Ci-après les questions posées au Père Jean Charbonnier (ceci ne représente qu'une petite partie des questions que j'aurais pu poser) :
1- L’introduction du Bouddhisme en Chine
X.Walter écrit page 19 : «
Il est notoire que les premières traces du bouddhisme […] sont toutes, en Chine, postérieures au milieu de IIe siècle. »
Pierre Perrier écrit page 14 : « Elle [la date de la frise rupestre] ne cadre pas avec ce qu’établit l’histoire de l’arrivée en Chine du Bouddhisme dit du « Grand véhicule » depuis l’Inde occidentale que les Chinois appellent Juandu*, et par le Xinjiang, au milieu du IIe siècle, et
que confirme l’archéologie. »
Or, en 2007, X.Walter écrit dans sa « Petite histoire de la Chine » que :
- « le bouddhisme aborde l’Empire dès le 1er siècle av. JC » (page 59).
- « Or, dès avant l’ère Mingdi, des communautés bouddhiques existaient notamment le long du Bas-Yangzi. » (page 60).
-
Après avoir co-écrit en 2008 avec Pierre Perrier, X. Walter change d’avis et écrit en 2009 dans un article sur le Bouddisme en Chine « on date désormais [l’arrivée du bouddhisme en Chine] du règne de Huandi (146-167)… »
C’est quasiment un des seuls auteurs à l’écrire, puisque la majorité des auteurs écrit que le bouddhisme a été introduit en Chine au plus tard au Ier siècle : Vincent Goossaert, Daisaku Ikeda, Lou Yulie, Paul Demiéville, Antonello Palumbo, Tan Ta Sen , Marcel Granet, Henri Maspéro, Jacques Gernet, Elisabeth Martens, Bernard Baudoin, Frédéric Wang, Jacques Brosse, Claude Chancel, Daisetz Teitaro Suzuki , Sylvie Hureau…
Question 1 : Comment expliquer l’expression « il est notoire … que les premières traces du bouddhisme sont toutes postérieures au IIe siècle », alors que l’opinion que le bouddhisme est arrivé en Chine au plus tard au 1er siècle est l’opinion quasiment unanime ?
Question 2 : Entre 2007 et 2009, X.Walter change d’avis, contre l’avis de ses confrères. Quelle nouvelle donnée lui fait renier son opinion précédente ?
Question 3 : D’après Pierre Perrier, l’archéologie confirme que l’arrivée du bouddhisme en Chine s’est faite au milieu du IIème siècle. Quelles sont ces preuves archéologiques ?
2- La réalité du songe de Mingdi
La majorité des auteurs (voir liste ci-dessus) considère que le songe de Mingdi est une légende. C’est la conclusion de l’article de Henri Maspéro - « Le songe et l’ambassade de l’Empereur Ming. Etude critique des sources»
1 confirmée par exemple par Antonello Palumbo en 2007 : « We no longer believe that [the beginnings of Buddhism in China] all began with the dream and embassy of Emperor Ming of the Han dynasty – not since Henri Maspéro, back in 1910, showed us that this story bears all the traits of a pious legend. »
X.Walter écrit d’ailleurs page 20 : les écrits [chinois] qui y sont relatifs « fourmillant de supercheries, productions de sectes rivales ».
On peut lire aussi page 69 : les bouddhistes sont de formidables hâbleurs, et page 163 : toutes ces affirmations montrent combien traditions, compilations, souvenirs plus ou moins sincères contribuent à dénaturer l’histoire et à créer des certitudes, au crédit totalement infondées.
Bref, les auteurs insistent sur le fait que les « traditions » sont peu crédibles.
Maurice Granet a écrit en 1922 dans son introduction de « La religion des chinois » (page 89) :
«
L’histoire du bouddhisme en Chine est sans doute
destinée à rester mystérieuse. Les chroniqueurs officiels se sont avisés de parler de lui seulement à l’époque où il prit une importance politique. D’autre part dans les écrits bouddhistes, comme dans toute littérature religieuse
fourmillent les supercheries pieuses ; pour certains, et des plus importants,
les érudits hésitent, après les plus minutieuses recherches, à les dater à trois siècles près. Ce sont des
productions de sectes rivales qui, souvent, ont cherché un supplément de prestige par de véritables faux.
Il est établi, par exemple, qu’une communauté bouddhique inventa de toutes pièces une histoire destinée à accréditer l’idée que l’introduction de sa foi était due tout ensemble à un miracle et à une décision gouvernementale. En 65 ap. J-C, l’image d’une divinité nimbée du disque solaire serait apparue en songe à l’empereur Ming […].
Cette invention a eu pour résultat de faire maudire jusqu’à nos jours la mémoire de l’empereur Ming par les Chinois orthodoxes. En fait, on a la preuve que, dès avant le songe supposé, des communautés bouddhiques existaient en Chine … »
X.Walter connait bien ce texte puisqu’il le cite dans son introduction en reprenant dans son introduction (page 20) les bouts de phrases surlignés en rouge.
P.Perrier connait bien ce texte puisqu’il cite dans son annexe « Le Bouddhisme en Chine avant l’ère Mingdi ? » (page 243) la phrase
surlignée en bleu.
Question 4 : Comment alors les deux auteurs peuvent-ils avoir oublié la suite du texte, notamment celle surlignée en noir, qui correspond à l’opinion largement majoritaire des historiens, alors qu’ils ont insisté par ailleurs sur le fait que les traditions chinoises étaient peu crédibles ?
3- Le texte du songe de Mingdi
Pierre Perrier donne plusieurs traductions, ou rappelle ce songe de Mingdi, en 4ème de couverture, et aux pages 13, 19, 31, 40/41/42, 54, 89, 95/96/97/98, 100/101/102/103, 105, 166/167, 185/186, et 188. Il écrit à la page 96 que c’est une pièce capitale, et c’est vrai.
Version de la page 41 : « Mingdi eut un songe qui lui fit voir un homme blond, grand, dont la tête était auréolée de lumière,[…]il avait près de deux mètres, il était de teint doré… »
Il en déduit page 42, que cet homme grand, aux cheveux blonds ou châtains et
à la peau claire (??) ne peut être a priori un Chinois, ni un Indien, et il en déduit page 101 que « la description que l’empereur Mingdi a donnée de lui recouvre les sémites du Nord, d’un blond châtain, à la peau hâlé (sic), de taille plutôt grande… ». Il conclut plus tard que ce ne peut être que Jésus Christ.
Dans
toutes les traductions faites jusqu’à présent, aucune ne comprend les mots « cheveux blonds », « à la peau claire » ni « « d’une taille d’environ 2 mètres », sauf celles de Pierre Perrier.
Le document qui fait référence sur la question est l’article de 37 pages de Henri Maspéro « Le songe et l’ambassade de l’Empereur Ming. Etude critique des sources » 1 qui date de 1910. Aucun article ni livre n’a depuis mis en doute la qualité des traductions données par H.Maspéro. Sylvie Hureau, spécialiste de l’introduction du Bouddhisme en Chine et professeur à l’EPHE dit que l’article « n’a pas pris une ride ». Elle a fait un cours sur ce sujet en juin de cette année à l’EPHE, où elle confirme toutes les traductions données par Henri Maspéro.
Les traductions des 13 textes antérieurs au VIe siècle données par H.Maspéro divergent un peu mais sont globalement cohérentes avec celle-ci :
C’est une tradition courante que l’empereur Ming vit en rêve un homme d’or de haute taille qui avait une lueur brillante au sommet du crâne. Il interrogea ses fonctionnaires ; et quelqu’un d’entre eux lui répondit : « Dans la région d’Occident, il y a un dieu appelé Buddha, d’une taille haute de seize pieds et qui est couleur d’or jaune ».
Ici l’homme vu en songe est d’or (ou doré), la couleur de sa peau n’est pas mentionnée, et sa taille est de 16 pieds (soit environ 4,80 m).
La seule indication qui diverge d’un texte à l’autre est la taille du personnage. Sur les 13 textes, 6 ne disent rien sur sa taille, 2 disent seulement qu’il est grand, 4 disent qu’il mesure 16 pieds (4,80 m) et un dit qu’il mesure 20 pieds (6,00 m).
Pierre Perrier innove donc par rapport à tout ce qui est connu en précisant « cheveux blonds », « à la peau claire » et « d’une taille d’environ 2 mètres ».
Pierre Perrier n’explique pas pourquoi il innove ainsi. Curieusement sa 4ème traduction (page 166) est cohérente avec celle de H.Maspéro.
Ses variantes de traduction sont essentielles pour sa thèse puisque c’est ce qui lui permet d’affirmer que l’homme ne peut être qu’un sémite du Nord et donc Jésus Christ. Si on s’en tient aux traductions données par Henri Maspéro et tous les autres, il n’y a aucune raison d’imaginer qu’un homme d’or appelé Buddha, avec une lueur brillante sur la tête, pourrait être le Christ.
Question 5 : D’où viennent ces termes « cheveux blonds », « à la peau claire » et « d’une taille d’environ 2 mètres » ?
Question 6 : Quand un érudit (référence à la page 6 : « Le métier d’érudit n’est pas sans réserver des surprises ») innove, il indique les précédentes interprétations, et explique pourquoi il pense que son interprétation est meilleure. Pourquoi Pierre Perrier s’en dispense-t-il ?
4- Les noms des missionnaires
Page 165, Pierre Perrier explique que les noms des missionnaires (avec assurance : voir X.Walter page 20) chinois cachent des noms araméens.
Page 168, il écrit : « Si, pour le premier nom,
Kasyapatmanga, on recherche une origine chinoise ou sanscrite, on n’aboutit à rien. »
Peut-être.
Mais le nom du missionnaire n’est pas Kasyapatmanga, mais
Kasyapa Matanga.
(Je l’ai vérifié, Pierre Perrier est le seul à utiliser le nom Kasyapatmanga).
Et il est facile d’expliquer le vrai nom :
Kashyapa est le nom de plusieurs personnages ayant vécu avant l’ère chrétienne :
* Dans l'hindouisme, Kashyapa est considéré comme un des grands sages ou rishi, père de l'humanité, des deva, des asura et des nâga.
* Dans le bouddhisme Mahâyâna, Kashyapa (Kassapa en pali) est considéré comme le Bouddha du passé ayant précédé immédiatement le Bouddha historique.
* Un des premiers disciples du Gautama Bouddha, également appelé Mahākāshyapa.
Matanga est :
* le nom d’un éléphant dans la mythologie hindouiste,
* le nom d’un Boddhisattva, protagoniste des Matanga Jataka,
* le nom d’un Pratyekabuddha
Question 7 : Pourquoi Pierre Perrier modifie le nom du 1er missionnaire ?
Page 169, Pierre Perrier écrit : « Le disciple se fait
darmavanya ».
Et l’auteur explique le mot vanya par une forme dialectale araméen-hébreu de Judée.
Or le vrai nom est
Dharmaranya.
Question 8 : Pourquoi Pierre Perrier modifie le nom du disciple ?
1 « Le songe et l’ambassade de l’Empereur Ming. Etude critique des sources.» par Henri Maspéro
https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q= ... 1339,d.ZWU
Réponse du Père Jean Charbonnier :
Date: Sun, 12 Oct 2014 09:47:39 +0200
Subject: Re: L'Apôtre Thomas en Chine
From: charbonnier...@gmail.com
To:
diviacus@hotmail.fr
Je viens de relire votre texte reçu au mois d'août.
Veuillez m'excuser de ne pas y avoir répondu.
A mon retour de Mongolie, j'au eu beaucoup de retard à rattraper
et les questions que vous posez demandent un examen minutieux
Personnellement je m'en tiendrais au vue de Granet en 1922.
Le diverses interprétations sont liées aux interprétations que les chercheurs veulent justifier.
J'ai proposé à M. Pierre Perrier de proposer son interprétation chrétienne sur un blog en chinois de façon à provoquer une nouvelle enquête de la part des chinois eux-mêmes. Il a des argument qui sont plutôt un ensemble d'indices et ne permettent pas des affirmations définitives.
Ses rapprochements linguistiques demandent un développements des études linguistiques sur les langues parlées au 1er siècle en Asie.
Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus.
Le 11 octobre 2014 07:49, <
diviacus@hotmail.fr> a écrit :
Cher Père,
Je me doute que vous avez quantité d'autres sujets sans doute plus importants, mais pensez-vous trouver du temps pour me répondre ?
Très respectueusement.