une curieuse situation, qu'il faut tenter de commenter, car elle est assez particulière et peut-être est-elle plus spécialement caractéristique de notre temps.

    [...]

    Or, dans nos sociétés, le pouvoir nie qu'une minorité active même considérable ( ici, indépendantiste, syndicale ou appartenant à d'autres mouvements populaires militants) représente légitimement quelque chose, et il condamne ses intuitions, sa volonté, ses doctrines.

    Il y a une raison pour que le pouvoir refuse la ligne générale d'une grande minorité active parlant au nom du peuple. Cette raison est simple : c'est que ce pouvoir est lui-même gouverné par un super-pouvoir, caché et non-démocratique. Un tel gouvernement n'est plus un gouvernement démocratique militant. A proprement parler, c'est un gouvernement aliéné.

    La démocratie occidentale, aux États-Unis, a inventé l'expression de "majorité silencieuse". Il le fallait pour justifier le fait, très grave, qu'elle refusait de tenir compte de la minorité active, chose qui serait contre-nature dans une démocratie véritable, laquelle, en effet, ne peut être qu'une démocratie militante.

    Il y a crise parce que le pouvoir, en rupture de ban avec la démocratie en marche, n'a plus que deux recours : manipuler la majorité silencieuse par les immenses moyens dont lui et ses alliés disposent et, d'autre part, exercer une répression sur la grande minorité active, qui ne cesse pour autant de s'agiter. Ce n'est pas encore la dictature, mais c'est une terrible perversion de la démocratie. C'est le cas de Québec, d'Ottawa, et celui de Washington.

    Il n'y a pas de démocratie véritable lorsque le pouvoir devient hostile à une large minorité démocratique militante. Tout ce qu'on pourra dire sur la majorité des votes, des sièges ou des silences pour bien dissimuler ce principe-là, c'est de la bouillie pour les chats, une bouillie d'ailleurs très en faveur dans les milieux officiels, qui savent très bien compter les têtes de pipes mais dont les idées sur la démocratie sont arrêtées quelque part, le long du temps, vers la fin du XVIIIe siècle.

    - Pierre Vadeboncoeur, juillet 1972
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Pour parler sans ambages, disons tout de suite que le syndicalisme et le capitalisme aux États-Unis se retrouvent pour ainsi dire comme larrons en foire. L'un et l'autre cèdent volontiers à l'esprit de croisade que propagent par tous les moyens les grands pontifes de l'ordre établi. Les deux donnent aveuglément dans la manie aussi verbeuse que stérile de l'anticommunisme ambiant, et font front commun avec le pouvoir, non pour défendre la classe ouvrière, mais pour défendre le système capitaliste - un système désormais rejeté par les deux tiers des habitants du globe.

- Jean Pellerin, Cité libre, mai-juin 1965

Le gendarme américain a peur que se détraque le système qui lui assure la richesse et l'hégémonie, et il a parfaitement raison d'avoir peur, car il va se détraquer le système, comme s'est détraquer le système des Romains, de la Chrétienté d'Europe et des empires catholiques et protestants. Visiblement, l'Occident demeure dans la ligne de son destin. Il continue à faire couler beaucoup de sang, pour que survivent des religions auxquelles il ne croit plus, mais qui lui apportent puissance et bonne conscience.

- Jean Pellerin, Cité libre, mars 1966



Le portrait du décomposé

Albert Memmi a dessiné le portrait du colonisé, mais il y en aurait un autre à faire, incomparablement plus désolant; celui d'un peuple vaincu, ayant voulu renaître mais vraiment défait une nouvelle fois, non tout à fait par la force brutale, mais par l'histoire, par la déculturation, par la démographie, par sa propre faiblesse ou corruption, par l'impérialisme économique, par la subtile politique anglo-saxonne de composition apparente et de domination certaine, et par la revanche de tous ceux qui, l'entourant ou vivant chez lui, prendraient enfin sur lui un pouvoir définitif, lui le faible, lui, pourtant l'ennemi, mais désormais entièrement dépossédé, s'abandonnant fini, méprisé, mais néanmoins encore combattu, encore éliminé quotidiennement, peuple-épave, peuple-vestige, aztèque, impuissant contre quiconque mais tout de même jugé l'ennemi de tous, dernier de l'échelle sociale, historiquement dérisoire, l'exploité par excellence, repoussoir de la force et de la richesse triomphante, le sans-allié, lui qui avait pu prétendre à la possession d'un pays et d'une loi, mais qui ne serait plus rien dans son propre et immense territoire que le supplanté de tous les autres, par la grâce de cette rigueur et de cette justice innommable de la domination , qui ne fait rien à moitié.

Il y a des peuples comme celui-là, ou lui ressemblant d'une manière ou d'une autre. Il y a les Noirs des États-Unis. Il y a les populations frontalières de couleur. Il y a les Acadiens. Il y a les diverses minorités misérables mais encore cohérentes ou marquée du signe indélébile de leur origine. Il y a les frogs de partout et les canucks de Kérouac. Il y a aussi les indiens bien sûr.

Mais ce portrait n'est pas encore fait, ou, en tout cas, il n'est pas aussi célèbre et aussi bien buriné que celui du colonisé. Il faut pourtant savoir ce qu'il advient d'une force qui tombe et qui, après la défaite, n'est pas de celles qui, comme les pays souverains ayant guerroyé, continuent malgré l'échec de subsister par la puissance du nombre, du gouvernement autonome et des frontières. Il faut connaître les lois de ce destin de la dissolution politique, psychologique, culturelle et probablement économique et sociale aussi, et ce que peut signifier que d'appartenir à une race irréversiblement prolétarisée.

Il y a une autre face au portrait du colonisé que celle de sa déchéance, car il y a celle de son redressement, de sa lutte, de la restauration de son intégrité, et finalement du rétablissement de sa souveraineté. Mais il n'y a pas d'autre face au portrait d'une nation investie et intimement décomposée, changée en minorité veule et sans force, et de la sorte emportée inexorablement par l'histoire dans son destin d'inférieure.

- Pierre Vadeboncoeur, mars 1976



Il est vrai que Goldwater [le sénateur américain] affirme, en même temps, qu'il est "pour" quelque chose. Il est pour l'entreprise privée (des gros), pour l'initiative privée (des gros également), pour les magnats de l'acier et les grands du pétrole au Texas, pour les "War Mongers" des trois armes (auxquels il promet de laisser toute latitude en cas de crise grave), pour l'affaiblissement du gouvernement central (en matière de planification économique et, surtout, d'application des droits civils), pour la suppression de Castro (et de tous les empêcheurs-de-tourner-en- rond en Amérique latine), pour la guerre totale au Vietnam (et, par extension, en Chine), pour la suppression de tout commerce et de tout entente commerciale avec la Russie et les pays satellites.

- Jean Pellerin, Cité libre, août-septembre 1964
Dernière modification par Cinci le mar. 30 août 2016, 3:30, modifié 1 fois.

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Re: En hommage à la loi El-Khomri

Message non lu par Cinci » jeu. 11 août 2016, 3:27

En passant, l'idée d'une loi El-Khomri ne faisait pas partie du programme du Parti socialiste en 2012. Le projet de loi n'a jamais été discuté à l'intérieur même du Parti.

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Re: En hommage à la loi El-Khomri

Message non lu par Cinci » jeu. 11 août 2016, 4:00

Une autre perle :

",,, le capitalisme est incompatible avec la gestion de la pauvreté de l'humanité. Il faut d'ailleurs convenir que le socialisme influencé par le capitalisme et par son idée d'enrichissement s'engage dans la même ornière, dans la même impossibilité, dans la même inconscience et dans le même crime. Le poison de l'idée d'enrichissement s'insinue partout et gagne évidemment des collectivités comme elle domine entièrement des petites minorités d'accapareurs.

[...]

De plus, le capitalisme se trouve en contradiction avec la démocratie, qu'il sacrifie en effet sans hésiter dès qu'elle cesse de pouvoir l'utiliser pour son propre avantage, d'où le fascisme d'un grand nombre de pays qu'il domine de l'extérieur et celui qui pèse comme une menace sur les principaux pays d'Occident. Le capitalisme n'est nullement en relation créatrice avec quelque idéal, car ses fins sont, comme celles de ces bandits dont parle Michel Chartrand, exclusivement privées.

[...]

Le capitalisme, principe disjoint au sein de la société, disjoint tout ce qu'il touche en elle. Partout où la nation ne le sert pas ou pourrait ne pas le servir comme il voudrait, il exerce sur elle une action dissolvante, comme on le voit en France, ou destructive, comme c'est clairement le cas au Québec.

On n'ira jamais plus loin que le matérialisme capitaliste dans l'atomisation de la race humaine, parce que les rapports de l'individu avec les choses d'utilité immédiate auront dévoré tous les autres rapports. Le capitalisme prépare son propre terrain en annulant au ras du sol, par devers lui, comme dans une guerre microbienne, par l.attrait des objets qu'il diffuse partout et en tous lieux, les forces potentielles de ressaisissement d'une humanité dès lors frappée d'indifférence spirituelle, d'apolitisme et d'oubli.

On le voit, nous avons comme nation de formidables ennemis. Le capitalisme exerce sur elle, de l'intérieur, une action délétère, qui est celle que je viens de dire et qui se fait d'elle-même, sans trop qu'on y pense. En outre, de l'extérieur, il pratique contre elle une politique réfléchie, précise, résolue. "

- Pierre Vadeboncoeur, juin 1976



"... ce gouvernement n'a pas de culture parce qu'il n'a pas d'âme. Il ne véhicule aucune valeur, ni historique, ni future. Il est le messager de l'étranger, du capital, de l'abstraction, de l'empire sans visage ni frontière. Il n'annonce pas l'avenir, mais seulement le devenir impersonnel qui s'Introduit ici comme une puissance.

Ces hommes vides, ces derniers venus, sont les premiers venus ici d'une époque où le Hasard, le hasard multinational, va prétendre régner. "

- Pierre Vadeboncoeur, octobre 1973

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Re: En hommage à la loi El-Khomri

Message non lu par Cinci » lun. 29 août 2016, 23:56

Toujours dans la série des perles précieuses :
  • Les partis politiques dépendent de quelques entreprises

    Toronto (PC) - L'ancien président du Parti progressiste conservateur a déclaré que les partis politiques au Canada dépendent de quelques entreprises, et reflètent par conséquent les opinions et les intérêts de ces mêmes entreprises. Prenant la parole à l'Université York, M. Dalton Camp a ajouté que le système politique du Canada dépendait pour sa survivance de la compréhension et de l'appui non pas de toutes les entreprises, mais bien de quelques unes.

    "Il est soutenu par quelques unes des plus grosses dont les intérêts engagés dans le système sont considérables", a-t-il précisé.

    "Les bailleurs de fonds d'un parti politique peuvent influencer les politiques du Parti en retirant simplement leur appui financier", a souligné M. Camp. "Comme moyen d'exprimer son insatisfaction, le retrait des dollars est toujours plus efficace que la discussion". Selon lui, l'intérêt public du Canada se trouve menacé du fait que les partis politiques dépendant de plus en plus des ressources de la haute finance.

    Source : La Presse, Montréal, mercerdi 10 mars 1970 in Pierre Bourgault, Quitte ou double, 1970

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Re: En hommage à la loi El-Khomri

Message non lu par Christophe67 » jeu. 08 sept. 2016, 11:17

Cinci a écrit :En passant, l'idée d'une loi El-Khomri ne faisait pas partie du programme du Parti socialiste en 2012. Le projet de loi n'a jamais été discuté à l'intérieur même du Parti.
Bonjour Cinci,

En effet, une fois élu personne n'est obligé de tenir compte de ses promesses ou de son programme.
Sans retomber dans les abus de la 4ème République et vu l'inutilité du référendum abrogatif, je reste persuadé de l'utilité d'un référendum d'initiative populaire pour démettre un élu, ou d'une loi sur le parjure.

J'en arrive à ma conclusion toute personnelle que nous sommes en France, non plus en démocratie mais sous le joug d'une oligarchie de fait, permettant aux hommes/femmes, non plus de servir leur pays en représentant l'intérêt commun, mais de lui imposer ses dogmes personnels.

Mais quand j'entends des personnes choisir leur bulletin de vote selon la qualité de la cravate de l'élu, alors je me dis qu'il y a une forme de justice à en subir les conséquences.

Comme j'aime à la dire récemment, déçu par le mensonge républicain je fais comme le seigneur des anneaux : j'attends le retour du Roi ;)


Cordialement.

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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » jeu. 08 sept. 2016, 15:16

Bonjour Christophe67,

Vous avez raison en très grande partie certainement. Il me fait plaisir de vous lire.

Il y aurait peut-être juste pour la partie justice où la responsabilité des citoyens pourraient être relativement tempérée. Peut-être justement du fait d'être plongé dans un système oligarchique. Il y a un déficit sur le plan démocratique. Les gens ne parviennent pas tout à fait à obtenir ce qu'ils voudraient.

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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » lun. 12 sept. 2016, 4:02

Voici l'extrait d'un court texte parut au mois de septembre 1963, dans le magazine Maclean, C'est André d'Allemagne qui tient la plume, un des penseurs et propagandistes principaux du nationalisme québécois à cette époque.

Il est assez fascinant de voir comment sa pénétration de vue donne à son écriture une pertinence encore actuelle, et plus encore. Le commentaire est lesté d'une valeur universelle.


Fruits amers du système des deux partis


Que peut faire le citoyen? Le système actuel ne lui laisse aucun recours : voter contre le gouvernement aux prochaines élections. Mais c'est là un choix qui n'en est pas un! Pour beaucoup des mécontents du régime, tout laisse à deviner que l'élection de l'"autre parti" n'apporterait aucune amélioration.

[...]

En pratique, on se trouve devant un véritable monopole de la politique exercée par deux partis que nos traditions tendent à rendre semblables. Sur quoi, en effet, portent les luttes électorales? Quels sont les facteurs qui en déterminent l'issue? Si l'on retranche le simple mécontentement, les intérêts particuliers et la pure démagogie, il n'en reste pas grand chose. L'idéologie et la pensée politique et sociale ne semblent guère entrer en ligne de compte.

Ce qui visent essentiellement les partis, ce n'est pas la possibilité d'appliquer une doctrine ou une conception de la société, mais simplement le pouvoir avec les avantages qui l'accompagnent.

[...]

Au public, les partis se présentent donc comme des équipes d'administrateurs, les affaires du pays étant envisagées comme un business, et l'État comme un super-agent d'affaires. En Amérique anglo-saxonne, le gouvernement s'appelle une administration. Changer de gouvernement, c'est simplement changer de gérant.

La conception commercialiste de l'Etat entraîne une déshumanisation de la politique, qui devient le domaine plus ou moins exclusif de professionnels. Composés de gens qui ont la même formation, envisageant les mêmes solutions aux mêmes problèmes, subordonnées aux mêmes intérêts, les deux partis qui contrôlent la vie politique sont en somme assez semblables, et la population le sait ...

Pour résumer

Le système des deux partis, hérité de la tradition britannique :

- freine l'essor de notre société en empêchant la recherche de formules neuves et de solutions dynamiques, en confiant alternativement la conduite du pays à des partis qui se ressemblent;
-consacre la commercialisation du rôle de l'État, favorise la corruption et entraîne une désaffection de la population à l'égard de la politique.
- crée un monopole du pouvoir qui, en privant les citoyens de moyens de contrôle efficace sur leur gouvernement, entrave le fonctionnement de la démocratie.

[...]

Si nous voulons construire un État vraiment démocratique, ce qui sera d'autant plus important que cet État sera "maître chez lui", il faut abolir le plus tôt possible le système des deux partis qui pourrait facilement devenir une forme subtile de totalitarisme.

Source : Maclean, vol. 3, numéro 9, septembre 1963

... le système des deux partis qui pourrait facilement devenir une forme subtile de totalitarisme. Pour un peu, on croirait à un commentaire sur la politique américaine en 2016.

La commercialisation de l'État entraîne une déshumanisation de la politique ... comme la loi Macron peut-être?

André d'Allemagne écrivait encore dans le même article :
Pourtant, ne serait-ce qu'à cause du rôle croissant de l'État dans tous les domaines de la vie du citoyen, il est plus important que jamais que nos dirigeants aient des idées précises sur le genre de société qu'ils veulent bâtir, et qu'ils nous fassent part de ces idées afin que nous décidions si nous les endossons ou non. Ainsi, tout le monde parle de planification [...] Mais sur quels principes doit reposer cette planification?

La planification exige l'établissement d'une hiérarchie des intérêts et d'une échelle des priorités des besoins, donc de la reconnaissance d'un système des valeurs politiques et sociales. On planifie pour quelqu'un. Pour qui?

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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » ven. 16 sept. 2016, 20:42

En empruntant l'ascenseur spatio-temporelle vers l'arrière, pour mieux situer notre présent ...
Les mots de Martin Luther King ont été récupérés par ceux-là mêmes qui s'opposaient à lui dans les années 1960, m'explique James Cone, professeur au Theological Seminary de New-York [...] Depuis que son anniversaire est un jour férié, bien des gens se réclament de lui alors qu'ils le vouaient aux gémonies quand il était en vie. On a réduit King à son célèbre discours de 1963, "I Have a Dream", le plus facile à manipuler et à mésinterpréter. Pourtant, peu de temps après les marches de Selma à Montgomery et les émeutes de Watts, King avait aussi déclaré : "Ils ont transformé mon rêve en cauchemar!"

La culture de masse célèbre l'importance qu'accordait King à l'amour, "comme si celui-ci pouvait être isolé de la justice", poursuit Cone. Pour King, la justice est à la base de l'amour. L'un ne va pas sans l'autre. Ils entretiennent des liens complexes. C'est pourquoi il parlait de l'amour Agape et non de l'amour sentimental. Pour lui, l'amour était militant. Il considérait l'action directe et la désobéissance civile contre l'injustice comme l'expression politique de l'amour, celles-ci ayant pour effet de guérir la société en révélant ses blessures, ses souffrances. C'est cette insistance sur la justice pour les pauvres que la culture de masse souhaite éluder du discours de King. Pour Martin Luther King, amour et justice ont toujours été indissociables.

Au crépuscule de sa vie, Malcolm X, qui ne deviendrait jamais une icône de l'establishment en raison de son refus d'en appeler à la classe dirigeante blanche et à l'élite progressiste, s'est rapproché des enseignements de King. Malcolm X a influencé King aussi profondément que KIng a influencé Malcolm X. A la fin de leurs vies respectives, tous deux étaient conscients des multiples visages du racisme et avaient compris que l'enjeu n'était pas simplement de permettre aux Noirs de s'asseoir au même comptoir que les Blancs (dans le Nord, ils en avaient formellement le droit), mais plutôt de faire en sorte qu'ils aient les moyens de se payer à déjeûner.

King et Malcolm X étaient guidés par leur foi. Les systèmes de croyance auxquels ils adhéraient (le christianisme pour l'un et l'islam pour l'autre) les soumettaient à de stricts impératifs moraux et à une exigence de justice.

Quand il a commencé à lancer ses appels à l'intégration, King soutenait que persévérance et travail acharné pourraient rendre le rêve américain accessible aux pauvres comme aux riches, aux Noirs comme aux Blancs. Sa position correspondait à la mythologie et au discours habituel de l'élite progressiste. King avait grandi dans une famille noire de la classe moyenne. Il avait reçu une bonne éducation et se sentait chez lui dans les milieux culturels et sociaux de l'élite progressiste. Jusqu'au début de la vingtaine, a-t-il admis, la vie lui avait été offerte comme "un cadeau de Noël". Il croyait naïvement que la solution passait par l'intégration. En dernière analyse, il imaginait que les institutions blanches et progressistes finiraient par répondre au besoin de justice de l'ensemble des citoyens. Comme la plupart des Noirs ayant fréquenté l'université, il partageait les mêmes valeurs et le même idéal de réussite que l'élite progressiste blanche à laquelle il souhaitait s'Intégrer.

Ce ne sont pas les États-Unis qu'avait connus Malcolm X. Élevé à Détroit dans la pauvreté urbaine, trimbalé d'un foyer à l'autre, agressé sexuellement, il avait abandonné l'école à 14 ans, s'était livré au racket et au vol dans les rues de la ville et avait séjourné en prison. Rien dans sa vie difficile ne lui avait permis d'entrevoir l'existence d'un ordre politique qui pût reconnaître son humanité ou sa dignité. Les Blancs qu'il connaissait n'avaient jamais fait preuve de conscience morale ou de compassion. Dans le ghetto, où la survie est une lutte de tous les jours, la non-violence n'était pas une solution crédible.

King en est venu à partager les perceptions de Malcolm X, en particulier après qu'il eut fait face au racisme insidieux qui gangrenait Chicago. Sa visite du quartier Watts de Los Angeles en 1965, deux jours après les émeutes, l'a ébranlé, de même que ses échanges avec des résidants [...] quelques années plus tôt, à l'occasion de 2e anniversaire du boycott des bus de Montgomery, King avait déclaré : "Toute religion qui prétend se soucier de l'âme des hommes sans se soucier des quartiers misérables qui sont leur enfer et de la situation économique qui les réduit à l'impuissance est une religion spirituellement moribonde qui a besoin de sang neuf."

Vers la fin de sa vie, King a commencé à se rendre compte que les propos de Malcolm X sur les Blancs étaient justes, explique Cone. Malcolm X a compris que pour obtenir justice les Afro-Américains ne pouvaient s'en remettre à la conscience des Blancs. Ayant compris cela, King s'est mis à qualifier la plupart des Blancs de racistes inconscients.

Au grossier discours raciste d'antan s'est substituée une rhétorique raffinée, polie. On prétend que règne l'égalité des chances tout en fermant les yeux sur le racisme institutionnel et économique qui mine les quartiers centraux et remplit les prisons, où 1 homme noir de 20 à 34 ans sur 9 est incarcéré. Il y a plus d'Afro-Américains derrière les barreaux que sur les bancs des universités.

Le fait que les prisons et les ghettos urbains soient surtout peuplés de Noirs n'a rien d'accidentel. Il s'agit d'un choix délibéré des détenteurs du pouvoir économique et politique. Ces dernières décennies peu de choses ont changé pour le tiers le plus pauvre des Afro-Américains, dont une bonne partie vit dans les enclaves séparées de villes comme Détroit ou Baltimore. En fait, leurs conditions de vie se sont déteriorées. Quiconque reconnaît publiquement ces réalités tient cependant un discours inacceptable aux yeux de l'élite progressiste, qui préfère se gargariser des vertus d'une Amérique postraciale. A ses yeux, le travail acharné demeure la voie royale vers une vie meilleure.

Quelques mois avant sa mort, Martin Luther King a fait siens les mots de Malcolm X en rappelant à ses auditeurs que "le ghetto était un système colonial intérieur".

Source : Chris Hedges, La mort de l'élite progressiste, p,238
https://www.youtube.com/watch?v=130J-FdZDtY

We Shall Overcome

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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » ven. 16 sept. 2016, 21:53

Année 1961 ... quand déjà se trouvait accuser toute la trahison et l'imposture d'un certain gauchisme qui fait fond contre la nation, contre le nationalisme, qui préfère dénoncer le soi-disant racisme des Français, des Québécois, etc, etcc ...

Oui, quand l'imposture intellectuelle du gauchisme internationaliste désincarné se laissait déjà apercevoir.

Urgence d'une gauche nationale

L'un des phénomènes les plus curieux dans l'histoire des idées et des comportements politiques chez nous est assurément l'attitude de ce qu'on peut appeler la "gauche canadienne-française" envers le problème national de la minorité francophone, de la plus grande partie officielle de cette gauche.

... passionnée pour tout ce qui touche aux droits de l'homme dans divers domaines, prompte à s'émouvoir devant ce qui peut avoir, où que ce soit dans le monde, le moindre relent de racisme ou de colonialisme, prête à s'engager dans toutes les croisades menées sous le signe de l'égalité et de la liberté des peuples, de leur droit à l'autodétermination, cette gauche se fait étrangement silencieuse devant l'humiliation et l'asservissement du groupe canadien-français.

Tel élément de notre gauche adopte une résolution en faveur du droit des Algériens musulmans à l'indépendance, tel autre dénonce avec vigueur la politique de ségrégation raciale pratiquée dans l'Union sud-africaine, un autre convoque une réunion publique de protestation au moment où le monde occidental est le théâtre d'une vague d'incidents antisémitiques, etc : on pourrait multiplier les exemples. Je cherche en vain, dans le même temps, les réunions, les proclamations, les articles où ces mêmes organisations auraient dénoncé l'injustice permanente faite à leurs propres compatriotes.



Ignorance totale du fait national

Nous voyons spontanément de Cuba à la Birmanie, de la Guinée à la Yougoslavie, le nationalisme être révolutionnaire et le socialisme être profondément, intensément nationaliste. "Dressé contre toutes les formes d'injustices", disait en 1959 un leader syndicaliste guinéen, comment ne serions-nous pas à la pointe du combat contre le colonialisme? Désireux d'assurer l'épanouissement complet de l'homme africain, comment ne serions-nous pas à l'avant-garde de la lutte pour l'indépendance nationale? Parole qui s'inscrit dans la grande tradition socialiste et qu'on reprise sous des formes variées Castro et U Nu. Soukarno et Sihanouk, Mamadou Dia et Ben Barka,

Un peuple qui est en condition de minorité dans son pays, qui est économiquement dépendant de l'étranger et qui voit nier ses droits fondamentaux, un tel peuple est, sous certains rapports, dans une situation de tutelle et de sous-développement, et la gauche qui s'y développe, si elle n'est pas artificielle, est forcément une gauche nationale. Entendons par là une gauche qui eut rechercher une libération globale, qui lutte également contre l'aliénation de l'individu et contre celle du groupe, les deux étant d'ailleurs associées et réagissant spontanément l'un sur l'autre.

Une gauche a-nationale est une imposture

La logique de nos hommes de gauche les aurait amenés s'ils avaient été asiatiques ou africains, à être des "collaborateur", à rechercher bien sûr le relèvement des salaires, l'amélioration du niveau de vie, l'égalité officielle avec les Blancs mais à négliger la question de l'indépendance nationale comme affaire secondaire ou même à s'y opposer sous prétexte que cela entraînerait une "baisse du niveau de vie".

La dignité de l'homme, le droit du travailleur aux moyens de plein épanouissement, la démocratie réelle plutôt que formelle, le refus de toutes les aliénations, l'égalité effective des groupes sociaux et des individus, tous ces objectifs que notre gauche officielle affirme être siens, deviennent des formules vides de sens et représentant une gigantesque supercherie si, par suite d'un antinationalisme maladif, on ignore le drame national des Canadiens-français. Dans la situation d'un peuple comme le nôtre, une gauche qui se veut anti-nationale ou a-nationale trahit sa vocation, trompe les masses et devient, selon les cas, simple réformisme ou opportunisme grossier.

Sous prétexte d'antiracisme [...] par obséquiosité aussi envers ses maîtres anglo-canadiens, la gauche officielle du Canada français a entrepris d'éliminer chez les masses populaires le sens national [...]

De la droite stupide, engoncée dans le pire des conservatismes, férocement égoïste [...] et de cette gauche pauvre d'idées, riche d'abdications, acharnée dans le reniement de sa communauté ethnique, on ne saurait dire lequel a fait le plus de mal.

Il ne s'agit pas nier la patrie mais de la conquérir : entre le progrès économico-social et le salut national, il n'y a pas divorce mais fraternité. Une alliance fraternelle qui peut seul être, pour notre communauté, génératrice d'une libération féconde.

Source : Jean Marc Léger, "Urgence d'une gauche nationale", Cité libre, avril 1961, vol. 40, no. 12

Jean Marc Léger (1927 - ____) ; Diplômé en histoire et science politique (Paris), journaliste à La Presse et au Devoir (1951-1969), secrétaire général de l'AUPELF (1961-1978) et de l'Agence de coopération culturelle et technique (1969-1974), délégué général du Québec à Bruxelles (1978-1981) , secrétaire général adjoint du ministère de l'Éducation (1981-1984), commissaire général aux aux Affaires francophones.

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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » ven. 03 août 2018, 12:17

Bonjour,

Comme faisant écho aux propos de Chris Hedges déjà rapportés par moi plus haut, un article du journal Le Monde Diplomatique évoque aussi la mémoire de Martin Luther King. Il faut voir en quels termes.

Ici :

"De façon inopinée, il y a quelques semaines, les foyers américains ont entendu résonner la voix de Martin Luther KIng et découvert un discours peu connu prononcé exactement cinquante ans plus tôt. Ce rendez-vous impromptu entre le leader révolutionnaire et le téléspectateur prit la forme d'un message publicitaire pour les camions RAM, diffusé lors de la mi-temps du Super Bowl, un espace prisé des annonceurs et presque aussi commenté que le résultat du match. Cette publicité qui vantait la force virile d'un camion tout-terrain, exaltait le drapeau et l'armée, l'héroïsme quotidien des familles anonymes au son du sermon de King fit frémir certains. Plus grave, elle laissa le plus grand nombre de marbre.

Que la grand-messe télévisée de la consommation de masse s'offre les droits de diffusion des discours du pasteur illustre déjà l'absence de limites de la marchandisation, y compris celle des révoltes, rébellions et sacrifices pour la justice.

Mais l'ironie de cette usurpation tient au propos de King, qui, dans ce même discours, se lançait quelques paragraphes plus loin dans une charge virulente contre le matérialisme de son pays. Il raillait ses concitoyens séduits par des publicitaires dont le boniment incitait à acheter des signes de distinction, "telle ou telle voiture" pour devenir des hommes. Ils "paradent en Cadillac" pour être quelqu'un, tonnait-il. Selon lui, cette industrie de l'envie tuait l'Amérique à petit feu.

Plus que jamais, en ce mois de célébration du cinquantenaire de sa mort, Martin Luther KIng est panthéonisé.

Se souvenir que c'est sous le président conservateur Ronald Reagan que fut instauré, en 1983, un jour férié en hommage au révolutionnaire socialiste permet de comprendre la supercherie qui s'est généralisée depuis, la stratégie d'aseptisation et de captation qui s'est développée.

Les usages politiques de la mémoire ont été redoutables : pour nourrir le récit d'une nation réconciliée, il fallait oublier le dissident. Et créer un patriote, un père fondateur, l'Américain exceptionnel que seul un pays exceptionnel pouvait engendrer. Voilà un Noir qui rêvait de l'égalité raciale et qui la vit advenir à force de confiance dans ses compatriotes, qui rendit service au pays en réalisant les potentialités démocratiques uniques dont il était porteur.

Sur le monument commémoratif inauguré par M. Barack Obama à Washington en 2011 ne figurent pas les mots "racisme" ni "ségrégation".



Une marche pour le partage des richesses

King est sur les timbres, au fronton des collèges et des lycées. Sur l'esplanade nationale de Washington, dans les livres illustrés pour les enfants, dans les récits édifiants vendus à l'étranger, dans le bureau Ovale, dans une publicité pour les camions. Sa pensée critique se retrouve ainsi savamment enfouie sous les tombereaux d'hommages officiels et de récupérations commerciales.

Réécrire le sens de son combat, et celui de milliers d'anonymes qui ont porté la révolution noire dans les années 1950 et 1960 a d'abord consisté à réduire celle-ci à une demande pour l'égalité formelle : le droit de vote dans les États du Sud qui l'entravaient par la ruse et la terreur, et la fin de la discrimination légale. Le rabotage et les élisions de la parole de King sont ainsi conformes au marché de dupes offert aux Noirs en 1965 : la fin des discriminations légales constituait l'égalité. King fut consterné par ce tour de passe-passe :

"Le problème, écrivait-il en 1967 dans son dernier livre, est que nous n'entendons pas la même chose lorsque l'on parle d'égalité : Blancs et Noirs en ont une définition différente. Les Noirs partent du principe qu'égalité s'entend au sens littéral et ils pensaient que les Blancs en convenaient et tiendraient leur parole en promettant ... Mais la plupart des Blancs, y compris ceux de bonne volonté, n'entendent par égalité qu'un vague synonyme d'amélioration. L'Amérique blanche n'est pas prête psychologiquement à réduire les inégalités : elle cherche à se ménager et, au fond, à ne rien changer."

Les drois civiques ne furent jamais l'horizon des Noirs américains, pas plus que de King. Le pasteur entendait que l'égalité soit aussi sociale, que les richesses soient redistribuées, que les Noirs ne soient plus des citoyens de second rang, condamnés au chômage, aux quartiers pauvres, au harcèlement policier, aux salaires indignes, aux écoles déliquescentes et - ces mots ne le rebutaient pas - à l'exploitation et à l'impérialisme. Son éthique de l'égalité ne s'est jamais limitée à la question de l'égalité raciale. Si les Noirs étaient les déshérités absolus, les opprimés par excellence et l'avant-garde de la révolution en marche, tous les vulnérables étaient à libérer : pauvres Blancs, femmes sous allocations, Indiens spoliés, chicanos humiliés. Leur capacité à participer à la délibération démocratique, à prendre du pouvoir permettrait de jauger de la valeur du pays.

Son dernier combat fut ainsi une "campagne des pauvres" qui, au printemps de 1968, vit des misérables de toutes les provinces et de toutes les couleurs de peau converger vers la capitale pour tenter d'arracher une révolution constitutionnelle : l'adoption d'une charte des droits économiques pour les défavorisés, l'inscription dans la loi du salaire minimum garanti, la participation de comités de pauvres au processus législatif, une redistribution considérable des richesses et un plan sans précédent de création d'emplois publics et de logements sociaux. En février 1968, King ironisait sur ceux qui parlent d'assistanat quand ce sont de pauvres noirs qui bénéficient de l'aide publique et de subventions quand elle est destinée aux Blancs privilégiés. En somme, "nous avons un système socialiste pour les riches et le capitalisme sauvage pour les pauvres !"


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Cinci
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Re: En hommage à la loi Macron

Message non lu par Cinci » ven. 03 août 2018, 13:02

(suite)

Certes, dans la mémoire nationale, on convient que King fut à l'occasion véhément, en particulier à propos du Vietnam : mais, explique-t-on, il s'était radicalisé à la fin de sa vie, consumé par l'amertume et la solitude. Le pasteur unanimement loué en 1963, lors de son discours "I Have a dream" ("Je fais un rêve"), se serait aliéné l'opinion en renonçant à son réformisme tranquille et en cédant à la colère. Ici encore : la falsification est absolue. Tout d'abord, jamais King n'a été porté par l'opinion publique de son pays, y comprit lorsqu'il a remporté le prix Nobel de la paix, en 1964. La marche de Washington, un an plus tôt, révérée aujourd'hui comme le symbole de la réconciliation nationale, n'était en réalité soutenue que par un tiers des Américains. Même les New-Yorkais, incarnation du progressisme, pensaient pour leur majorité que KIng était "extrémiste" et jugeaient "excessives" les demandes des droits civiques. Au demeurant, il n'avait pas attendu le crépuscule de sa vie pour exprimer des convictions inconvenantes.

A 23 ans à peine, après avoir lu attentivement Karl Marx et Mohandas Gandhi, admiré le pasteur pacifiste et socialiste Norman Thomas et découvert le christianisme social d'un Reinhold Niebuhr, il exprima sa défiance envers un système économique qui concentre les richesses entre les mains d'une poignée.

Pessimiste n'ayant pas abdiqué l'espoir, il dessine un portrait tragique de son pays.

"Lorsque les machines, les ordinateurs et la quête du profit sont plus importants que les gens, le tryptique fatal du matérialisme, du militarisme et du racisme est invincible".

Il appelle à une restructuration profonde de la société

"Il est temps que les groupes privilégiés lâchent un peu de leurs millions. cela n'a rien coûté de déségréguer le Sud ou de nous donner le droit de vote; maintenant, c'est différent. Quand on commence à se demander pourquoi il y a quarante millions de pauvres dans ce pays, on en vient à d'autres questions [...]"

King rappelait que l'économie politique de la domination [...] c'était l'organisation préméditée d'un assujettissement économique : la concentration des pauvres dans des ghettos, le chômage et les salaires indécents, la bonne conscience paternaliste des réformistes. Parmi ces derniers figuraient en bonne place les démocrates [genre "Bill et Hilary Clinton"] et progressistes citadins ["nous dirions les bobos de nos jours"], défenseurs de l'égalité raciale jusqu'à ce que les Noirs demandent à s'installer dans leurs banlieues proprettes.

Les stratégies de mise en mémoire de King ont éludé ses critiques de la démocratie américaine, sa dénonciation d'un régime d'inégalité enraciné dans la structure même du pays. Tout autant que le leader noir de la Nation de l'islam Malcom X , il affirmait que le racisme était une tare congénitale de l'Amérique blanche et que l'identité américaine portait en elle les fléaux entrelacés du capitalisme, de l'impérialisme et du racisme.

Longtemps les États-unis se sont imaginés être une nation sans classe, un pays à la mobilité sociale incomparable. Ils sortent à peine de cette illusion. Ils restent également convaincus que le racisme est un vestige du passé et que la période des droits civiques a mis un terme aux inégalités entre Blancs et Noirs. Martin Luther KIng réfutait l'une et l'autre de ces fables.

Source : Sylvie Laurent, "Le dernier combat de Martin Luther KIng" dans Le Monde diplomatique, numéro 769, 65e année, avril 2018, p. 19

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