guelfo a écrit :Nous ne devons pas avoir la même définition de "libertés"; Turgot avait parfaitement raison de vouloir supprimer les corporations qui cadenassaient totalement l'activité économique.
[align=justify]Les corporations, ainsi que tous les autres corps intermédiaires qui gravitaient autour, étaient revendiquées sous l'Ancien Régime comme des "libertés", ce qui ne paraît certes pas évident à nos mentalités d'aujourd'hui.
Sans doute le système corporatif répugne à un esprit libéral, ce qui est très normal. C'est que l'économie corporative est une économie de répartition, et non une économie capitaliste. Comme l'écrit Emile Coornaert (
Les Corporations en France avant 1789, Paris, 1941 - vieilli mais non renouvelé) : "
Le but essentiel n'est pas la production, ni la richesse. Ce sont les hommes. Cette économie veut avant tout être humaine". Et Jean de Viguerie, dans son
Histoire et dictionnaire du temps des Lumières (1995, p. 876) : "
Les corporations ont un rôle social. Elles servent à empêcher les accaparements et la concentration des moyens de production. Elles renforcent l'union entre les gens du métier. La charité corporative est très active. A Paris, dans tous les métiers, une quête hebdomadaire est faite pour les confrères nécessiteux". Une économie à visage humain : le principe est bon et noble - et bien oublié aujourd'hui.
Maintenant il ne faut pas idéaliser. Le système avait ses défauts et ses abus que Jean de Viguerie rappelle aussi : maîtrises réservés aux fils de maîtres, charges de jurés monopolisés par des familles influentes, état d'esprit hostile aux innovations. C'est le revers de la médailles. Aucun
système (économique ou autre) n'est parfait.
La suppression des corporations par la Révolution eut des conséquences extrêment néfastes. Les ouvriers, désormais seuls, furent poings et pieds liés livrés à la cupidité sans bornes de leurs patrons. Il en résulta une exploitation honteuse des travailleurs au cours du XIXème siècle.
guelfo a écrit :Cette "réforme salutaire" comme tu dis est tout simplement une illustration de la tyrannie royale, et si les successeurs de Louis XIV étaient certes moins énergiques que lui, ils ont cependant tenté de maintenir ce système injuste et inefficace avec les conséquences que nous savons.
D'autre part, je te rappelle que si Louis XVI est obligé de convoquer les parlements que la monarchie avait tenté de marginaliser, c'est parce que ses prédecesseurs et lui avaient ruiné l'état et le pays et devaient passer par les parlements pour lever des impôts... Très justement, les parlements en ont profité pour remettre l'église au milieu du village et, faute de pouvoir virer le mauvais gestionnaire, limiter ses pouvoirs.
Si Louis XVI avait respecté la constitution qu'il avait juré de défendre plutôt que fuir à l'étranger pour rétablir l'absolutisme à la tête d'armées étrangères, se rendant coupable de haute trahison, peut-être auriez-vous encore aujourd'hui une sympathique monarchie constitutionnelle et auriez-vous évité la Terreur, le génocide vendéen, les carnages napoléoniens, etc.
Il faut bien comprendre que les parlementaires forment au XVIIIème siècle un parti de puissants aristocrates attachés à leurs privilèges de caste, dont ils ne souhaitent rien d'autre que la pérennisation. C'est le parti de la réaction, le parti de ceux qui prétendent descendre des conquérants francs et détenir de ce fait un
droit de conquête sur la masse du peuple, assimilée aux descendants des gallo-romains, le parti de l'intolérance dénoncé par Voltaire (procès Callas et Serven).
La détresse des finances que tu dénonces ne vient nullement d'une mauvaise gestion de l'administration royale, mais d'un système fiscal inadapté. "Un Etat pauvre dans un pays riche" comme a justement écrit Gaxotte. Plusieurs fois l'administration royale tenta d'imposer de nouveaux impôts qui ne toucheraient pas seulement les plus pauvres, mais les riches. Mais les privilégiés (le clergé et la noblesse, avec à sa tête les parlements), crispés sur leurs intérêts, opposèrent toujours un front invincible à l'autorité royale. Ce sont eux qui ont paralysé la France et empêché toute évolution politique et sociale.
guelfo a écrit :Ca, c'est ce qu'on enseigne en France. Hors de l'hexagone, tout le monde sait bien que la France reste expansionniste jusqu'au Congrès de Vienne.
L'historigraphie a depuis longtemps dépassé ce clivage entre l'histoire nationale et l'histoire internationale.
Il suffit de s'intéresser (même modestement) à l'histoire des relations internationales au XVIIIème siècle pour se rendre compte que la France ne fut pas une puissance expansionniste durant cette période (sauf exception, telle l'aventure magnifique de Dupleix aux Indes, qui fut cependant désavoué). Lors de la guerre de succession d'Autriche (1740-1748), par exemple, les armées françaises de Maurice de Saxe se sont emparées sans difficultés de toute la Flandre. Louis XV, en position de force, aurait très bien pu annexer toute l'actuelle Belgique. Mais dans sa volonté de bien montrer que la France n'avait aucune visée expansionniste, Louis XV refusa toute acquisition territoriale. De même la guerre de Sept Ans (1756-1763) est clairement une initiative anglaise, qui entrepend le conflit pour le seul profit de ses manufacturiers, inquiets de la concurrence grandissante du commerce français.
Les boutefeux de la guerre sont autre part. C'est par exemple la Prusse de Frédéric II, qui s'empare sans déclaration de guerre de la Silésie autrichienne en 1740, puis dépèce plus tard la Pologne avec la Russie et l'Autriche (raison invoquée : la "perversité d'esprit des polonais" !). C'est aussi la Russie de Catherine II qui avance vers les détroits et grignote petit à petit l'Empire Ottoman. C'est encore Joseph II qui, après la mort de l'Electeur de Bavière, met la main sur le pays (1778). Ce sont donc les princes "éclairés" qui plusieurs fois mettent le feu à l'Europe, souvent au mépris de tout droit. Ainsi Frédéric II, après avoir fait main basse sur le Silésie (sans déclaration de guerre), fait fabriquer une fausse justification et félicité ainsi son ministre : "
Bravo, cela est l'ouvrage d'un bon charlatan" (J. de Viguerie, p. 524). Comme le souligne cet auteur, jamais Louis XIV n'aurait agi ainsi. C'est le début de la politique des traîtés considérés comme des "chiffons de papier". On ne s'étonnera pas que la perte de toute moralité dans les relations internationales naisse ainsi au siècle des "Lumières", le siècle de l'incroyance, la "lie des siècles" selon l'archevêque de Paris Beaumont de Repaire.[/align]
- VR -