Ludovic a écrit :Pourquoi faudrait-il juger du caractère inhumain de l'occupation en France en fonction de l'occupation dans les pays de l'Est?
Mais parce que cette guerre a été mondiale, au cas où vous ne le sauriez pas. Les Français, par un égocentrisme naturel, s'imaginent que cette guerre a été principalement franco-allemande et que le centre de gravité du conflit était chez eux, en France. Mais c'est une vision complètement déformée.
Pertes civiles à l'Ouest :
France : 330 000
Pays-Bas : 198 000
Belgique : 76 000
URSS : 13,6 millions
Yougoslavie : 1,4 million
Pologne : 5,5 millions
La guerre a causé la perte de 0,64 million de civils à l'Ouest et 20,5 millions à l'Est... Et encore, les soldats français prisonniers allaient dans des camps de prisonniers dont on a fait des séries comiques pour la télévision, mais les soldats russes dans des camps de concentration, s'ils avaient la chance d'être faits prisonniers.
Il est parfaitement possible de mesurer la violence d'un conflit, non pas précisément mais relativement, la violence monte, elle peut être basse, et par degrés s'élever jusqu'à la guerre totale. C'est une chose de se battre avec des armées de métier, une autre de se battre avec des peuples mobilisés, une autre de tuer volontairement aussi bien les soldats que les civils et encore une autre de se battre à coup de bombes atomiques. Accrochages, escarmouches, batailles, guerres, génocides... Au niveau individuel, l'horreur est sans doute très similaire, mais la guerre n'est justement pas une affaire individuelle, elle est sociale.
Pour mieux comprendre notre ethnocentrisme, l'URSS a perdu en tout 21,5 millions d'habitants, la Chine 20 millions, et l'Indonésie 4 millions (pour l'Indonésie, que des civils) soit 10 fois plus que les pertes françaises, mais les Français ignorent complètement qu'il y a eu des morts en Indonésie et restent persuadés que la France fut l'enjeu de cette guerre, et que tout s'est joué chez eux...
Je donne des chiffres pour faire simple et pour ne pas recopier des pages entières de description de la violence d'un point de vue plus concret. Car non seulement les Allemands ont tué beaucoup plus dans l'Est mais ils l'ont fait différemment, il y a des livres d'historiens et de témoins très bien faits si vous avez le coeur bien accroché.
Bien évidemment l'occupation en France a été violente et traumatisante mais la décrire comme le sommet dans l'horreur, comme quelque chose de "particulièrement inhumain", c'est s'aveugler sur le reste du monde, se centrer sur sa propre histoire sans accepter de seulement envisager qu'on n'a pas été les seuls à souffrir et qu'on a même été relativement épargnés. La France n'a connu rien qui s'approche du gouvernement Général de Pologne ni de l'entrée des Japonais dans Shangaï.
Pour dire ces choses, on dispose d'une richesse de vocabulaire : agressif, violent, terrible, sanglant, cruel, horrible, cauchemardesque, psychotique, halluciné, apocalyptique, monstrueux, infernal, inhumain, etc...
On peut dire que l'occupation en France a été terrible, sanglante, cruelle, horrible en la prenant du point de vue du traumatisme de la société française... mais cette société a-t-elle vécu l'occupation comme une chose cauchemardesque, hallucinée, apocalyptique ou monstrueuse ? Le peuple retenu sur un territoire infernal, sans issue, où tous les jours chacun craint de mourir et voit mourir autour de lui, où des villes, des capitales et des villages sont rasés, et les forêts semées de fosses communes ? Non.
La vérité est que la France a connu une occupation avec des conditions très avantageuses en comparaison d'autres pays et que les Français s'en sont très bien accommodés puisqu'ils ont peu résisté (la résistance en Pologne et en Yougoslavie a été autre chose) et ils avaient sans doute de bonnes raisons : ils étaient fatigués par la guerre, par la dose qu'ils avaient reçus en 14-18 alors que les Allemands, moins civilisés, ne semblent pas s'être lassés aussi vite de la barbarie et de l'horreur puisqu'ils en ont redemandé une dose en 39-45.
Ludovic a écrit :Et puis, que signifient ces comparaisons? Aujourd'hui, vous considérez comme la situation dans les pays de l'est inhumaine car dépassant tous les chiffres de pertes humaines visibles ailleurs.
Ces comparaisons signifient qu'on peut très bien rejeter l'expression de "particulièrement inhumaine" pour parler de l'occupation en France parce qu'elle est excessive, si on prend la peine de s'intéresser à ce qu'ont vécu d'autres peuples que le nôtre, rien de plus, rien de moins. Mais c'est vrai que si on reste le nez collé à son nombril, on peut parler "d'apocalypse" et "d'inhumanité", enfin tant qu'on reste entre soi, hein, il ne faut pas sortir ces couplets-là aux Russes et aux Polonais...
Maintenant, vous observerez que je n'ai pas dit que la guerre dans l'Est avait été un absolu dans l'horreur (je ne crois pas que cela existe mais que la violence peut monter indéfiniment, qu'elle n'a pas de plafond), je dis seulement qu'on doit se calmer en France avec notre égocentrisme et notre lyrisme... s'il y a des territoires où la guerre a été
particulièrement inhumaine entre 39 et 45, ce n'est pas en France qu'il faut les chercher.